Petit arrêt sur les mots qui ont accompagné les images de violences à l'occasion du 60e Sommet de l'OTAN dans la ville de Strasbourg. Le sommet est terminé, les violences ont cessé et les médias nous (re)présentent l'heure du bilan. Et là, une expression, "guérilla urbaine", employée dans tous les médias, pose quand même quelques questions !
Quelques exemples pris parmi des journaux français :
- "300 interpellations après les scènes de "guérilla urbaine" à Strasbourg" (Libération, 9 avril 2009)
- "Après la "guérilla urbaine", les questions" (TF1, 9 avril 2009)
- "Questions après la "guérilla urbaine" de Strasbourg" (L'Express, 9 avril 2009)
- "A Strasbourg, succès politique et guérilla urbaine" (Le Parisien, 5 avril 2009)
- "Anti-OTAN : première guérilla urbaine à Strasbourg" (L'Alsace, 3 avril 2009)
A noter que certains (mais pas tous !) médias emploient bien les guillemets pour l'expression "guérilla urbaine", tandis que les autres sites de diffusion d'une certaine information (msn, yahoo...), eux, ne se préoccupent certainement pas de cette distinction.
Si les informations sélectives présentées dans les médias créent des vides et des pleins dans notre imaginaire collectif, le poids des mots qui accompagnent les informations "choisies" comme dignes de devenir des événements pèse également sur la construction de cet imaginaire. Ces mots donnent un sens (ou plutôt créent un sens ?) sur les événements.
Les violences, les incendies, les destructions dans la ville de Strasbourg par des manifestants anti-OTAN relèvent-ils de la guérilla urbaine ? Sait-on de quoi on parle quand on utilise de tels mots ? Les violences dans la ville de Strasbourg traduisent-elles les mêmes moyens, les mêmes intentionnalités et les mêmes revendications que des cas avérés de guérilla urbaine comme en Tchétchénie, pour ne citer qu'un exemple ? Certes, les violences dans la ville de Strasbourg ont été le fait de petits groupes, très mobiles. Mais peut-on parler réellement là de stratégie de harcèlement ? Avaient-elles réellement pour objectif de renverser l'OTAN ? A côté de l'expression "guérilla urbaine", on retrouve dans tous ces articles le mot "casseurs"... Est-on réellement dans le même degré de violences, et plus encore dans les mêmes objectifs d'utilisation de la violence ?
Toujours est-il que l'opinion publique est marquée par cet usage abusif de l'expression "guérilla urbaine" à chaque moment de violence urbaine avec message politique. Mais également que la réflexion et l'action se trouvent compliquées du fait de cet amalgame. Les mots ont un sens, et ce sens a un poids sur les représentations que nous avons du monde, de ces menaces, des "Autres"...
4 commentaires:
Excellentes réflexions…
J’avais moi-même demandé à un contradicteur qui avait les mots de « guérilla urbaine » pleins la bouche lorsqu’il évoquait des événements analogues à ceux que vous citez, s’il pensait sérieusement que tout cela pouvait être mis sur le même plan que la bataille de Grozny (c’était peu de temps après). Cette remarque ironique m’avait valu des regards scandalisés où l’on lisait clairement l’incompréhension : de toute évidence, le concept était utilisé comme un slogan publicitaire, aussi vide du moindre sens que résonnant agréablement à l’oreille…
Albert Camus avait bien raison : « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ».
Parfaitement, d'accord avec vous. Un mot comme guérilla urbaine mérite une définition, qui limite et précise son utilisation. Ceux malgré la permanent incapacité qui à prévalu pour le définir.
Néanmoins, il me paraît intéressant de noter de cherche à expliquer cette utilisation du concept de guérilla, tant à la mode, pour ce type particulier de violence urbaine. Une comparaison avec les analyses peu rigoureuse du début des années 1970 (Robert Moss et son livre Urban Guérillas est un exemple typique) aide. La polysémie et les diverses connotations du terme guérilla urbaine, catégorielles, morales et politiques sont de ce point de vue très intéressante. Nommer ces groupes violents une « guérilla urbaine » n'est pas seulement un non-sens, c'est une accusation contre ce que l'on perçoit comme un danger pour l'ordre.
La soi-disante « guérilla urbaine » de Strasbourg n’appelle pas à l'imagerie Guevarienne mais celle du terrorisme urbain des années 1970 qui choqua tant. Ce mot n'exprime pas seulement l'ignorance des commentateurs, mais surtout leur peur de l’escalade.
Bonjour, je viens de découvrir votre blog, continuez ainsi svp c'est passionant.
Ce terme si controversé de " guérilla urbaine" vient du fréquent constat d'une organisation dénotant souvent une tactique bien pensée, et non des débordements spontanés de quelques "voyoux" à l'affut de casse et de pillage.
La tentation est donc grande d'y voir des actions à bût de déstabilisation.
Ceci étant dis: félicitation pour votre blog dont j'ai le "rss" dans mon netvibes ;-)
jp
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