Sur son blog Anthropologie du présent, Alain Bertho nous apprend le déclenchement d'émeutes dans la ville de Mostar suite au match de football Angleterre-Croatie du mercredi 9 septembre 2009. Pour le contexte sportif, L'Equipe signale qu' "après la cinglante défaite de la Croatie contre l'Angleterre mercredi soir (1-5) dans les qualifications au Mondial 2010, des incidents ont eu lieu dans la partie croate de la ville de Mostar (l'autre étant à majorité musulmane), au sud de la Bosnie. Plusieurs hooligans ont blessé six policiers et trois personnes en leur lançant des bouteilles et autre projectiles, détruisant au passage les vitrines de nombreux magasins. La police a répliqué à coups de gaz lacrymogène, avant de finalement arrêter huit personnes, dont trois mineurs. Malgré ce revers, la sélection croate occupe la deuxième place du groupe 6 (17 pts), synonyme de barrage à seulement deux points de l'Ukraine (15 pts), les Anglais ayant assuré leur ticket (24 pts)" ("Hooligans croates en colère", L'Equipe, 10 septembre 2009). Passé le contexte particulier de la sélection pour le Mondial 2010, ce qui pourrait sembler n'être qu'une anecdote au sein des stades de football, marqué par des actes de violence au-delà du contexte balkanique, est en réalité révélateur de plusieurs questions quant à la violence dans le contexte de l'après-guerre et à la politisation des loisirs.
La question du "sport" est souvent analysée au regard de l'expression de tensions sociales et/ou identitaires entre supporters d'équipes différentes. On peut s'interroger sur le sens du sport accordé par la médiatisation de certains événements, en relation avec une violence politisée, telle celle que l'on observe aujourd'hui dans le football. Il n'est pas innocent de voir ces violences arriver dans la ville hautement symbolique de Mostar. Symbolique, du fait de sa division intercommunautaire, matérialisée par son pont, détruit pendant la guerre, et reconstruit, inauguré comme symbole de la réconcialiation, mais devenu au final peu fréquenté par les habitants qui contournent le territoire de "l'Autre" dans leurs pratiques spatiales quotidiennes. "Ainsi à Mostar, ville principale de l’Herzégovine et à ce titre revendiquée à la fois par les Croates et par les Musulmans. Mostar est une ville qui de longue date était divisée en un centre historique et touristique de population musulmane et des quartiers de la rive occidentale de la Neretva, avec leur propre centre-ville de population croate. Les affrontements entre Croates et Musulmans, pour la maîtrise de la ville ont abouti à la destruction par l’artillerie d’une grande partie du centre et de son quartier ancien et du pont qui en était le symbole. Depuis, le pont aussi bien que les bâtiments du centre ancien ont été reconstruits. Mais de très vastes bâtiments de l'époque austro-hongroise, à finalité administrative ou militaire, restent détruits avec leurs façades béantes, et les ruraux ont afflué. Aujourd'hui, la ville est majoritairement croate, mais le centre historique est musulman ou si l'on préfère bosniaque. En outre, la population a totalement changé : on estime que 60 % de l'ancienne population est partie : les Serbes, entre autres, ont quitté la ville" (Michel Sivignon, 2009, Les Balkans : une géopolitique de la violence, Belin, collection Mappemonde, Paris).
Le sport peut être un théâtre pour la mise en scène de discours politiques, notamment à travers sa forte médiatisation, qui permet de diffuser ce message politisé au plus grand nombre. Le lien entre culture de masse et médias fait donc de certains sports, tels que le football en Europe, des vecteurs privilégiés de discours politiques, mis en scène à travers des scènes de violence, telles les émeutes des hooligans ce mercredi 9 septembre 2009 à Mostar. Le stade est un lieu privilégié d'expression politique, et peut être mis en scène comme une arène de conflit, tout comme une arène de réconciliation. D'autres intérêts se jouent donc au-delà des résultats sportifs, et la forte médiatisation de certains sports en font des cibles privilégiées de cette transformation du sens du sport en un message politisé.
Le football a, par ailleurs, été utilisé par l'ONG Sports sans frontière ou par les militaires français déployés dans la ville de Mitrovica (comme dans d'autres lieux des Balkans) comme moyen de réconciliation des populations, en touchant principalement des enfants qui ne se connaissaient pas, ne se côtoyaient pas (habitant chacun sur une rive, dans leur quartier-territoire fortement connuanutarisé). Certes, ces actions sont très circonscrites dans l'espace et dans le temps, ainsi que dans le nombre d'habitants touchés. Elles n'intéressent d'ailleurs que peu les médias, et tentent avant tout de transmettre un "vivre ensemble" par le biais des valeurs du sport (telles que le fair-play) et d'une passion commune (le plaisir de jouer dépassant, par exemple, les barrières linguistiques qui opposent les enfants de Mitrovica, et empêchent des rencontres entre enfants serbes et albanais de la ville, les adultes oeuvrant pour que ne soit pas enseignée la langue de "l'Autre").
Le sport comme moyen de matérialiser le processus de réconciliation dans les Balkans, c'est également le projet récent de la Commission européenne qui organise un parcours cycliste le long du danube afin de favoriser le dialogue intercommunautaire dans la région balkanique (voir "La poudrière des Balkans à vélo", Le Courrier international, 8 septembre 2009). Plus que le fair-play, le vélo apporte ici une vitesse modérée qui permet aux participants de partager leur ressenti, leurs efforts, le paysage, et de se découvrir un patrimoine commun, qu'il serait absurde de menacer par des conflits qui éloignent des gens finalement très proches.
Le sport entretient un lien très étroit avec la politique, dans la mesure où l'engoument des populations pour tel ou tel sport peut lui octroyer un puissant rôle de vecteur culturel et identitaire. Il n'est pas anecdotique que les victoires des sportifs soient ressenties avec un sentiment national, que les sportifs puissent recevoir des distinctions et des honneurs de l'Etat... Si certains jeux traduisent des enjeux géopolitiques sur leurs plateux, les sports peuvent eux devenir des plateaux de jeux pour l'expression d'enjeux politiques, sociaux et identitaires. Le terrain de sport devenant ainsi un terrain d'action pour des acteurs déstabilisateurs comme pour les acteurs de la (ré)conciliation, dans la mesure où le sport, en tant que loisir de masse, permet une mise en scène d'enjeux politiques.
A écouter : les interventions de Pascal Boniface sur France Info, qui, dans le contexte des Jeux olympiques de Pékin, est revenu sur différents aspects de la géopolitique du sport actuelle et passée.
A retrouver :une bibliographie sur "Sport : jeux et enjeux", qui sert de première base pour tous ceux qui s'intéressent aux liens entre sport et politique.
A noter que la revue Politique africaine prépare un numéro spécial "Football et politique en Afrique" à paraître en juin 2010 : "La Coupe du monde de football, qui se jouera en 2010 en Afrique du Sud, est annoncée comme un moment important pour l’Afrique du Sud et pour l’ensemble du continent. Elle est présentée comme une alternative audacieuse à l’afro-pessimisme, qui devrait replacer « l’Afrique » au cœur de la scène internationale. À travers cet événement, la FIFA et les organisateurs entendent célébrer explicitement « l’humanité » de l’Afrique, personnifiée par Zakumi, la mascotte de 2010 qui « symbolise les valeurs de l’Afrique du Sud et du reste du continent africain : confiance en soi, fierté, hospitalité, accueil chaleureux et sociabilité. » Au-delà de cette vision officielle, la Coupe du monde 2010 dévoile de multiples enjeux et significations politiques sur lesquels ce dossier se propose de revenir".
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