Aujourd'hui, est célébrée la Journée mondiale de l'eau, qui "clotûre" le 5e Forum mondial de l'eau (voir à ce propos les récents articles du blog Planète Vivante qui dressent un portrait très détaillé des enjeux identifiés et des débats en cours : "Journée Mondiale de l'Eau : Partager l'eau, partager les opportunités..." du 21 mars 2009, "5e Forum mondial de l'eau : Méditerranée, pays arabes et Asie-Pacifique (19/20 mars 2009)" du 21 mars 2009, et "5e Forum de l'eau : l'Afrique au coeur de la journée du 18 mars 2009" du 21 mars 2009, "5e Forum mondial de l'eau : résumé des deux premières journées" du 19 mars 2009, "Nouveau Rapport mondial de l'ONU sur les ressources en eau" du 14 mars 2009, "5e Forum Mondial de l'Eau 2009" du 14 mars 2009).
La question de l'eau comme facteur crisogène est souvent débattue. Celle de la question de l'accès à l'eau pendant la guerre - et ce, même lorsque l'eau n'a pas été un facteur déclencheur et/ou aggravant de la pré-crise - l'est moins. Quelques pistes de réflexion sur le lien entre eau et guerre dans la ville, dans un contexte où l'eau devient une source de contestations, de rivalités de pouvoir, et un enjeu géostratégique (voir, par exemple, l'ouvrage de Jacques Sironneau, 1996, L'eau. Nouvel enjeu stratégique mondial, Economica, collection Poche Géopolitique, Paris, 111 pages - si cet ouvrage "date", il est néanmoins une importante source de réflexion et pose de nombreuses pistes de réflexion sur le partage de l'eau comme facteur crisogène du XXIe siècle. Voir, également, le compte-rendu du Café géo avec le géographe Jacques Béthemont, spécialiste de la question, sur "L'eau, un enjeu pour le XXIe siècle", ainsi que les Actes du FIG 2003 consacré à la question "L'eau, source de vie, source de conflits, trait d'union entre les hommes"). "Sous le terme d'eau urbaine on entend aussi bien les besoins domestiques des citadins que l'eau nécessaire au fonctionnement des services de la cité. La consommation des villes, notamment dans les pays en voie de développement, croît de façon exponentielle sous l'effet de plusieurs facteurs qui s'additionnent : le nombre des consommateurs a doublé en quinze ans et les grandes métropoles se multiplient ; le niveau de vie s'améliore et, avec lui, la consommation d'eau domestique par habitant et par jour augmente ; enfin, les citadins sont de plus en plus nombreux à être branchés sur les réseaux. A cette demande croissante s'ajoutent les utilisations industrielles et l'énorme consommation touristique (900 ou 1000 litres par jour et par lit occupé). On comprend, dans ces conditions, que la demande d'eau urbaine ait pu tripler en moins de vingt ans" (Georges Mutin, 2000, "De l'eau pour tous ?", La Documentation photographique, n°8014, avril 2000, p. 9).
Des inégalités spatiales
La question de l'accès à l'eau potable pendant la guerre met en jeu une géographie des inégalités à plusieurs titres. La fragmentation de la ville en divers quartiers-territoires (quartiers appropriés par une communauté - qu'elle soit politique, sociale et/ou identitaire - protégée par une milice : voir, à ce propos, les billets "Lignes de fractures et fragmentations : "l'éclatement" de la ville dans la guerre" du 24 octobre 2008 , et "Villes en guerre et fragmentations" du 12 octobre 2008) remet en cause non seulement les pratiques urbaines et l'organisation fonctionnelle de la ville, mais aussi les questions de l'approvisionnement des quartiers, notamment en nourriture (voir le billet "L'alimentation dans les villes en guerre : réflexions autour du cas de Kaboul", du 13 octobre 2008) et en eau.
A l'organisation sociospatiale d'avant-guerre de la ville, qui met déjà en scène des inégalités quant à l'accès à la ressource hydrique (territoires de l' "élite" vs territoires de la pauvreté), mais également quant aux risques d'inondation très prononcés dans certains quartiers (voir, à ce propos, le billet de Planète Vivante sur "Comment lutter contre les inondations en milieu urbain ?" du 26 février 2009), la guerre surajoute de nouvelles inégalités. Quelques questions se posent dès lors : d'où vient l'eau ? Question "classique" lorsque l'on envisage l'analyse d'un hydrosystème, notamment au prisme des conflits d'usage. La question se pose d'autant plus dans les villes en guerre que la fragmentation de la ville en quartiers-territoires permet aux belligérants d'envisager l'eau comme une arme. Le quartier-territoire se trouve-t-il en aval ou en amont, vis-à-vis de la source en eau elle-même et de la localisation des autres quartiers-territoires ? Autrement dit, y a-t-il un territoire "ennemi" qui me sépare de la ressource en eau ? Dès lors, on peut se demander quels sont les enjeux autour de l'approvisionnement en eau dans la ville en guerre ? Ils sont doubles : sécuriser l'accès à la ressource hydrique pour MON territoire, et empêcher "l'Autre" d'accéder à l'eau potable. L'eau, que l'on analyse souvent au regard de son aspect crisogène (comme facteur déclencheur ou aggravant dans des conflits) devient également une arme. La question de la survie passe aussi par le fonctionnement préexistant dans les quartiers : les approvisionnements en eau étaient-ils tous liés aux services urbains de distribution des eaux ? Dans ce cas, le quartier est fortement vulnérabilisé, complètement soumis à un seul système d'approvisionnement. On peut, par exemple, confronter deux quartiers populaires de la ville d'Abidjan : Treichville (où l'habitat selon le modèle de la cour commune est très nettement dominant : chaque cour commune accède alors à deux systèmes d'eau : d'une part, un robinet - peu utilisé car l'eau y est payante ; d'autre part, un puits qui récolte l'eau des pluies et permet de se laver, de laver son linge, de cuisiner...) et Yopougon (dont la modernisation progressive a progressivement remplacé l'habitat sur cour, par des immeubles modernes). Force est de constater que les conditions de vie pendant les crises ivoiriennes étaient nettement plus difficiles à Yopougon, notamment dans l'approvisionnement en eau qui ne reposait plus - ou quasiment plus - que sur un seul système, créant ainsi une forte vulnérabilisation du quartier (voir, pour la ville d'Abidjan, l'excellent site Métropoles en mouvement).
L'eau peut également être un enjeu tactique, non en tant que ressource vitale pour la vie, mais cette fois en tant que délimitation des territoires. Ainsi, la destruction des ponts traversant des fleuves dans la ville peut permettre d'obtenir un avantage tactique, qui permet le ralentissement des armées ennemies. Néanmoins, il est toujours possible de construire de nouveaux ponts, même temporaires, ou de contourner la difficulté, en passant plus loin. C'est plus un ralentissement d'opérations qu'un réel blocage. L'eau-fleuve peut néanmoins permettre la mise à distance de quartiers-territoires : le pont ainsi détruit marque une réelle séparation entre deux quartiers appropriés par des communautés et défendus par des milices opposées. On pense là à l'exemple de la ville de Mitrovica, celle de Mostar, ou celle de Belfast. L'eau, non en tant que source de vie, mais en tant que frontière urbaine, comme agent de sécurisation du quartier-territoire et enjeu symbolique dans la visibilité de la distanciation dans le paysage urbain.
Les défis de l'après-guerre
Tout d'abord, la question de la reconstruction des services urbains de distribution de l'eau, qui met en place une géographie de l'inégalité entre quartiers "prioritaires" et quartiers "délaissés". Egalement, la question de la dégradation de la qualité de la ressource, surtout du fait de la pollution des eaux (par exemple, les eaux de l'Ibar et de son affluent la Sitnica, dans la ville de Mitrovica, sont totalement rendues unitilisables à la consommation, du fait d'une pollution excessive au plomb, directement rejeté depuis le complexe industrialo-minier de Trepca, d'où la décision de la communauté internationale de fermer celui-ci aux lendemains des accords de paix. Néanmoins, les eaux sont restées impropres à la consommation de très longues années. Les risques de pollution de ces eaux sont encore grands, dans la mesure où les déchets industriels de Trepca, stockés dans des cuves à ciel ouvert, sont laissées en l'état : un risque industriel est à craindre, sans compter la pollution continue de l'air). La dégradation et la pollution des eaux passent également par le rejet très important de déchets de toutes sortes (industriels ou domestiques) dans les rivières elles-mêmes ou à leur proximité (les déchats "tombant" dans les rivières au gré des aléas climatiques).Le fleuve-frontière est enfin un enjeu symbolique, cristallisant les revendictions territoriales et les luttes identitaires, comme on l'a (souvent ?) abordé dans ce blog (voir, notamment les billets sur la ville de Mitrovica).
1 commentaire:
Merci pour cette synthèse !!! il y a une série de documents sur le site du CICR sur le thème "Accès à l'eau dans les zones de conflits"
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