Géopolitique de la Côte d'Ivoire (Christian Bouquet)

La 2ème édition de Géopolitique de la Côte d'Ivoire de Christian Bouquet (Armand Colin, collection Perspectives géopolitiques, Paris, 1ère édition 2005, 315 pages) vient de paraître. L'occasion de présenter ici cet ouvrage qui présente les principaux aspects des crises politiques et économiques de la Côte d'Ivoire, à travers une analyse de géopolitique et de géographie du politique. Christian Bouquet est professeur de géographie à l'Université Bordeaux 3. Spécialiste de géographie politique et de géographie du développement, il a une profonde connaissance de l'Afrique subsaharienne. Ses recherches actuelles portent essentiellement sur les rapports entre la mondialisation et le creusement des inégalités. A signaler son article passionnant et très démonstratif sur Géoconfluences consacré à "La crise ivoirienne par les cartes" dans le dossier "Afrique subsaharienne : territoires et conflits" (les cartes présentées dans cette note sont extraites de cet article). Un article éclairé par les nombreuses cartes qui retracent les enjeux de la crise en Côte d'Ivoire. A la veille d'élections présidentielles qui se font attendre depuis maintenant 3 ans, la (re)lecture de l'ouvrage Géopolitique de la Côte d'Ivoire, particulièrement centré sur les questions électorales, semble propice pour comprendre les enjeux internes de ce pays "sous tension".

L'ouvrage Géopolitique de la Côte d'Ivoire est divisé en 2 parties composée chacune de 4 chapitres. Dans la première partie, Christian Bouquet met en relief "Les étapes du repli identitaire". Le 1er chapitre est ainsi consacré à "La montée de l'ivoirité", concept complexe qui "formate" la vie politique en Côte d'Ivoire. Ce concept identitaire défini la citoyenneté ivoirienne selon la notion de "nationalité d'origine". Fruit d'une réelle manipulation politique, il a été à l'origine de nombreuses tensions sur la scène politique intérieure, notamment lors des élections, avec un écart entre des discours prônant la tolérance et le refus à l'accès à la nationalité ivoirienne pour bon nombre d'habitants de Côte d'Ivoire installés depuis 2 ou 3 générations.

Le 2nd chapitre, "Des élections pour les ivoiriens de souche" éclaire particulièrement les enjeux des élections présidentielles qui devraient se tenir avant la fin de l'année 2008 (la date du 30 novembre ne sera peut-être pas respectée : Laurent Gbagbo a proposé celle du 15 décembre, malgré le refus de ses opposants et des instances internationales de repousser - une fois de plus - les élections). Dans ce chapitre, l'auteur analyse les résultats des différentes élections de 2000 et 2001, montrant ainsi la ligne de fracture politique entre Nord et Sud. La crise politique de l'année 2000 est ainsi présentée à travers un éclairage original, proposant une géographie du politique et une géographie des élections en Côte d'Ivoire.

Le 3ème chapitre montre les enjeux du "vote étranger". Christian Bouquet montre ainsi de manière progressive les véritables conséquences du concept d'ivoirité et de sa manipulation politique dans le cadre des élections de 2001 et 2002. Il montre également l'importance des élections selon leurs enjeux spatiaux, différenciant ainsi les échelles concernées par chacune d'entre elles : "Ainsi qu'on avait pu l'espérer pour les législatives, sans pour autant le constater vraiment, la multiplication des points d'affrontement et leur dispersion sur l'ensemble du territoire pouvait aussi permettre aux élections municipales de dégonfler les tensions." (op. cit., p. 79).

Dans le 4ème chapitre, intitulé "De l'exlusion à la sécession, il analyse", à travers le prisme de l'implantation des différents partis politiques en Côte d'Ivoire, la guerre des 29 jours, les enjeux de "la paix armée" suite aux tensions de 1999, l'émergence de "zones rebelles" et la division du pays, ainsi que les défis et problèmes nés des Accords de Marcoussis. Retraçant les divers processus de discussion entre les partis politiques, Christian Bouquet montre la marche vers la partition de la Côte d'Ivoire, divisée par une ligne de non-franchissement et une zone de confiance. Il insiste également sur le rôle des acteurs internationaux dans le processus, notamment la France.

La 2nde partie de l'ouvrage revient sur "Les facteurs de désagrégation". Christian Bouquet y analyse les différents acteurs et la place des différents cadres politiques. Ainsi le 5ème chapitre est consacré à une question qui est primordiale dans la construction d'un Etat stable : "Quelle nation ?". Dans ce chapitre, il analyse les différents critères d'identification d'une nation ivoirienne, tels que l'origine, la religion et la langue. Avec un regard géo-historique, l'auteur analyse les différentes conceptions de la nation ivoirienne à travers les différentes temporalités de la construction d'une identité ivoirienne : la période précoloniale, la période coloniale, la période de l'indépendance, et conclut par une sous-partie annonçant : "la nation ivoirienne n'existe pas encore".

Le 6ème chapitre pose lui aussi une question fondamentale : "Quel Etat ?". Avec une démarche similaire au chapitre précédent, Christian Bouquet analyse les acteurs et l'évolution de leur poids dans la construction étatique. Le regard se pose tant pour les acteurs internes (le temps des chefs coutumiers, le temps des commandants, les acteurs politiques de l'indépendance) que pour les acteurs externes (principalement à travers la question des modèles importés et de la "résistance" de la Côte d'Ivoire à les appliquer).

Le 7ème chapitre présente "la traite, la rente et la mondialisation" et met en perspective la place de la Côte d'Ivoire dans l'économie mondialisée. Alors que le "miracle ivoirien" a été fondé sur l'intégration de la Côte d'Ivoire dans les marchés mondiaux du cacao, du café et de la banane, cette économie de plantation a subi une grave crise économique lors de l'effondrement des cours mondiaux dans les années 1980, qui a profondément fragilisé le pays et a fait ressurgir les tensions internes, au lendemain même de la mort d'Houphouët-Boigny. Christian Bouquet analyse les étapes du développement économique et de son effondrement, à travers les différents modèles économiques mis en place. Il insiste également sur la place de l'immigration (ouverte à tous) en Côte d'Ivoire, pays qui continue d'attirer de nombreux habitants de l'Afrique de l'Ouest (tout particulièrement la ville d'Abidjan) malgré ses problèmes de fonctionnement, et met ainsi en perspective la place de cette immigration dans les discours politiques. Il conclue ce chapitre sur les défis et les perspectives économiques à développer à travers une sous-partie intitulée "Un nouveau modèle à définir".

Le 8ème et dernier chapitre "Jeux et enjeux politiques" est consacré aux acteurs internes et externes, et aux représentations qu'en ont les Ivoiriens. La scène politique ivoirienne est ainsi éclairée en fonction des percpetions, des actions et des discours de chacun de ces acteurs. La 1ère sous-partie, consacrée aux acteurs politiques internes, présente Houphouët-Boigny, le "Vieux", les Présidents qui l'ont succédé et leurs lectures de la politique nationale, ainsi les opposants les plus importants. Puis l'auteur replace la Côte d'Ivoire dans le contexte régional de l'Afrique de l'Ouest et analyse les relations de ce pays avec ces voisins. Enfin, Christian Bouquet analyse "le reste du monde (la France, les autres) montrant par-là l'importance de la France dans les processus politiques de la Côte d'Ivoire. Les "autres" (Etats-Unis, mais aussi aujourd'hui et de plus en plus la Chine) ont un rôle politique moindre, bien que leur implication économique soit de plus en plus conséquente, alors même que sur ce plan la place de la France tend à diminuer.

Un ouvrage à lire pour tous ceux qui se posent des questions sur les enjeux des élections présidentielles à venir, qui offrent une excellente et originale analyse de la géographie du politique et de la géographie électorale en Côte d'Ivoire.