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mercredi 3 septembre 2008

Le pont de Mitrovica : violences et médiatisation au Kosovo


Le pont de Mitrovica est devenu un symbole fortement médiatisé. Le lien entre médias et guerre mérite d'être analysé : les images qu'ils nous transmettent, les informations qu'ils nous procurent "formatent" notre perception des conflits. Dans le cas de Mitrovica, le pont a été une image récurrente, symbole à la fois de la division de la ville et de l'action militaire de l'OTAN. Tout comme les cartes, les images portent en elles un discours : le fait même de focaliser l'attention sur un lieu (ou d'en ignorer un autre) reflète la perception de l'auteur du discours et son intention. Difficile aujourd'hui d'ignorer la ville de Mitrovica et son célèbre pont. D'ailleurs, il est intéressant de signaler qu'il existe 2 ponts dans cette ville : l'un au coeur de la ville, l'autre à l'Est. Ces 2 ponts traversent la rivière Ibar, cette frontière vécue qui sépare les quartiers serbe au Nord et albanais au Sud. Ces 2 ponts marquent des espaces pratiqués différenciés et le peu d'échanges qui existent entre les 2 quartiers. Et pourtant, on ne parle dans le discours médiatique que d'un seul pont : LE pont de Mitrovica. Maurice Pergnier, professeur de linguistique parle ainsi de "géographie sacrée", montrant combien les noms de lieux jusque-là inconnus ont été chargés de valeurs érigées comme immuables dans le conflit (PERGNIER, Maurice, 2002, Mots en guerre. Discours médiatique et conflits balkaniques, L'Age d'Homme, collection Mobiles politiques, Lausanne, 165 pages). Analyse de quelques images et des mots qui leur sont associés dans la presse.




Le pont : symbole de la division

Une photographie parue dans le journal gratuit 20 minutes le 11 mai 2008. Quelques mois après l'indépendance, le journal fait le point sur la situation à Mitrovica. Un titre : "Mitrovica, une ville divisée que seule la résignation rassemble". La photographie s'insère dans ce discours : "Le pont sur l'Ibar, qui sépare Mitrovica nord et sud". La récurrence du pont comme symbole de la division est prégnante dans cet article, comme de nombreux autres. Aujourd'hui, les journalistes le montrent comme un point de passage ouvert, en plein centre-ville, mais qui paradoxalement est désert. Une image forte pour montrer l'entre-soi communataire, dans une ville où Serbes et Albanais s'enferment dans leur quartier, de sorte à transformer leur espace de vie en 2 villes plutôt qu'une.





Le pont : symbole des violences


L'image du pont est aussi associée aux nombreuses manifestations qui opposent Serbes et Albanais dans la ville. Ce simple point de passage est ainsi devenu un haut-lieu de la contestation, de la violence et de l'intolérance vis-à-vis de "l'Autre". Ici, la photographie illustre une manifestation du mois de juin 2008, où des Serbes tentent de traverser le pont (Le Point, 23 juin 2008). Car, si le pont est désert ou quasiment, la plupart du temps, les médias nous le montrent le plus souvent comme le point focal des émeutes, des violences. Il s'agit alors de traverser le pont, comme un geste symbolique. Les médias nous montrent de façon récurrente ce type d'images, focalisant leur attention sur les mouvements de manifestations et de violences, se préoccupant peu du pont le reste du temps, amenant ainsi l'image fortement ancrée dans l'esprit du lecteur/téléspectateur d'un pont symbole de violences et d'intolérance. A l'opposé, les efforts des différentes ONG pour créer des rencontres intercommunautaires ne sont, quant à eux, rarement soulignés dans les médias, et les images sont peu nombreuses (par exemple, l'ONG Sports sans frontières qui met en place des rencontres de football entre enfants albanais et serbes). L'attention est portée sur les violences, reflétant ainsi une image du pont comme un haut-lieu d'une géographie de la peur et de la haine, dotée d'un certain fatalisme quant à la situation. Non pas que ce symbole soit dénué de sens (loin de là !), mais le lecteur/téléspectateur n'est pas "autorisé" à percevoir d'autres symboles.




Le pont : symbole de l'action de la communauté internationale

Le pont est le symbole de l'action de la communauté internationale, et ce à double titre. D'une part, le pont reflète l'effort de sécurisation, de maintien de l'ordre et de pacification entrepris par la communauté internationale depuis 1999. Les images sont fortes et chargées de symboles : les militaires de la KFOR, les policiers de la MINUK sont régulièrement montrés défendant par la force le pont et maintenant chaque communauté dans son quartier pour rétablir l'ordre. Ces images. Ces images montrent au public d'une part l'intérêt de la mission de maintien de la paix au Kosovo (sur cette photographie comme sur la plupart des photographies officielles, souvent diffusées par la presse, le ministère de la défense met en valeur ce type d'images montrant la force militaire contenant la violence à Mitrovica, et assurant ainsi la pérennité de la pays pour le Kosovo) .

Autre symbole, mis en avant temporairement par la communauté internationale, puis "oublié" (ou du moins relégué dans les archives de la presse) du fait de son échec, celui de la communauté internationale reconstruisant le pont comme "symbole de la réconciliation au Kosovo". Le pont était, avant sa reconstruction, d'apparence très sommaire. On le voit ici mis en ligne par le site présentant l'action de la KFOR française, dans un article intitulé "Le pont de Mitrovica, monument dédié à l'avenir de la cité", dans lequel les photographies du pont avant et après sa reconstruction mettent en valeur cette volonté d'implanter un géosymbole au coeur de cette ville, afin de réunir ses 2 quartiers. Auparavant, il ne s'agissait que d'un point de passage, son aspect architectural n'avait aucune importance pour des populations préférant l'entre-soi communutaire, et une sorte de tolérance tant que chacun restait dans son quartier. Le pont a été reconstruit par la communauté international, avec une architecture démesurée et qui donne à ce pont son caractère paradoxal. Lumières bleues, arches gigantesques, le pont devait être le symbole de la réconciliation en devenant une voie de communication utilisée pour relier les quartiers de Mitrovica, et ainsi les aires de peuplement serbe au Nord et albanais au Sud du Kosovo.



PONT ET SYMBOLES : Force est de constater que les images qui nous sont offertes ont peu changé depuis la fin de la guerre du Kosovo. Depuis bientôt 10 ans, l'opinion publique voit des images d'un pont où se manifeste la violence, l'intolérance et la division de la ville. Les images de 2000 ou celles d'aujourd'hui semblent se ressembler trait pour trait. Mitrovica, un pont, la violence entre des populations. Les médias participent donc d'une perception que l'opinion publique retient de cette ville divisée.
LIENS VERS LE SITE "GEOGRAPHIE DE LA VILLE EN GUERRE" :

2 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour,
Votre sujet concernant Mitrovica est très bon. J'étais la bas, a Mitrovica, de avril 2000 a août 2000, en tant que militaire de l'Armee Francaise ( sous-officier ).
Je viens de regarder la photo du pont, et ce que je peux dire c'est qu'il a énormément change depuis l'année 2000.
J'ai moi-même énormément de photos.
Cordialement,
Olivier

Tratnjek Bénédicte a dit…

Le gigantisme du pont a, en effet, été pensé comme un symbole du changement, d'une rupture entre guerre (en 2000, la guerre "officielle" était terminée, mais l'état de guerre était relativement constant, ou tout du moins Mitrovica était souvent l'objet de revendications, de manifestations, et de violences) et paix. L'idée était de marquer dans le paysage par ce "changement". Je n'ai malheureusement que peu de photographies pour montrer combien le nouveau pont transforme le paysage et l'espace de vie des habitants (m'étant rendue pour la première fois à Mitrovica après la construction du nouveau pont). Mais malgré ces objectifs et les moyens investis dans la construction du pont, force est de constater que très longtemps le pont a dû être fermé à la circulation et protégé par les militaires français. Aujourd'hui, si le pont fait l'objet d'une surveillance amoindrie (présence des militaires, mais pas de contrôle systématique des véhicules, et même transfert de plus en plus marqué de la surveillance du pont de la KFOR vers la police du Kosovo), peu de personnes ou de véhicules traversent le pont, chacun restant le plus possible "chez soi", dans SON quartier.