Droits d'auteurs et citations

Tous les éléments publiés sur ce blog peuvent être utilisés avec l'accord de l'auteur du blog et A LA CONDITION de citer les sources utilisées (qu'il s'agisse du ou des billets utilisés comme des auteurs cités dans le blog). Merci de respecter les droits d'auteur (pour tous les textes et documents utilisés dans le blog, y compris pour les auteurs cités). Pour me contacter : benedicte.tratnjek[at]gmail.com

lundi 30 mars 2009

Kigali : une urbanisation entre modernisation et réconciliation


A propos de la projection-débat autour du documentaire "Kigali : des images contre un massacre", j'ai signalé le travail de Marc-Antoin Pérouse de Montclos sur la question ("Kigali après la guerre : la question foncière et l'accès au logement", Les Dossiers du CEPED, n°57, CEPED, Paris, 2000, 41 pages). Il est vrai que ce travail date, et que les choses ont beaucoup changé depuis dans la ville de Kigali. Je remercie donc Benjamin Michelon de me signaler son très intéressant travail sur la question, qui n'est pas une seule réactualisation, mais bien une réflexion sur les stigmates et les avancées dans une ville dans le temps non plus de l'immédiat après-guerre, mais bien celui de la reconstruction et de la réconciliation, avec tous les défis qui se posent à une ville qui a dû gérer un accueil massif de déplacés.

La carte ici présentée est issue d'un de ses articles (Michelon, Benjamin, "Kigali : une urbanisation entre modernisation et réconciliation", Urbanisme, n°363, novembre-décembre 2008, pp. 33-38) et illustre parfaitement les défis en cours d'une urbanisation rapide dans un pays qui a longtemps éprouvé une grande méfiance vis-à-vis de la ville, dans une ville qui s'est retrouvée au coeur des combats en 1994, dans une ville qui est devenue une "ville-attrait" pour de nombreux déplacés.

Résumé de l'article : "Considérée durant de nombreuses décennies comme une petite ville de province, Kigali comptait à peine 200 000 habitants avant le génocide de 1994. Avec plus de 850 000 habitants, c’est une véritable révolution urbaine que connait actuellement la capitale du Rwanda. Grâce à la construction de nombreux bâtiments modernes, Kigali change de visage, signe d’une réelle volonté politique d’effacer les stigmates du passé. Présentation par Benjamin Michelon, socio-urbaniste, collaborateur scientifique à l’unité de coopération à l’EPFL* (thèse en cours sur l’identité et les quartiers précaires à Kigali et à Douala)".

Du même auteur, on retrouvera également un power-point très complet intitulé "L'urbanisation de Kigali : La (re)construction d'une capitale après le génocide" (présenté à l'International Research Conference, Tutsi Genocide and reconstruction of Knowledge, 22-25 juillet 2008, Kigali), qui permet de comprendre comment Kigali se contruit comme une ville duale. Le power-point met également en avant la problématique de (re)constrution : si l'on parle communément de reconstruction dans l'après-guerre, peut-on ici réellement employer seulement ce terme ? Bien évidemment, un des défis pour les acteurs de la gestion urbaine de Kigali a été de reconstruire les bâtiments détruits par la guerre. Mais, dans le même temps, la ville a dû faire face à une explosion urbaine, avec une population passée de 200.000 à 850.000 habitants... Reconstruction et construction ont donc été 2 défis simultanés !

Nourrir 9 milliards d'hommes


L'émission Planète Terre du mercredi 29 avril 2009 (14h00-14h30 sur France Culture) sera consacrée à la question "Nourrir 9 milliards d'êtres humains" avec pour invitée Marion Guillou (Présidente Directrice Générale de l’Institut National de la Recherche Agronomique - Inra). Une question au coeur des programmes de géographie du secondaire, et une des questions des concours CAPES-agrégation. Mais également, une question qui recoupe l'actualité, autour des émeutes de la faim, du problème de l'effondrement des prix des céréales, des inégalités sociosptatiales dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud, de la notion d'arme alimentaire...



Sur la question sur ce blog :

vendredi 27 mars 2009

"Kigali, des images contre un massacre"


A signaler : une projection-débat autour du documentaire "Kigali, des images contre un massacre" (produit en 2006) en présence de Jean-Christophe Klotz (réalisateur), Marcel Kabanda (historien, consultant à l'Unesco), Stéphane Audoin-Rouzeau (historien) et Yves Ternon (docteur en histoire, université Paris-IV), le 2 avril 2009, à 19 h 30, au Mémorial de la Shoah (17 rue Geoffroy-l'Asnier, Paris 4e arrondissement).


Résumé du documentaire : "Juin 1994. Kigali, capitale du Rwanda, est livrée aux massacreurs des milices extrémistes hutus et de l'armée rwandaise. Lors de l'attaque d'une paroisse où sont retranchés une centaine de réfugiés, l'auteur, à l'époque reporter caméraman, est atteint d'une balle à la hanche. Dix ans plus tard, il retourne sur les lieux pour retrouver la trace des éventuels survivants et de ses éphémères « compagnons de route ». A partir de ce fil conducteur, ce film propose une réflexion sur le traitement médiatique et politique de tels événements".









A lire absolument, à ce sujet, le travail de Marc-Antoine Pérouse de Montclos : "Kigali après la guerre : la question foncière et l'accès au logement", Les Dossiers du CEPED, n°57, CEPED, Paris, 2000, 41 pages.

Résumé de l'auteur : "Conflits armés et crises alimentaires contribuent à leur manière à urbaniser l'Afrique sub-saharienne lorsque les villes jouent un rôle de refuge et que les combats se déroulent à la campagne. Malgré l'évacuation de ses habitants lors de la chute du régime Habyarimana en 1994, la capitale du Rwanda n'a pas démenti ce schéma et s'est vite repeuplée une fois le génocide terminé. La différence est qu'elle est désormais tenue par des élites tutsi et que les bouleversements de l'année 1994 ont radicalement changé la composition de sa population. La question qui se pose à présent dans une perspective de réconciliation dépasse très largement les enjeux de la reconstruction urbaine et révèle une forte dimension politique. Le risque, en l'occurrence, est de fonder le développement de Kigali sur la base d'exlusions ethniques et sociales".


Vivre avec les coupures d'électricité à Mitrovica


Un message du blog Planète Vivante sur l'action solidaire "Votons pour la planète, éteignons les lumières" (à lire sur le blog Planète Vivante) : "Pour que nos enfants et petits enfants voient tout ce que nous voyons et que nous avons déjà vu, pour se lever chaque matin en se disant que la Terre est belle et qu'elle nous apporte tout, pour continuer à voir les arbres et les fleurs pousser, pour partager ensemble et avec ceux que vous aimez tout ce que nous apporte la planète, le samedi 28 mars, votez pour la Terre, éteignez vos lumière pendant 1 heure à partir de 20h30 !!! De grandes villes françaises comme Paris, Bordeaux, Marseille, La Rochelle.... mais aussi des villages ce sont engagés, pourquoi pas vous ? Quoique tu fasses le 28 mars de 20H30 - 21h30, fais le dans le noir... http://www.earthhour.fr/".


L'occasion de reparler de la ville de Mitrovica, aujourd'hui encore entre guerre et paix. Les coupures d'électricité sont récurrentes à Mitrovica. La situation n'a guère changé entre février 2004 (date du premier séjour dans le cadre de la maîtrise de géographie) et mars 2009. Le Nord et le Sud de la ville ne sont pas alimentés par les mêmes réseaux électriques. Les quartiers albanais du Sud de la ville dépendent de la centrale d'Obilic, très vétuste (tous les réacteurs ne fonctionnent pas en même temps, et sont successivement fermés). L'ensemble de l'électricité produite ne suffit pas à couvrir les besoins de l'aire de peuplement majoritairement albanaise (le centre et le Sud du Kosovo). De plus, peu d'habitants payant leurs factures, une partie de l'électricité produite est revendue dans les pays voisins (notamment la Roumanie), ce qui réduit d'autant les capacités à fournir de l'électricité sur le territoire kosovar - même si l'on excepte l'aire de peuplement majoritairement serbe au Nord du Kosovo. Les quartiers serbes du Nord de la ville de Mitrovica sont, quant à eux, alimentés en partie par un réseau électrique provenant de Belgrade. Avec l'auto-proclamation de l'indépendance du Kosovo l'an dernier et, parallèlement, des difficultés économiques de plus en plus accrues en Serbie, cette source d'approvisionnement s'est quelque peu tarie. Sur les deux rives de la rivière Ibar, des générateurs autonomes permettent aux habitants de "remplacer" l'électricité manquante, et ce tout particulièrement les jours de froid (les températures sont nettement négatives tous les hivers au Kosovo) où les besoins sont plus nombreux. Ces générateurs fonctionnent tout particulièrement dans les bars et les restaurants "branchés", où les consommations sont plus chères et qui répondent à un certain "confort". Les habitants de Mitrovica possèdent tous des générateurs, mais les font peu fonctionné. Le chauffage est principalement assuré par des poëles, installés dans une pièce commune dans laquelle on "s'entasse" pendant l'hiver (les autres pièces ne sont pas chauffées et restent fermées). Les coupures d'électricité font toujours partie, en 2009, du quotidien des habitants de Mitrovica, ce qui témoigne d'une stagnation de la reconstruction dans cette ville, 10 ans après la fin de la guerre. Mitrovica n'est plus une ville "dans" la guerre, mais la guerre a laissé de profonds stigmates encore visibles aujourd'hui, qui empêchent Mitrovica d'être une ville en paix, une ville "ordinaire".


Les conférences de la Société de Géographie



En parallèle de la sortie du n°5 de La GéoGraphie consacré aux "Neiges & Glaces", la Société de Géographie organise une conférence le mardi 7 avril 2009 à 18h30, avec pour intervenant Gilles Fumey (maître de conférences en géographie à l'Université Paris-Sorbonne), sur le thème "La ruée vers le froid ?", reprenant ainsi le titre de Roger Cans pour son ouvrage La ruée vers l'eau, qui postulait que l'eau serait le "nouvel or" du XXIe siècle.


A noter les prochaines dates des conférences de la Société de Géographie :

  • Mercredi 27 mai à 18 h 30, "Lueurs d'espoir sur la planète", par Jean-Robert Pitte (professeur de géographie à l'Université Paris-Sorbonne)

  • Mercredi 17 juin à 18 h 30 : "Le changement climatique et la cryosphère" par Eric Brun (Météo-France)

  • Vendredi 16 octobre à 18 h 30 : "Israël / Palestine, enjeux géographiques, enjeux géopolitique", par Frédéric Encel (géopolitologue et essayiste, professeur de relations internationales à l'Ecole Supérieure de Gestion)

  • Vendredi 20 novembre à 18 h 30 : "A la recherche des nouveaux mondes : les planètes extrasolaires", par Luisa Rossi (professeur de géographie à l'Université Degli Studi di Parma, Italie)


Atlas géopolitique d'Israël


Encel, Frédéric, 2008, Atlas géopolitique d’Israël (Aspects d’une démocratie en guerre), Autrement, collection Atlas/Monde, Paris, 80 pages.



Suite à la guerre dans la bande de Gaza, il est intéressant de (re)lire cet Atlas géopolitique d’Israël de Frédéric Encel. Tous les aspects de la géopolitique de l’Etat hébreu y sont présentés à travers des cartes et des graphiques très démonstratifs, accompagnés de courtes analyses. Il ne s’agit pas seulement d’un atlas du conflit israélo-palestinien, il « englobe » toutes les dimensions des rivalités de pouvoir tant à l’échelle nationale qu’aux échelles locale, moyen-orientale et internationale.


Lire la suite sur le site des Cafés géo ->


Les Balkans : une géopolitique de la violence


Michel Sivignon, 2009, Les Balkans : une géopolitique de la violence, Belin, collection Mappemonde, Paris, 208 pages.


Un ouvrage de synthèse pour ceux qui veulent découvrir les Balkans...


Aux portes de l’Europe riche, s’est jouée il y a quelques années une guerre aujourd’hui oubliée et dont il ne reste que des stigmates. Les Balkans sont devenus une sorte de « terra incognitae » dans l’imaginaire collectif de l’opinion publique européenne. Pourtant, cette aire régionale soulève de nombreux défis dans la construction européenne. Le dernier ouvrage de synthèse consacré aux Balkans datait de 1994 (Georges Prévélakis, 1994, Les Balkans, Nathan, collection Géographie d’aujourd’hui, Paris, 192 p). Depuis, des ouvrages d’histoire et de relations internationales ont été publiés sur les Balkans, les guerres qui ont déchiré cette région et les enjeux actuels de l’instabilité de cette région, mais bien peu de géographie.




jeudi 26 mars 2009

La géographie en images


Deux événements pour cette fin de semaine mettant la géographie à l'honneur : la 4ème édition de "Géocinéma" à Bordeaux et la 13ème édition du festival "Territoires en Images" à Paris.



Géocinéma :

Cette 4ème année sera consacrée à la projection de films sur la thématique "l'étranger". Les films sont suivis d'interventions de géographes spécialistes des questions abordées. Le programme n'est pour l'instant toujours pas disponible sur le site Internet. Le festival aura lieu du 31 mars au 2 avril 2009, au cinéma Utopia, Bordeaux. Plus d'informations et les liens sur le billet "Géocinéma 2009".

Parallèlement au festival, les géographes Béatrice Collignon (Paris I) et Denis Rétaillé (Bordeaux III) interviendront le 2 avril dans un Café géo sur la thématique du festival "L'étranger", à 20h30 au Couleur Café à Bordeaux.




Territoires en images :

L'association Arrimage organise, pour la 13ème année consécutive, le Festival "Territoires en images". Pas de thématique particulière mise en avant, le festival veut avant tout promouvoir les expositions photographiques et les films documentaires à caractère géographique. Le festival "Territoires en images" aura lieu les 27 et 28 mars 2009, à l'Insitut de géographie à Paris.

A noter, quelques films seront cette année consacrés à l'eau, avec par exemple : "L'eau, la terre, le paysan", "Le delta du Nil, la fin du miracle", "Et au milieu, coule un ruisseau". Mais également un documentaire sur l'identité européenne vue par des jeunes Français et des jeunes Roumains, un autre sur la mémoire et la catastrophe, un autre sur les territorialités et les représentations d'une place à Bologne...

Les expositions photographiques seront, quant à elles, consacrées au(x) "Climat(s)", avec notamment des présentations sur "Le dégel du lac Baïkal", "Montée des eaux" ou "Orage en Méditerranée". Seront également présentées des photographies en dehors de cette thématique, comme "Demandeur d'asile kosovare", des photographies sur l'Afghanistan et le Tchad... Retrouvez le programme du festival.


mercredi 25 mars 2009

Les plaques d'immatriculation : un marqueur de différenciation à Mitrovica


Autre point de différenciation entre les communautés serbe et albanaise de la ville de Mitrovica : les plaques d'immatriculation. La communauté internationale a imposé une nouvelle plaque d'immatriculation, et ce, bien avant l'indépendance du Kosovo. Le principe d'unité territoriale ainsi "valorisé" dans le paysage n'a cependant pas été une grande réussite. Au contraire, les plaques d'immatriculation sont rapidement devenues un marqueur de différenciation communautaire et de revendications territoriales.

Les Albanais du Kosovo ont rapidement accepté ce changement de plaques d'immatriculation (plaques dites "KS" : 3 chiffres - KS - 3 chiffres). Par contre, la population serbe l'a refusé, choisissant soit de maintenir les "anciennes" plaques d'immatriculation de la Serbie (drapeau de la Serbie - 2 lettres - 3 chiffres - 2 chiffres), soit tout simplement de retirer les plaques et de laisser ainsi leurs véhicules. 2 raisons : d'une part, aller en Serbie avec une plaque dite "KS" marginalisait les Serbes, voire les mettaient en danger. D'autre part, la plaque d'immatriculation est devenue un véritable symbole de la lutte identitaire et d'une mise à distance volontaire entre les 2 communautés. A travers ce qui peut paraître relever de la simple anecdote, se cache ainsi un véritable marqueur d'identité. Dans la ville de Mitrovica, il est facile d'identifier les quartiers appropriés par les Serbes de ceux appropriés par les Albanais, et ce d'un simple coup d'oeil. Dans le doute, la façon de dire bonjour ("dober dan" en serbe et "mirëdita" en albanais) permet également d'identifier l'appartenance communautaire des habitants.



France 24, 14 juin 2008.


Kosovo : la monnaie comme symptôme de l'impossible entente ?


Suite au petit tour d'horizon quant aux problèmes "intestinaux" de l'économie du Kosovo ("Le Kosovo vu par...", 24 mars 2009), un autre point important est à souligner : celui de la monnaie. Ou plutôt des monnaies utilisées par les 2 communautés majoritaires - Serbes et Albanais. Les Albanais sont passés, lors de la guerre du Kosovo, au deutch mark allemand. Tout d'abord, il s'agissait là d'un marqueur de différenciation vis-à-vis des Serbes. De plus, commercer avec la Serbie centrale était devenu impossible, maintenir la même monnaie dans une économie parallèle n'avait donc aucun intérêt. Enfin, le déploiement des militaires de l'OTAN offrait des perspectives de commerces (notamment dans les restaurants et les cafés) même si cela reposait sur une économie très temporaire. De ce fait, la population albanaise du Kosovo est passée de la monnaie allemande à l'euro, en même temps que tous les pays de la zone monétaire unique de l'Union européenne. Parallèlement, les Serbes continuaient d'utiliser le dinar serbe, monnaie officielle de la Serbie, auquel le Kosovo était encore rattaché. 10 ans après la fin de la guerre, la situation monétaire n'est toujours pas rétablie, et les 2 monnaies coexistent toujours au Kosovo. Voir, à ce propos, l'article traduit par Le Courrier des Balkans "Le dinar serbe défie toujours la souveraineté monétaire et fiscale du Kosovo" (Koha Ditore, 18 février 2009).

Anecdotique ? Pas tant que cela. Surtout si l'on regarde la situation de la ville de Mitrovica, au Nord du Kosovo, séparée en 2 territoires par la rivière Ibar, qui marque la "frontière" entre les 2 aires de peuplement majoritairement serbe au Nord du Kosovo et majoritairement albanais au Sud (voir "Géographie de Mitrovica" sur le site Géographie de la ville en guerre, et les billets du blog). L'enjeu est multiple : d'abord identitaire et symbolique, la monnaie étant un marqueur d'une souveraineté d'un Etat sur un territoire. La monnaie utilisée est donc le reflet de l'Etat reconnu - la Serbie ou le Kosovo. L'enjeu relève également du juridique : quelle autorité reconnaît-on comme souveraine au Kosovo ? C'est aussi un marqueur de différenciation et de distanciation. L'enjeu est également économique : on revient là aux problèmes d'un mal-développement, auquel s'ajoute incontestablement l'existence de 2 économies (toutes 2 en faillite), entre lesquelles n'existent pas ou très peu d'échanges. Les petites minorités disposent des 2 monnaies dans la ville de Mitrovica, ce qui leur permet ainsi d'acheter et de commercer avec les 2 rives. Les trafiquants de toute sorte utilisent galement les 2 monnaies, et les échanges entre les communautés dans ce domaine sont un "exemple" d'entente multicommunautaire...



dinar serbe
et euro








Le dinar serbe défie toujours la souveraineté monétaire et fiscale du Kosovo
Le Courrier des Balkans, traduction d'un article du journal Koha Ditore, du 18 février 2009, par Valon Maluko.

"Dans le nord du Kosovo et toutes les enclaves serbes, le dinar est toujours l’unité monétaire de référence. La Constitution du Kosovo prévoit pourtant l’usage exclusif d’une seule monnaie, en l’occurrence l’euro. L’enjeu est symbolique - la monnaie est symbole de la souveraineté serbe - mais aussi économique et fiscal. Les transactions effectuées en dinars échappent à tout contrôle de la Banque centrale du Kosovo et ne sont pas comptabilisées dans le PNB du pays.


Miftar Ferati se trouve devant un dilemme à chaque fois qu’il veut acheter quelque chose à l’épicerie. Il doit faire des calculs qui pourraient sembler assez bizarres dans tout autre pays. « Avec quelle monnaie dois-je payer, en euros ou en dinars ? Combien vais-je perdre, combien vais-je gagner si j’achète en euros ? Et si j’achète en dinars ? » Ce jeune homme de 28 ans, qui habite le nord de Mitrovica, se pose souvent cette question.

Là-bas, comme dans de nombreuses enclaves à majorité serbe du Kosovo, le dinar serbe continue à circuler, malgré les dispositions de la Constitution du Kosovo qui stipule, à son article 11, que « dans la République du Kosovo, une seule monnaie sert de moyen légal de paiement ». En l’occurrence, cette unique monnaie est l’euro.

Dans le quartier où vivent Miftar et sa famille, les propriétaires de tous les magasins sont serbes. Miftar doit donc faire ses achats en dinars, rarement en euro.

« La valeur de l’euro évolue entre 86 et 90 dinars, mais si nous payons en euros, nous devons payer plus cher. Si le vendeur n’a pas de monnaie, il nous rend la monnaie en dinars. » Selon lui, les prix des denrées alimentaires sont plus élevés dans la zone où est utilisé le dinar. « Un pain coûte 40 centimes d’euros, ou bien 30 dinars. Les prix sont très élevés. » Miftar est obligé de s’approvisionner le plus souvent dans le sud de la ville de Mitrovica.

Le dinar serbe, en violation de la Constitution, est utilisé non seulement dans le nord du Kosovo, mais dans de nombreuses autres villes comme Kamenica/Kamenicë/Dardanë, Gračanica/Graçanicë, Štrpce/Shtërpce, ainsi que dans les villages habités majoritairement par les Serbes.

Le gouvernement reconnaît que le dinar serbe est utilisé à l’encontre de la Constitution mais, jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise pour bloquer la circulation de cette valeur monétaire.

Le vice-Premier ministre Hajredin Kuqi le reconnaît : « Nous avons très clairement déterminé, par la Constitution, qu’une seule monnaie avait cours au Kosovo, et cette monnaie est l’euro. Toute autre monnaie est illégale dans la République du Kosovo. Nous savons que dans certains endroits - dans les « enclaves », si je peux les appeler ainsi -, des transactions se font dans une autre monnaie, mais cela est contraire à la loi et à la Constitution ».

Selon Hajredin Kuqi, l’utilisation de cette monnaie vise à légaliser ou à démontrer la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo. « Cette tendance est présente non seulement à travers la monnaie mais aussi dans les symboles. Nous pensons cependant qu’avec l’aide internationale, nous allons peu à peu réussir un processus d’intégration. Nous savons tous que l’euro est plus stable que le dinar mais les Serbes essaient d’affirmer l’identité de leur État à travers cette monnaie. »

Le gouvernement insiste sur l’emploi officiel exclusif de l’euro. Il a stipulé que « les paiements ne peuvent être faits en aucun cas en dinars, les institutions du Kosovo ne l’acceptent pas (…) ».

Même s’il répète que l’utilisation d’une autre monnaie au Kosovo est illégale, le vice-Premier ministre n’a pas précisé comment le gouvernement allait s’efforcer de faire cesser l’utilisation de cette monnaie au Kosovo.



Une violation de la souveraineté fiscale

Les économistes soulignent que l’utilisation du dinar serbe cause des pertes au PNB du Kosovo, puisqu’une grande partie des ressources financières du pays est transférée dans une autre unité monétaire. Selon eux, l’utilisation de cette monnaie cause une perte pour l’économie kosovare : ce serait comme « un trou dans un réservoir d’eau ».

Dritan Tali, député économiste, estime que l’utilisation de la monnaie serbe au Kosovo est une violation de la souveraineté monétaire. « L’utilisation de toute autre monnaie que la monnaie officielle est une violation de la souveraineté. Elle est évidemment anticonstitutionnelle, c’est illégal. L’utilisation du dinar cause des pertes au Kosovo, puisque le produit national brut est estimé en monnaie, et nous ne connaissons donc pas une grande partie de sa valeur réele, puisque celle-ci s’exprime dans une autre monnaie. », explique Dritan Tali.

Selon lui, les salaires et les produits achetés en dinars échappent au PNB du Kosovo, même si ces transactions sont réalisées à l’intérieur de l’État kosovar. « Les citoyens du Kosovo ont le droit de posséder des dinars mais pas d’effectuer des transactions avec cette monnaie. Ces dinars doivent être changés en monnaie officielle. C’est la même chose en Grande-Bretagne, on a le droit d’avoir des euros, des dollars ou tout autre monnaie, mais toutes ces devises doivent être changées en livres sterling pour effectuer des transactions au sein du Royaume-Uni. »
Les experts pensent que le problème de la monnaie serbe en circulation au Kosovo n’est pas seulement économique mais aussi politique.

Flamur Keqa, expert à la Chambre de Commerce du Kosovo, considère que la Serbie, en favorisant la diffusion du dinar dans les zones où habitent les Serbes, soutient de façon illusoire la population serbe. De cette manière, Belgrade rend la population serbe plus servile et plus obéissante pour maintenir la présence de la Serbie au Kosovo.

« Je ne mesure pas tant la perte financière que peut éventuellement causer l’emploi du dinar, qui est la monnaie nationale serbe. Le fait capital est que que cette monnaie étrangère est utilisée comme moyen de paiement dans le système financier du Kosovo, pourtant reconnu internationalement comme un État indépendant », explique-t-il.

Flamur Keqa rappelle que des banques serbes, qui sont hors de contrôle et de toute surveillance de la Banque centrale du Kosovo, opèrent toujours au Kosovo. De cette manière, le dinar peut continuer à jouer un rôle de monnaie officielle parallèle.

Pour Myzejene Selmanaj, présidente de la Commission de l’Économie, du Commerce et des Télécommunications du Parlement du Kosovo, l’emploi du dinar est une invasion fiscale dans l’économie kosovare. « C’est une violation de la Constitution du Kosovo. C’est aussi une invasion fiscale du système bancaire du Kosovo. Économiquement, cela a des effets nuisibles pour l’autorité bancaire au Kosovo et favorise l’autorité bancaire de la Serbie. »

« Dans de nombreux pays, on utilise différentes monnaies, mais si l’on veut consommer dans un État donné, il faut utiliser la monnaie qui a cours légalement dans ce pays. (...) C’est au gouvernement du Kosovo qu’il revient de faire appliquer les lois mais aussi la Constitution, sur tout le territoire du Kosovo. »
"


mardi 24 mars 2009

Le Kosovo vu par...


Ce mardi marque le 10ème "anniversaire" du lancement de l'opération "Force alliée" sur la Serbie et le Kosovo, suite à l'échec des négaociations de paix, le 24 mai 1999. Une manifestation de protestation contre l'indépendance du Kosovo est prévue mardi 24 mai 2009 à Belgrade, symbole d'un refus partagé par une partie de la population d'accepter cette indépendance. Hier, lundi 23 mai 2009, le Conseil de sécurité des Nations Unies examinera la situation au Kosovo. Parallèlement, l'Espagne vient d'annoncer sa décision de retirer, d'ici l'été 2009, ses forces armées du Kosovo, dont elle ne reconnaît pas l'indépendance. La KFOR (Force pour le Kosovo, coalition militaire sous l'égide de l'OTAN, déployée selon la résolution 1244 de l'ONU) va devoir se réorganiser. La Minuk (force de police sous l'égide de l'ONU) a, quant à elle, déjà amorcé sa réorganisation. L'heure également des premiers bilans pour l'EULEX (force de police et de justice déployée par l'Union européenne depuis février 2008). Quelques points sur ce territoire "oublié" le plus souvent de l'actualité, mais pourtant au coeur de l'Europe.



Le Kosovo vu par les pays refusant son indépendance

La décision de l'Espagne de retirer ses troupes militaires du Kosovo est directement liée à la non-reconnaissance de son indépendance. "Cette décision, rendue publique jeudi 19 mars lors d'un déplacement de la ministre de la défense, Mme Carme Chacon, sur une base espagnole à la frontière albanaise du Kosovo, a été justifiée politiquement, le lendemain, par le chef du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, en marge du sommet européen de Bruxelles : "Il y a un an (le 17 février 2008), le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance, et comme c'est bien connu, l'Espagne ne l'a pas reconnue, a-t-il rappelé. Pour cette raison, notre rôle dans ce scénario a perdu de son sens, surtout maintenant que la stabilité de la zone s'est améliorée." En termes plus militaires, Carme Chacon avait déclaré aux soldats qu'elle visitait : "Mission accomplie, il est temps de rentrer à la maison." " ("Les Etats-Unis et l'OTAN surpris par la décision unilatérale de Madrid de retirer ses troupes du Kosovo", Le Monde, 21 mars 2009). Le contingent de l'Espagne compte aujourd'hui 632 soldats (contre 1923 pour la France, 1494 pour les Etats-Unis, 2854 pour l'Allemagne et 2395 pour l'Italie). Bien d'autres pays ont réfusé cette indépendance, avec en tout premier lieu, la Russie et la Serbie. La question de la réorganisation des forces militaires de la KFOR se pose face au retrait espagnol, et va accélérer les décisions de l'OTAN quant à la discussion sur le maintien d'une force au Kosovo, sous quelle forme, dans quelles conditions, pour quels objectifs. Voir, notamment, le billet d'Olivier Kempf, qui soulève à ce propos les nombreuses questions qui vont contraindre l'OTAN à ne pas négliger le Kosovo lors du sommet de Strasbourg ("Espagne et Kossovo: des conséquences plus importantes qu'il n'y paraît", billet du 23 mars 2009).


Voir les forces en présence au 14 février 2009.





Le Kosovo vu de l'intérieur : les incohérences de la communauté internationale comme facteur de paralysie ?

Alors que le Kosovo a fêté le 1er anniversaire de son indépendance le 17 février 2009, son statut fait toujours l'objet de fortes contestations sur la scène internationale. Au-delà du seul jeu diplomatique entre les puissances internationales, cette situation crée de nombreuses incohérences dans le fonctionnement actuel du Kosovo, notamment en termes juridiques. En résulte une situation très complexe, avec l'existence de 3 systèmes juridiques : celui de la Constitution du nouvel Etat (rédigé, en grande partie, par les instances internationales), celui de la Serbie (qui possède une légalité, dans la mesure où l'indépendance du Kosovo n'a pas été reconnue unanimement par la communauté internationale : de nombreux Etats estiment donc ce droit toujours valable, ce qui lui confère une légalité), et celui de la rsolution 1244 (qui mit fin à la guerre du Kosovo et instaura un protectorat international : ce droit reste également en vigueur aujourd'hui, du fait du même problème de non-reconnaissance de l'indépendance par une partie - non négligeable - des Etats membres des Nations unies). D'ailleurs, la KFOR est toujours déployée en fonction de la résolution 1244, fait assez révélateur d'une incohérence entre la reconnaissance de l'indépendance par certains pays qui maintiennent leurs troupes au Kosovo, sous un mandat qui prévoyait d'être arrêté dès que la question du statut du Kosovo serait fixée. La justice, mais également le fonctionnement administratif et le développement économique se trouvent fortement pénalisés, voire paralysés par cette situation.


De plus, le Kosovo vit aujourd'hui sous la dépendance totale d' "injections" financières venant de la communauté internationale. Si l'on voit apparaître dans les villes de nouveaux immeubles flambant neufs, qui pourraient laisser croire à une relance accomplie de l'économie, le mal-développement y est profond. Certes, les entreprises bancaires se sont multipliées au Kosovo, et la concurrence des stations essence est rude. Des investissements de sociétés étrangères (tout particulièrement allemandes) dans ces 2 domaines peuvent laisser à penser que l'économie s'est améliorée. Ce n'est qu'en partie vrai. D'une part, parce qu'aucun projet industriel n'a été relancé, et que l'économie de services est dans ce pays particulièrement fragile (d'autant que le potentiel de développement touristique est plus que mince dans le contexte actuel où le Kosovo jouit d'une très mauvaise réputation - notamment en termes de sécurité) : le complexe industrialo-minier de Trepca n'a toujours pas été réouvert, et aucun travaux n'y a été effectué dans l'espoir de résoudre les problèmes de pollution et les dangers sanitaires qu'il posait. La station d'Obilic, centrale hydroélectrique pour le Kosovo, n'a pas été non l'objet de rénovations, comme le prouvent les (encore) nombreuses coupures d'électricité, tout particulièrement les jours de froid. D'autre part, une grande partie de l'économie repose sur les apports financiers de la communauté internationale (si le Kosovo avait été quelque peu "oublié" des aides ces dernières années, l'indépendance l'a remis dans l' "actualité", et donc lui a redonné une importance non négligeable dans les aides financières distribuées par la communauté internationale). Quelques questions se posent néanmoins : combien de temps vont durer ces aides ? Dans la mesure où elle ne serve pas à un développement durable de l'économie du Kosovo, n'entretiennent-elles pas le mal-développement actuel ? Ces diverses "perfusions" financières et matérielles sont-elles une solution dans la mesure où leur utilisation n'entre pas dans des projets de relance économique durable ? Et on revient là au problème de la justice : dans un territoire soumis à 3 droits différents, comment créer un véritable développement économique ? Cela semble difficile de passer par une loi...

lundi 23 mars 2009

La paix et l'eau à Bagdad


En complément du billet "La guerre, la ville et l'eau", retrouvez le reportage proposé sur Arte dans l'émission Global Mag, consacré à "Bagdad, la paix sale" (émission du 20 mars 2009). "Egouts à ciel ouvert, branchements électriques sauvages: à Bagdad, la guerre a laissé des cicatrices bien visibles. Des maladies comme le cholera ou la malaria réapparaissent dans cet environnement insalubre. L’ampleur de la tâche dépasse le ministère de l’environnement et son maigre budget". Egalement à retrouver sur le blog de l'émission un entretien avec Feurat Alani, réalisateur du reportage.

"Comment sait-on qu'une ville n'est plus en guerre ?". Le reportage montre ainsi l'importance des stigmates de la guerre dans la ville de Bagdad, au prisme de la destruction des services urbains de distribution de l'eau. Odeurs nauséabondes (avec des égouts à ciel ouvert), canalisations détruites qui n'amènent plus l'eau dans les maisons, pollution des eaux (dans lesquelles sont déversées toutes les ordures - y compris les corps), risques d'épidémies (notamment avec la chaleur de l'été)... "L'eau du Tigre est pompée pour être bue, malgré toutes les pollutions, celles qui se voient et les autres". L'eau est également un discours et un message politiques : la télévision est ainsi utilisée par le maire de la ville de Bagdad pour faire savoir que l'eau est potable à 98 % dans la ville. Le problème de la reconstruction passe bien évidemment dans la réorganisation des services de l'eau, mais également par celle des services sanitaires, l'assainissement des quartiers. L'eau comme facteur crisogène dans la ville de Bagdad, encore fragilisée, avec une nette différenciation sociale entre les habitants. L'eau, comme risque social au coeur même de la reconstruction de la ville.


dimanche 22 mars 2009

La guerre, la ville et l'eau


Aujourd'hui, est célébrée la Journée mondiale de l'eau, qui "clotûre" le 5e Forum mondial de l'eau (voir à ce propos les récents articles du blog Planète Vivante qui dressent un portrait très détaillé des enjeux identifiés et des débats en cours : "Journée Mondiale de l'Eau : Partager l'eau, partager les opportunités..." du 21 mars 2009, "5e Forum mondial de l'eau : Méditerranée, pays arabes et Asie-Pacifique (19/20 mars 2009)" du 21 mars 2009, et "5e Forum de l'eau : l'Afrique au coeur de la journée du 18 mars 2009" du 21 mars 2009, "5e Forum mondial de l'eau : résumé des deux premières journées" du 19 mars 2009, "Nouveau Rapport mondial de l'ONU sur les ressources en eau" du 14 mars 2009, "5e Forum Mondial de l'Eau 2009" du 14 mars 2009).

La question de l'eau comme facteur crisogène est souvent débattue. Celle de la question de l'accès à l'eau pendant la guerre - et ce, même lorsque l'eau n'a pas été un facteur déclencheur et/ou aggravant de la pré-crise - l'est moins. Quelques pistes de réflexion sur le lien entre eau et guerre dans la ville, dans un contexte où l'eau devient une source de contestations, de rivalités de pouvoir, et un enjeu géostratégique (voir, par exemple, l'ouvrage de Jacques Sironneau, 1996, L'eau. Nouvel enjeu stratégique mondial, Economica, collection Poche Géopolitique, Paris, 111 pages - si cet ouvrage "date", il est néanmoins une importante source de réflexion et pose de nombreuses pistes de réflexion sur le partage de l'eau comme facteur crisogène du XXIe siècle. Voir, également, le compte-rendu du Café géo avec le géographe Jacques Béthemont, spécialiste de la question, sur "L'eau, un enjeu pour le XXIe siècle", ainsi que les Actes du FIG 2003 consacré à la question "L'eau, source de vie, source de conflits, trait d'union entre les hommes"). "Sous le terme d'eau urbaine on entend aussi bien les besoins domestiques des citadins que l'eau nécessaire au fonctionnement des services de la cité. La consommation des villes, notamment dans les pays en voie de développement, croît de façon exponentielle sous l'effet de plusieurs facteurs qui s'additionnent : le nombre des consommateurs a doublé en quinze ans et les grandes métropoles se multiplient ; le niveau de vie s'améliore et, avec lui, la consommation d'eau domestique par habitant et par jour augmente ; enfin, les citadins sont de plus en plus nombreux à être branchés sur les réseaux. A cette demande croissante s'ajoutent les utilisations industrielles et l'énorme consommation touristique (900 ou 1000 litres par jour et par lit occupé). On comprend, dans ces conditions, que la demande d'eau urbaine ait pu tripler en moins de vingt ans" (Georges Mutin, 2000, "De l'eau pour tous ?", La Documentation photographique, n°8014, avril 2000, p. 9).



Des inégalités spatiales

La question de l'accès à l'eau potable pendant la guerre met en jeu une géographie des inégalités à plusieurs titres. La fragmentation de la ville en divers quartiers-territoires (quartiers appropriés par une communauté - qu'elle soit politique, sociale et/ou identitaire - protégée par une milice : voir, à ce propos, les billets "Lignes de fractures et fragmentations : "l'éclatement" de la ville dans la guerre" du 24 octobre 2008 , et "Villes en guerre et fragmentations" du 12 octobre 2008) remet en cause non seulement les pratiques urbaines et l'organisation fonctionnelle de la ville, mais aussi les questions de l'approvisionnement des quartiers, notamment en nourriture (voir le billet "L'alimentation dans les villes en guerre : réflexions autour du cas de Kaboul", du 13 octobre 2008) et en eau.

A l'organisation sociospatiale d'avant-guerre de la ville, qui met déjà en scène des inégalités quant à l'accès à la ressource hydrique (territoires de l' "élite" vs territoires de la pauvreté), mais également quant aux risques d'inondation très prononcés dans certains quartiers (voir, à ce propos, le billet de Planète Vivante sur "Comment lutter contre les inondations en milieu urbain ?" du 26 février 2009), la guerre surajoute de nouvelles inégalités. Quelques questions se posent dès lors : d'où vient l'eau ? Question "classique" lorsque l'on envisage l'analyse d'un hydrosystème, notamment au prisme des conflits d'usage. La question se pose d'autant plus dans les villes en guerre que la fragmentation de la ville en quartiers-territoires permet aux belligérants d'envisager l'eau comme une arme. Le quartier-territoire se trouve-t-il en aval ou en amont, vis-à-vis de la source en eau elle-même et de la localisation des autres quartiers-territoires ? Autrement dit, y a-t-il un territoire "ennemi" qui me sépare de la ressource en eau ? Dès lors, on peut se demander quels sont les enjeux autour de l'approvisionnement en eau dans la ville en guerre ? Ils sont doubles : sécuriser l'accès à la ressource hydrique pour MON territoire, et empêcher "l'Autre" d'accéder à l'eau potable. L'eau, que l'on analyse souvent au regard de son aspect crisogène (comme facteur déclencheur ou aggravant dans des conflits) devient également une arme. La question de la survie passe aussi par le fonctionnement préexistant dans les quartiers : les approvisionnements en eau étaient-ils tous liés aux services urbains de distribution des eaux ? Dans ce cas, le quartier est fortement vulnérabilisé, complètement soumis à un seul système d'approvisionnement. On peut, par exemple, confronter deux quartiers populaires de la ville d'Abidjan : Treichville (où l'habitat selon le modèle de la cour commune est très nettement dominant : chaque cour commune accède alors à deux systèmes d'eau : d'une part, un robinet - peu utilisé car l'eau y est payante ; d'autre part, un puits qui récolte l'eau des pluies et permet de se laver, de laver son linge, de cuisiner...) et Yopougon (dont la modernisation progressive a progressivement remplacé l'habitat sur cour, par des immeubles modernes). Force est de constater que les conditions de vie pendant les crises ivoiriennes étaient nettement plus difficiles à Yopougon, notamment dans l'approvisionnement en eau qui ne reposait plus - ou quasiment plus - que sur un seul système, créant ainsi une forte vulnérabilisation du quartier (voir, pour la ville d'Abidjan, l'excellent site Métropoles en mouvement).

L'eau peut également être un enjeu tactique, non en tant que ressource vitale pour la vie, mais cette fois en tant que délimitation des territoires. Ainsi, la destruction des ponts traversant des fleuves dans la ville peut permettre d'obtenir un avantage tactique, qui permet le ralentissement des armées ennemies. Néanmoins, il est toujours possible de construire de nouveaux ponts, même temporaires, ou de contourner la difficulté, en passant plus loin. C'est plus un ralentissement d'opérations qu'un réel blocage. L'eau-fleuve peut néanmoins permettre la mise à distance de quartiers-territoires : le pont ainsi détruit marque une réelle séparation entre deux quartiers appropriés par des communautés et défendus par des milices opposées. On pense là à l'exemple de la ville de Mitrovica, celle de Mostar, ou celle de Belfast. L'eau, non en tant que source de vie, mais en tant que frontière urbaine, comme agent de sécurisation du quartier-territoire et enjeu symbolique dans la visibilité de la distanciation dans le paysage urbain. Lien

Les défis de l'après-guerreLienLien
Tout d'abord, la question de la reconstruction des services urbains de distribution de l'eau, qui met en place une géographie de l'inégalité entre quartiers "prioritaires" et quartiers "délaissés". Egalement, la question de la dégradation de la qualité de la ressource, surtout du fait de la pollution des eaux (par exemple, les eaux de l'Ibar et de son affluent la Sitnica, dans la ville de Mitrovica, sont totalement rendues unitilisables à la consommation, du fait d'une pollution excessive au plomb, directement rejeté depuis le complexe industrialo-minier de Trepca, d'où la décision de la communauté internationale de fermer celui-ci aux lendemains des accords de paix. Néanmoins, les eaux sont restées impropres à la consommation de très longues années. Les risques de pollution de ces eaux sont encore grands, dans la mesure où les déchets industriels de Trepca, stockés dans des cuves à ciel ouvert, sont laissées en l'état : un risque industriel est à craindre, sans compter la pollution continue de l'air). La dégradation et la pollution des eaux passent également par le rejet très important de déchets de toutes sortes (industriels ou domestiques) dans les rivières elles-mêmes ou à leur proximité (les déchats "tombant" dans les rivières au gré des aléas climatiques).Le fleuve-frontière est enfin un enjeu symbolique, cristallisant les revendictions territoriales et les luttes identitaires, comme on l'a (souvent ?) abordé dans ce blog (voir, notamment les billets sur la ville de Mitrovica).Lien

mercredi 18 mars 2009

Problèmes urbains


Etant quelque peu occupée à mes recherches dans la ville de Mitrovica, je tenais à signaler des billets postés dans 2 blogs de géographie des plus intéressants, qui mettent en valeur des problématiques qui affectent directement les villes en guerre, les villes de l'immédiat après-guerre, mais également de nombreuses autres villes de par le monde, qui, face à une urbanisation galopante, doivent faire face à des problèmes de gestion de plus en plus accrus et de plus en plus diversifiés : la répartition inégale (et inégalitaire) des ressources en eau ("L’eau : des tensions transfontalières aux conflits intra-urbains" dans le blog Planète Vivante, 17 mars 2009), les conséquences d'une urbanisation galopante dans les villes africaines ("L’Afrique et l’explosion urbaine", sur le blog Géo trouve tout, 17 mars 2009), et les liens entre exode rural et émeutes de la faim ("Exode rural et faim", Géo trouve tout, 18 mars 2009).


Des sites et des blogs : la géographie à l'honneur !


Quelques découvertes récentes dans le monde de la géographie, avec des sites et des blogs abordant la question des villes, une approche originale et très complète sur le décryptage des cartes comme vecteurs de messages, et le travail d'un doctorant en géographie sur les conséquences géographiques de l'utilisation du cyberespace.



Des blogs sur la ville :
Le site propose un très important recensement des actualités sur les études urbaines : manifestations scientifiques, expositions, parutions d'ouvrages, émissions de radio, vidéos, blogs et site sur la ville, actualité des revues... Le site propose également un blog "intégré" qui complète ce vaste portrait des études urbaines. Tous les thèmes de la ville sont abordés : ville durable, paysage urbain, recompositions sociosptiales, architecture, géohistoire de la ville, gestion urbaine, transports urbains... A retrouver également, une base des thèses sur les études urbaines. Un site incontournables pour tous qui s'intéressent aux problématiques urbaines, depuis le processus d'urbanisation jusqu'aux défis actuels entre risques sociaux, risques environnementaux, crise urbaine, recherche identitaire, urbanité...
Un "petit nouveau" (février 2009) dans l'univers des blogs de géographie, qui se propose d'analyser les interactions entre la fiction et la ville. "La fiction entretient avec l'urbanisme des rapports constants. Habiter, vivre, créer des liens sociaux dans nos villes comme dans nos campagnes ont inspiré nombre d'écrivains, de compositeurs. Vient tout de suite à l'esprit les utopistes, pour qui la cité idéale permettait de forger l'Homme idéal. Le champ de la science-fiction est aussi fécond en la matière, mais aussi le polar (urbain le plus souvent !) et la littérature dans son ensemble. Qui n'a pas chanté sur une ville, qui n'a pas été inspiré par une ville pour sa musique ? Les peintres ont croqué des instantanés de ville, le théâtre parle de la ville ... Bref, autant de domaines où l'Homme rêve la ville, l'embrasse, la rejette ; où l'Homme subit ou compose avec la ville, la construit, la détruit". Le blog est tenu par Patrick Craveri, titulaire d'un Master 2 professionnel "Maîtrise d'Ouvrage Urbaine et Immobilière", et aujourd'hui consultant.



Les cartes : quel(s) message(s) ?
Un blog déjà ancien (367 cartes commentées à ce jour), qui fournit des analyses sur des cartesd-messages provenant du monde entier : cartes géocentrées, cartes-propagandes, cartes humoristiques, cartes historiques, cartes thématiques... Toutes les cartes sont décryptées en mettant en avant ce qui relève de l'objectivité de leurs auteursé, mnais avant tout de leur subjectivité. On y découvre de nombreuses cartes "en guerre", qui mettent en valeur les revendications territoriales, identitaires, les fantasmes territoriaux, les désirs de marginalisation, voire d'expulsion, de "l'Autre"... A (re)découvrir ! En anglais.



Géographie 2.0
Le titre "Géographie 2.0" ne vous évoque peut-être pas grand chose... La géographie 2.0 "s’inscrit dans un processus d’évolution. Elle reste la conséquence de la mise en place d’une société ultra connectée et ultra informationnelle s’illustrant de plus en plus aux travers d'espaces virtuels. La terminaison 2.0 se réfère au terme web 2.0, désignant une nouvelle manière dont les individus utilisent et créent du contenu sur internet. Une sorte d’internet « fait par l’utilisateur », les programmateurs et développeurs offrent des squelettes vides dont le « remplissage » est laissé aux bons soins des internautes. La géographie 2.0 n'est pas l'étude géographique du cyberespace ou des espaces virtuels (Cybergéographie), c'est avant tout l'étude des répercussions géographiques issues de la pratique du cyberespace et des espaces virtuels". Le site et le blog sont tenus par Jérémie Valentin, doctorant en géographie (Université de Montpellier), qui présente ici ses travaux de recherche, sur un domaine encore méconnu.


Quelques éléments de réflexion sur le combat urbain


Sous une "tempête" de neige à Mitrovica (honneur au dernier numéro de La GéoGraphie !), et entre deux coupures d'électricité, qui ont restreint le temps de recherche pour la journée, voici quelques petits éléments de réflexion, suite à des questions que m'ont aujourd'hui posées des étudiantes en journalisme. L'intérêt pour le combat urbain, de plus en plus présent dans nos médias ?


Comment les civils perçoivent-ils/vivent-ils la présence de militaires dans leur ville ? Y sont-ils hostiles ou au contraire existe-t-il une certaine "harmonie" ? Est-ce qu'il y a des échanges plus poussés que le simple côté matériel (ex : réparation du réseau électrique ou distribution de nourriture) ? Est-ce que les militaires et les civils communiquent entre eux ? Les militaires avec qui nous avons parlé opposent souvent l'exemple israëlien (hostilité) au cas des Balkans (relative bonne entente). Est-ce fondé ?

La question des relations entre population locale et intervention militaire est, en effet, une des problématiques pour la « bonne » réussite des opérations militaires, tout particulièrement dans le cas du maintien de la paix. Il existe déjà, dans la même ville, différentes temporalités quant à l’acceptation d’une force militaire extérieure. Par exemple, au Kosovo, personne ne s’étonne de voir aujourd’hui flotter des drapeaux états-uniens dans les quartiers albanais de la ville de Mitrovica (ainsi que dans toutes les villes du Sud du Kosovo, telles que Pristina [1]). Pourtant, la situation n’a pas toujours été semblable, et j’ai, par exemple vu lors de mon tout premier séjour à Mitrovica, des drapeaux états-uniens brûlés en signee d’hostilité envers ce pays, et envers ces militaires. L’action militaire des Etats-Unis a d’ailleurs longtemps été contestée au Kosovo, et ce même (voire, surtout !) par les Albanais. Les militaires étaient ainsi jugés comme des « occupants » (au sens négatif, relevant là d’une dénonciation d’un certain néo-colonialisme, du moins dans la manière dont les habitants du Kosovo le percevaient [2]), notamment dans leur mise à distance très prononcée vis-à-vis de la population (ils se sont immédiatement installés dans un camp militaire créé ex-nihilo, le camp de Bondsteel [3]. Cette distanciation a été mal vécue par les populations du Kosovo (en général). Mais il ne faut pas oublier que l’appareil militaire est avant tout vécu comme un outil d’une politique. Si les militaires états-uniens n’ont rien changé à leur manière d’envisager leur implantation au Kosovo (la distanciation est toujours de mise), comment expliquer alors ce revirement de l’opinion albanaise du Kosovo à leur égard ? Avant tout parce que les actions militaires dans le maintien de la paix et leur acceptation par la population locale sont « conditionnées » par le regard porté sur les actions politiques du pays qui envoient les militaires.

Néanmoins, il ne faut pas oublier le savoir-faire des militaires ! A ce point de vue, les militaires français sont, en général, bien perçus. Le cas des Balkans que l’on vous a évoqué, est assez représentatif. Alors que la politique française du temps des guerres de décomposition de l’ex-Yougoslavie (j’exclue là la guerre d’indépendance de la Slovénie, qui n’a duré « que » 7 jours et n’a donné lieu à aucune intervention militaire extérieure : il s’agit donc des guerres de Bosnie-Herzégovine et de Croatie) était souvent accusée de partialité et de « pro-serbisme » (du temps du Président Miterrand), les militaires français ont su se faire accepter. Dans un colloque intitulé 7ème Rencontre internationale de géologie et de géographie militaires (Québec, juin 2007), j’ai été amenée à présenter les modalités des interventions militaires françaises dans les villes, entre deux intervenants présentant la position géostratégique (très « globalisante ») des Etats-Unis. Sur le coup, cela m’a donné l’impression de présenter des « bricolages » (la reconstruction d’une petit pont dans les environs de Mitrovica au Kosovo, par exemple, par les Actions civilo-militaires, qui disposaient de très peu de moyens financiers...). Mais les discussions qui ont suivi ont fait ressortir un point essentiel de la « force » de l’Armée française : se faire accepter par la population. Le fait que les militaires français patrouillent à pied dans les villes, discutent avec les habitants (ce qui relève également du renseignement « d’ambiance », permettant de « tester » et ensuite d’analyser les tensions « cachées » dans les villes), ont des implantations militaires dans les villes, dans lesquelles ils emploient du personnel local (par exemple, pour le service de nettoyage des locaux, pour la cuisine... [4]) mais également pour lesquelles l’approvisionnement en nourriture est, en partie, fait à partir des produits locaux... Tous ces « détails » n’en sont pas ! Il s’agit là non seulement de faire face à des moyens financiers bien moindre (le budget de l’Armée française est bien éloigné de celui des Etats-Unis !), mais aussi d’un réel savoir-faire quant à l’acceptation des interventions militaires dans les villes. Beaucoup de militaires m’ont ainsi confié combien cette proximité leur permettait d’obtenir des « confidences » sur les tensions, les trafics en tous genres, les détentions d’armes... Bien évidemment, cela reste marginal, et ne résoud pas totalement ces problèmes !

Je sors un peu du contexte des Balkans, pour celui d’Abidjan [5], bien plus problématique quant à l’acceptation de la force armée française, qui est là réellement contrainte par les profondes hostilités [6] à l’égard de la France, notamment chez les partisans du Président de la Côte-d’Ivoire, Laurent Gbagbo. Ce n’est pas tant les modalités de l’intervention militaire qui sont remises en cause, mais bien la politique de la France dans son intégralité, à l’égard de la Côte-d’Ivoire en particulier, et même de l’ensemble de l’Afrique. A Abidjan, les militaires français interviennent selon deux mandats : un sous l’égide de l’ONU, et un autre sous l’égide de la France (opération Licorne). Je parlerais davantage de ce dernier. Les militaires sont implantés dans une très grande base, à la sorite de la ville, sur la route de l’aéroport. En face de cette base (43e BIMa), la commune de Port-Bouët, et tout particulièrement Vridi, un quartier populaire de l’agglomération abidjanaise. Les habitants de ce quartier apprécient fortement la présence militaire, beaucoup d’entre eux travaillent dans la base, et les autres profitent, de ce fait, de la relance du commerce dans ce quartier particulièrement pauvre d’Abidjan. Pourtant, on entend régulièrement dans tout Abidjan, des propos s’opposant à la présence de la France, et ce parfois très violemment [7] ! Il n’y a donc pas une acceptation généralisée de la force militaire étrangère, la situation relève autant du comportement de l’Armée en question que de la perception de la politique menée par le pays qui la déploie par la population locale. L’interraction amène à des situations très différenciées, auxquelles doivent s’adapter les militaires. Néanmoins, il est important de souligner qu’une bonne entente avec la population locale donne un double avantage : d’une part la nette facilitation des opérations « désagréables » pour les habitants (fouilles de maisons pour trouver des armes par exemple) ; d’autre part cela permet aux militaires de faciliter le renseignement dit « d’ambiance ». La réparation d’un réseau électrique n’est donc jamais anecdotique, puisqu’il permet de faciliter l’acceptation de la force comme « aide » à la population (le risque le plus grand à mesure que l’intervention s’ancre dans le temps est d’être perçu comme un « occupant », et de voir toute action rejetée par la population, comme c’est le cas pour les militaires états-uniens à Bagdad, qui ont pourtant été accueillis comme des « libérateurs » en 2003.



Si vous avez rencontré des militaires, vous ont-ils parlé de certaines caractéristiques du combat en zone urbaine ?

La question est très large et renvoie à des contextes et des enjeux différenciés en fonction des Armées et des Armes. Le cas le plus souvent présenté est celui des Fantassins (Infanterie), qui sont bien évidemment au cœur de ces problématiques d’une adaptation de la doctrine et de la stratégie à un contexte nouveau. Je vous renvoie à mon mémoire de maîtrise (mon mémoire de DEA n’étant pas pour l’instant disponible en ligne). Quelques sources « incontournables » sur cette question :
Quelques points de précision cependant. Je ne parlerais pas d’UN combat urbain uniformisé, mais bien de plusieurs types de combats urbains, en fonction de qui intervient (quelle Armée, quelle Arme [8] ?), dans quel contexte (cadre interallié, national ?), contre qui (guérilla, Armée « officielle », milices, groupes criminels ?), dans quels buts (mandat ONU, OTAN, national ? Opérations de guerre, d’imposition de la paix, de maintien de la paix, d’aide humanitaire ?)... Les caractéristiques du combat urbain sont bien connues : imprévisibilité de la réaction de la population, problème de la présence de civils qui servent parfois de « boucliers humains » (éthique des Armées occidentales face à des combattants usant de tous les moyens), émergence de « zones grises » dans la ville, échappant à tout contrôle, milieu en trois dimensions (sous-sol, sol, hauteurs), qui réduit la capacité de manœuvre de la Cavalerie (par exemple, manque d’adaptation bien connue du char Leclerc, contraint d’intervenir seulement dans les plus grandes artères de la ville, alors même que les belligérants se « terrent » dans les plus petites ruelles, méthode bien connue de la guérilla) ainsi que la visibilité pour toutes les Armes de « mêlée »... Il me semble plus « original » de revenir sur cette différence entre les différents types d’Armes, et sur les problèmes pour les Armes de soutien par exemple.


[1] Je vous renvoie, pour l’exemple, à un article de presse (écrit à l’occasion du premier anniversaire de l’indépendance du Kosovo) de Stéphane Sohian : « Kosovo : le nouvau-né grandit » (Le Télégramme, 18 février 2009), qui fait allusion à cet enthousiasme de la communauté albanaise vis-à-vis des Etats-Unis.

[2] Il ne s’agit pas là d’un jugement, je rapporte les impressions des habitants du Kosovo que j’ai interrogé en février-mars 2004.

[3] Que la presse a souvent évoqué. Voir des détails sur le site Global Security. Voir également les débats et les dénonciations autour de la présence de ce camp (attention, ces sources ne sont pas neutres ! Il s’agit d’exemples autour des polémiques créés autour de l’hostilité face à la présence des militaires états-uniens) : « Images satellitaires pour trouver les prisons secrètes » ou « La base américaine de Camp Bonsteel au Kosovo ». Les polémiques n’auraient peut-être pas existé si la présence états-unienne n’avait pas été jugées avec une grande hostilité par la population locale...

[4] Au contraire de la logique des Etats-Unis, qui est de faire venire tous les personnels civils des Etats-Unis, ainsi que la nourriture, et toute forme d’approvisionnement. Les villes environnantes ne profitent de l’implantation des bases états-uniennes ni en termes d’emplois, ni en termes de commerce.

[5] Pour avoir une idée synthétique et précise de l’organisation et des défis de gestion dans l’agglomération abidjanaise, voir le site « Métropoles en mouvement ».

[6] Voir, à titre d’exemple, une pétition contre la présence française en Côte-d’Ivoire, datant de 2006, et tout particulièrement ciblée contre la présence de la force armée.

[7] Tout particulièrement contre l’ancien Président Jacques Chirac, et ce bien après la fin de son mandat (entendu en septembre 2008 : « Chirac est mort ! », et tous les passagers du bus se sont levés par fêter l’événement... Cette anecdote arrive très régulièrement – voire quasi quotidiennement – à Abidjan).

[8] Les problématiques les plus souvent abordées par les medias sont celles des Armes dites « de mêlée », directement liées au combat, tout particulièrement le cas de l’Infanterie. Pourtant, les difficultés pour les Armes dites « de soutien » ne sont pas moins grandes dans la logique d’adaptation dans un milieu en trois dimensions. A titre d’exemple, le cas (peu souvent abordé !) des Transmissions (pourtant, sans de bons moyens de communication, les fantassins se retrouvent rapidement isolés dans une ville dans laquelle la visibilité est fortement réduite de par les hauteurs des immeubles !).


dimanche 15 mars 2009

La GéoGraphie n°5 : “Neige & glaces”


Quelques nouvelles depuis le Kosovo du monde de la géographie, avec la sortie du n°5 de la revue La GéoGraphie en kiosque le 24 mars 2009.



Au sommaire :
La neige, la nuit
Du « ski de minuit » à la « full moon », les nouvelles pratiques nocturnes.
Par Xavier Bernier.

L’apprentissage du grand froid
La neige, une affaire de nature ou de culture ? L’engouement des habitants riches du Golfe Persique pour les modes de vie occidentaux s’est paré de la neige malgré la violence du climat désertique. À Dubaï et dans les Emirats arabes unis se réinvente un nouveau rapport à la nature. Un défi. Mais aussi un pari risqué pour les partisans d’un développement durable, quelque peu malmené ici.
Par Philippe Boulanger.

La glace, sentinelle de notre planète
Entretien avec Claude Lorius, Directeur de recherches émérite au CNRS, membre de l’Académie des sciences, ancien président des Expéditions polaires françaises.
Par Gilles Fumey.

Ötzi, la momie des glaces, enfin élucidée
En 1991, le corps intact d’un homme fut découvert dans un glacier de l’Ötzal, à la frontière alpine entre l’Autriche et l’Italie. Qui était cet individu et quelle fut la cause de sa mort ? Voici les résultats d’une longue enquête qui mobilisa de nombreux chercheurs européens et américains.
Par Jean-Pierre Mohen.

Google en quête d’énergie et de froid
Google, Yahoo !, Microsoft et d’autres construisent d’énormes centres de données. Besoins vitaux de surfaces, mais surtout d’électricité bon marché.
Par Anouch Seydtaghia.

Les Inuit, peuple du froid
Les Inuit sont, pour les Occidentaux, les peuples du froid vivant dans la neige. Or, c’est la glace qui est leur principal repère. Et s’ils accèdent au confort, ils n’ont pas baissé les bras pour faire entendre leur voix.
Par Béatrice Collignon.

La présence d’une absence
Ou comment le Mont Blanc prend son temps pour trouver sa place dans les cartes des Alpes…
Par Brice Gruet.

L’autre « toit du monde »
Le Chimborazo, volcan de l’Équateur situé à l’extrémité du demi-grand axe de l’ellipsoïde, est plus éloigné du centre de la Terre que l’Everest, d’altitude pourtant supérieure.

Un éphémère cristallin. L’architecture de glace, hier et aujourd’hui
Étonnante fascination pour la glace, dont témoignent ces architectures destinées à ne pas durer. Et si, pour votre prochain voyage, vous dormiez dans un hôtel de glace ?
Par Brice Gruet.

À la fraîche, à la glace !
Le plaisir de manger de la glace est ancien. Mais sur l’île Saint-Louis à Paris, au chevet de la cathédrale Notre-Dame, les touristes et les îliens s’en donnent à coeur joie. Le frais n’a pas de prix pour les gourmands
Par Jean-Robert Pitte.

Les stations de luxe de l’arc alpin
Les Alpes ont assuré leur développement touristique en pariant sur le prestige des stations de luxe qui, depuis le XIXe siècle, attirent une clientèle internationale. Leurs points forts : l’accessibilité, l’accueil, et, bien sûr, la qualité du domaine skiable.
Par Henri Rougier.

Désir de neige
Fatalité dans les villes, félicité dans les montagnes ou les hautes latitudes, la neige se forge une image avec nos contraintes. Les Québécois furent parmi les premiers à vendre l’hiver aux touristes, en ville comme dans les campagnes, sur les lacs gelés ou les vastes horizons du bouclier canadien. Mais cette image positive a été construite par des écrivains géographes dont Luc Bureau est l’un des plus célèbres de la Belle Province.
Par Luc Bureau.

Les pôles ont chaud
Petite géopolitique des hautes latitudes.
Par Gilles Fumey.

De la recherche fondamentale à la protection de la planète
En plein débat sur le réchauffement climatique, la nouvelle année polaire internationale oriente les recherches scientifiques vers les grands enjeux environnementaux. L’évolution des activités du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement de Grenoble reflète bien cette mutation : en plus de l’étude de l’écoulement des glaciers et des climats du passé, ses recherches visent aussi à répondre aux demandes pressantes de prévision climatique.
Par Danielle Van Santen.

Images polaires sur plaques de verre. Campagnes du duc d’Orléans
En 2003, le musée des Confluences, alors Muséum d’Histoire naturelle de Lyon, fait l’acquisition d’un lot de soixante-quinze objets auprès de Michel Goudal, spécialiste des pôles. Cet ancien directeur des musées de l’Arctique à Mazères-sur-Salat et Tournay, explorateur et chercheur, a rassemblé une importante collection d’objets réunis au cours des quarante-cinq expéditions qu’il a réalisées dans le Grand Nord. Avec cet ensemble, le musée enrichit ses collections d’une série de vingt-cinq positifs sur plaques de verre destinés à la projection et portant la mention, « Expédition arctique du duc d’Orléans ».
Par Marie-Paule Imberti et Marion Trannoy.

Il y a 153 ans à la Société de géographie
Notre revue est riche de près de 200 ans d’histoire ! Une mine d’explorations toutes plus exceptionnelles les unes que les autres.
Par Gérard Joly.

Et comme toujours les Nouvelles de La GéoGraphie.


mercredi 11 mars 2009

Quelques mots sur la géographie politique / géopolitique


De nombreux débats sur la définition et l'utilité de la géopolitique dans les blogs ces jours-ci : "La géopolitique, c'est quoi ?" sur le blog Nihil novi sub sole (billet du 20 février 2009), "Géo-politique ?" sur le blog Rhin Danube Oder (billet du 8 mars 2009). Olivier Kempf, par ses commentaires et son billet "De la différence entre géopolitique et relations internationales" (9 mars 2009) donne de nombreuses pistes de réflexion sur les spécificités de la géopolitique. La réponse de Joseph Henrotin dans son billet "Sur la géopolitique" permet de confronter le regard des relations internationales et des sciences politiques dansce débat. D'ailleurs ce débat reflète avant tout la complémentarité des approches et le danger d'un éventuel cloisonnement disciplinaire.

Sans entrer dans le débat qui différencie deux courants de pensée au sein de la géographie entre géographie politique et géopolitique (à ce propos, on retrouvera l'ouvrage de Stéphane Rosière : Géographie politique & Géopolitique. Une grammaire de l'espace politique, notamment son introduction, ainsi l'article de Paul Claval : "Géographie politique, géopolitique et géostratégie. Quelques réflexions"), voici quelques mots pour "défendre" la place et l'utilité de la géopolitique dans la sphère des études du politique et des relations internationales. Comme le rappelle François Duran sur son blog Théâtre d'opérations, la géopolitique a longtemps souffert d'une mauvaise réputation, en tant que discipline utilisée et manipulée par des hommes politiques à des fins idéologiques et expansionnistes, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, cett mauvaise image est aujourd'hui dépassée, notamment sous l'impulsion des géographes français tels qu'Yves Lacoste, Paul Claval... qui ont participé à lui redonner une place dans les sciences humaines.



Pourquoi la géographie dans l'étude des tensions ?

Partons de la définition de la géopolitique vue par le géographe Yves Lacoste : analyse des rivalités de pouvoir sur des territoires, qui tient compte des représentations contradictoires dont ces logiques de rivalités sont l'objet, et de leurs diffusions. La géopolitique mêle donc les savoirs-faires des différentes branches de la géographie : géographie des représentations, géographie sociale, géographie culturelle, géographie du politique... pour étudier comment les rivalités de pouvoir influent sur les territoires, leurs percpetions par les hommes qui les pratiquent, par les dirigeants locaux et par les acteurs extérieurs. L'approche multiscalaire des tensions permet d'appréhender différentes perspectives : comment les habitants vivent-ils leur espace ? Comment intègrent-ils les tensions ou les menaces (qu'elles soient réelles ou perçues) dans leurs pratiques spatiales ? N'y a-t-il pas des représentations très différenciées en fonction des espaces ruraux/espaces urbains, espaces centraux/espaces périphériques, des types de villes à l'intérieur d'un même Etat (petites villes / villes moyennes / grandes villes, fonctions de la ville...), des quartiers à l'intérieur d'une même ville... pour un même phénomène ? L'approche multiscalaire permet d'éviter les généralités et d'affiner la réflexion.

L'approche territoriale permet de prendre en compte les recompositions qui influencent les rivalités et les représentations, et qui sont influencées par les rivalités et les représentations. Il n'est d'ailleurs pas anodin de retrouver l'entrée "géopolitique" dans la rubrique "Régions et Territoires" du dictionnaire interactif de géographie Hypergéo (où l'on retrouve également l'entrée "dispute territoriale" soulignant bien l'importance de comprendre les territorialités et les représentations qu'en ont les différents acteurs pour l'étude, par exemple, des territoires contestés ou revendiqués ; ainsi que l'entrée "puissance"). L'entrée "représentation" est inclue dans la même rubrique comme fondement épistémologique.

Les lieux et leurs symboliques ne doivent pas non plus être occultés. Loin d'être anodine, la compréhension de l'importance de certains lieux revêt un caractère primordial à partir du moment où les habitants se les sont appropriés, leur ont donné sens dans leurs pratiques spatiales et dans leurs territorialités. Un cas - devenu un "classique" de ce blog - tel que le pont de Mitrovica le démontre parfaitement : haut-lieu de la division, sa reconstruction a été pensée comme un "urbanisme de paix". Imposer un pont gigantesque comme géosymbole de la réconciliation. Force est de constater que le pont est, le plus souvent désert. Et que l'enfermement intracommunautaire et que les peurs de "l'Autre" marquent toujours les territorialités et les pratiques spatiales des habitants des 2 rives. Le pont, pourtant, semble être un lieu d'échanges par excellence... La part des représentations est donc primordiale dans la conception des outils de la paix : les habitants et les acteurs politiques locaux (officiels ou officieux) donnent sens à l'espace qu'ils habitent et construisent, à l'intérieur d'une même ville par exemple, DES terrioires urbains. On retrouve là l'importance de l'analyse multiscalaire, pour comprendre l'imbrication des enjeux, des tensions et des conséquences pour les différents acteurs.



Il ne s'agit là que de quelques éléments de réflexion, ne donnant qu'un aperçu des différents aspects de la géopolitique. A quelques heures seulement d'un départ au Kosovo, la réflexion pourrait être plus construite, mais faute de temps, il ne s'agira là que de quelques pistes. Mais il paraissait néanmoins nécessaire de souligner l'importance du débat qui a lieu sur les blogs concernant la défense sur cette discipline et ses approches.