Il y a maintenant 3 ans, Le Courrier international proposait un hors-série très original : "L'Atlas des Atlas" (mars-avril-mai 2005, 130 pages). Cet atlas offrait un regard atypique puisqu'il se propose de démontrer par des exemples concrets, par l'analyse de cartes produites dans différents pays combien l'on peut faire mentir les cartes (pour reprendre le titre de l'ouvrage de Mark Monmonier, Comment faire mentir les cartes. Du mauvais usage de la géographie, Flammarion, Paris, 1993, 1ère édition en anglais en 1991, 234 pages). Il ne s'agit bien entendu pas d'un regard neuf, ces questions ayant été souvent abordées en géographie ! Parmi d'innombrables travaux sur ces questions, on peut citer ceux du géographe Michel Sivignon (professeur émérite de l'Université Paris 10) sur les Balkans et le "péché cartographique", ou le numéro de La Documentation photographique consacré à "La carte, enjeu contemporain" (n°8036, 2004) de Jacques Lévy, Patrick Poncet et Emmanuelle Tricoire. Pourtant, le hors-série mettait le lecteur à l'épreuve : en l'aidant à décrypter les cartes par de courts textes d'analyse et une mise en contextualisation, il forçait ainsi à considérer, dans des cas concrets, l'utilisation de la carte comme un message. Très axé sur les situations conflictuelles, et tout particulièrement sur les frontières revendiquées, le hors-série montrait ainsi les "liaisons dangereuses" entre cartographie et message politique. Un fait certes connu, mais ici illustré par une multitude d'exemples.
Visions du monde :
Frontières - Europe :
Frontières - Pôles :
Les mêmes cartes que précédemment nous présentent le cercle polaire, l'océan Arctique et l'Antarctique.
Hors limites - Histoire :
Plus de changements ici. Les cartes présentées et les temps considérés ne sont pas toujours les mêmes. Certaines cartes et catégories ont disparu : les travaux d'Eratosthène, les documents sur l'Europe médiévale (avec une mappemonde zonale climatique et la carte en TO), l'ère des navigateurs, le temps des atlas (avec un planisphère d'Ortelius), et surtout l'âge d'or de la cartographie avec les travaux du XVIIIème siècle (avec une mappemonde de Guillaume Delisle, le cartographe de Louis XVI) et l'utilisation de la cartographie au XIXème siècle avec ses visées nationalistes (où l'on trouvait des cartes-dessins représentant certains pays considérés comme dangereux comme des animaux : la pieuvre russe pour les Japonais en 1904, les différentes sortes de chiens symbolisant les pays européens et leurs relations très tendues en 1914). Des cartes souvent utilisées dans les manuels scolaires que l'on ne retrouve pas dans cette nouvelle version, qui conserve des documents sur les origines de la cartographie, sur les voies romaines, la géographie arabe, l'histoire de Jaïns (Inde), la topographie des Mandarins, et l'influence européenne sur les cartes japonaises aux XVI-XVIIèmes siècles.
Hors limites - Futur :
On retrouve les cartes de prospective sur la population mondiale en 2050, l'urbanisation mondiale en 2015, l'eau dans le monde (non plus en 2025, mais en 2050), le climat en 2050, les mers en 2010 et l'exploration spatiale d'ici à 2025. La carte sur les religions dans le monde en 2050 n'est plus présente. Par contre, 2 pages sont consacrées à une analyse très intéressante sur "Le monde selon Google Earth" montrant la version mondiale de cet outils de visualisation centrée sur la frontière Inde-Chine où les régions frontalières qui font l'objet de litiges entre les 2 pays sont signalées par des pointillés, et la version chinoise "Google Ditu", "politiquement très correcte", qui montrent les régions revendiquées par la Chine englobées dans le territoire chinois sans aucune mention cartographique de litige.
Hors limites - Imaginaire :
Les rubriques qui "restent" :
- le projet de l'architecte Herman Sörgel (élaboré entre les 2 gueres mondiales, consistant à fermer la Méditerranée et à en faire baisser le niveau pour ainsi gagner de nouvelles terres et apaiser les tensions au sein du continent européen en staisfaisant les volontés d'expansionnisme).
- la cartographie du cyberespace.
- la cartographie de la littérature (avec les cartes montrant les "mondes" de L'île au trésor de Robert Louis Stevenson, d'Utopie de Thomas Moore et du Magicien d'Oz de Lyman Frank Baum).
- la cartographie des jeux vidéos (avec des jeux tels que World of Warcraft, Dark Age of Camelot, et Scandia).
- la cartographie vue par des artistes : on retrouve un tableau de Paula Scher et une illustration de Katharine Harmon et Jane Jeszeck pour leur livre You Are Here, ainsi qu'une carte de L'Atlas de l'artsite belge Win Delvoye. Disparaissent le tableau très original représentant l'Amérique de George W. Bush sous la forme d'une tête d'éléphant, symbole du Parti républicain, le calligramme de Howard Horowitz représentant Manhattan, les Cartes imaginaires de Philippe Favier (qui a iinterrogé diverses personnalités pour leur demander si elles préféraient être un île, un sommet, un océan, etc. et a représenté sur des cartes imaginaires leurs préférences) et la réalisation de Nina Katchadourian intitulée Austria (réalisée à partir de lambeaux de cartes routières).
Les rubriques qui "disparaissent" :
- la philosophie (avec l'analyse d'une carte intitulée "La science et la philosophie dans la Mittleuropa de l'époque de Copernic et Luther à celle d'Auschwitz".
- l'histoire littéraire (avec des cartes sur la "littérature baroque et classique en Europe" et la "Littérature baroque en Hongrie" localisant les lieux de vie des écrivains.
- l'invention : une rubrique consacrée à la cartographie de Tchevengour (un site mythique où se situe l'action du roman Tchevengour d'Andreï Platonov), et à la constitution d'un "atlas de l'alphabet" (chaque lettre représentant une contrée imaginaire dans les 3 tomes de l'Atlas des géographes d'Orboe de François Place).
- la bande dessinée (avec de courtes analyses sur les cartes des albums de la série Les Cités obscures et de la bande dessinée De cape et de crocs).
Au final, la version brochée se différencie peu du hors-série de 2005 tant par les cartes que par les analyses proposées. L'ajout des pages sur la Bretagne et le Kosovo est très intéressant, mais on peut regretter la "disparition" de quelques cartes "politiquement moins correctes" (telles que la carte représentant les Etats-Unis sous forme d'une tête d'éléphant, symbole du Parti républicain).
Cet atlas reste à découvrir, non pour l'originalité de son analyse, mais pour la compilation de documents cartographiques difficiles d'accès. Un atlas qui donne à réfléchir sur le message des cartes qui nous sont proposées chaque jour, dans les médias notamment. Le choix entre les 2 versions est plus une question de budget...
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