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lundi 31 août 2009

L'émission "Nonobstant" avec Sylvie Brunel


La géographe Sylvie Brunel (professeur à l'Université Paris-Sorbonne) est invitée demain de 17h00 à 17h50 sur France Inter pour l'émission de radio "Nonobstant" présentée par Yves Calvi. Spécialiste de la question de l'alimentation dans le monde, elle travaille particulièrement sur les cas de famines, mais également sur les questions humanitaires et sur la mondialisation.


L'occasion de (ré)écouter d'anciennes émissions qui concernent les thématiques abordées dans ce blog :
  • l'émission du 16 juin 2009, avec Pierre Servent, journaliste spécialiste des questions de défense, notamment auteur des Guerres modernes racontées aux civils... et aux militaires (2009),
  • l'émission du 3 juin 2009, avec Antoine Sfeir, politologue et journaliste, directeur des Cahiers de l'Orient, grand spécialiste des questions moyen-orientales,
  • et l'émission du 19 février 2008, avec Gérard Chaliand, spécialiste des questions de sciences politiques, géopolitique et stratégie, auteur de nombreux ouvrages sur la question des guérillas.



"Post frontière" : une nouvelle émission sur France Culture


France Culture
propose une nouvelle émission, intitulée "Post frontière", qui se propose d'analyser les enjeux économiques, spatiaux, géopolitiques à l'heure de la mondialisation et de l'abolissement de certaines frontières (et parallèlement la résurrection ou l'émergence de "nouvelles" formes de barrière entre les hommes). L'émission proposée tous les lundis de 11h00 à 12h00 est présentée par Florian Delorme. Le programme des prochaines émissions n'est pas encore disponible, mais on peut déjà écouter le lancement de ce matin, qui annonce une émission riche en réflexions, entre reportages et interventions de spécialistes (un podcast est disponible).



Présentation de l'émission sur le site de France Culture :

"A l'heure de la mondialisation, de la globalisation économique, les frontières perdent peu à peu leur caractère de barrière. A mesure que les espaces se réaménagent, que les emprunts culturels et économiques se nouent, les démarcations se déplacent, se font plus floues ou explosent parfois même.

Post-frontière
a pour objectif d'observer et d'analyser des enjeux transnationaux qui subissent ces péhnomènes de dépassement et d'éclatement des bornes.

Des reportages viendront les mettre en évidence, des invités tenteront d'en décrypter les mécanismes...

Post-frontière
, une émission qui pérégrine au-delà des barrières !".


jeudi 27 août 2009

Les médias en Côte d'Ivoire : affiliation et affichage politiques


En Côte-d'Ivoire, les journaux sont tous affiliés, sinon à des partis, tout au moins à des courants politiques. Dans les rues abidjanaises, il est très rare de trouver des habitants se baladant avec plusieurs journaux sous le coude. D'une part, la presse écrite relève d'un coup certain : il serait vain, voire inabordable, pour une grande partie de la population des quartiers populaires de s'acheter deux journaux au vu du pouvoir d'achat. D'autre part, afficher un journal est une marque de revendication de l'appartenance politique, qui s'affiche ostensiblement dans les rues. Chacun y décrypte le message de cette appartenance politique en regardant seulement le titre du journal lu par les autres passants. Les médias ivoiriens sont donc un puissant moteur dans la diffusion des messages politiques, surtout à l'heure où les élections présidentielles (maintes fois reportées) semblent s'organiser pour le mois de novembre 2009 (il n'y a pas eu d'élections présidentielles en Côte-d'Ivoire depuis 2000, date de la réélection de Laurent Gbagbo. Officiellement, son mandat a pris fin en 2005, mais de nouvelles élections n'ont jamais pu être organisées, notamment du fait de l'absence d'un recensement de la population et de l'absence de papiers d'identité - encore plus de cartes d'électeurs - pour la plupart des habitants qui n'ont pu renouvelé leurs papiers administratifs en fin de validité ces dernières années).

La télévision ivoirienne possède deux chaînes nationales accessibles sans abonnement, la Première étant officiellement la chaîne présidentielle (RTI, Radio-Télévision Ivoirienne, à regarder en direct). Néanmoins, la différence entre les deux chaînes reste mince, puisqu'elles sont toutes deux soumises à la censure du pouvoir étatique. On ne peut pas dire que l'information télévisée jouisse d'une grande liberté et d'une grande neutralité. A noter toutefois que la plupart des foyers dans les quartiers riches, et même dans les quartiers populaires (soit par le biais de raccordements illégaux, soit par financement des Ivoiriens immigrés en France envoyant de l'argent à leur famille) bénéficient du câble français.

La presse écrite est nombreuse et reflète grosso modo le panel de partis politiques qui existent en Côte-d'Ivoire. Elle est plus diversifiée quant aux opinions politiques exprimées, mais n'est pas neutre. Les atteintes à la liberté de la presse proviennent de tous les partis et se font plus prégnantes depuis le début de la crise en Côte-d'Ivoire. En 2009, Reporters sans frontières classe la Côte d'Ivoire au 109ème rang (sur 173 pays) dans leur baromètre de la liberté de la presse. L'assassinat du journaliste de RFI Jean Hélène à Abidjan en octobre 2003 et l’enlèvement de Guy-André Kieffer le 16 avril 2004 rappelent que la presse française n'est pas bien accueillie en Côte-d'Ivoire et est régulièrement soumise dans ce pays aux forts ressentiments, voire aux violences, d'une partie des milices et des partis politiques vis-à-vis de la France. Dans le cas des journalistes ivoiriens, "dès lors qu’ils n’abordent pas les sujets tabous tels que le pétrole ou la filière cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial et sur laquelle enquêtait Guy-André Kieffer, les journalistes ivoiriens s’expriment assez librement dans une presse diversifiée, mais aux tirages limités. Les rédactions font cependant face à des actes réguliers de vandalisme et les professionnels des médias subissent encore le poids de la situation politique fragile du pays, ne pouvant pas prendre de photos sans la permission des forces rebelles dans la moitié nord du pays, ou du gouvernement dans la moitié sud" (Reporters sans frontières, Rapport sur la liberté de la presse 2009).

L'émergence d'une presse si diversifiée et partie prenante date de l'avènement du multipartisme en 1990. Au niveau des journaux d'information, les quotidiens Fraternité Matin et Ivoir'Soir (quotidien qui paraît chaque soir, et qui s'occupe davantage de la vie culturelle) appartiennent à la sphère du pouvoir (tout comme les chaînes de télévision et de radio nationales RTI). Le quotidien Fraternité Matin a été créé en 1964 sur décision du Président Félix Houphouët-Boigny. Selon Le Courrier international, si le journal a été un instrument fort du pouvoir gouvernemental, il est aujourd'hui plus libre de proposer des points de vue divers (journal étatique, il n'avait pas ménagé Laurent Gbagbo avant son arrivée au pouvoir, et a ensuite été menacé de privatisation). Les autres quotidiens d'informations appartiennent à la presse privée, et la plupart appartient à un parti politique et les quotidiens d'information deviennent ainsi de véritables organes au sein des partis, à l'instar du Patriote (qui appartient au RDC, Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire, parti politique dirigé par Alassane Ouattara) ou du Nouveau Réveil (journal appartenant au PDCI-RDA, Parti démocratique de Côte-d'Ivoire, actuellement dirigé par Henri Konan Bédié). Quelques exceptions cependant, telles que Le Jour plus, qui n'appartient à aucun parti politique, mais est soumis aux mêmes pressions, violences et vols que les autres journaux. De nombreux journalistes sont régulièrement menacés pour la publication de certaines informations.

C'est ainsi qu'en épluchant la presse quotidienne en Côte-d'Ivoire (voir le site Abidjan.net qui propose de très nombreux journaux ivoiriens à l'achat en pdf, ainsi que de nombreux articles gratuits, et offre ainsi un point de vue comparatif), on se trouve confronté à des unes très diverses d'un journal à l'autre : tandis que la presse française annonce assez uniformément les mêmes "grandes" informations, certaines sont occultées dans certains journaux, d'autres les mettent en avant. La presse écrite ivoirienne est un instrument de la politique.

La langue française est le plus couramment utilisée à la télévision (à l'exception de quelques émissions d'informations régionales) et dans la presse écrite. La pluralité linguistique ivoirienne (voir la page Côte-d'Ivoire sur le site "L'aménagement linguistique du monde") est plus représentée à la radio.


lundi 24 août 2009

Un an...


Un an depuis le premier billet posté sur ce blog. L'occasion de remercier tous ceux qui m'ont encouragée dans cette aventure, de tous ceux qui m'auront aidée, et de tous les commentaires que vous avez bien voulu poster et qui m'ont aidée à progresser dans mon analyse. En espérant que ce blog réponde, au moins en partie, à vos attentes.

L'occasion également de préciser que l'activité du blog est quelque peu ralentie ces derniers temps, et le restera certainement tout le long de cette période de rédaction de thèse (qui accapare une bonne partie de mon emploi du temps !).

Merci à tous !

samedi 15 août 2009

Les ambassades : du haut-lieu du pouvoir au haut-lieu de la violence


Ce samedi 15 août 2009, un nouvel attentat-suicide a eu lieu dans les rues de Kaboul : au moins 3 personnes ont été tuées et on compte, pour l'heure, 14 blessés. La cible de cet attentat-suicide : le quartier général de l'OTAN ("Attentat suicide devant le quartier général de l'Otan à Kaboul", France 24, 15 août 2009). Tout comme dans les cas d'attentats récents dans la ville de Kaboul (par exemple, celui du 9 juillet 2009 ou celui du 17 janvier 2009), la question de la cible des attentats est primordiale. Un attentat-suicide est, en effet, une opération discursive et médiatique. Il s'agit d'un discours qui vise à exprimer par une violence le refus d'une présence politique (qu'elle soit interne comme un gouvernement, ou extérieure comme la présence d'une diplomatie ou de troupes militaires étrangères au pays). Il s'agit également d'une opération médiatique, dans la mesure où avec peu de moyens il s'agit de frapper le plus possible l'opinion publique interne et extérieure par le biais d'une forte médiatisation. Le sensationnel est donc recherché, ce qui souligne combien les attentats-suicides sont pleinement ancrés dans la mondialisation de l'information. Le sensationnel "se provoque" par le biais d'une mise en scène de l'émotion : "La spécificité de l’émotion est de produire paradoxalement une opinion à partir de ce qui, a priori, suspend le raisonnement. Pour produire le simulacre de la perception d’une situation extérieure au récepteur de l’information, les médias (presse et télévision) recourent à un ensemble de moyens qu’on peut analyser selon trois niveaux : le dispositif médiatique lui-même, la thématique, la rhétorique." (Jean-François Tétu, "L’émotion dans les médias : dispositifs, formes et figures", Mots. Les langages du politique, n° 75, Émotion dans les médias, juillet 2004).

Les cibles des attentats doivent elles aussi être "sensationnelles" (frapper là où il y aura un maximum de victimes) et symboliques (frapper là où l'attentat prendra un sens immédiat de revendication politique). L'attentat de ce samedi 15 août 2009 à Kaboul a ainsi visé un quartier qui figure parmi les hauts-lieux de la présence militaire et diplomatique étrangère : non seulement le quartier général de l'OTAN, mais également les ambassades anglaises et états-uniennes se sont retrouvées ainsi impliquées dans cet attentat ("Kaboul: attentat suicide devant le quartier général de l'Otan, trois morts", RFI, 15 août 2009). Ce quartier est d'ailleurs considéré comme le "quartier diplomatique" de Kaboul, soulignant par là à quel point il s'agit d'un géosymbole de l'action militaire menée par l'OTAN en Afghanistan (voir Sonia Jedidi, "Les enjeux géopolitiques en Afghanistan", Les Cafés géo, 10 avril 2007). Que ce soit à Nouakchott (Mauritanie) le 10 août 2009 devant l'ambassade de France ou les différents attentats devant les ambassades étatsunienne, turque ou iranienne à Bagdad, les ambassades et tous bâtiments représentatifs de la présence étrangère non désirée par certains groupes constituent autant de géosymboles dans ce type d'opérations qui visent autant l'émotion et le sensationnel que l'expression d'une prise de position politique. Le nouvel attentat-suicide à Kaboul est révélateur de la montée de la tension à l'approche des élections présidentielles et cette mise en scène de la violence vise autant l'opinion publique interne qu'extérieure.

A noter toutefois l'enjeu de tels quartiers géosymboles du pouvoir : étant des cibles privilégiées pour toute forme de contestation (depuis les manifestations de contestation jusqu'aux formes les plus extrêmes de la violence), les hauts-lieux du pouvoir dans une ville sont non seulement des hauts-lieux de la violence "extraordinaire" (contrairement aux violences "ordinaires" qui s'ancrent dans l'organisation structurelle de la ville), mais aussi, en réponse à ces violences sensationnelles, des hauts-lieux de la sécurité puisque le maillage sécuritaire y est bien plus dense que dans des zones affectées par des violences ordinaires (pourtant plus régulières dans le temps et dans l'espace). La forte représentation symbolique du pouvoir dans un quartier urbain entraîne à la fois des violences moins nombreuses mais plus sensationnelles, et une réponse sécuritaire bien plus forte que dans des quartiers "ordinaires" : les enjeux sécuritaires sont aussi liés à la forte connotation symbolique des lieux, et la perception d'un quartier comme d'un haut-lieu (du pouvoir, de l'identité...) influence fortement l'organisation du maillage sécuritaire dans une ville.


mardi 4 août 2009

Les mots de la géographie


Une nouvelle série de billets pour présenter les concepts souvent utilisés dans ce blog, afin d'éclairer les propos tenus et l'approche spatiale de l'analyse de la ville en guerre proposée ici. Revenant à la fois sur les définitions des différents dictionnaires de géographie et sur les nombreuses ressources disponibles en ligne, il s'agit plus de proposer un "guide" des sources pour appréhender les différentes notions couramment utilisées. Pour inaugurer cette série de billets, voici quelques définitions et ressources sur la "géographie" elle-même. Dans ce travail de thèse, j'ai souvent été confrontée à des remarques du type : "je comprends bien l'intérêt de votre sujet, mais pourquoi la géographie ?". Non, la géographie, ce n'est pas apprendre par coeur toutes les rivières et villes moyennes du monde...



La géographie dans les dictionnaires de géographie :


Roger Brunet, Robert Ferras et Hervé Théry, 1993, Les mots de la géographie : dictionnaire critique, Reclus / La Documentation Française, Montpellier / Paris, 2ème édition (1ère édition 1992), pp. 233-238.

"1. L'une des sciences des phénomènes de société. La géographie a pour objet la connaissance de cette oeuvre humaine qu'est la production et l'organisation de l'espace.
2. L'ensemble des lieux d'un espace donné, pris dans leurs différenciations, leurs caractéristiques, leurs relations internes et externes, leur organisation."

5 parties sont développées dans cet article, montrant la pluralité des acceptations du terme et des écoles qui en découlent :

I/ Le champ de la géographie => "La géographie est d'abord une intelligence de l'espace [...] Les sociétés humaines créent leur propre espace : consciemment par leurs décisions d'implantation et d'aménagement ; inconsciemment, par l'ensemble de leurs pratiques spatiales. [...] Cet espace, fruit du travail et de la communication, sert à la reproduction sociale. [...] L'espace est différencié et il est organisé. [...] Les espaces sont structurés." Dans ce dictionnaires, les auteurs analysent chacune de ces acceptations de la géographie en tant que science analysant l'espace. On se reportera également à la vidéo du site Curiosphère qui propose un extrait de l'émission Les grands entretiens avec Jean-Robert Pitte sur la question de "l'espace géographique". Voir également l'article de Jean-Pierre Chevalier : "Quatre pôles dans le champ de la géographie ?", Cybergéo, n° 23, 8 avril 1997.

II/ La géographie comme science => qui, en tant que science qui analyse la géographie selon les différentes acceptations et champs de recherche envisagés dans la 1ère définition, "étudie donc à la fois des distributions spatiales, et des organisations spatiales". Il ne s'agit pas seulement de constater les localisations pour tel ou tel phénomène, mais également de comprendre les facteurs explicatifs de l'organisation de l'espace, les enjeux sociaux et politiques, les conflits territoriaux entre différents groupes, les représentations pour les utilisateurs de l'espace étudié... La géographie est ici entendue comme un savoir opératoire qui permet de comprendre le monde à travers une analyse multiscalaire qui met en exergue les territorialités des sujets étudiés.


III/ Les géographies
=> Les auteurs reviennent sur les différentes acceptations de la géographie dans l'histoire : le concept s'est transformé et étoffé. Dans cette partie de l'article, les auteurs reviennent également sur les différents paradigmes portés par différents courants de pensée à l'intérieur de la discipline géographique.
1- La géographie comme description
2-La géographie comme reconnaissance
3- La géographie sacrée
4- La géographie "mathématique"
5- Le paradigme impérial
6- Le paradigme naturaliste
7- Le paradigme géopolitique
8- Le paradigme civique
9- Le paradigme écologique


IV/La géographie comme état de fait => "La géographie n'est pas seulement une science : elle est souvent définie comme un état. On parle alors de "la géographie" d'un pays, d'une contrée, quelque chose qu'il faut démêler pour s'y retrouver".


V/ Géographie appliquée
=> "nom porté pendant un certain temps par la géographie produite à la demande et pour le compte d'utilisateurs déterminés, tels que l'Etat, les collectivités locales, les entreprises". Cette partie permet aux auteurs de distinguer une géographie appliquée (qui peut, bien qu'elle réponde à une recherche demandée et structurée dans les attentes par une institution, être l'émulation d'une recherche rigoureuse et le plus objective possible - c'est-à-dire indépendante de l'avis de celui qui commande la recherche, et menée avec les outils méthodologiques utilisés dans le cas de recherches plus "libres") d'une géographie impliquée, c'est-à-dire que la géographie, en tant que science humaine, doit être conçue avec un grand regard critique quant aux méthodologies et aux limites de toute recherche.




Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), 2003, Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Belin, Paris, pp. 399-401.

Cet article rédigé par Jacques Lévy est entièrement disponible sur le site de la revue EspacesTemps.net. On se reportera également à l'article de Martin Vanier : "De la géographie comme science sociale...", EspacesTemps.net, 2004.


"A. Science qui a pour objet l'espace des sociétés, la dimension spatiale du social.
B. Objet de cette science, espace des sociétés ("espace géographique").
"

On retrouve les différentes acceptations proposées par les autres dictionnaires de géographie : la géographie est à la fois la science et l'objet de cette science. Jacques Lévy utilise également le pluriel "Géographies" dans son article, soulignant par là les évolutions de cette science depuis la géographie dite classique, et les nouveaux paradigmes inaugurés par "le tournant culturel". Dans la laprésentation de la géographie comme science, l'auteur revient sur les enjeux actuels pour cette discipline :

  • "L’intégration systématique des apports des autres sciences sociales et de la philosophie dans les domaines encore peu explorés par les géographes : rôle de l’espace dans les sciences du psychisme et notamment les sciences cognitives, philosophie de l’espace, géohistoire, philosophies politique et morale appliquées à l’espace.
  • En relation avec cet enrichissement des substances, le renforcement d’une géographie analytique qui, renonçant à l’affirmation cartésienne d’un espace absolu géométrique, prenne davantage en considération l’importance de l’échelle et la diversité des métriques.
  • Une nouvelle réflexion sur la nature, conçue comme rapport social au monde bio-physique, qui, dans son principe, concerne et intéresse la géographie ni plus ni moins que les autres sciences sociales mais qui, compte tenu de l’expérience de la cohabitation entre les « branches » de l’archéo- et de la proto-géographie, peut trouver une place innovante dans le nouveau dispositif.
  • Un effort de renouvellement théorique considérable sur la carte, qui doit redevenir un point d’appui langagier pour la production et la diffusion de connaissances scientifiques sur l’espace.
  • L’ensemble des débats théoriques des sciences sociales, notamment les relations social/sociétal, communauté/société, individuel/collectif, mémoire/projet, économique/sociologique, politique/géopolitique.
  • La mise en discussion des problèmes d’objet, de méthodes et de techniques tels que la relation disciplinarité/transdiciplinarité du social, théorique/ empirique, qualitatif/quantitatif, recherche fondamentale/expertise/action citoyenne"

L'article revient également sur les paradigmes à éviter : il ne s'agit pas d'enfermet la géographie, mais bien de l'entendre comme une science analysant l'ensemble des phénomènes sociaux au prisme de leur spatialités et l'ensemble des acteurs/utilisateurs de l'espace au prisme de leurs territorialités.



La géographie par Marcel Roncayolo :


Source : Canal Académie, 6 avril 2000.



Les militaires français en Afghanistan


L'émission Zone interdite a proposé deux reportages ("Papa part à la guerre : d'Annecy à Kaboul" diffusé le 17 mai 2009 et "Papa revient de la guerre" diffusé le 14 juillet 2009 sur M6) sur la présence du 27ème Bataillon de Chasseurs alpins (27 BCA d'Annecy) en Afghanistan. Voici les vidéos du 1er reportage. On se reportera sur le 1er reportage à l'excellente analyse de Stéphane Taillat "COP ou FOB? La contre-rebellion française en Afghanistan" (publiée sur son blog en vérité le 18 mai 2009) et à l'article de Jean-Paul Mari "Afghanistan : « Papa part à la guerre... »" publié sur le site Grands Reporters.com.



Papa part à la guerre : d'Annecy à Kaboul













dimanche 2 août 2009

Une erreur dans la géographie révélatrice ?


Ce qui pourrait paraître comme une erreur anecdotique a mis à mal la commercialisation des voitures Citroën dans la région balkanique. Et témoigne d'une profonde méconnaissance sur la région balkanique.


Le Figaro, "Erreur de géographie pour Citroën", 22 juillet 2009

"Le constructeur automobile Citroën a dû envoyer une lettre à l'ambassade de Bosnie à Paris pour s'excuser d'avoir «oublié» de faire figurer le territoire bosniaque sur une carte géographique d'un document promotionnel.

Grosse erreur de géographie chez Citroën. Dans une carte figurant dans une documentation promotionnelle, le constructeur automobile aurait, selon les autorités bosniaques, tout simplement oublié d'y faire figurer le pays… Une erreur telle que le directeur général de Citroën, Frédéric Banzet, s'est vu obligé d'adresser une lettre d'excuse à l'ambassade de Bosnie dans laquelle il dit «avoir arrêté la distribution du matériel, fabriqué par une compagnie externe, et ordonné la destruction des copies restantes».

L'oubli avait été souligné par les ambassades de Bosnie, de Croatie et du Monténégro qui, au début du mois de juillet, avait écrit une lettre de protestation à la direction de Citroën. Plus précisément, le territoire de la Bosnie avait été totalement supprimé des Balkans et se retrouvait partagé entre la Croatie et la Serbie. Par ailleurs, la capitale croate, Zagreb, était tout bonnement exclue du territoire croate pour se retrouver en Slovénie. Enfin, le Monténégro se voyait imputé d'une partie de ses terres au profit de la Serbie. Quoiqu'il en soit, il s'agit là d'une grosse erreur de communication pour Citroën. Pour mémoire, depuis 1990, la Croatie et la Slovénie sont toujours en pourparlers concernant la mise en place de leurs frontières.
"


Cette "erreur" témoigne d'une méconnaissance de la région balkanique. Plus qu'une erreur, c'est réellement l'existence d'un Etat, reconnu depuis 1992 et fortement médiatisé pendant la guerre de 1992 à 1995, qui est ici mise en cause. De plus, l'erreur n'est pas anecdotique pour les diplomaties des Etats ex-yougoslaves. En effet, la situation n'est aujourd'hui pas aussi stable que le quasi-silence médiatique quant à cette région pourrait le laisser paraître. L'article du Figaro souligne ainsi la dispute territoriale qui existe entre Slovénie et Croatie quant au tracé des frontières entre ces deux pays. La question se pose principalement pour la région côtière (golfe de Piran) qui met en cause le tracé des frontières maritimes pouyr ces deux pays, leur accordant une . A l'heure actuelle, le contentieux entre les deux pays pèse (parmi d'autres facteurs, tels que les criminels de guerre non jugés au TPIY) sur les négociations pour l'entrée de la Slovénie dans l'Union européenne. En témoignent ces deux articles traduits dans le Courrier des Balkans : "Conflit slovéno-croate : les pirates du Golfe de Piran", Politika, 5 avril 2009 (traduit par Ognjenka Fejic, le 15 avril 2009) et "Slovénie - Croatie : les frontières de l’UE dérapent dans l’Adriatique", Osservatorio sui Balcani, 6 janvier 2006 (traduit par Thomas Claus, 12 janvier 2006). Alors que la Slovénie défend son droit à accéder à des eaux territoriales (la côte slovène étant très étroite, l'accès à un plateau continental est déterminé par le tracé de la frontière terrestre : la Slovénie défend ainsi son désenclavement à travers son accès à la mer par le biais des eaux territoriales), "la Croatie a toujours exclu une concession sur la frontière terrestre pour des raisons que la situation de guerre avec la Serbie en 1991-1995 explique largement : toute concession territoriale, aussi minime fût-elle, à un de ses voisins sur un territoire internationalement reconnu à la Croatie était perçue comme de nature à donner un argument à la Serbie. L’intransigeance à Piran devait préserver la frontière de Vukovar" (Joseph Krulic, "Le problème de la délimitation des frontières slovéno-croates dans le golfe de Piran", Balkanologie, vol. VI, n° 1-2, décembre 2002). Si la signature d'un accord en juillet 2001 a permis de croire à un règlement du contentieux, le problème n'est en réalité pas résolu et l'accord a rapidement été contesté (Jean-Arnaud Dérens, "Toujours pas d'accord sur le différend frontalier de Piran", RFI, 24 février 2009).

Mais l'article ne souligne pas les problèmes internes de la Bosnie-Herzégovine : son inexistence sur la carte proposée sur le document publicitaire a été l'objet d'un incident diplomatique. Bien évidemment, tout Etat ainsi "oublié" aurait certainement réagi de la même façon. Mais, l'erreur est d'autant moins anecdotique pour un Etat récemment indépendant après une longue guerre meurtrière. De plus, la situation de la Bosnie-Herzégovine reste toujours relativement instable. En effet, les accords de Dayton mettant fin au conflit armé sont aujourd'hui en pourparler pour être refondés. S'ils ont mis un terme à la guerre, la solution d'une partition de la Bosnie-Herzégovine en trois entités pèse sur le développement économique (notamment par le coût financier d'un budget étatique où chaque poste majeur est représenté par trois titulaires - un Bosniaque, un Croate, et un Serbe). "La Commission des Affaires étrangères du Parlement européen s’est prononcée le 17 février 2005 en faveur d’une révision de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine, suivi par la « Commission de Venise » du Conseil de l’Europe (composée d’experts des questions constitutionnelles), condamnant le texte de Dayton, jugé irrationnel, inefficace et non viable" (Patrick Simon, "10 ans après les accords de Dayton : quelle paix dans les Balkans ?", novembre 2005, pour le site Mouvement de la paix, p. 2). Pour l'heure, aucun accord n'a abouti, et les négociations sur la révision de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine semble stagner.



A lire :

A consulter : Le blog d'Yves Tomic (Vice-président de l'Association française d'études sur les Balkans), notamment son billet sur "La réforme de la Constitution de Bosnie-Herzégovine" (daté du 28 novembre 2005).


A lire avec attention : Olivier Kempf revient sur le contexte de la démission du premier ministre Ivo Sanader dans un billet où il présente des cartes de la dispute territoriale autour du golfe de Piran. Le billet est de plus riche en liens à consulter pour comprendre cette situation (notamment un article dans la revue Regards sur l'Est).



"Justice spatiale" : naissance d'une nouvelle revue


La nouvelle revue Justice spatiale, disponible en ligne, lance son premier numéro. L'avis de naissance, écrit par Frédéric Dufaux, Philippe Gervais-Lambony, Sonia Lehman-Frisch et Sophie Moreau présente cette revue, qui, à compter de 2 numéros par an, aura pour objectif d'analyser les (in)égalités sociales au prime de la dimension spatiale. Les textes sont tous accessibles en français et en anglais.



Le 1er numéro est ainsi consacré à "Espace et justice" :


Présentation de la revue par ses responsables :

"
C'est certainement par le mot « bienvenue » que nous avons envie d'ouvrir ce premier numéro de la revue "justice spatiale spatial justice". Bienvenue aux lecteurs, bienvenue aux auteurs, bienvenue aux débats. Le contexte international, le contexte français (social mais aussi universitaire), nous donnent envie d'offrir ici un espace d'expression et d'échange sur des sujets qui nous tiennent à cœur. La création de la revue scientifique "justice spatiale spatial justice", repose en effet sur une conviction : l'espace est une dimension fondamentale des sociétés humaines qui le produisent, la justice sociale s'y déploie. Ainsi, la compréhension des interactions entre espace et société est essentielle à celle des injustices sociales et à la réflexion sur les politiques territoriales visant à les réduire.

Initiée et animée principalement par des géographes, la revue "justice spatiale spatial justice" accueille les travaux, les débats et les controverses autour du concept de justice spatiale en se fondant sur des rencontres avec des regards disciplinaires de sciences sociales et humaines différents (aménagement, urbanisme, sociologie urbaine, histoire, philosophie, sciences politiques...). Le projet de cette revue électronique internationale est née du désir de poursuivre et d'élargir les débats engagés lors du colloque « Justice et injustice spatiales » (www.justice-spatiale-2008.org), qui s'est tenu en mars 2008 à l'Université Paris-Ouest Nanterre La Défense (c'est-à-dire là où enseigna Henri Lefebvre et ce n'est en rien une coïncidence car nous affirmons ici les liens entre le concept de justice spatial et ceux de « production de l'espace » et de « droit à la ville »). Les discussions lors de ce colloque ont montré le besoin de poursuivre la réflexion sur les relations entre justice et espace, par-delà les frontières disciplinaires, linguistiques et culturelles. C'est à partir de quelques textes présentés lors de ce colloque, qui éclairent les différentes dimensions du concept de justice spatiale et ouvrent bien des débats sur sa définition, qu'a été élaboré ce premier numéro, et nous tenons à en remercier ici les auteurs : Lisa Brawley, Bernard Bret, Mustafa Dikec, Susan Fainstein, Peter Marcuse, Edward Soja. Les prochains numéros de la revue seront thématiques, le premier appel à contribution est lancé dans le présent numéro sur des questions liées à l'accès aux ressources.

La justice spatiale a une importance majeure puisqu'elle constitue la toile de fond de la plupart des politiques d'action sur les territoires. Pourtant, la diversité des définitions de la « justice » (et des possibles « contrats sociaux » qui les légitiment) est grande et les objectifs poursuivis sont divers, voire contradictoires. Il paraît donc urgent d'éclairer le concept de justice spatiale, encore peu questionné (notamment en géographie, depuis les travaux de la géographie radicale anglophone des années 1970-1980), tant elle s'est imposée comme une apparente évidence.

On peut considérer que les conceptions de la justice oscillent entre deux pôles, l'un centré sur les questions de redistribution, l'autre sur les questions de procédures de prise de décision. C'est pourquoi aujourd'hui la thématique de la justice spatiale présente à nos yeux une importance nouvelle pour les sciences sociales et pour la géographie, outre qu'elle soulève des questions cruciales sur l'utilité sociale de ces disciplines, parce qu'elle est fédératrice. En effet, selon l'approche adoptée, soit l'on est conduit à se poser des questions sur des distributions spatiales (de biens, de services, de personnes...) parce que l'on choisit une définition de la justice fondée sur une évaluation des « résultats », soit l'on est conduit à se poser des questions de représentations de l'espace, d'identités (territoriales ou non), de pratiques, parce ce que l'on fait le choix de réfléchir sur la dimension procédurale de la justice. En d'autres termes, se trouvent à la fois mobilisées des approches quantitatives et qualitatives. Cette convergence se fait à travers une réflexion sur les modalités de la prise de décision politique et sur les politiques conduites pour assurer de meilleures distributions spatiales. Le caractère potentiellement fédérateur du concept de justice spatiale va encore au-delà puisqu'il nécessite de mobiliser aussi pleinement les études environnementales. On est très proche en effet de la notion de « justice environnementale » est apparue dans les années 1970-1980 dans les villes nord-américaines, pour dénoncer les recouvrements spatiaux entre les formes de discrimination raciale et d'exclusion socio-économique, les pollutions industrielles et la vulnérabilité face aux risques naturels. L'émergence de la notion de développement durable a aussi favorisé une réflexion sur l'équité environnementale. Elle interroge notre rapport ontologique au monde, et la possibilité d'une politique juste articulée autour des besoins de l'humanité, présents et futurs, locaux et globaux, et de nouveaux modes de gouvernance. Enfin, est-il besoin de souligner que le concept de justice spatiale questionne aussi toutes les échelles d'étude, du global au local ?

Dans un état d'esprit pluridisciplinaire, la revue "justice spatiale spatial justice" est conçue pour promouvoir les débats entre auteurs et lecteurs. Elle vise aussi à faire mieux communiquer les univers scientifiques anglophones et francophones, d'où le choix du bilinguisme complet. Le support électronique permet par ailleurs de combiner - dans un même discours - texte, images et sons et d'innover en termes de formes. Enfin la revue fonctionne grâce à un ample réseau international qui assure la lecture et l'évaluation des textes soumis en vue de garantir un haut niveau scientifique. Nous attendons beaucoup de la combinaison du bilinguisme intégral et de l'appui sur un réseau scientifique (comité scientifique, comité de rédaction, correspondants) reconnu au niveau mondial. Notre objectif est clair et ambitieux, à la mesure de l'importance du sujet : faire que "justice spatiale spatial justice" s'affirme rapidement comme une revue scientifique internationale de référence sur la thématique.

A raison de deux numéros par an, la revue comprend aussi une section « Espace public » dans laquelle nous souhaitons accueillir de textes de débat, d'actualité, comme celui proposé dans ce premier numéro par Christine Chivallon sur les événements actuels en Guadeloupe et des regards croisés (lectures confrontées de textes fondateurs sur la "justice spatiale spatial justice" par un auteur francophone et un auteur anglophone).
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Références de ce texte :
Frédéric Dufaux Philippe Gervais-Lambony Sonia Lehman-Frisch Sophie Moreau«n°01. Avis de naissance», [«n°01. Birth Announcement»]
justice spatiale spatial justice n° 01 septembre september 2009 http://www.jssj.org/


samedi 1 août 2009

Beyrouth, Capitale mondiale du livre 2009


Beaucoup d'auteurs le rappellent : "Beyrouth est autre chose que la guerre" (par exemple Alexandre Nejjar). En ce sens, la désignation par l'Unesco de Beyrouth comme Capitale mondiale du livre pour l'année 2009 n'est pas neutre. Et permet d'interroger à la fois l'image de Beyrouth dans les représentations que nous avons après une guerre civile de 15 années, doublée de guerres dites "étrangères" (avec l'intervention de la Syrie et d'Israël au coeur du conflit armé libanais), et des périodes de pacification troublées par des résurgences de violence (comme la guerre de l'été 2006 menée par Israël ou plus récemment des échanges de tirs entre groupes rivaux à Beyrouth le 28 juin 2009, par exemple, qui rappellent la permanence des tensions entre groupes politiques dotés de milices) ; et la place de Beyrouth et du Liban dans la mondialisation.

"La ville de Beyrouth a été choisie en particulier « pour son implication en matière de diversité culturelle, de dialogue et de tolérance ainsi que pour la variété et le caractère dynamique de son programme ». Le Directeur général s’est réjoui de « voir la ville de Beyrouth, confrontée à des défis immenses en matière de paix et de coexistence pacifique, être reconnue pour son engagement en faveur d’un dialogue plus que jamais nécessaire dans la région, et que le livre puisse y contribuer activement »" (site de l'UNESCO).


Images et vulnérabilité d'une ville

L'idée de ville vulnérable a déjà été évoquée à plusieurs reprises dans ce blog : elle met en valeur non seulement le risque en tant que réalité mais aussi en tant que représentation (comme par exemple à Port-au-Prince) : il ne faut pas oublier de prendre en compte le risque comme produit social. "Au sens originel du terme (du latin « vulnus », blessure), la vulnérabilité exprime le caractère de ce qui peut être blessé, frappé par un mal. Par extension, il est synonyme de fragilité face à une menace. Aussi, certains des chercheurs ont-ils largement utilisé ce concept dans leurs travaux, notamment dans le sens de la vulnérabilité des sociétés urbaines face à des risques physiques d’origine naturelle ou anthropique. D’autres l’ont utilisé dans le sens de la construction de vulnérabilités sociales et environnementales associées à la transformation urbaine. D’autres encore ont abordé la vulnérabilité, en utilisant certaines de ses composantes pour comprendre les mutations de la société urbaine : vulnérabilité économique, sociale, territoriale, patrimoniale, institutionnelle, etc. D’autres enfin, n’ont pas forcément utilisé le concept de manière directe mais ont développé des recherches qui abordent la notion de vulnérabilité de manière sous-jacente, comme l’étude des violences urbaines ou celle des pratiques de gouvernance" (Robert D’Ercole, Pauline Gluski, Sébastien Hardy et Alexis Sierra, "Vulnérabilités urbaines dans les pays du Sud. Présentation du dossier", Cybergeo, Vulnérabilités urbaines au sud, 2009, paragraphe 4). Ainsi, l'analyse des risques ne doit pas être restreinte à la distribution géographique des menaces, mais doit également inclure les représentations et le degré de vulnérabilité dans chaque territoire urbain : à risques "égaux", répondent différentes perceptions de la population qui transforment la menace en risque (c'est-à-dire que le risque n'est pas seulement objectif, il est aussi subjectif).

De ce fait, les menaces urbaines s'extraterritorialisent, notamment par le biais des médias et des images de catastrophe qu'ils offrent aux spectateurs. Ainsi, la ville, même lointaine, est passée d'une ville-outil à une ville-spectacle. "Qu’est-ce que la ville spectacle ? C’est la ville qui se voit, qui se regarde, qui se consomme" (Guy Burgel, "La ville-spectacle est-elle une fiction ?", Les Cafés géo, 25 avril 2000). Dans ce sens, la ville de Beyrouth offre une image à l'extérieur d'elle-même (notamment en termes d'offre touristique). Les années de guerre civile dooublée des interventions armées étrangères ont profondément transformé cette image : "Beyrouth ! Qui n’a pas entendu parler de cette ville ? Une ville emblématique qui suscite plusieurs représentations à chaque fois qu’on la cite : ville des confessions, ville de guerre, ville divisée et déchirée, ville détruite, ville chrétienne, ville musulmane, ville arabe, ville phénicienne… mais aussi, capitale du Moyen Orient, ville de croisement entre plusieurs cultures, carrefour entre l’Orient et l’Occident, ville en reconstruction…Plusieurs représentations souvent contradictoires qui expriment plusieurs réalités et plusieurs vérités, comme si on était face à plusieurs villes et non pas une seule" (Joseph Salamon, "Les villes de Beyrouth. Images d'une ville et paroles citoyennes : vers une analyse de sens", site Horizon Sémiologie, 2008, p. 1).

Comme le rappelle Carlos Recio Davila, l'image d'une ville recoupe différentes acceptations du terme :
"- L’image géographique (cartographie, caractéristiques orographiques et hydrographiques)
- L’image urbaine globale (l’aménagement de la ville)
- Les images tridimensionnelles (monuments, bâtiments, sculptures)
- Les images bidimensionnelles (peintures murales, graffiti, panneaux publicitaires)
- Les images mentales (stéréotypes et identités)
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(Carlos Recio Davila, 2008, "Les images de la ville. Une approche à la sémiotique urbaine", Actes du colloque Penser la ville - approches comparatives, Khenchala, Algérie). On s'arrêtera ici tout particulièrement sur le cas des images mentales des observateurs extérieurs à Beyrouth, qui ont regardé les images des guerres de 1975-1990 et de 2006 à travers les iconographies (re)présentées par les médias. Présentées et également représentées, dans la mesure où les médias ont mis en exergue les thématiques et les territoires qui relevaient du "sensationnel", souvent lié aux territoires de la violence.



Beyrouth : reconstruire la ville, reconstruire son image

La construction de bâtiments est associée à l'idée d'une rénovation ou d'une transformation de l'image d'une ville (en témoigne cet article du Figaro daté du 27 juillet 2009 qui explique qu'à Rabat "des travaux pharaoniques modifient l'image de la ville" et en font une "capitale du changement"). Dans cette optique, les destructions liées à la guerre ont également des impacts sur les représentations qu'ont les habitants, mais aussi les observateurs extérieurs (à travers les photographies, les vidéos, les peintures... et également les récits, les témoignages, qui, s'ils sont écrits ou oraux et ne proposent pas une image en tant que telle, renvoient néanmoins à une myriade de codes et de sens qui font appel à l'imaginaire collectif : le mot ruines est, à ce titre, éloquent, dans la mesure où personne n'a besoin d'une photographie pour visualiser une ville en ruines). Destructions et reconstructions sont des actes politiques voulus par des acteurs syntagmatiques dans une ville : la destruction peut servir à annihiler l'identité d'une ville et de ses habitants (ce phénomène d'urbicide se caractérise par une destruction systématique des lieux qui ancrent une identité commune aux habitants dans le paysage, et ainsi par la volonté d'inscrire la haine de la ville dans les représentations de ces habitants tout comme dans celles des observateurs extérieurs), la reconstruction peut servir à (re)donner une identité et une image de la ville. Se pose d'ailleurs la question des lieux de mémoire : faut-il conserver des traces de la guerre à des fins de commémoration ou faire table rase d'un passé que l'on cherche à oublier le plus rapidement possible en transformant la ville ?

Force est de constater que la ville de Beyrouth garde une image de ville affectée par la guerre, la violence, les milices... " « Ville éclatée », « la ligne verte », « libanisation »... autant de clichés utilisés par les médias, pour relater la guerre civile, la scission de Beyrouth en deux secteurs antagonistes, la division du territoire national en une multitude de ghettos confessionnels" (Liliane Buccianti-Barakat, 2007, "Reconstruction et territorialisation touristique. Le cas du centre-ville de Beyrouth", Tourismes et territoires, 6ème Rencontres de Mâcon, pré-actes, p. 3). Cette représentation d'une ville vulnérable et menaçante est perpétuée à travers la (re)présentation médiatique qui est faite de Beyrouth : les médias parlent plus souvent cette ville pour aborder les questions de manifestations, de violences miliciennes, d'attentas, de tensions politiques, de pauvreté dans les banlieues... Par exemple, sur 20 articles recensés dans Le Figaro entre le 1er janvier 2008 et le 31 juillet 2009 abordant la ville de Beyrouth, 18 évoquaient la violence, les conséquences des différentes guerres, la pauvreté sociale comme risque urbain ou les trafics. Même constat dans L'Express (17 sur 21 articles entre le 1er janvier et le 31 juillet 2009) où l'on note néanmoins un article sur les "5 bonnes raisons d'aller à Beyrouth", rangé dans la catégorie "Voyages". Ces chiffres ne sont qu'indicatifs, mais permettent d'entrevoir le poids de la (re)présentation médiatique sur les images mentales que des observateurs extérieurs peuvent avoir de cette ville. Les mots accompagnant les images sont évocateurs : massacre, manifestation violente, attentat, commémoration de l'assassinat, guerre, morts, explosion meuretrière... sont particulièrement récurrents. Ces images et ces mots sont associés dans l'imaginaire collectif aux images des différentes guerres du Liban : sans faire l'amalgame entre les périodes de guerre et les difficultés liées à la pacification et à l'instabilité politique actuelle, ce traitement médiatique évoque Beyrouth comme une ville vulnérabilisée. De même, une focalisation sur les quartiers "sensibles" de la banlieue sud est à constater dans ce traitement médiatique. Au final, cette focalisation thématique et géographique dans le traitement de l'information influence fortement les représentations des spectateurs/lecteurs, tout particulièrement de ceux qui ne connaissent pas la ville de Beyrouth.

Dans cette optique, la reconstruction de la ville n'a pas seulement été pensée en termes d'infrastructures et de commodités dans la ville, mais également en termes d'image vis-à-vis de l'extérieur de la ville. Notamment pour des raisons économiques : rassurer les investisseurs étrangers d'une part, et retrouver les bénéfices d'un tourisme développé d'autre part. C'est dans ce sens que s'interroge la géographe Liliane Barakat : "la réécriture de certains espaces et leur mise en tourisme soulèvent de lourdes interrogations sur la reconquête et l'image d'un territoire, sur sa patrimonialisation. Face à Beyrouth, une ville qui a symbolisé un temps [la guerre], quelle place alors accorder à la valeur des lieux dans le discours sur la réécriture de la ville ?" (Liliane Buccianti-Barakat, 2007, "Reconstruction et territorialisation touristique. Le cas du centre-ville de Beyrouth", Tourismes et territoires, 6ème Rencontres de Mâcon, pré-actes, p. 1). Dans cette optique, la mise en valeur de la ville de Beyrouth à travers les activités culturelles de l'Unesco s'ancre dans la volonté d'acteurs syntagmatiques (à la fois internes pour les acteurs ayant déposé le dossier de candidature, et extérieurs pour les acteurs ayant choisi Beyrouth pour devenir capitale mondiale du livre pour l'année 2009) d'inscrire une nouvelle image pour cette ville dans les représentations des observateurs extérieurs.



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