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dimanche 8 mars 2009

Le trafic de femmes dans les Balkans


En cette journée internationale de la femme, voici quelques éléments d'une géographie du trafic des femmes dans les villes balkaniques. Pour retrouver les principales problématiques sur la question des réseaux criminels dans les villes en guerre, voir le billet "Les trafics dans les villes en guerre : éléments de réflexion géographique".



Le trafic de femmes : quelques éléments d'une géographie de la criminalité

Le "trafic de femmes" est une expression courante qui définit "le phénomène de migration qui conduit à la prostitution forcée. On parle aussi bien de "trafic" que de "traite" des femmes et il n'existe pas de réelle différence entre les deux termes, si ce n'est que le deuxième fait plutôt référence à l'esclavage du XIXe siècle" (Vanessa Simoni, 2004, Le trafic de femmes en Bosnie-Herzégovine, mémoire de maîtrise de géographie, Université Paris-Sorbonne, p. 7). Derrière ce terme général, se cachent différents phénomènes spatiaux et différents lieux : les territoires du recrutement, le transport et les routes d'acheminement de la "marchandise" (les femmes sont alors traitées comme une marchandise, tout comme dans le cas des drogues, des armes, des organes humains, des cigarettes... ou tout autree marchandise qui sont "commercialisées" par les réseaux criminels), les territoires-relais sur ces routes, les territoires de "consommation".

La 1ère définition internationale de la traite des femmes se trouve dans l'article 3 du protocole additionnel à la convention contre la criminalité organisée relatif à la traite des personnes du 6 octobre 2000 rédigé par le Comité Spécial des Nations Unies :

a/ L'espression "traite des femmes" désigne le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes ;

b/ Le consentement d'une victime de la traite des personnes à l'exploitation envisagée, telle qu'énoncée à l'alinéa (a) du présent article, est indifférent lorsque l'un quelconque des moyens énoncés à l'alinéa (a) a été utilisé ;

c/ Le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil d'un enfant aux fins d'exploitation sont considérés comme une "traite de personnes" même s'ils ne font appel à aucun des moyens mentionnés à l'alinéa (a) du présent article.



Les Balkans dans la guerre et dans l'immédiat après-guerre : une plaque tournante des trafics

Si les Balkans ne sont pas touchés par le phénomène de tourisme sexuel, cette région est néanmoins devenue une zone majeure dans les trafics de femmes depuis les guerres de décomposition de l'ex-Yougoslavie. Les Balkans sont ainsi devenus une plaque tournante pour les trafics en tous genres, et dans cette perspective les villes ont pris la place de relais. La déstabilisation politique, la remise en cause de la souveraineté étatique et les difficultés pour assurer le contrôle territorial ont permis le développement des activités criminelles dans cette zone, notamment par l'émergence de nombreuses "zones grises" contrôlées par des réseaux criminels. Les différentes dimensions du trafic de femmes se retrouvent dans les mêmes espaces : les Balkans sont à la fois des espaces de "recrutement", des espaces de transit des "marchandises" et des espaces de "consommation". Recrutement du fait de la pauvreté (par le biais de promesses ou de "vente" de femmes par leur famille) et de l'absence d'un contrôle sécuritaire dense (enlèvements, menaces...). Espaces de transit qui sert de relais dans l'acheminement des victimes de la traite des femmes depuis l'Europe de l'Est ou des autres pays balkaniques, vers l'Europe de l'Ouest. Dans ses travaux de recherche, la géographe Vanessa Simoni a ainsi identifié qu'en Bosnie-Herzégovine, la part des victimes étrangères était largement majoritaire, tandis qu'au Kosovo victimes locales et victimes étrangères représentent chacune environ 50 % de la part totale. Consommation, parce que les pays balkaniques sont également des espaces de destination des victimes Il y a donc confusion entre espaces d'origine des victimes, espaces de transit, et espaces de destination.




Le marché Arizona, un haut-lieu du trafic de femmes en Bosnie-Herzégovine

Cette présentation s'appuie sur les travaux de Vanessa Simoni, doctorante en géographie, qui a réalisé 2 mémoires sur la question du trafic des femmes en Bosnie-Herzégovine (mémoire de maîtrise) et à Belgrade (mémoire de DEA), et travaille sur une thèse concernant les trafics de femmes dans le monde, leurs espaces et leurs représentations. Le marché Arizona est un vaste campement de 2.500 étalages et boutiques en bois, étendu sur 25 hectares, situé dans la zone "frontalière" entre les 2 entités constituant la Bosnie-Herzégovine (Fédération croato-bosniaque et Republika Srpska), ainsi qu'à proximité des frontières avec la Serbie et la Croatie. "Ce centre de libre échange s'est développé pendant la guerre en bordure de route près d'un "checkpoint" américain. Spontanément, le marché est devenu un point de rencontres et d'échanges commerciaux interethniques, c'est-à-dire un modèle encourage par le Bureau du Haut-Représentant. Mais le marché est resté longtemps sans réglementation et les activités criminelles y ont rapidement progressé. Symbole de l'entreprise (et de l'emprise) du marché noir, le marché Arizona est alors devenu une légende, celle du marché où l'on peut tout acheter pour certains et celle de "la matérialisation de l'enfer sur terre" pour d'autres. Le marché Arizona devient en effet le plus grand marché aux esclaves d'Europe" (Vanessa Simoni, 2005, "Le trafic de femmes en Bosnie-Herzégovine", L'Ex-Yougoslavie, dix ans après Dayton. De nouveaux Etats entre déchirements communautaires et intégration européenne, L'Harmattan, Paris, p. 60). L'emplacement du marché s'explique par la présence du check-point militaire américain, qui garantissait une neutralité et une sécurité pour la vente des marchandises au coeur du conflit. Néanmoins, le contrôle du marché Arizona échappe vite à tout contrôle par l'absence de réglementation. Le marché Arizona est alors devenu à la fois un espace de transit et un espace de destination des victimes du trafic des femmes. Espace de transit puisqu'échappant à la loi, il offrait un relais aux réseaux criminels dans l'acheminement des victimes vers l'Europe de l'Ouest. Espace de consommation, avec le développement d'une vingtaine de maisons closes, qui ouvraient leurs portes la nuit (et la présence du checkpoint américain a été un des facteurs permettant ce développement de la prostitution : en 2001, des journalistes ont découvert que certains militaires faisaient ainsi partie des clients, alimentant la criminalité du marché Arizona). "Le marché Arizona a tenu pendant de nombreuses années un rôle très important dans l'organisation spatiale du trafic de femmes en Bosnie. Sorte de centre névralgique, le marché Arizona mettait en relation propriétaires de bar et trafiquants et permettait l' "approvisionnement" des nights clubs du pays en esclaves. D'autres "marchés aux filles" existent aujourd'hui un peu partout en Europe balkanique : près de la frontière entre la Serbie et la Hongrie, à Debrecin, entre la Serbie et la Roumanie ou encore entre la Serbie et la Bulgarie. En Serbie, le village de Veliki Trnovac, à côté de la ville de Bujanovac, est réputé pour être un "véritable supermarché des trafics" [voir Jean-Arnault Dérens, 2002, "Les Balkans, carrefour de l'exil et de la prostitution", Confluences Méditerranée, n°42, été 2002, pp. 143-151]. Tout comme le marché Arizona, ce village a profité d'une situation géographique stratégique. Se trouvant à la limite des territoires contrôlés par la guérilla séparatiste albanaise en 2000-2001, il serait devenu une "zone franche" où pouvait se retrouver les mafieux serbes et albanais" (Vanessa Simoni, 2004, Le trafic de femmes en Bosnie-Herzégovine, mémoire de maîtrise de géographie, Université Paris-Sorbonne, p. 65).



Les trafics de femme dans la mondialisation

Selon le Fonds des Nations Unies pour la population (FUNAP), environ 4 millions de personnes sont victimes de la traite dans le monde entier en 2001, dont 500 000 pénètrent en Europe occidentale. Selon l'UNICEF, 1,2 million d'enfants sont victimes des trafiquants d'êtres humains chaque année. "La prolifération mondiale de la prostitution a eu un impact majeur sur la "consommation", qui a pris un caractère de masse" (Richard Poulain, "Mondialisation des industries du sexe, crime organisé et prostitution : Éléments d’une sociologie de la production « prostitutionnelle »", L'agression sexuelle, coopérer au-delà des frontières, CIFAS, 2005, p. 33). Les éseaux criminels profitent à la fois de la multiplication de "zones grises" dans le monde entier (zones qui échappent à tout contrôle étatique, dans un contexte de déstabilisation politique et économique), ainsi que de la facilitation des communications et des déplacements. Les zones ainsi abandonnées par les Etats sont autant de "niches" où les réseaux criminels peuvent s'installer. La mondialisation de la criminalisée organisée ne signifie pas son a-territorialisation, bien au contraire. Les organisations criminelles s'installent dans des territoires qu'ils soumettent à leur contrôle et depuis lesquels ils établissent un réseau entre zones de recrutement, routes d'acheminement, et zones de consommation. En imposant leur autorité et leur dimension dans des territoires, les organisations criminelles peuvent également y trouver un marché pour écouler leurs "marchandises", et organiser avec efficacité l'acheminement des marchandises. Leur implantation territoriale est donc très importante dans leur stratégie de développement, notamment par rapport aux réseaux criminels concurrents. La carte ci-dessous (Laurent Testot, "Trafics d'êtres humains aujourd'hui : première étude", Sciences Humaines, n°173, juillet 2006) cache la complexité du processus criminel : les Etats sont identifiés comme pays consommateurs, pays d'origine, ou pays exportateurs et importateurs. Pourtant, le cas des Balkans révèle l'imbrication sur un même territoire des différentes étapes origine/transport/consommation.



De plus, il ne faut pas oublier que les chiffres présentés sont difficilement vérifiables. Les trafics sexuels partent également de discours politiques, notamment ceux qui s'appuient sur un dynamique de sécurisation des territoires. La thèse de Philippe Chassagne sur les trafics criminels dans les Balkans montrent combien la lecture de l'économie organisée n'est pas lisse, participant à la fois à l'illégalité et à la légalité par le biais du relancement de l'économie officielle (on retrouve la même problématique concernant les productions d'opium en Afghanistan, par exemple, entre pays consommateurs qui tentent d'éradiquer ces productions pour éviter l'acheminement de la drogue sur leur territoire, et ruraux afghans qui ne peuvent survivre avec une production céréalière et cultivent de l'opium pour une rentabilité qui leur permet à peine de survivre). Les enjeux sécuritaires des uns s'opposent alors aux enjeux économiques des autres. A propos des discours, voir Jacqueline Berman, 2003, "(Un)Popular Strangers and Crises (Un)Bounded: Discourses of Sex-trafficking, the European Political Community and the Panicked State of the Modern State", European Journal of International Relations, Vol. 9, No. 1, 37-86.



A lire :

Voir également le site de la Fondation Scelles et celui des Amis du Bus des Femmes.

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