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mercredi 8 décembre 2010

Soutenance de thèse : "La ruse et la force dans le discours de la guerre" (Jean-Vincent Holeindre)

Jean-Vincent Holeindre soutiendra sa thèse doctorat de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, intitulée Le renard et le lion. La ruse et la force dans le discours de la guerre, le lundi 13 décembre à 14h00 à la Maison des sciences de l'homme (54, bd. Raspail Paris 6ème arrondissement), en salle 214 (2e étage).


Résumé par l'auteur :
Cette thèse étudie la dialectique de la ruse et de la force dans le discours de la guerre en se fondant sur une démarche généalogique. L’enquête remonte aux origines grecques, romaines, hébraïques et chrétiennes de la pensée stratégique, puis examine la manière dont le savoir militaire de la ruse a pénétré la science politique (Machiavel), le droit de la guerre (Grotius) et la stratégie (Clausewitz) à l’époque moderne. Se déploie une histoire longue de la pensée stratégique qui inclut de manière systématique l’apport de la ruse. Cette généalogie nous conduit à réfuter la thèse d’un « modèle occidental de la guerre » (V. D. Hanson) exclusivement fondé sur la force et qui s’opposerait à la ruse « orientale ». En réalité, la dénonciation de la ruse ennemie est un élément du discours de la « guerre juste » hérité des Romains, qui agit comme un puissant instrument de légitimation de la force. Considérer l’ennemi comme un combattant rusé et « perfide », c’est faire apparaître par contraste sa propre armée comme le symbole de la force légitime. Sur le plan politico-militaire, la ruse et la force constituent des données essentielles et inséparables d’une grammaire stratégique commune à l’ensemble des cultures. Elles sont complémentaires au plan tactique, stratégique et politique, la ruse étant à la fois un procédé qui multiplie les effets de la force et une forme majeure de l’intelligence stratégique. La thèse ouvre sur une étude des formes contemporaines de la guerre (interétatique, irrégulière, interne) : sur la scène guerrière, la ruse constitue, aux côtés de la force, une ressource pour attaquer et se défendre, employée aussi bien par les « forts » que par les « faibles ».




dimanche 5 décembre 2010

Soutenance de thèse : "Terrains de géographes, géographes de terrain" (Yann Calbérac)

Yann Calbérac (voir son site) soutiendra sa thèse de géographie, intitulée Terrains de géographes, géographes de terrain. Communauté et imaginaire disciplinaires au miroir des pratiques de terrain des géographes français du XXe siècle, le lundi 13 décembre 2010, à partir de 9h00, à l'Institut des Sciences de l'Homme (ISH) de Lyon, salle Marc Bloch (4° étage).




Résumé par l'auteur :
Cette thèse interroge les représentations que les géographes français du XXe siècle se font de leurs activités de recherche en explorant les multiples significations que recouvre pour eux le terrain, et notamment la place qu’il occupe dans les dispositifs heuristiques et dans l’imaginaire disciplinaire. Cette recherche entend appliquer à l’histoire de la géographie les approches et les méthodes de la sociologie des sciences. Tout au long de la période, le terrain constitue un ordre du discours dominant qui structure durablement les représentations et les pratiques : face aux lectures inspirées par la théorie des révolutions scientifiques, cette thèse met au contraire en lumière la stabilité des discours. La « crise de la géographie » qui désigne la période de doutes que traverse la discipline durant les années 1960 et 1970 apparaît alors davantage comme une mutation des discours et non comme un changement radical des pratiques. Ce changement de focale sur l’histoire de la discipline oblige donc à repenser les cadres avec lesquels l’écrire : le terrain – envisagé comme un « objet scientifique total » – constitue alors une entrée pertinente pour appréhender la géographie dans son ensemble, c’est-à-dire à la fois ses contenus, ses méthodes, ses finalités et ses acteurs.


Soutenance de thèse : "Les espaces hydropolitiques de l'Afrique australe" (Agathe Maupin)

Agathe Maupin soutiendra sa thèse de géographie, intitulée Les espaces hydropolitiques de l'Afrique australe. Le risque hydropolitique dans les politiques de gestion de l'eau des bassins transfrontaliers, le vendredi 10 décembre 2010 à partir de 13h45, dans l'amphithéâtre de La Maison des Suds sur le campus de l'Université Bordeaux 3 (Pessac).


Ses travaux sur l'hydropolitique en Afrique australe se fondent sur des recherches empiriques menées au Mozambique, en Afrique du Sud, au Botswana, au Lesotho, au Swaziland, en Namibie, en Zambie, au Zimbabwe, au Mozambique, et au Malawi. Si l'hydropolitique est un concept particulièrement étudié en science politique et en relations internationales, l'approche spatiale convoquée dans cette thèse en font une démarche originale qui vient compléter la vaste littérature sur la question de la gestion de l'eau entre compétitions, rivalités et coordinations entre les acteurs, qu'ils agissent à l'échelle locale, nationale, régionale, voire internationale. 


samedi 4 décembre 2010

Thème du mois sur AGS : les énergies, un enjeu géopolitique ?

Un thème du mois "classique" qui ne cesse de faire couler beaucoup d'encre. "Guerre du pétrole", "développement durable", "interdépendance énergétique", les énergies sont un des enjeux géopolitiques les plus importants en ce début du XXIème siècle. Un thème qui concerne tous les territoires et toutes les échelles : la course pour l'appropriation des ressources énergétiques se traduit autant dans les enjeux diplomatiques, dans la compétition économique, dans l'aménagement du territoire national, dans les luttes armées...

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"Puisque toute activté humaine fait appel à une consommation d'énergie, la maîtrise de cette dernière a toujours été un enjeu pour les sociétés. Cela est plus vrai que jamais car les sources disponibles sont de plus en plus variées et les facteurs de choix à prendre en compte de plus en plus nombreux" (Michel Battiau, 2008, L'énergie. Un enjeu pour les sociétés et pour les territoires, Ellipses, collection Carrefours, p. 23).

Dans une économie mondialisée où la préoccupation pour la préservation des ressources énergétiques et de l'environnement devient une question majeure, la hausse des cours du pétrole et la peur d'un troisième choc pétrolier cachent de nombreux enjeux tels que le besoin pour les puissances de diversifier leur approvisionnement (tant du point de vue des territoires d'approvisionnement que des types de ressources énergétiques). Le thème du mois se propose d'éclairer ces enjeux, les zones de tension pour l'appropriation des resources énergétiques, les impacts dans les relations internationales, et les liens entre géopolitique et développement durable.


Une géopolitique des énergies
Si la question des énergies est souvent réduite à la seule géopolitique du pétrole, il n'en reste pas moins que l'ensemble des ressources énergétiques forme aujourd'hui un système complexe qui se traduit dans les sociétés et les territoires. Les ressources énergétiques sont inégalement réparties à l'échelle du monde, d'où des rivalités de pouvoir entre les puissances qui tentent de s'approprier des ressources dans des Etats tiers. La présence chinoise en Afrique est souvent analysée au prisme de la consommation énergivore de cet Etat en pleine croissance industrielle et urbaine. La place des Etats-Unis sur la scène internationale est souvent liée à leur volonté de diversifier les lieux d'approvisionnement en pétrole et en gaz naturel, et à se rendre le moins dépendant possible de certaines sources d'approvisionnement. Le Moyen-Orient est une zone stratégique de première importance, du fait de son poids dans l'extraction de pétrole. A l'opposé, des Etats qui ont des productions plus réduites se voient devenus les "terrains de jeux" des grandes puissances qui s'y disputent les ressources, soit par le biais de firmes internationales, soit par le biais d'une implication dans la vie politique interne. Derrière l'hégémonie du Moyen-Orient, d'autres zones deviennent des enjeux pour les Etats qui tentent de diversifier leurs approvisionnements : l'Afrique, l'Amérique latine, la région autour de la Caspienne, l'Arctique (avec le développement de la part de la production de pétrole et de gaz off-shore) sont des régions où l'implication des pays étrangers et leurs rivalités sont liées à la présence de ces ressources. La question des énergies renouvelables est aussi un enjeu géopolitique : elle creuse des inégalités entre ceux qui peuvent y accéder et ceux qui ne le peuvent pas. Ces inégalités se traduisent autant à l'échelle du monde (entre les pays) comme à l'échelle locale (à l'intérieur des pays, se dessinent une géographie des inégalités sociospatiales). Quelles sont les zones de production et de consommation majeures ? Qui sont les acteurs qui pèsent sur ces rivalités de pouvoir ? Comment la place majeure du pétrole est-elle remise en cause par l'émergence des énergies renouvelables ? Quelles sont les routes à privilégier dans l'approvisionnement des ressources ? Les questions énergétiques restent un défi primordial pour l'avenir, autant dans la diversification des sources d'approvisionnement et des formes d'énergies, que dans la recherche de nouveaux modes de consommation plus économes en énergie.



La consommation d'énergie dans le monde en 2004
Source : Yvette Veyret et Gérard Granier, "Développement durable, quels enjeux
géographiques ?", La Documentation photographique, n°8053, 2006.
la-consommation-energetique-dans-le-monde-en-2004




 La "guerre des énergies" n'aura pas lieu ?
La question de la maîtrise des ressources énergétiques est un enjeu sécuritaire majeur. Les Etats-Unis, la Chine ou la Russie ont des stratégies énergétiques qui entrent en concurrence, tandis que les pays producteurs doivent se protéger pour conserver la maîtrise de leurs ressources. Une géographie des territoires "utiles" se dessine, laissant apparaître des tensions politiques et diplomatiques. Plus encore, les énergies sont un facteur aggravant dans les conflits armés : la présence d'hydrocarbures peut attiser les intérêts des belligérants dans certaines zones des territoires en guerre, ou accentuer les convoitises des acteurs extérieurs. Si les média parlent souvent de "guerre du pétrole", cette expression mérite d'être interrogée (au même titre d'ailleurs que les "guerres de l'eau" ou les "guerres de religions") : le pétrole est-il un facteur déclencheur ou un facteur aggravant de ces conflits ? Dans quelle mesure la présence des hydrocarbures accentuera à l'avenir la conflictualité dans certaines régions du monde ? Du conflit irakien à la présence chinoise en Afrique et en Amérique latine, de la déstabilisation des "routes des hydrocarbures" dans le Caucase au poids des Etats-Unis dans les échanges énergétiques mondiaux, les exemples à analyser sont nombreux pour comprendre les liens entre énergies, sécurité et conflictualité.

 
Les énergies et le développement durable
La géopolitique du développement durable est une question de plus en plus prégnante dans nos sociétés comme sur la scène politique internationale. Les énergies sont souvent au coeur de ses débats, notamment en termes de consommation. Pourtant, les transports de ces énergies d'une zone de production à une zone de production consomment eux-mêmes de grandes quantités d'énergies. Les énergies sont également sources de risques : catastrophes industrielles (comme l'explosion d'une citerne de gaz de pétrole liquéfié à Mexico en 1984 qui fit 500 morts et 7.000 blessés), risques environnementaux (notamment autour de la question des déchets nucléaires), impacts sur la nature de la construction de barrages hydroélectriques (l'exemple du barrage des Trois Gorges en Chine est emblématique des conséquences de l'ennoiement de 632 km², du déplacement d'1,4 millions de personnes, ou du besoin de reconstruire 20 villes pour reloger les habitants), sources de pollutions (pluies acides, pollution de l'air, pollution des sols...). Face à ces risques, la réglementation n'est pas toujours suffisante, parfois même inexistante. La maîtrise des risques se joue autant à l'échelle mondiale (droit de la mer) qu'à l'échelle nationale (Grenelle de l'environnement). En quoi les énergies sont aujourd'hui un enjeu prioritaire dans la maîtrise et la protection de l'environnement ? Par-delà les questions techniques, il s'agit aussi de rivalités entre des acteurs qui défendent des intérêts différents, entre protection de l'environnement et lobbying industriel, entre objectifs et réalités.


Quels choix énergétiques ? Flux mondiaux et décentrement énergétiqueSource : Site "Cartographier le présent".
Quel choix énergétique ?


Ces quelques interrogations sont loin d'épuiser le sujet des énergies comme enjeu géopolitique, sécuritaire et environnemental ! N'hésitez pas à participer au débat par le biais des commentaires, ou en nous proposant vos contributions, qui seront lues attentivement !


vendredi 3 décembre 2010

Côte d'Ivoire : résultats invalidés et fermeture des frontières

Dans son blog Good morning Afrika, Sonia Le Gouriellec analyse le statut et la composition du Conseil constitutionnal ivoirien, en montrant combien l'impartialité de cette institution - qui a invalidé les résultats des élections présidentielles à peine une heure et demie après l'annonce de la victoire d'Alassane Ouattara, opposant de Laurent Gbagbo - doit être remise en question ("Le conseil constitutionnel ivoirien acquis à Gbagbo", Good morning Afrika, 3 décembre 2010). En invalidant la victoire d'Alassane Ouattara, cette commission pourrait proclamer le président sortant, Laurent Gbagbo, qui n'a obtenu que 45,9 % des votes, vainqueur, ce qui pourrait amener une très grave crise politique et sociale dans le pays. Aujourd'hui, c'est l'incertitude politique qui règne en Côte d'Ivoire. La tension est extrême dans les rues des villes ivoiriennes (voir le billet "Côte d'Ivoire : des manifestations pour réclamer les résultats des élections aux violences d'après-résultats ?" sur ce blog), tout comme aux frontières du pays. C'est pourquoi, la décision a été prise de fermer les frontières.


Fermeture des frontières en Côte d'Ivoire et risques de déstabilisation politique

Dans la soirée du jeudi 2 décembre 2010, l'état-major ivoirien a annoncé à la télévision publique la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes "jusqu'à nouvel ordre", au moins tant que règne la confusion autour des résultats des élections présidentielles. Cette décision implique que peu d'observateurs et d'humaintaires étrangers pourront entrer en Côte d'Ivoire dans les prochains jours. De plus, les mobilités sont contrôlées à l'intérieur du pays, afin d'éviter des soulèvements, et notamment l'arrivée massive de partisans d'Alassane Ouattara à Abidjan, en cas d'invalidation des résultats le donnant gagnant par le Conseil constitutionnel. Les risques de déstabilisation politique se sont donc accrus avec l'attente de cette décision.
Aucun des deux camps n'est prêt à accepter la défaite, qu'il s'agisse des candidats eux-mêmes ou de leurs partisans (voir "Côte d'Ivoire. Personne n'acceptera la défaite", Courrrier international, n°1048, 2 décembre 2010). Parallèlement à la fermeture des frontières, une autre décision a été prise : la suspension des médias. Cette décision, justifiée par le besoin de ne pas empirer les contestations et les tensions entre les deux camps, est aussi un moyen de contrôler l'information et de ne pas laisser les Ivoiriens maîtres de leur vote. Enfin, avec ces résultats, apparaissent non pas une, mais deux Côte d'Ivoire qui semblent prêtes à s'affronter par le biais des partisans des deux candidats présidentiels. Il est important de rappeler que cette division Nord/Sud du pays n'est pas nouvelle : la partition de la Côte d'Ivoire se lit dans la géographie électorale, et pas seulement dans le cas des élections présidentielles de 2010. A ce titre, l'ouvrage de Christian Bouquet, Géopolitique de la Côte d'Ivoire, décrypte l'inscription spatiale des comportements électoraux, qui mettent en scène une division Nord/Sud, déjà lors des élections présidentielles de 2000, qui laissaient également apparaître une division entre un Sud pro-Gbagbo et un Nord anti-Gbagbo.


Résultats de lélection présidentielle du 22 octobre 2000
Source : Christian Bouquet, "La crise ivoirienne par les cartes",
Géoconfluences, 4 juin 2007.

jeudi 2 décembre 2010

Côte d'Ivoire : des manifestations pour réclamer les résultats des élections aux violences d'après-résultats ?

Les résultats du second tour des élections présidentielles en Côte d'Ivoire  se font toujours attendre. L'attention des média est concentrée sur les villes symboles du Nord et du Sud de la Côte d'Ivoire, dans lesquelles les partisans de chacun des candidats font entendre leurs revendications quant à la proclamation des résultats des élections. Mais cette annonce ne suffira certainement pas à calmer la rue, qui risque de devenir le lieu de la contestation contre les résultats eux-mêmes, de la part des partisans du candidat perdant. Les deux candidats ont déjà dénoncés l'impossibilité pour leurs sympathisants de se rendre dans les bureaux de vote dès lors qu'ils vivent dans le fief électoral de l'autre candidat (voir le billet "Elections en Côte d'Ivoire : les lieux de la politique et les lieux de la violence" du 28 novembre 2010).



Les rues de Bouaké : une mise en scène de la contestation dans l'espace public

Ce jeudi 2 décembre au matin des manifestations ont eu lieu dans les rues de Bouaké, ville du Nord de la Côte d'Ivoire, en plein fief électoral d'Alassane Ouattara, ancien premier ministre et opposant à Laurent Gbagbo (candidat à sa succession dans ces élections présidentielles). "La ville de Bouaké, 800 000 habitants en 1998, ne se signale ni par un site original, ni par un capital historique particulier, ni par une situation économique favorable. Son déclin, accéléré par une longue décennie de crise, apparaît aujourd’hui consommé, démentant les perspectives prometteuses des années 1970. Peu festive et ostentatoire – contrairement aux villes côtières de la « rencontre coloniale » –, Bouaké est une de ces villes banales, nées d’un carrefour routier, au contact de deux espaces d’échanges complémentaires (forêt et savane). Elle est à la fois tournée vers l’extérieur et produite par l’extérieur : le pays baoulé, pour les relations de proximité et son approvisionnement alimentaire ; la capitale, pour toutes les décisions politiques. C’est une ville composite, cosmopolite même, où se côtoient deux ensembles majoritaires. Toutes nationalités confondues, les « côtiers » animistes et chrétiens (auxquels on peut adjoindre les Baoulé) représentaient environ 30 % de la population totale en 1988 contre près de 60 % pour les « nordistes » animistes et musulmans (Sénoufo, Dioula). Parallèlement, le recensement estimait à environ 40 % la population d’origine étrangère, burkinabè et malienne essentiellement (INS, 1988). La référence sociocommunautaire a longtemps prévalu sur la nationalité ou la religion comme ferment identitaire et signe de reconnaissance sociale, jusqu’à l’instrumentalisation récente du statut d’étranger par le débat sur l’ivoirité. C’est cette « différence » qui a organisé la distribution en quartiers « ethniques » relativement homogènes ou la cohabitation « paisible » au sein d’un même quartier. Très schématiquement, les quartiers septentrionaux (Dar-es-Salam, Sokoura, Koko, Belleville) regroupent plutôt des musulmans dioula, mandé et burkinabè, tandis que la partie méridionale (Ngattakro, Ahougniansou, Fetekro) possède de forts contingents baoulé et bété. Bouaké est donc la ville qui symbolise le mieux le débat politique actuel sur la nationalité, l’autochtonie, les rapports Nord/Sud. Dénuée de véritable fonction politique, Bouaké est presque entièrement consacrée aux échanges marchands dont elle tire l’essentiel de ses ressources. Ainsi, le grand marché, jusqu’à sa destruction par un incendie en avril 1998, a été l’un des principaux marqueurs de centralité. En réalité, l’activité marchande s’étend largement au-delà des anciennes maisons de commerce coloniales, gagnant l’ensemble des rues adjacentes, au point de perturber le trafic routier. Ici peut-être plus qu’ailleurs, routes et rues donnent à voir la société – les différentes communautés ou catégories d’acteurs mais également les individus – qui compose et façonne la ville. Mais c’est bien l’échelle moyenne du quartier ou du sous-quartier qui tend à devenir le véritable espace de vie et de référence du citadin. La proximité sociogéographique et le processus de socialisation individuelle (à la marge des structures communautaires) qu’un tel mode de vie impose constituent une forme particulière d’apprentissage de la cohabitation et de la différence" (Paul Janin, 2001, "Une géographie sociale de la rue africaine (Bouaké, Côte d'Ivoire)", Politique africaine, n°82, juin 2001, pp. 177-189). Comme le montre avec pertinence l'ensemble de l'article de Paul Janin, la rue de Bouaké a donc depuis des années un rôle de scène politique de la contestation contre le pouvoir en place et de mise en scène du soutien aux "rebelles" du Nord.

Les quartiers de Bouaké
Côte d'Ivoire)", Politique africaine, n°82, p. 189.


La rue est ainsi perçue comme une ressource mobilisable dans les revendications politiques. Espace de vie (voir à ce propos les travaux de la géographe Marie Morelle concernant la rue africaine ; voir également le numéro spécial "La rue" de la revue Tracés, n°5, 2004, notamment l'article d'Antoine Fleury : "La rue : un objet géographique ?"), la rue devient également un espace de mise en scène de la politique, à travers des formes aussi variée que les manifestations et les émeutes. "Les manifestations populaires ont transfiguré la rue et en ont fait l’exutoire de la protestation et de la colère. La rue s’est imposée progressivement comme un lieu d’expression politique, en dehors des procédures de vote" (Christophe Premat, 2004, "La « grogne du peuple »", Tracés, p. 13). La violence est à la fois un moyen utilisé dans cette mise en scène et une réponse sociale à une frustration vis-à-vis des décisions politiques (on se reportera à l'incontournable blog d'Alain Bertho, Anthropologie du présent, qui, en plus de fournir une base de données quotidienne exhaustive des émeutes de par le monde, propose par des textes et des vidéos une "ethnographie de la colère", par-delà les particularismes locaux qui sont souvent mis en avant dans les analyses sur les émeutes).


Affrontements entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara dans les rues d'Abidjan
A Abidjan, ville du Sud de la Côte d'Ivoire, en plein coeur du fief électoral de Laurent Gbagbo (certains quartiers sont directement contrôlés par sa milice, les Jeunes patriotes), des violences ont déjà éclatées avant le second tour : les émeutiers protestaient le 27 novembre 2010 contre le couvre-feu décrété par le président en place. Deux jours plus tôt, les affrontements opposaient les partisans des deux candidats au second tour, en marge d'un meeting de Laurent Gbagbo. Les violences liées aux élections ont touchées autant les quartiers populaires (comme le quartier de Marcory le 19 novembre 2010) que les quartiers riches (à Cocody le même jour, à proximité du bureau du PDCI qui a été mis à sac et brûlé). Aujourd'hui, une attaque à l'arme à feu contre un bureau du parti d'Alassane Ouattara (le RDP) a fait au moins 8 morts. Chacun se renvoie la responsabilité de telles attaques.

Abidjan est une ville symbole non seulement par son importante activité économique, par son poids démographique, mais aussi par sa fonction politique (bien que la ville ne soit plus la capitale de la Côte d'Ivoire, on y trouve de très nombreuses fonctions politiques de premier ordre). C'est également le géosymbole des affrontements intercommunautaires dans la mesure où Abidjan est une ville attractive pour toutes les populations de Côte d'Ivoire, tout comme pour l'ensemble des populations de l'Afrique de l'Ouest. C'est pourquoi les débats sur l'ivoirité sont si intenses à Abidjan où de nombreux "étrangers" s'entassent dans les bidonvilles (voir notamment le dossier "Côte d'Ivoire, la tentation ethnonationaliste" de la revue Politique africaine, n°78, juin 2000 ; et l'article de Christian Bouquet, 2003, "Le poids des étrangers en Côte d'Ivoire", Annales de géographie, vol. 112, n°630, pp. 115-145, dans lequel il explique notamment combien Abidjan est devenue une "caisse de résonance particulièrement sensible on compte près un million étrangers").


La population étrangère en Côte d'Ivoire
Source : Christian Bouquet, 2003, "Le poids des étrangers en Côte d'Ivoire",
Annales de géographie, vol. 112, n°630, p. 119.



=> Dans ce contexte de tensions dans l'attente des résultats des élections présidentielles, la rue est le lieu de l'expression de la contestation, voire de la révolte. Parallèlement, les hauts-lieux des partis politiques (tels que les bureaux des partis) sont attaqués en tant que géosymboles politiques.