Frédéric Lasserre (professeur de géographie à l'Université Laval à Québec) et Emmanuel Gonon (directeur des programmes de l'Observatoire européen de géopolitique - OEG) viennent de publier un nouvel ouvrage qui vient compléter le panel de manuels universitaires de géopolitique. Intitulé Manuel de géopolitique. Enjeux de pouvoir sur des territoires (Armand Colin, collection U Géographie, Paris, 348 pages, 2008), l'ouvrage "dresse une esquisse des méthodes de la géopolitique et met en perspective les théories des écoles géopolitique" (4ème de couverture). Son originalité provient de la volonté des auteurs de montrer la géopolitique comme une discipline pratique dont les méthodes et les objets tendent à expliquer le fonctionnement des espaces à diverses échelles.
La 1ère partie intitulée "De la méthode en géopolitique" s'applique à montrer comment on pense la géopolitique, quels sont ses méthodologies et ses concepts et revient sur les "zones sensibles" du monde actuel. Les 3 chapitres qui la composent dissèquent ainsi : "Les objets de la géopolitique" (distinguant ainsi les objets et les méthodes de la géographie politique et de la géopolitique), "Les concepts fondamentaux de l'analyse géopolitique" (insistant sur les relations entre territoires et acteurs, l'impact des représentations, l'opposition centre-périphérie, et l'analyse des réseaux) et "L'analyse multiscalaire et multidimensionnelle" (un chapitre consacré à l'approche multiscalaire de la géopolitique à travers l'étude de zones sous tension telles que la Yougoslavie, l'Afghanistan, l'Afrique des Grands Lacs et la mer de Chine du Sud).
La 2ème partie, "Un domaine scientifique en mouvement", revient sur les grands penseurs de la géopolitique et les différentes écoles de géopolitique, de géographie politique et de géographie du politique. 3 chapitres composent ainsi cette partie : "De la géopolitique matérialiste" (où l'on revient sur l'histoire de cette discipline et sur l'analyse des fondateurs de la géopolitique tels que Ratzel, Mahan, Mackinder, Spykman, Haushofer...), "L'école étatiste ou géoréaliste" (qui analyse les conséquences du rejet de la géopolitique à la suite de la Seconde Guerre mondiale sur l'avènement d'une géopolitique qui place l'Etat au centre de l'analyse, et ses évolutions au cours de la 2ème moitié du XXème siècle, notamment dans le monde anglo-saxon, marquées par une volonté de comprendre le monde global et de modéliser les relations internationales), et "L'école géographique" (dont les auteurs présentent l'approche multiscalaire et systémique des phénomènes politiques spatialisés, et son "intérêt pour le territoire [qui] n'est pas limité à sa dimension d'enjeu international entre des Etats" (p. 185) et montrent l'importance des représentations dans cette approche géographique du politique). Si l'épistémologie de la géographie politique et de la géopolitique est développée dans de nombreux ouvrages, l'approche se distingue ici par l'importance accordée à la pensée anglo-saxonne, souvent moins connue en France.
Enfin, la 3ème partie relève d'une importance majeure pour les étudiants et pour tous ceux qui cherchent à comprendre l'utilité et les finalités de la géopolitique : intitulée "Champs d'applications", cette partie présente en effet les grands domaines de questionnement de cette discipline face aux défis que présente le monde actuel. Trois chapitres sont ainsi consacrés à des enjeux gépolitiques majeurs, éclairés par l'analyse d'exemples concrets : "Frontières : ruptures et interfaces" (qui montre l'intérêt de penser la frontière comme objet géographique et établit une typologie - assez classique - des frontières), "La géopolitique des ressources" (un thème qui justifie à lui seul la phrase d'introduction des auteurs : "c'est peu dire que la géopolitique est redevenue à la mode." (p. 1), et qui est ici analysé à travers des exemples "classiques" - le pétrole et l'eau -, ainsi que des cas parfois moins connus tels que la forêt et les zones de pêche), et "Géopolitique et géoéconomie" (chapitre qui place "les territoires encore au coeur des enjeux économiques" (p. 307) et qui montre la géopolitique comme une discipline permettant de faire le lien entre géostratégie et géoéconomie).
L'ouvrage se présente ouvertement comme un "manuel" et constitue en effet une excellente base pour tous ceux qui se questionnent sur la géopolitique comme discipline éminemment géographique. L'ouvrage, s'il n'aborde pas tous les points de la géopolitique (ce n'est d'ailleurs pas l'objectif que se sont donnés les auteurs !) tels que les diasporas, les groupes armés... présente un avantage majeur : promouvoir une analyse multiscalaire et en expliquer les enjeux (ne plaçant pas l'Etat comme seule échelle de l'analyse géopolitique, mais montrant par le biais d'exemples précis l'emboitement des échelles, l'imbrication des enjeux et la multiplicité des acteurs).
Parallèlement, Stéphane Rosière (professeur de géographie à l'Université de Reims) a réédité son ouvrage Géographie politique & Géopolitique. Une grammaire de l'espace politique (Ellipses, collection Universités Géographie, Paris, 1ère édition 2003 - 320 pages, 2ème édition 2007 - 426 pages) Dans cet ouvrage, ce géographe spécialiste de la question du nettoyage ethnique questionne principalement le rôle des acteurs et des territoires dans les enjeux politiques. Opérant dans son introduction une distinction entre géographie politique et géopolitique, éclairée par une analyse de l'épistémologie de ces 2 courants de pensée ("face à ces approches contrastées, le chercheur ne doit pas se leurrer : les distinctions entre géographie, géographie politique et géopolitique tiennent à la fois des sensibilités politiques et, largement à des rivalités entre chefs de file universitaires" p. 18), il propose "une distinction opératoire entre géopolitique et géographie politique", qui guide sa lecture de chacune de ces disciplines dans 2 parties. Reprenant l'analyse de Raymond Aron dans paix et guerre dans les nations , Stéphane rosière postule que "l'espace peut être successivement considéré comme milieu, théâtre et enjeu. Cette triple déclinaison avait le mérite de souligner le caractère plurivoque de l'espace. [...] On peut donc reformuler la proposition aronienne et considérer l'espace successivement comme cadre, enjeu et théâtre. Sur la base de cette triple déclinaison, on peut poser les bases du champ d'investigation de la géographie politique qui considère comme cadre, de la géopolitique qui considère l'espace comme enjeu et, par déduction, de la géostratégie qui considère l'espace comme théâtre" (p. 19).
Petite précision : n'ayant en main que la 1ère édition de cet ouvrage, la synthèse proposée ici ne tient pas compte des nombreux compléments ajoutés à la 2nde édition, nourrie par les échanges entre Stéphane Rosière, ses lecteurs et ses étudiants. La 2nde édition est en effet enrichie d'une centaine de pages ! Les citations sont ici extraites de la 1ère édition.
Ces 2 ouvrages sont de véritables manuels pour tous ceux que la géopolitique intéresserait. Ils offrent 2 approches complémentaires : l'un étant centré sur les domaines d'application, l'autre conçu comme un dictionnaire des concepts de la géographie politique et/ou géopolitique.
Sur les concepts et les évolutions de la géopolitique, retrouvez notamment les articles en lignes :
- Mackinder : "Le pivot géographique de l'histoire"
- René-Eric Dagorn : "La géopolitique en mutation"
- Stéphane Rosière : "Comprendre l'espace politique"
Ainsi que les sites :
- Hérodote (le site de la revue fondée par Yves Lacoste)
- Diploweb.com (le site fondé par Pierre Verluise)
- Cultures & conflits (une revue en ligne)
- Conflits actuels (une autre revue en ligne)
Et sur des questions spécifiques :
- Geopium (le site sur la Géographie et la Géopolitique des drogues par Pierre-Arnaud Chouvy)
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