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mercredi 30 septembre 2009

Cartographie et art de la guerre



Une photographie parue dans Le Figaro du 14 septembre 2009 illustrant l'article "Comment Ben Laden échappe à la CIA". Si la carte thématique peut être conçue et utilisée comme un discours dans les relations politico-identitaires, cette ancienne photographie (datant d'avril 1998) est particulièrement démonstrative de l'utilité de la cartographie dans l'art de la guerre. La parfaite connaissance du terrain est un grand avantage dans la conduite d'opérations militaires, et requiert des informations tant sur l'environnement physique (topographie, géomorphologie, hydrologie, biogéographie, climatologie...) que sur l'environnement humain (hauts-lieux de la contestation, hauts-lieux de la violence, hauts-lieux de l'insécurité, hauts-lieux de l'instabilité... le tout relié selon des réseaux multiscalaires complexes). La production de cartes thématiques reste donc une priorité tant dans la conduite de la guerre que dans les opérations de maintien ou d'imposition de la paix. Il ne s'agit pas seulement de savoir se repérer, mais également de savoir repérer les autres acteurs dans la ville. Il s'agit également d'avoir au minimum les mêmes informations que les autres acteurs, au mieux d'en disposer de plus nombreuses, et de meilleures qualités. La cartographie fait donc partie intégrante du renseignement militaire, dans la mesure où elle permet d'appréhender les lieux et les hommes dans toute intervention militaire, tout particulièrement dans le cas de guerres urbaines. A ce propos, l'historien Jean-Louis Dufour et le géographe Philippe Boulanger relèvent combien le manque de cartes ou leur ancienneté sont des désavantages qui n'ont cessé d'être décisifs dans des guerres aux modalités, aux technologies et aux enjeux différents.




Les leçons de la guerre de 1870-1871 :

"En juillet 1870, Napoléon III conduit la France dans la première guerre avec l'Allemagne depuis 1815. Malgré une structure d'organisation presque semblable, les forces sont inégales et les combats d'août-septembre 1870 aboutissent à la défaite. L'impact de cet échec conduit, d'abord, à réfléchir sur ses causes. Or l'une d'entre elles met en cause directement l'absence de connaissances générales en géographie et d'un appareil cartographique précis de la France destiné aux états-majors. Durant les différentes campagnes déroulées sur le territoire français, l'instruction géographique des officiers s'est révélée insuffisante, notamment pour exploiter certains avantages tactiques et stratégiques du terrain. La réflexion géographique, limitée pratiquement au seul ouvrage de Théophile Lavallée, dont la première édition date de 1840, n'est pas renouvelée à la veille de la guerre. L'emploi des cours d'eau, des chaînes de montagne comme la lecture des paysages dans la tactique ne sont pas véritablement approfondis alors que la géographie militaire est considérée comme un fondement de l'instruction militaire des officiers en Allemagne. La connaissance du terrain devient indispensable dans le combat à l'heure où la conduite de la guerre mplique de nouvelles technologies (l'armement et les chemins de fer) et des armées de masse.

Parallèlement, l'efficacité de la section du service géographie au dépôt de la guerre est mise en cause contrairement à celle de l'armée allemande qui dispose d'un appareil de cartographie beaucoup plus développé, de sorte qu'une meilleure connaissance du terrain joue en sa faveur. Au déclenchement de la guerre, l'armée française ne dispose d'aucun approvisionnement en cartes topographiques adaptées à ses besoins, utilisant parfois des cartes allemandes du territoires français. L'idée que la guerre pouvait se produire aussi profondément sur son propre territoire n'avait pas été jusqu'alors envisagée au point de n'avoir pas renouvelé entièrement la cartographie de l'espace national. La guerre de 1870-1871 révèle ainsi de graves conséquences. Les difficultés du commandement liées à un manque d'informations géographiques, l'inefficacité d'un service géographique dans des situations de crises conduisent à une remise en cause globale de la pensée géographique au sein de l'armée. Cet aspect de la guerre est suffisamment important pour que, plusieurs années plus tard, le romancier Emile Zola relève ces aspects majeurs. Dans La Débâcle, dix-neuvième roman de la série des Rougon-Macquart, publié en feuilleton de février à juillet 1982 dans la Vie populaire, l'écrivain relate les difficultés rencontrées par les officiers français. "Comment voulez-vous qu'on se batte dans un pays qu'on ne connaît pas" s'exclame le général Burgain-Desfeuilles, disposant de cartes de l'Allemagne, mais d'aucune de la France. Le manque de préparation est affligeant pour l'armée française, dénonce Zola, dans la retraite d'Alsace qui la conduit vers Sedan. A défaut de cartes, "il [le général] ne lui restait plus que son courage". Les leçons de la défaite contribuent de fait à valoriser la géographie militaire non sans imiter le modèle allemand qui avait conduit à la victoire."

Philippe BOULANGER, 2006, Géographie militaire, Ellipses, coll. Carrefours Les Dossiers, Paris, pp. 14-15. Voir, pour plus de détails, son ouvrage La Géographie militaire française (1871-1939), Economica, coll. Bibliothèque stratégique, Paris 620 p.




Géographie urbaine, défense et guerre

"La préparation à la guerre impose une étude détaillée et approfondie des terrains où les armées sont susceptibles de s'affronter. Cette réflexion doit s'appuyer sur une connaissance approfondie de la géographie, là où, comme le disait Napoléon, réside "la politique des Etats".

Il faut savoir apprécier les formes du terrain, les zones favorables aux attaques (plaines, vallées, espaces dégagés), celles plus propices à un combat défensif (montagnes, bocages et tout mouvement de terrain qui tranche avec la plaine alentour). L'étude de la carte permet de calculer la vitesse des déplacements en fonction certes des moyens de transport utilisés, mais aussi de la végétation, des obstacles naturels et des dénivelés. La connaissance des climats oriente l'habillement des troupes ; elle précise les limites à ne pas franchir en matière de résistance des hommes au froid, à la chaleur, à la soif ; elle indique aux responsables les périodes les plus propices aux opérations. La topographie, enfin, permet au chef d'identifier telle ou telle forme du terrain, fleuve, mammelon, agglomération. Ne pas se perdre à la guerre est une condition fondamentale du succès des armes.

Mais la géographie militaire pèche d'ordinaire par son désintérêt pour les villes. Les plans d'opération préfèrent geler, si c'est possible, la moindre agglomération, considérée depuis les temps modernes comme un sanctuaire. Les écoles militaires s'installent à la campagne. Ces établissements célèbrent dans leurs brochures l'étendue de leurs terrains, la diversité des paysages, la rusticité de leurs campagnes. Débarquant à Beyrouth, le 23 août 1982, le contingent français de la force multinationale, composé de deux régiments (1.500 hommes), est muni d'un unique plan de Beyrouth, sous forme d'une médiocre photocopie. Aujourd'hui encore, les conurbations font rarement partie des dossiers d'objectifs à établir en priorité.

Bien souvent, la guerre modèle la ville pour avoir orienté ses plans, puis ses transformations successives. En outre, pour assurer leur sécurité, les Etats ont longtemps trouvé judicieux de jalonner les itinéraires d'invasion de places fortifiées, souvent liées à l'existence de villes, plus ou moins importantes, mais dont la résistance prolongée pouvait garantir le salut de leur pays."

Jean-Louis DUFOUR, 2002, La guerre, la ville et le soldat, Odile Jacob, Paris, pp. 37-38.


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