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mercredi 25 mars 2009

Kosovo : la monnaie comme symptôme de l'impossible entente ?


Suite au petit tour d'horizon quant aux problèmes "intestinaux" de l'économie du Kosovo ("Le Kosovo vu par...", 24 mars 2009), un autre point important est à souligner : celui de la monnaie. Ou plutôt des monnaies utilisées par les 2 communautés majoritaires - Serbes et Albanais. Les Albanais sont passés, lors de la guerre du Kosovo, au deutch mark allemand. Tout d'abord, il s'agissait là d'un marqueur de différenciation vis-à-vis des Serbes. De plus, commercer avec la Serbie centrale était devenu impossible, maintenir la même monnaie dans une économie parallèle n'avait donc aucun intérêt. Enfin, le déploiement des militaires de l'OTAN offrait des perspectives de commerces (notamment dans les restaurants et les cafés) même si cela reposait sur une économie très temporaire. De ce fait, la population albanaise du Kosovo est passée de la monnaie allemande à l'euro, en même temps que tous les pays de la zone monétaire unique de l'Union européenne. Parallèlement, les Serbes continuaient d'utiliser le dinar serbe, monnaie officielle de la Serbie, auquel le Kosovo était encore rattaché. 10 ans après la fin de la guerre, la situation monétaire n'est toujours pas rétablie, et les 2 monnaies coexistent toujours au Kosovo. Voir, à ce propos, l'article traduit par Le Courrier des Balkans "Le dinar serbe défie toujours la souveraineté monétaire et fiscale du Kosovo" (Koha Ditore, 18 février 2009).

Anecdotique ? Pas tant que cela. Surtout si l'on regarde la situation de la ville de Mitrovica, au Nord du Kosovo, séparée en 2 territoires par la rivière Ibar, qui marque la "frontière" entre les 2 aires de peuplement majoritairement serbe au Nord du Kosovo et majoritairement albanais au Sud (voir "Géographie de Mitrovica" sur le site Géographie de la ville en guerre, et les billets du blog). L'enjeu est multiple : d'abord identitaire et symbolique, la monnaie étant un marqueur d'une souveraineté d'un Etat sur un territoire. La monnaie utilisée est donc le reflet de l'Etat reconnu - la Serbie ou le Kosovo. L'enjeu relève également du juridique : quelle autorité reconnaît-on comme souveraine au Kosovo ? C'est aussi un marqueur de différenciation et de distanciation. L'enjeu est également économique : on revient là aux problèmes d'un mal-développement, auquel s'ajoute incontestablement l'existence de 2 économies (toutes 2 en faillite), entre lesquelles n'existent pas ou très peu d'échanges. Les petites minorités disposent des 2 monnaies dans la ville de Mitrovica, ce qui leur permet ainsi d'acheter et de commercer avec les 2 rives. Les trafiquants de toute sorte utilisent galement les 2 monnaies, et les échanges entre les communautés dans ce domaine sont un "exemple" d'entente multicommunautaire...



dinar serbe
et euro








Le dinar serbe défie toujours la souveraineté monétaire et fiscale du Kosovo
Le Courrier des Balkans, traduction d'un article du journal Koha Ditore, du 18 février 2009, par Valon Maluko.

"Dans le nord du Kosovo et toutes les enclaves serbes, le dinar est toujours l’unité monétaire de référence. La Constitution du Kosovo prévoit pourtant l’usage exclusif d’une seule monnaie, en l’occurrence l’euro. L’enjeu est symbolique - la monnaie est symbole de la souveraineté serbe - mais aussi économique et fiscal. Les transactions effectuées en dinars échappent à tout contrôle de la Banque centrale du Kosovo et ne sont pas comptabilisées dans le PNB du pays.


Miftar Ferati se trouve devant un dilemme à chaque fois qu’il veut acheter quelque chose à l’épicerie. Il doit faire des calculs qui pourraient sembler assez bizarres dans tout autre pays. « Avec quelle monnaie dois-je payer, en euros ou en dinars ? Combien vais-je perdre, combien vais-je gagner si j’achète en euros ? Et si j’achète en dinars ? » Ce jeune homme de 28 ans, qui habite le nord de Mitrovica, se pose souvent cette question.

Là-bas, comme dans de nombreuses enclaves à majorité serbe du Kosovo, le dinar serbe continue à circuler, malgré les dispositions de la Constitution du Kosovo qui stipule, à son article 11, que « dans la République du Kosovo, une seule monnaie sert de moyen légal de paiement ». En l’occurrence, cette unique monnaie est l’euro.

Dans le quartier où vivent Miftar et sa famille, les propriétaires de tous les magasins sont serbes. Miftar doit donc faire ses achats en dinars, rarement en euro.

« La valeur de l’euro évolue entre 86 et 90 dinars, mais si nous payons en euros, nous devons payer plus cher. Si le vendeur n’a pas de monnaie, il nous rend la monnaie en dinars. » Selon lui, les prix des denrées alimentaires sont plus élevés dans la zone où est utilisé le dinar. « Un pain coûte 40 centimes d’euros, ou bien 30 dinars. Les prix sont très élevés. » Miftar est obligé de s’approvisionner le plus souvent dans le sud de la ville de Mitrovica.

Le dinar serbe, en violation de la Constitution, est utilisé non seulement dans le nord du Kosovo, mais dans de nombreuses autres villes comme Kamenica/Kamenicë/Dardanë, Gračanica/Graçanicë, Štrpce/Shtërpce, ainsi que dans les villages habités majoritairement par les Serbes.

Le gouvernement reconnaît que le dinar serbe est utilisé à l’encontre de la Constitution mais, jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise pour bloquer la circulation de cette valeur monétaire.

Le vice-Premier ministre Hajredin Kuqi le reconnaît : « Nous avons très clairement déterminé, par la Constitution, qu’une seule monnaie avait cours au Kosovo, et cette monnaie est l’euro. Toute autre monnaie est illégale dans la République du Kosovo. Nous savons que dans certains endroits - dans les « enclaves », si je peux les appeler ainsi -, des transactions se font dans une autre monnaie, mais cela est contraire à la loi et à la Constitution ».

Selon Hajredin Kuqi, l’utilisation de cette monnaie vise à légaliser ou à démontrer la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo. « Cette tendance est présente non seulement à travers la monnaie mais aussi dans les symboles. Nous pensons cependant qu’avec l’aide internationale, nous allons peu à peu réussir un processus d’intégration. Nous savons tous que l’euro est plus stable que le dinar mais les Serbes essaient d’affirmer l’identité de leur État à travers cette monnaie. »

Le gouvernement insiste sur l’emploi officiel exclusif de l’euro. Il a stipulé que « les paiements ne peuvent être faits en aucun cas en dinars, les institutions du Kosovo ne l’acceptent pas (…) ».

Même s’il répète que l’utilisation d’une autre monnaie au Kosovo est illégale, le vice-Premier ministre n’a pas précisé comment le gouvernement allait s’efforcer de faire cesser l’utilisation de cette monnaie au Kosovo.



Une violation de la souveraineté fiscale

Les économistes soulignent que l’utilisation du dinar serbe cause des pertes au PNB du Kosovo, puisqu’une grande partie des ressources financières du pays est transférée dans une autre unité monétaire. Selon eux, l’utilisation de cette monnaie cause une perte pour l’économie kosovare : ce serait comme « un trou dans un réservoir d’eau ».

Dritan Tali, député économiste, estime que l’utilisation de la monnaie serbe au Kosovo est une violation de la souveraineté monétaire. « L’utilisation de toute autre monnaie que la monnaie officielle est une violation de la souveraineté. Elle est évidemment anticonstitutionnelle, c’est illégal. L’utilisation du dinar cause des pertes au Kosovo, puisque le produit national brut est estimé en monnaie, et nous ne connaissons donc pas une grande partie de sa valeur réele, puisque celle-ci s’exprime dans une autre monnaie. », explique Dritan Tali.

Selon lui, les salaires et les produits achetés en dinars échappent au PNB du Kosovo, même si ces transactions sont réalisées à l’intérieur de l’État kosovar. « Les citoyens du Kosovo ont le droit de posséder des dinars mais pas d’effectuer des transactions avec cette monnaie. Ces dinars doivent être changés en monnaie officielle. C’est la même chose en Grande-Bretagne, on a le droit d’avoir des euros, des dollars ou tout autre monnaie, mais toutes ces devises doivent être changées en livres sterling pour effectuer des transactions au sein du Royaume-Uni. »
Les experts pensent que le problème de la monnaie serbe en circulation au Kosovo n’est pas seulement économique mais aussi politique.

Flamur Keqa, expert à la Chambre de Commerce du Kosovo, considère que la Serbie, en favorisant la diffusion du dinar dans les zones où habitent les Serbes, soutient de façon illusoire la population serbe. De cette manière, Belgrade rend la population serbe plus servile et plus obéissante pour maintenir la présence de la Serbie au Kosovo.

« Je ne mesure pas tant la perte financière que peut éventuellement causer l’emploi du dinar, qui est la monnaie nationale serbe. Le fait capital est que que cette monnaie étrangère est utilisée comme moyen de paiement dans le système financier du Kosovo, pourtant reconnu internationalement comme un État indépendant », explique-t-il.

Flamur Keqa rappelle que des banques serbes, qui sont hors de contrôle et de toute surveillance de la Banque centrale du Kosovo, opèrent toujours au Kosovo. De cette manière, le dinar peut continuer à jouer un rôle de monnaie officielle parallèle.

Pour Myzejene Selmanaj, présidente de la Commission de l’Économie, du Commerce et des Télécommunications du Parlement du Kosovo, l’emploi du dinar est une invasion fiscale dans l’économie kosovare. « C’est une violation de la Constitution du Kosovo. C’est aussi une invasion fiscale du système bancaire du Kosovo. Économiquement, cela a des effets nuisibles pour l’autorité bancaire au Kosovo et favorise l’autorité bancaire de la Serbie. »

« Dans de nombreux pays, on utilise différentes monnaies, mais si l’on veut consommer dans un État donné, il faut utiliser la monnaie qui a cours légalement dans ce pays. (...) C’est au gouvernement du Kosovo qu’il revient de faire appliquer les lois mais aussi la Constitution, sur tout le territoire du Kosovo. »
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