Irlande du Nord : une paix fragilisée ?
"La mort de deux soldats dans l'attaque la veille d'une caserne de l'armée britannique en Irlande du Nord, un fait sans précédent en plus de dix ans, a ravivé dimanche [le 8 mars 2009] la crainte d'un retour à la violence et d'une déstabilisation d'un processus de paix encore fragile" (AFP, "Ulster: l'attaque contre une caserne britannique fait craindre pour la paix", 8 mars 2009). L'IRA-véritable (une branche dissidente de l'Armée républicaine irlandaise - IRA) a revendiqué en fin de journée la fusillade (2 morts et 4 blessés graves). Les titres des journaux annoncent l'apparition d'un véritable malaise dans le processus de paix en Irlande du Nord, et une véritable fragilisation de la paix. Derrière le sensationnel journalistique, les enjeux de la crise en Irlande du Nord sont muliples. Voir à ce propos le billet "Géographie politique de l'Irlande du Nord" (6 octobre 2008) et une émission du Dessous des cartes qui résume l'histoire de l'Irlande du Nord.
"Irlande du Nord", Le Dessous des cartes, 5 décembre 1998.
(Retrouvez également les cartes commentées de l'émission).
Les lieux de l'affrontement en Irlande du Nord : enjeux symboliques et enjeux sécuritaires
Les frontières sont bien évidemment un espace de tensions. La géographe Jennifer Heurley a travaillé sur la problématique des effets de frontière qui délimitent l'Irlande du Nord et sur les frontières vécues à l'intérieur de ce territoire (notamment à travers une thèse intitulée Les frontières internes et externes de l'Irlande du Nord. Logiques territoriales et recomposition d'un espace conflictuel, soutenue en 2001, Université Paris-Sorbonne, 459 pages + annexes).
La frontière entre les "deux Irlande" a peu à peu laissé place à sa dimension politique, au profit d'une dimension avant tout économique, constituant ainsi une zone d'échange et non plus une barrière (notamment à travers le processus d'intégration du Royaume-Uni et de l'Irlande dans l'Union européenne). Jennifer Heurley parle ainsi de "dépassement de la frontière" par le biais du recul des entraves à la criculation (les passages sont désormais totalement ouverts). Néanmoins, certains marquages territoriaux (tels que des panneaux, mais également des "control zone") subsistent, rendant ainsi la frontière visible. Mais, d'une manière générale, la frontière entre les "deux Irlande" s'est recomposée en se transformant avant tout en discontinuité économique (notamment comme frontière monétaire). Les travaux de Jennifer Heurley montrent que les habitants les plus jeunes (moins de 30 ans) sont moins sensibles à un effet barrière, et en cela l'atténuation de l'effet barrière.
Parallèlement, les frontières vécues intérieures, qui n'ont aucune réalité juridique, se sont faites de plus en plus "oppressantes" dans les logiques territoriales, au point de recomposer les territoires et les pratiques spatiales. Dans les villes, la ségrégation spatiale entre les communautés catholiques et protestantes est toujours très forte et marquent les pratiques spatiales des habitants. Les peacelines, murs construits à des fins sécuritaires, font ainsi partie intégrante de la recomposition territoriale des villes d'Irlande du Nord, et marquent de réelles discontinuités dans le paysage urbain et dans des pratiques spatiales des habitants. Voir, à ce propos, "La guerre, la ville et le mur" (billet du 22 janvier 2009). Les tags et les peintures sur ces peacelines reflètent également une volonté forte de mise à distance de l' "Autre" et de non-partage de l'espace urbain.
Autre lieu de tensions et de symboles : les rivières. Dans le contexte de ségrégation spatiale intercommunautaire, les murs ne sont pas les seuls à matérialiser la distanciation (on retrouve cette problématique de la rivière et du pont dans de nombreuses autres villes en guerre, telles que Mostar en Bosnie-Herzégovine ou Mitrovica au Kosovo). Sans tomber dans le déterminisme spatial, la rivière peut constituer une discontinuité territoriale à partir du moment où des hommes l'instrumentalisent comme telle. L'article de Jean-Paul Haghe et de Jean-Claude Vimont, 2002, "Les rivières d'Irlande du Nord et les affrontements intercommunautaires" (Trames, n°10), montre combien les rivières peuvent devenir des frontières vécues au gré des recompositions territoriales et de l'effet d'enfermement volontaire recherché en termes de sécurisation (vivre dans MON territoire et non dans le territoire de l' "Autre" où je me sens en insécurité).
Enfin, les territoires militaires sont bien évidemment des espaces de tension. Symboles de la présence britannique en Irlande du Nord, ils sont les cibles-symboles (comme l'a montré l'attentat de ce dimanche 8 mars 2009) de l'opposition à cette présence et de la lutte séparatiste. Ce sont en effet de parfaits géosymboles de la souveraineté du Royaume-Uni sur l'Irlande du Nord.
A lire :
A lire :
- Didier Bigo, Emmanuel-Pierre Guittet et Andy Smith, 2004, "Participation des militaires à la sécurité intérieure : Royaume-Uni, Irlande du Nord", Cultures & Conflits, n°56, hiver 2004.
- Jennifer Heurley, "L'évolution de la notion de minorité en Irlande du Nord", compte-rendu de séminaire, Ecole Normale Supérieure.
- Jean-Paul Haghe et Jean-Claude Vimont, 2002, "Les rivières d'Irlande du Nord et les affrontements intercommunautaires", Trames, n°10, dossier "Les frontières de l'eau".
1 commentaire:
Voir également le billet publié par Olivier Kempf sur son blog Etudes Géopolitiques Européennes et Atlantiques, "Attentat en Irlande du Nord", publié le 10 mars 2009.
http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post%2F2009%2F03%2F10%2FAttentat-en-Irlande-du-nord
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