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mercredi 9 juin 2010

La ségrégation urbaine en Afrique du Sud


Le déroulement de la Coupe du monde de football 2010 en Afrique du Sud fait couler beaucoup d'encre. L'occasion de revenir sur un des grands "classiques" de la géographie urbaine, et sur la question de la ségrégation urbaine en Afrique du Sud. La question de la fin de l'apartheid, comme forme instutionnalisée de la ségrégation, permet de comprendre les logiques spatiales qui sont à l'oeuvre dans la société sud-africaine d'aujourd'hui. Quelques éléments de réflexion, et surtout des liens vers les travaux des géographes, qui sont nombreux à s'intéresser à la question de la ségrégation urbaine en Afrique du Sud, notamment concernant les villes de Johannesburg, Le Cap et Durban.


La notion de distance dans la ville :
éloigner "l'Autre", éloigner le danger

Politiques de la ville et ségrégations en Afrique du Sud


Les locations
Les "locations" sont les espaces non-blancs de la ville ségréguée du début du XXe siècle. Si l'institutionnalisation de la ségrégation n'est pas encore effectif, les principes urbanistiques reposent d'ores et déjà sur l'exclusion du "sauvage", le besoin d'hygiène et de propreté étant des arguments proposés par les blancs pour maintenir "l'Autre" à distance. Les locations se trouvent à proximité des centres-villes, et regroupent toutes les communautés non-blanches sans distinction particulière.

Les townships
Les "townships" sont des lotissements publics réservés aux non-Blancs. Cette forme urbaine est indissociable des politiques de contrôle des populations noires sous l'apartheid. Elle reflète l'idéologie qui définissait les Africains comme ruraux (main-d'œuvre temporaire en ville). Il devient même un outil de construction identitaire.

Avec la fin de l'apartheid, la ségrégation n'est plus officialisée par des lois. Néanmoins, les terrains bon marché se trouvant éloignés des centres-villes, il se produit une homogénéisation sociale : les populations pauvres se trouvent toujours ségréguées dans les anciens townships (faute de pouvoir accéder au marché du logement), tandis que les populations riches préfèrent se regrouper dans des quartiers cloisonnés (les "gated communities").


 

La notion d'enclave :
s'enfermer et se protéger

Ségrégations et post-apartheid

Héritages de l'apartheid
La fin de l'apartheid a provoqué l'écatement des structures urbaines. Le contexte post-apartheid est marqué par une grave crise du logement, une crise de l'emploi, et des problèmes de violences urbaines.

Une ségrégation sociale croissante
Les anciens townships sont des terrains bon marché, mais très éloignés des centres-villes. Ils ont été construits en tant que logements sociaux en périphérie des villes, à proximité des bassins d'emploi industriel où étaient employés les populations non-blanches (noires et indiennes) sous l'apartheid. Le manque d'accessibilité à l'éducation pendant des années a marqué ces populations bien après l'apartheid, mais aussi leurs enfants, les townships se présentant comme des enclaves urbaines éloignées en termes d'accesibilité (les moyens de transports n'avaient été pensés que pour relier les townships aux bassins d'emploi, les coupant d'autant plus de la ville-centre). La ségrégation sociale et ethnique restent et se renforcent toutes deux. La fin de l'apartheid en tant que loi instituant la ségrégation comme norme sociétale n'a pas empêché la ségrégation spatiale de se renforcer, dans la mesure où des décennies de cet agencement spatial ne peuvent être effacé du jour au lendemain. Les populations pauvres (encore essentiellement non-blanches) ne peuvent pas s'extirper des quartiers paupérisés et enclavés, si ce n'est pas des constructions illégales d'habitat, qui renforcent le sentiment d'insécurité pour les populations de classes moyennes et aisées.

Un nouvel apartheid ? La ségrégation choisie
Le succès des "gated communities" constitue la réponse des classes moyennes et supérieures (encore essentiellement blanches), à la violence des grandes villes sud-africaines. Cet agencement spatial est autant le fruit de réalités (la violence des villes sud-africaines est avérée) que de représentations (mais cette violence concerne davantage les quartiers populaires, alors même que les murs de séparation se construisent comme réponse à cette violence dans les quartiers des classes moyennes et aisées). Cette ségrégation choisie renforce les disparités et l'éloignement des populations selon leur appartenance sociale. En ce sens, la ségrégation spatiale est renforcée par la différenciation sociale, mais également par la peur de "l'Autre" qui continue de caractériser les sociétés urbaines sud-africaines.

 
La ville post-apartheid ou la ville du
"deracialized apartheid"

La ville post-apartheid prend des formes différentes à Johannesburg, Durban, Le Cap... L'uniformité du modèle de la ségrégation puis de l'apartheid a longtemps été imposée artificiellement à ces villes. Chacune de ces villes ont réagi différemment à la fin du règne de l'aménagement politique, aujourd'hui remplacé par la loi du marché. Là où existait un modèle urbain qui s'imposait dans toutes les villes, les enjeux sont différents d'une ville à l'autre, même si fondamentalement il s'agit partout de réduire les différents problèmes induits par la pauvreté, principalement aux périphéries des villes, dans les quartiers qui constituaient les townships, et qui restent toujours des "enclaves" urbaines.

Par exemple, à Durban, la question de la prolifération de l'habitat informel se pose de manière accrue. Voir les travaux d'Hélène Mainet-Valleix.

A Johannesburg, c'est davantage le proème des squatters et de l'unité de la métropole (difficultés pour unifier des éléments aussi différents que les riches banlieues blanches, les célèbres townships de Soweto, les zones industrielles et minières qui coupent la ville en deux... Voir la carte ci-dessous) qui se pose comme problématique majeure, mais aussi le dépeuplement du centre-ville, la criminalité, la formation de ghettos sur les marges du centre-ville. Voir les travaux de Philippe Gervais-Lambony et de Philippe Guillaume.

Au Cap, la population métisse est majoritaire. Le Cap est la ville-mère ("Mother City") des premiers colons. Le parti politique responsable de l'apartheid est resté en place à la fin de celui-ci. La ville est caractérisée par l'importance du gangstérisme, la désagrégation du tissu social, l'ampleur de la criminalité et des violences quotidiennes, ainsi que le développement d'une économie informelle. Voir les travaux de Myriam Houssay-Holzschuch.

Le futur de la ville post-apartheid semble plutôt être celui de l'apartheid "déracialisé" (deracialized apartheid). La ségrégation spatiale va continuer de marquer les formes urbaines, mais seulement sur des critères sociaux (qui, malgré tout, vont encore recouper longtemps les critères raciaux). La morphologie urbaine ne sera pas fondamentalement modifiée (les anciens townships forment des terrains bon marché très éloignés des centres-villes et des centres industriels ; les municipalités tendent à construire – pour pallier à la crise du logement et à l'exode rural – des logements sociaux en périphérie des villes, à proximité des townships, donc tout autant éloignés des centres économiques).

Malgré tout, les zones résidentielles périphériques sont en cours d'amélioration (installation de l'électricité, réforme des transports publics en cours).


L'espace bâti à Johannesburg.
Philippe Gervais-Lambony, 2003, Territoires citadins. Quatre villes africaines,
Paris, Belin, coll.Mappemonde.


L'espace habité à Durban.
Hélène Mainet-Valleix, 2002, Durban. Les Indiens, leurs territoires, leur identité,
Paris, Karthala.



A lire sur des blogs :


Quelques articles en ligne :


Des émissions de radio :


Des ouvrages sur l'Afrique du Sud :
  • Myriam Houssay-Holzchuch, 2000, Mythologies territoriales en Afrique du Sud, Paris, CNRS Editions, coll. Espaces & Milieux, 104 p.
  • Philippe Gervais-Lambony, Frédéric Landy et Sophie Oldfields (dir.), 2003, Espaces arc-en-ciel. Identités et territoires en Afrique du Sud et en Inde, Paris, Karthala, 369 p.
  • Philippe Guillaume, 2001, Johannesburg. Géographies de l'exclusion, Paris, Karthala, 391 p.
  • Myriam Houssay-Holzschuch, 2000, Le Cap, ville sud-africaine. Ville blanche, vies noires, Paris, L'Harmattan, coll. Géographie et cultures, 276 p.
  • Hélène Mainet-Valleix, 2002, Durban. Les Indiens, leurs territoires, leur identité, Paris, Karthala, coll. Hommes et sociétés, 269 p.


2 commentaires:

mariesophie a dit…

Merci pour ce billet Bénédicte !!! mon 2e billet risque de faire doublon avec le tien... donc je vais le modifier... je vois que nous écoutons les mêmes émissions ;-)

Tratnjek Bénédicte a dit…

Il va falloir m'apprendre à insérer des podcasts dans mes posts !

A écouter donc sur le blog (toujours aussi passionnant !) Planète Vivante, les deux émissions de Planète Terre sur la question de l'Afrique du Sud, la ségrégation urbaine, les violences et les territoires :

http://planetevivante.wordpress.com/2010/06/10/lafrique-du-sud-au-dela-de-la-coupe-du-monde-2-segregation-urbaine-violences-et-territoires/