Sous une "tempête" de neige à Mitrovica (honneur au dernier numéro de La GéoGraphie !), et entre deux coupures d'électricité, qui ont restreint le temps de recherche pour la journée, voici quelques petits éléments de réflexion, suite à des questions que m'ont aujourd'hui posées des étudiantes en journalisme. L'intérêt pour le combat urbain, de plus en plus présent dans nos médias ?
Comment les civils perçoivent-ils/vivent-ils la présence de militaires dans leur ville ? Y sont-ils hostiles ou au contraire existe-t-il une certaine "harmonie" ? Est-ce qu'il y a des échanges plus poussés que le simple côté matériel (ex : réparation du réseau électrique ou distribution de nourriture) ? Est-ce que les militaires et les civils communiquent entre eux ? Les militaires avec qui nous avons parlé opposent souvent l'exemple israëlien (hostilité) au cas des Balkans (relative bonne entente). Est-ce fondé ?
La question des relations entre population locale et intervention militaire est, en effet, une des problématiques pour la « bonne » réussite des opérations militaires, tout particulièrement dans le cas du maintien de la paix. Il existe déjà, dans la même ville, différentes temporalités quant à l’acceptation d’une force militaire extérieure. Par exemple, au Kosovo, personne ne s’étonne de voir aujourd’hui flotter des drapeaux états-uniens dans les quartiers albanais de la ville de Mitrovica (ainsi que dans toutes les villes du Sud du Kosovo, telles que Pristina [1]). Pourtant, la situation n’a pas toujours été semblable, et j’ai, par exemple vu lors de mon tout premier séjour à Mitrovica, des drapeaux états-uniens brûlés en signee d’hostilité envers ce pays, et envers ces militaires. L’action militaire des Etats-Unis a d’ailleurs longtemps été contestée au Kosovo, et ce même (voire, surtout !) par les Albanais. Les militaires étaient ainsi jugés comme des « occupants » (au sens négatif, relevant là d’une dénonciation d’un certain néo-colonialisme, du moins dans la manière dont les habitants du Kosovo le percevaient [2]), notamment dans leur mise à distance très prononcée vis-à-vis de la population (ils se sont immédiatement installés dans un camp militaire créé ex-nihilo, le camp de Bondsteel [3]. Cette distanciation a été mal vécue par les populations du Kosovo (en général). Mais il ne faut pas oublier que l’appareil militaire est avant tout vécu comme un outil d’une politique. Si les militaires états-uniens n’ont rien changé à leur manière d’envisager leur implantation au Kosovo (la distanciation est toujours de mise), comment expliquer alors ce revirement de l’opinion albanaise du Kosovo à leur égard ? Avant tout parce que les actions militaires dans le maintien de la paix et leur acceptation par la population locale sont « conditionnées » par le regard porté sur les actions politiques du pays qui envoient les militaires.
Néanmoins, il ne faut pas oublier le savoir-faire des militaires ! A ce point de vue, les militaires français sont, en général, bien perçus. Le cas des Balkans que l’on vous a évoqué, est assez représentatif. Alors que la politique française du temps des guerres de décomposition de l’ex-Yougoslavie (j’exclue là la guerre d’indépendance de la Slovénie, qui n’a duré « que » 7 jours et n’a donné lieu à aucune intervention militaire extérieure : il s’agit donc des guerres de Bosnie-Herzégovine et de Croatie) était souvent accusée de partialité et de « pro-serbisme » (du temps du Président Miterrand), les militaires français ont su se faire accepter. Dans un colloque intitulé 7ème Rencontre internationale de géologie et de géographie militaires (Québec, juin 2007), j’ai été amenée à présenter les modalités des interventions militaires françaises dans les villes, entre deux intervenants présentant la position géostratégique (très « globalisante ») des Etats-Unis. Sur le coup, cela m’a donné l’impression de présenter des « bricolages » (la reconstruction d’une petit pont dans les environs de Mitrovica au Kosovo, par exemple, par les Actions civilo-militaires, qui disposaient de très peu de moyens financiers...). Mais les discussions qui ont suivi ont fait ressortir un point essentiel de la « force » de l’Armée française : se faire accepter par la population. Le fait que les militaires français patrouillent à pied dans les villes, discutent avec les habitants (ce qui relève également du renseignement « d’ambiance », permettant de « tester » et ensuite d’analyser les tensions « cachées » dans les villes), ont des implantations militaires dans les villes, dans lesquelles ils emploient du personnel local (par exemple, pour le service de nettoyage des locaux, pour la cuisine... [4]) mais également pour lesquelles l’approvisionnement en nourriture est, en partie, fait à partir des produits locaux... Tous ces « détails » n’en sont pas ! Il s’agit là non seulement de faire face à des moyens financiers bien moindre (le budget de l’Armée française est bien éloigné de celui des Etats-Unis !), mais aussi d’un réel savoir-faire quant à l’acceptation des interventions militaires dans les villes. Beaucoup de militaires m’ont ainsi confié combien cette proximité leur permettait d’obtenir des « confidences » sur les tensions, les trafics en tous genres, les détentions d’armes... Bien évidemment, cela reste marginal, et ne résoud pas totalement ces problèmes !
Je sors un peu du contexte des Balkans, pour celui d’Abidjan [5], bien plus problématique quant à l’acceptation de la force armée française, qui est là réellement contrainte par les profondes hostilités [6] à l’égard de la France, notamment chez les partisans du Président de la Côte-d’Ivoire, Laurent Gbagbo. Ce n’est pas tant les modalités de l’intervention militaire qui sont remises en cause, mais bien la politique de la France dans son intégralité, à l’égard de la Côte-d’Ivoire en particulier, et même de l’ensemble de l’Afrique. A Abidjan, les militaires français interviennent selon deux mandats : un sous l’égide de l’ONU, et un autre sous l’égide de la France (opération Licorne). Je parlerais davantage de ce dernier. Les militaires sont implantés dans une très grande base, à la sorite de la ville, sur la route de l’aéroport. En face de cette base (43e BIMa), la commune de Port-Bouët, et tout particulièrement Vridi, un quartier populaire de l’agglomération abidjanaise. Les habitants de ce quartier apprécient fortement la présence militaire, beaucoup d’entre eux travaillent dans la base, et les autres profitent, de ce fait, de la relance du commerce dans ce quartier particulièrement pauvre d’Abidjan. Pourtant, on entend régulièrement dans tout Abidjan, des propos s’opposant à la présence de la France, et ce parfois très violemment [7] ! Il n’y a donc pas une acceptation généralisée de la force militaire étrangère, la situation relève autant du comportement de l’Armée en question que de la perception de la politique menée par le pays qui la déploie par la population locale. L’interraction amène à des situations très différenciées, auxquelles doivent s’adapter les militaires. Néanmoins, il est important de souligner qu’une bonne entente avec la population locale donne un double avantage : d’une part la nette facilitation des opérations « désagréables » pour les habitants (fouilles de maisons pour trouver des armes par exemple) ; d’autre part cela permet aux militaires de faciliter le renseignement dit « d’ambiance ». La réparation d’un réseau électrique n’est donc jamais anecdotique, puisqu’il permet de faciliter l’acceptation de la force comme « aide » à la population (le risque le plus grand à mesure que l’intervention s’ancre dans le temps est d’être perçu comme un « occupant », et de voir toute action rejetée par la population, comme c’est le cas pour les militaires états-uniens à Bagdad, qui ont pourtant été accueillis comme des « libérateurs » en 2003.
Si vous avez rencontré des militaires, vous ont-ils parlé de certaines caractéristiques du combat en zone urbaine ?
La question est très large et renvoie à des contextes et des enjeux différenciés en fonction des Armées et des Armes. Le cas le plus souvent présenté est celui des Fantassins (Infanterie), qui sont bien évidemment au cœur de ces problématiques d’une adaptation de la doctrine et de la stratégie à un contexte nouveau. Je vous renvoie à mon mémoire de maîtrise (mon mémoire de DEA n’étant pas pour l’instant disponible en ligne). Quelques sources « incontournables » sur cette question :
- Un numéro Hors-série de la revue Raids : « Le combat urbain. Analyses et persepctives » (plein d’informations et de témoignages, avec des études de cas précises). De nombreux autres numéros de cette revue abordent la question du combat urbain, soit à travers des exemples précis de conflits, soit à travers des études de certaines Armes.
- Le rapport « Villes et conflits intra-étatiques » de Jean-Luc Marret pour la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
- Les nombreux articles et l’ouvrage La guerre, la ville et le soldat (Odile Jacob, Paris, 2002) de Jean-Louis Dufour, dont « Guerre et terrain urbain » (revue Stratégiques, n°82-83) et « Villes et combats urbains au XXe siècle » (revue Guerres mondiales et conflits contemporains, n°206, 2002).
- Dans le même numéro de Guerres mondiales et conflits contemporains (« Guerre de rue, guerre dans la rue »), l’article du général Emmanuel De Richoufftz De Manin : « La zone urbaine : nouveau théâtre d’opérations ? ».
- A propos de l’Armée de l’air (à ne pas négliger dans son implication de plus en plus importante dans les combats urbains !) : Puissance aérienne et théâtre urbain (une étude du CESA – Centre d’études stratégiques aérospatiales).
- La position du général Thorette : « Les actions en zone urbaine doivent nous forcer à réfléchir ensemble, civils et militaires ».
- Les Cahiers du RETEX (« retour d’expérience ») sur Grozny, les guérillas irakiennes, le contrôle des foules dans les Balkans, et les combats à Mogadiscio et Grozny.
Quelques points de précision cependant. Je ne parlerais pas d’UN combat urbain uniformisé, mais bien de plusieurs types de combats urbains, en fonction de qui intervient (quelle Armée, quelle Arme [8] ?), dans quel contexte (cadre interallié, national ?), contre qui (guérilla, Armée « officielle », milices, groupes criminels ?), dans quels buts (mandat ONU, OTAN, national ? Opérations de guerre, d’imposition de la paix, de maintien de la paix, d’aide humanitaire ?)... Les caractéristiques du combat urbain sont bien connues : imprévisibilité de la réaction de la population, problème de la présence de civils qui servent parfois de « boucliers humains » (éthique des Armées occidentales face à des combattants usant de tous les moyens), émergence de « zones grises » dans la ville, échappant à tout contrôle, milieu en trois dimensions (sous-sol, sol, hauteurs), qui réduit la capacité de manœuvre de la Cavalerie (par exemple, manque d’adaptation bien connue du char Leclerc, contraint d’intervenir seulement dans les plus grandes artères de la ville, alors même que les belligérants se « terrent » dans les plus petites ruelles, méthode bien connue de la guérilla) ainsi que la visibilité pour toutes les Armes de « mêlée »... Il me semble plus « original » de revenir sur cette différence entre les différents types d’Armes, et sur les problèmes pour les Armes de soutien par exemple.
[1] Je vous renvoie, pour l’exemple, à un article de presse (écrit à l’occasion du premier anniversaire de l’indépendance du Kosovo) de Stéphane Sohian : « Kosovo : le nouvau-né grandit » (Le Télégramme, 18 février 2009), qui fait allusion à cet enthousiasme de la communauté albanaise vis-à-vis des Etats-Unis.
[2] Il ne s’agit pas là d’un jugement, je rapporte les impressions des habitants du Kosovo que j’ai interrogé en février-mars 2004.
[3] Que la presse a souvent évoqué. Voir des détails sur le site Global Security. Voir également les débats et les dénonciations autour de la présence de ce camp (attention, ces sources ne sont pas neutres ! Il s’agit d’exemples autour des polémiques créés autour de l’hostilité face à la présence des militaires états-uniens) : « Images satellitaires pour trouver les prisons secrètes » ou « La base américaine de Camp Bonsteel au Kosovo ». Les polémiques n’auraient peut-être pas existé si la présence états-unienne n’avait pas été jugées avec une grande hostilité par la population locale...
[4] Au contraire de la logique des Etats-Unis, qui est de faire venire tous les personnels civils des Etats-Unis, ainsi que la nourriture, et toute forme d’approvisionnement. Les villes environnantes ne profitent de l’implantation des bases états-uniennes ni en termes d’emplois, ni en termes de commerce.
[5] Pour avoir une idée synthétique et précise de l’organisation et des défis de gestion dans l’agglomération abidjanaise, voir le site « Métropoles en mouvement ».
[6] Voir, à titre d’exemple, une pétition contre la présence française en Côte-d’Ivoire, datant de 2006, et tout particulièrement ciblée contre la présence de la force armée.
[7] Tout particulièrement contre l’ancien Président Jacques Chirac, et ce bien après la fin de son mandat (entendu en septembre 2008 : « Chirac est mort ! », et tous les passagers du bus se sont levés par fêter l’événement... Cette anecdote arrive très régulièrement – voire quasi quotidiennement – à Abidjan).
[8] Les problématiques les plus souvent abordées par les medias sont celles des Armes dites « de mêlée », directement liées au combat, tout particulièrement le cas de l’Infanterie. Pourtant, les difficultés pour les Armes dites « de soutien » ne sont pas moins grandes dans la logique d’adaptation dans un milieu en trois dimensions. A titre d’exemple, le cas (peu souvent abordé !) des Transmissions (pourtant, sans de bons moyens de communication, les fantassins se retrouvent rapidement isolés dans une ville dans laquelle la visibilité est fortement réduite de par les hauteurs des immeubles !).
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