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mardi 7 octobre 2008

Achgabat, une capitale ostentatoire (Anne Fénot et Cécile Gintrac)


Comme le souligne Olivier Kempf dans son blog Etudes Géopolitiques Européennes et Atlantiques à propos de l'Afghanistan, on entend régulièrement des phrases telles que "Il faut mettre en place un dictateur. Mais un « dictateur convenable »", et ce pas seulement à propos de l'Afghanistan. Mais une question se pose alors : qu'est-ce que la dictature et ses réalités quotidiennes aujourd'hui ? Si l'on a des images des dictatures de la Guerre froide, l'imaginaire collectif a beaucoup de mal à se représenter les dictatures d'aujourd'hui. Quel vécu pour les populations qui se retrouvent aujourd'hui sous une dictature ? C'est une des pistes de lecture de l'ouvrage de 2 géographes, Anne Fénot et Cécile Gintrac, dans leur analyse d'Achgabat, la capitale du Turkménistan sous Niazov.


L'ouvrage Achgabat, une capitale ostentatoire. Urbanisme et autocratie au Turkménistan (L'Harmattan et IFEAC, collection Centre-Asie, Paris, 228 pages) sort quelque peu du cadre conceptuel de ce blog, mais relève de 2 intérêts majeurs : être le fruit d'une réflexion géographique sur l'urbanisme conçu comme un outil de propagande (et l'on pense là à la cathédrale Saint-Pierre de Yamoussoukro, véritable réplique de celle de Rome, mais en plus grand, promue comme symbole de l'identité chrétienne du Président Houphouët-Boigny et donc des Ivoiriens, ainsi que comme symbole du transfert de la capitale vers son village ainsi transformé en ville de fonctionnaires ; mais l'on pourrait aussi rapprocher ces méthodes et moyens urbanistiques à la réflexion concernant les "murs de la paix" pensés comme moyens d'apaisement des tensions de Belfast à Bagdad), et offrir une des rares analyses scientifiques sur le Turkménistan de Niazov, permettant aux lecteurs d'entrer directement dans la réalité quotidienne des habitants de la capitale soumis aux "frasques" du dictateur et de son culte de la personnalité. Une analyse à la fois originale et riche en réflexions.


Cette monographie urbaine est divisée en 3 parties retraçant les différentes périodes urbanistiques qui ont transformé la ville en "Disneyland stalinien". La 1ère partie retrace les héritages de la domination russe sur la capitale turkmène. A la lumière de sources qu'elles sont allées chercher au Turkménistan dans des conditions d'accès très difficiles, les 2 auteurs mettent en perspective les évolution de la ville depuis sa fondation (avec la problématique du choix du site) sous le prisme des principes urbanistiques socialistes. Ce chapitre montre ainsi comment Achgabat est passée "du camp militaire turkmène à la ville soviétique". L'analyse de la ville planifiée met en oeuvre une étude de géographie urbaine originale présentant les caractéristiques de l'application des principes urbanistiques soviétiques à la ville centre-asiatique. On y découvre, par exemple, comment le pouvoir soviétique a utilisé la reconstruction suite au tremblement de terre de 1948 comme un moyen d'ériger une "fierté idéologique".


La 2ème partie "La ville d'un seul homme" nous plonge dans la démesure urbanistique du Turkmenbachy. A la lumière de la prise de pouvoir de plus en plus radicale et dictaturial de Saparmurat Niazov, les 2 auteurs montrent comment celui-ci va utiliser la capitale comme moyen de propagande, autant vis-à-vis des populations turkmènes que de l'extérieur. Achgabat devient alors une ville à l'image du dictateur. Les auteurs nous entraînent dans les modifications urbanistiques, la désertion progressive du centre-ville vidé de ces populations afin d'y construire des bâtiments gigantesques à la gloire du président, d'y instaurer une multitude de géosymbole construisant un mythe autour de son histoire familiale, de son rôle dans l'histoire du pays, de sa place dans la construction identitaire turkmène. Les populations, elles, sont refoulées aux périphéries de la ville, dans des conditions d'insalubrité et de paupérisation dramatique, tandis que le centre-ville devient de plus en plus le lieu d'un faste urbanistique démesuré.


La 3ème partie conclut sur "une capitale au fonctionnement entravé". L'analyse de l'utilisation de l'eau est particulièrement éclairante : tandis que des fontaines gigantesques fonctionnent à toutes heures et chaque jour en plein milieu désertique, le reste de la ville n'est pas approvisionné en eau. La croissance démographique de la capitale est elle aussi un défi majeur, alors que les seules constuctions nouvelles sont celles d'un centre-ville réservé au président et à son entourage proche, vidé de la population "ordinaire" et devenu un géosymbole de la dictature, de l'identité et d'une puissance que l'on cherche à afficher, ces images étant "offertes" aux quelques Occidentaux autorisés à pénétrer le pays. Bien évidemment, les visites des hommes industriels, hommes politiques et diplomates étrangers se limitent à ce centre-ville à l'urbanisme déconcertant, cherchant à faire correspondre une modernité contestable à une identité turkmène qui cherche à se construire et s'ancre dans des mythes fondateurs choisis par Niazov, transformant à son gré l'histoire nationale. Cette partie illustre parfaitement l'exacerbation de la dualité centre-ville/périphérie, du fait d'un urbanisme inégalitaire. Et l'on voyage entre un centre-ville "non-vécu", vidé de sa population et devenu un outil de propagande ; et des périphéries vécues mais sombrant dans tous les risques urbains, avec une paupérisation, un accès à l'eau potable s'affaiblissant, un manque cruel de logements, et aucun investissement, tandis que les populations continuent à s'y entasser.


Un ouvrage de géographie qui permet de comprendre les concepts de "ville insoutenable", de "ville vulnérable", à travers le prisme de l'urbanisme pensé comme outil politique diffusant un message et implantant des géosymboles politiques.


Afin de se faire une 1ère idée sur ce livre, retrouvez des articles en ligne de ces auteurs sur la ville d'Achgabat :


Retrouvez également sur le site "Géographie de la ville en guerre", une sélection d'extraits de documents sur le Turkménistan et la dictature de Niazov (utilisables dans le cadre d'une séance pédagogique sur la dictature aujourd'hui, mais également pour tout curieux), dont un extrait de cet ouvrage.

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