Les résultats du second tour des élections présidentielles en Côte d'Ivoire se font toujours attendre. L'attention des média est concentrée sur les villes symboles du Nord et du Sud de la Côte d'Ivoire, dans lesquelles les partisans de chacun des candidats font entendre leurs revendications quant à la proclamation des résultats des élections. Mais cette annonce ne suffira certainement pas à calmer la rue, qui risque de devenir le lieu de la contestation contre les résultats eux-mêmes, de la part des partisans du candidat perdant. Les deux candidats ont déjà dénoncés l'impossibilité pour leurs sympathisants de se rendre dans les bureaux de vote dès lors qu'ils vivent dans le fief électoral de l'autre candidat (voir le billet "Elections en Côte d'Ivoire : les lieux de la politique et les lieux de la violence" du 28 novembre 2010).
Les rues de Bouaké : une mise en scène de la contestation dans l'espace public
Ce jeudi 2 décembre au matin des manifestations ont eu lieu dans les rues de Bouaké, ville du Nord de la Côte d'Ivoire, en plein fief électoral d'Alassane Ouattara, ancien premier ministre et opposant à Laurent Gbagbo (candidat à sa succession dans ces élections présidentielles). "La ville de Bouaké, 800 000 habitants en 1998, ne se signale ni par un site original, ni par un capital historique particulier, ni par une situation économique favorable. Son déclin, accéléré par une longue décennie de crise, apparaît aujourd’hui consommé, démentant les perspectives prometteuses des années 1970. Peu festive et ostentatoire – contrairement aux villes côtières de la « rencontre coloniale » –, Bouaké est une de ces villes banales, nées d’un carrefour routier, au contact de deux espaces d’échanges complémentaires (forêt et savane). Elle est à la fois tournée vers l’extérieur et produite par l’extérieur : le pays baoulé, pour les relations de proximité et son approvisionnement alimentaire ; la capitale, pour toutes les décisions politiques. C’est une ville composite, cosmopolite même, où se côtoient deux ensembles majoritaires. Toutes nationalités confondues, les « côtiers » animistes et chrétiens (auxquels on peut adjoindre les Baoulé) représentaient environ 30 % de la population totale en 1988 contre près de 60 % pour les « nordistes » animistes et musulmans (Sénoufo, Dioula). Parallèlement, le recensement estimait à environ 40 % la population d’origine étrangère, burkinabè et malienne essentiellement (INS, 1988). La référence sociocommunautaire a longtemps prévalu sur la nationalité ou la religion comme ferment identitaire et signe de reconnaissance sociale, jusqu’à l’instrumentalisation récente du statut d’étranger par le débat sur l’ivoirité. C’est cette « différence » qui a organisé la distribution en quartiers « ethniques » relativement homogènes ou la cohabitation « paisible » au sein d’un même quartier. Très schématiquement, les quartiers septentrionaux (Dar-es-Salam, Sokoura, Koko, Belleville) regroupent plutôt des musulmans dioula, mandé et burkinabè, tandis que la partie méridionale (Ngattakro, Ahougniansou, Fetekro) possède de forts contingents baoulé et bété. Bouaké est donc la ville qui symbolise le mieux le débat politique actuel sur la nationalité, l’autochtonie, les rapports Nord/Sud. Dénuée de véritable fonction politique, Bouaké est presque entièrement consacrée aux échanges marchands dont elle tire l’essentiel de ses ressources. Ainsi, le grand marché, jusqu’à sa destruction par un incendie en avril 1998, a été l’un des principaux marqueurs de centralité. En réalité, l’activité marchande s’étend largement au-delà des anciennes maisons de commerce coloniales, gagnant l’ensemble des rues adjacentes, au point de perturber le trafic routier. Ici peut-être plus qu’ailleurs, routes et rues donnent à voir la société – les différentes communautés ou catégories d’acteurs mais également les individus – qui compose et façonne la ville. Mais c’est bien l’échelle moyenne du quartier ou du sous-quartier qui tend à devenir le véritable espace de vie et de référence du citadin. La proximité sociogéographique et le processus de socialisation individuelle (à la marge des structures communautaires) qu’un tel mode de vie impose constituent une forme particulière d’apprentissage de la cohabitation et de la différence" (Paul Janin, 2001, "Une géographie sociale de la rue africaine (Bouaké, Côte d'Ivoire)", Politique africaine, n°82, juin 2001, pp. 177-189). Comme le montre avec pertinence l'ensemble de l'article de Paul Janin, la rue de Bouaké a donc depuis des années un rôle de scène politique de la contestation contre le pouvoir en place et de mise en scène du soutien aux "rebelles" du Nord.
Les quartiers de Bouaké
Source : Paul Janin, 2001, "Une géographie sociale de la rue africaine (Bouaké,
Côte d'Ivoire)", Politique africaine, n°82, p. 189.
La rue est ainsi perçue comme une ressource mobilisable dans les revendications politiques. Espace de vie (voir à ce propos les travaux de la géographe Marie Morelle concernant la rue africaine ; voir également le numéro spécial "La rue" de la revue Tracés, n°5, 2004, notamment l'article d'Antoine Fleury : "La rue : un objet géographique ?"), la rue devient également un espace de mise en scène de la politique, à travers des formes aussi variée que les manifestations et les émeutes. "Les manifestations populaires ont transfiguré la rue et en ont fait l’exutoire de la protestation et de la colère. La rue s’est imposée progressivement comme un lieu d’expression politique, en dehors des procédures de vote" (Christophe Premat, 2004, "La « grogne du peuple »", Tracés, p. 13). La violence est à la fois un moyen utilisé dans cette mise en scène et une réponse sociale à une frustration vis-à-vis des décisions politiques (on se reportera à l'incontournable blog d'Alain Bertho, Anthropologie du présent, qui, en plus de fournir une base de données quotidienne exhaustive des émeutes de par le monde, propose par des textes et des vidéos une "ethnographie de la colère", par-delà les particularismes locaux qui sont souvent mis en avant dans les analyses sur les émeutes).
Affrontements entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara dans les rues d'Abidjan
A Abidjan, ville du Sud de la Côte d'Ivoire, en plein coeur du fief électoral de Laurent Gbagbo (certains quartiers sont directement contrôlés par sa milice, les Jeunes patriotes), des violences ont déjà éclatées avant le second tour : les émeutiers protestaient le 27 novembre 2010 contre le couvre-feu décrété par le président en place. Deux jours plus tôt, les affrontements opposaient les partisans des deux candidats au second tour, en marge d'un meeting de Laurent Gbagbo. Les violences liées aux élections ont touchées autant les quartiers populaires (comme le quartier de Marcory le 19 novembre 2010) que les quartiers riches (à Cocody le même jour, à proximité du bureau du PDCI qui a été mis à sac et brûlé). Aujourd'hui, une attaque à l'arme à feu contre un bureau du parti d'Alassane Ouattara (le RDP) a fait au moins 8 morts. Chacun se renvoie la responsabilité de telles attaques.
Abidjan est une ville symbole non seulement par son importante activité économique, par son poids démographique, mais aussi par sa fonction politique (bien que la ville ne soit plus la capitale de la Côte d'Ivoire, on y trouve de très nombreuses fonctions politiques de premier ordre). C'est également le géosymbole des affrontements intercommunautaires dans la mesure où Abidjan est une ville attractive pour toutes les populations de Côte d'Ivoire, tout comme pour l'ensemble des populations de l'Afrique de l'Ouest. C'est pourquoi les débats sur l'ivoirité sont si intenses à Abidjan où de nombreux "étrangers" s'entassent dans les bidonvilles (voir notamment le dossier "Côte d'Ivoire, la tentation ethnonationaliste" de la revue Politique africaine, n°78, juin 2000 ; et l'article de Christian Bouquet, 2003, "Le poids des étrangers en Côte d'Ivoire", Annales de géographie, vol. 112, n°630, pp. 115-145, dans lequel il explique notamment combien Abidjan est devenue une "caisse de résonance particulièrement sensible on compte près un million étrangers").
La population étrangère en Côte d'Ivoire
Source : Christian Bouquet, 2003, "Le poids des étrangers en Côte d'Ivoire",
Annales de géographie, vol. 112, n°630, p. 119.
=> Dans ce contexte de tensions dans l'attente des résultats des élections présidentielles, la rue est le lieu de l'expression de la contestation, voire de la révolte. Parallèlement, les hauts-lieux des partis politiques (tels que les bureaux des partis) sont attaqués en tant que géosymboles politiques.
5 commentaires:
L'information vient de tomber : Alassane Ouattara est déclaré vainqueur des élections présidentielles avec 54,1 % des votes, selon le site LCI/TF1. Le résultat n'a pas encore été validé par le Conseil institutionnel.
http://lci.tf1.fr/monde/afrique/cote-d-ivoire-l-opposant-ouattara-declare-vainqueur-6174676.html
Autre information : le Conseil institutionnel vient tout juste d'invalider les résultats donnant Alassane Ouattara vainqueur des élections.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/mireille-duteil/ouattara-une-victoire-contestee-02-12-2010-1270196_239.php
Bonjour,
Ce sont des réactions rapides de ce type qui ont favorisé le chaos en Côte d'Ivoire, notamment celles de la jeune UMPétiste qui aujourd'hui vit bien sa vie au chaud, tandis que nombre d'Ivoiriens tombent toujours, et fuient leur pays dans les brousses.
Aucune justice des Français ne ressort en constatant que leur pays au travers leur président fétiche, re-colonise idéologiquement et de manière guerrière l'Afrique en commençant par la CI.
Quand ce pays se sentira solidaire des peuples méprisés, que pourtant leurs chefs ont pour seuls objectifs ?
La Lybie doit sauter car Kadafi projetait la création de la Banque Africaine, faisant fi de ce foutu FMI, Banque mondiale, à l'image de ce qu'ont fait les pays d'Amérique Latine.
Bientôt le tour de Biya, avprès l'avoir plus que soutenu, votre pays France le nommera dictateur.
Ca saigne au Burkina, pourtant vos presses, n'en font pas écho car ce pays s'est rendu coupable de la destabilisation de la CI depuis 2002, en armant les rebelles de l'actuel gouverneur installé par la france dans ce pays.
Vous faîtes de la géographie, analysez les faits et portez un autre son de cloche à vos pairs.
Merci
Bonjour,
Ce sont des réactions rapides de ce type qui ont favorisé le chaos en Côte d'Ivoire, notamment celles de la jeune UMPétiste qui aujourd'hui vit bien sa vie au chaud, tandis que nombre d'Ivoiriens tombent toujours, et fuient leur pays dans les brousses.
Aucune justice des Français ne ressort en constatant que leur pays au travers leur président fétiche, re-colonise idéologiquement et de manière guerrière l'Afrique en commençant par la CI.
Quand ce pays se sentira solidaire des peuples méprisés, que pourtant leurs chefs ont pour seuls objectifs de soumettre ?
La Lybie doit sauter car Kadafi projetait la création de la Banque Africaine, faisant fi de ce foutu FMI, Banque mondiale, à l'image de ce qu'ont fait les pays d'Amérique Latine.
Bientôt le tour de Biya, après l'avoir plus que soutenu, votre pays France le nommera dictateur.
Ca saigne au Burkina, pourtant vos presses, n'en font pas écho car ce pays s'est rendu coupable de la destabilisation de la CI depuis 2002, en armant les rebelles de l'actuel gouverneur installé par la france dans ce pays.
Vous faîtes de la géographie, analysez les faits et portez un autre son de cloche à vos pairs.
Merci
Bonjour,
Il n'y a AUCUN parti pris dans mes billets, qu'ils soient consacrés à la Côte d'Ivoire, au Kosovo, au Liban ou encore à l'Afghanistan. Que ce soit un parti pris pour les situations internes (pour tel ou tel candidat présidentiel dans ce cas présent, mais au-delà pour tel ou tel discours), encore moins un parti pris pour telle ou telle position défendue par les hommes politiques français en matière de politique étrangère. Ce n'est pas mon propos, des analystes de science politique ou de relations internationales décryptent fort bien ces enjeux, les sites et blogs sur ces questions sont nombreux, riches et pour beaucoup très bien faits.
Mon propos n'est pas de prendre parti, mais bien de regarder des phénomènes et des discours, et d'essayer de montrer qu'ils ont des spatialités, que certains provoquent des processus de territorialisation, et de confronter cela à la quotidienneté des habitants. Les discours, les perceptions des acteurs comme des habitants sur leurs espaces de vie, ou encore des phénomènes (ici des violences post-électorales, mais cela peut tout aussi bien être l'existence de réseaux de solidarité, la présence d'acteurs externes comme les ONG, etc.) ont des conséquences dans la manière dont les acteurs politiques tout comme les habitants perçoivent et vivent leurs espaces. C'est là le propos de ce billet, tout comme de l'ensemble de ce blog. Il me semble que c'est un des points que peut apporter la géographie. Si l'on peut m'accuser de parti pris, il n'est pas politisé, mais c'est le choix éditorial de ce blog : c'est la géographie que j'ai envie de faire !
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