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lundi 29 juin 2009

La question de l'identité dans les Balkans : quelques vidéos


Suite au billet d'hier sur "la bataille de Kosovo Poljé", il apparaît combien la construction identitaire a pu être l'objet de rivalités politiques dans l'ex-Yougoslavie dès la mort de Tito en 1980. La question de l'identité dans les Balkans est essentielle pour comprendre les enjeux, les intentionnalités des différents acteurs et les conséquences des guerres de décomposition de la Yougoslavie. Le "Yougoslave" (Slave du Sud) n'existe plus aujourd'hui, dans la mesure où les habitants des différents pays issus de la Yougoslavie ne se reconnaissent plus dans cette identité, qui fut assez éphémère. Elle a été surtout construite par les différentes politiques (que ce soit en termes d'aménagement du territoire, en termes de politiques discursives autour du concept d'Etat-nation, en termes de politiques "officieuses" dans le cadre de rivalités politiques entre Tito, les opposants au communisme, et parfois certains représentants du parti lui-même). Aujourd'hui, les identités nationales se sont multipliées avec l'émergence de nombreuses frontières étatiques suite à l'éclatement de la Yougoslavie (Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Macédoine, et plus récemment Monténégro, et Kosovo). Parallèlement, la question des minorités s'est compliquée, puisque l'émergence de nouvelles frontières a placé de nombreuses populations en situation de "minorité" sur le même territoire. Voici quelques vidéos portant sur la question de l'identité dans les Balkans, pour éclairer les différentes problématiques (nationalité, nation, Etat-nation, minorité, minorité transnationale, minorité sans Etat, mobilités...) qui se posent avec l'émergence de nouvelles frontières suite aux guerres de l'ex-Yougoslavie.



En premier lieu, les vidéos d'entretiens avec Jean-François Gossiaux (anthropologue, directeur d'études à l'EHESS, spécialiste des Balkans) datant 2004 sur la question de la "Construction d'identité nationale dans les Balkans" et celle de l' "Antrhopologie du Sud-Est européen". Bien évidemment, en 5 ans, des problématiques nouvelles se sont surapposées à celles présentées dans cette vidéo (notamment avec l'indépendance du Monténégro unanimement acceptée, et celle très controversée du Kosovo). Pourtant, l'entretien est à écouter avec attention, révélateur de problématiques identitaires (minorités, nations, Etats-nations, nationalités...) qui ne touchent pas seulement les pays issus de l'ex-Yougoslavie, mais également les membres de l'Union européenne.



Construction d'identité nationale dans les Balkans (19 mai 2004)



Anthropologie du Sud-Est européen (7 avril 2004)





Egalement, les vidéos des différents Dessous des cartes sur la question de la décomposition de l'ex-Yougoslavie et l'apparition des nouveaux Etats, et donc la reconfiguration socioculturelle et géopolitique de la question de l'identité, avec l'apparition de nouvelles frontières.


L'ex-Yougoslavie : les fractures historiques





La Slovénie européenne
Emission du 9 février 2007 (voir les cartes)






L'orthodoxie dans les Balkans (Serbie et Grèce)
Emission du 25 novembre 2000.
Voir les cartes de cette émission.





Quel statut pour le Kosovo ?
Emission sur l'identité du Kosovo avant son indépendance.
Emission du 3 mai 2006 (voir les cartes).








Macédoine ou la difficile construction d'un Etat
Emission du 18 mai 2005 (voir les cartes).



Monténégro, vers l'indépendance
Emission du 21 juin 2006
Voir les cartes de cette émission.




Retrouver également :

  • Les cartes et les commentaires du Dessous des cartes sur l'indépendance du Kosovo datant du 24 mai 2008.
  • L'émission de radio Les Enjeux internationaux (sur France Culture, du lundi au vendredi 7h15-7h25). Deux émissions peuvent être encore écoutées (les émissions restent à disposition pendant 6 mois) : celle du 19 février 2009 avec pour invité Alexis Troude sur la question de la situation des "Balkans" un an après l'indépendance du Kosovo ; et celle du 21 avril 2009 avec pour invité Michel Sivignon sur la question des "Minorités".

dimanche 28 juin 2009

28 juin 1389 : la bataille de Kosovo Polje


Le 28 juin 1389 est devenue une date importante pour les Serbes, et n'est pas sans incidence dans l'histoire récente du Kosovo : c'est la date de la défaite dans la bataille de Kosovo Poljé. Cette bataille qui opposa le prince serbe Lazare et le sultan ottoman Mourad 1er se solda par la mort des deux chefs. Mourad 1er, mort dans les combats, fut remplacé par son fils, qui triompha du prince serbe. Par la suite, l'empire ottoman continua son avancée dans les Balkans, dont une grande partie resta sous son contrôle pendant des siècles. Une date lointaine comme il en existe dans toutes les Histoires nationales ? Pas si sûr...

Parce que cette Histoire a été réappropriée dans la construction du nationalisme serbe dans les années 1990. De l'Histoire à une histoire (sans majuscule). Réappropriée, transformée et mythifiée. Dans les faits, aux côtés du Prince Lazare se trouvait une majorité de Serbes, mais également des Bulgares, des Valaques... et des Albanais ! Du côté du sultan ottoman, bien évidemment les soldats turcs, mais également des mercenaires balkaniques : des Albanais, tout comme des Serbes ! Dans la version mythifiée : tous les Serbes ont résisté contre l'envahisseur ottoman (cela ne vous rappelle pas une bande dessinée - à fortes connotations critiques de la société française moderne - pour qui un village gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur romain, "surfant" sur une histoire de la Gaule simplifiée), alors que les Albanais se sont rangés aux côtés de l'Empire ottoman. Dans le mythe également, la conversion des Albanais (à l'origine catholique) à l'Islam fut rapide et s'est étendu à l'ensemble des territoires habités par cette populations, les discours nationalistes serbes reprochant ainsi l'arrivisme des Albanais. Dans les faits, l'islamisation fut très longue et partielle : dans les montagnes du Kosovo (on connaît l'importance des montagnes comme zone refuge !), les populations albanaises sont encore aujourd'hui catholiques (on en parle peu, présentant souvent - avec bien trop de rapidité analytique et un simplisme s'appuyant sur des thèses telles celle du "choc des civilisations").


L'identité est un facteur crisogène très important, et la manipulation de l'Histoire par des discours politisés est un moyen bien connu pour attiser des tensions intercommunautaires, sur des fonds de rivalités de pouvoir.

samedi 20 juin 2009

Le Dessous des cartes : l'Afghanistan, une autre stratégie


A noter : la prochaine émission du Dessous des cartes sera consacrée à l'Afghanistan : "L’Afghanistan est en guerre depuis 30 ans. La carte des ethnies est en même temps la carte de l’empreinte des mouvements de guérillas, le commerce de la drogue est central. Que va t-il se passer avec la nouvelle stratégie du Président démocrate américain Obama et la force internationale de l’OTAN, avec des élections présidentielles en Afghanistan en Août 2009 ?". Retrouvez l'émission "Afghnistan : une autre stratégie" le mardi 30 juin 2009 à 22h45 sur Arte (et de nombreuses rediffusions pendant le mois suivant sur la TNT). Toutes les cartes de cette émission peuvent être retrouvées après sa première diffusion sur le site du Dessous des cartes.


Sur le cas de l'Afghanistan, à retrouver également :
  • Jean-Dominique MERCHET, Mourir pour l'Afghanistan. Pourquoi nos soldats meurent-ils là-bas ? (Editions Jacob-Duvernet, Paris, 2008, 181 p.) dans lequel le célèbre journaliste spécialisé sur les questions de défense offre un regard critique sur les intentionnalités politiques dans l'opération militaire menée en Afghanistan.
    Voir une note de lecture par le C2SD sur ce livre, et le blog de Jean-Dominique Merchet Secret Défense.
  • Patrick DOMBROWSKY et Simone PIERNAS Simone, Géopolitique du nouvel Afghanistan (Ellipses, collection Référence Géopolitique, Paris, 2005, 111 p.). L'ouvrage date de 2005, beaucoup de choses ont changé (comme en discutera Jean-Christophe Victor dans l'émission du 30 juin), mais permet de comprendre de manière synthétique les principaux enjeux de la situation contemporaine en Afghanistan.

Les Rroms, une nation en devenir ? (Morgan Garo)


Olivier Kempf en avait parlé sur son blog, souligant l'intérêt d'une analyse ne tombant pas dans un culturalisme excessif pour aborder la question des Rroms (ou Roms) en tant que minorité transnationale, sans Etat, mais aujourd'hui, et plus encore demain, véritable enjeu politique (tant à l'échelle des Etats que celle d'une Union européenne pour qui se pose âprement la question des minorités). Voici une note de lecture de l'ouvrage de Morgan Garo (docteur en géopolitique) sur la question de la minorité/nationalité/nation rrom.


Morgan GARO, Les Rroms. Une nation en devenir ?, Editions Syllepse, collection Histoire : enjeux et débats, Paris, 240 p.


Les Rroms (ou Roms) sont-ils cette nation sans Etats indésirable qui « pullule » dans des scouats improvisés au gré de leur itinérance ? Ou plutôt correspondent-ils à l’image romantique véhiculée dans des romans (tels que le bohémien énigmatique dans Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier ), image qui touche à la fois au mystique et à une liberté fantasmée ? Les mobilités - contraintes ou volontaires - de ce peuple sans Etat ne cessent d’interroger sa place sur le continent européen, son statut, ses territoires, sa (non)intégration. Ceux que l’on nomme négativement Tsiganes, Romanichels, Manouches... forment une minorité à part en Europe : peuple minoritaire tant dans une Europe de l’Ouest où ils sont assimilés à la criminalité et à une mobilité frauduleuse, que dans une Europe de l’Est où ils sont ancrés dans les territoires de la pauvreté, les Rroms subissent partout une ségrégation sociospatiale inscrite dans les paysages.


Lire la suite sur le site des Cafés géo ->

samedi 13 juin 2009

Guerre et fragmentation urbaine (Elisabeth Dorier-Apprill)


Dans la série des "documents fondamentaux" pour comprendre les liens entre guerre et ville, ce texte de la géographe Elisabeth Dorier-Apprill est à la fois clair, précis et concis. Extrait de l'ouvrage collectif Vies citadines, qui propose une analyse de la ville par-delà les spécificités locales et régionales, et pose de multiples pistes de réflexion très stimulantes.

Cliquez sur le texte pour l'agrandir !


Parmi les références citées dans l'article, 2 sont disponibles sur Internet :


Pour aller plus loin sur l'ouvrage Vies citadines :

  • Le site "Citadinité" créé pour présenter ce projet (mené par une équipe de chercheurs, le projet a abouti à un réel ouvrage collectif : les chapitres ne sont pas une accumulation d'articles rédigés par des auteurs différents, mais sont tous écrits à plusieurs mains et relus par tous les auteurs).
  • Les notes de lecture dans les Cafés géo et Géocarrefour sur cet ouvrage.
  • Le compte-rendu du Café géo du 30 octobre 2007 : "Une nouvelle géographie des villes", avec pour invitées 5 des 15 auteurs de l'ouvrage : Elisabeth Dorier-Apprill, Sophie Didier, Sophie Lehman-Frisch, Bénédicte Florin et Florence Bouillon.

vendredi 12 juin 2009

La sécurité alimentaire vue par Frédéric Landy


Frédéric Landy est maître de conférences en géographie à l'Université Paris 10, spécialiste de l'Inde. Il a travaillé tout particulièrement sur la question de la sécurité alimentaire dans son ouvrage Un milliard à nourrir. Grain, territoires et politique en Inde (Belin, collection Mappemonde, 2006). Pour Le Mensuel de l'Université, il revient sur le concept de sécurité alimentaire (vidéo publiée le 5 mai 2009).

A lire également sur les travaux de Frédéric Landy et la question de l'alimentation en Inde :

jeudi 11 juin 2009

La guerre, la ville et la mer


Quoi de commun entre Abidjan, Beyrouth, Dubrovnik, Freetown, Mogadiscio ou Port-au-Prince ? Au moins trois points : leur urbanité, leur conflictualité et leur littoralité. Quels liens peut-on faire entre « la guerre, la ville et la mer » (pour détourner le titre de l’ouvrage de Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville et le soldat, Editions Odile Jacob, 2002) ?



Les villes côtières et la guerre

« C’est par la mer qu’il convient de commencer toute Géographie » (Michelet, cité dans Jean-Pierre Paulet, Les villes et la mer, Ellipses, collection Carrefours, 2007). On parlera ici de littoralité pour aborder l’ensemble des villes côtières, qu’elles aient ou non une fonction portuaire importante. Parce que cette ouverture sur la mer a de forts impacts en termes tactiques et stratégiques dans la conduite de la guerre (comme l’a démontré d’ailleurs Stéphane Taillat sur le cas des Marines dans son billet « De l’action “au-delà de l’horizon” à la stabilisation des “littoraux chaotiques”: la doctrine des Marines » du 2 juin 2009 sur AGS). « Les villes côtières occupent un rôle majeur et la nécessité d’avoir des positions face à la mer a toujours été une réalité de l’histoire » (Jean-Pierre Paulet, op. cit., p. 3).



Pour faire simple, les villes côtières peuvent être impliquées de deux manières dans la guerre : la ville côtière affectée par des combats, et la ville côtière qui se dresse comme un soutien pour la conduite de la guerre (on pense là aux bases militaires avancées dans un Etat étranger, qui permettent à un pays de disposer d’une force armée mobilisable et rapidement déployable dans une région éloignée de son territoire nationale). On abordera spécifiquement dans ce billet la ville côtière en guerre, dans la mesure où celle-ci cumule les difficultés pour la conduite des opérations militaires, qu’il convient de minorer, voire de transformer en avantages : l’urbain (en tant que milieu en trois dimensions) et le littoral sont des milieux contraignants pour l’action militaire. D’ailleurs, le géographe Philippe Boulanger, dans sa typologie des « espaces sensibles », laisse une grande place à la fois à la maîtrise du milieu urbain et à celle des littoraux : « tous les espaces sont considérés comme sensibles pour le militaire en opération. Pourtant, certains d’entre eux occupent une place stratégique et tactique croissante depuis la fin du XXe siècle. Les doctrines et les théories militaires sur leur exploitation se multiplient et continuent d’être élaborées. Au moins trois de ces espaces peuvent être distingués : le milieu urbain, le littoral et le milieu aérien. Quant au milieu urbain, la croissance de l’urbanisation et le développement des opérations de maintien de la paix et de coercition dans cet espace constituent des phénomènes à la fois prépondérants et préoccupants. Le militaire, surtout entraîné à combattre en milieu rural durant la guerre froide, prend conscience des contraintes de tout ordre que la maîtrise de ce milieu impose comme en témoigne les récentes expériences russes en Tchétchénie et américaines en Afrique, au Moyen-Orient ou en Amérique centrale. Quant au littoral ou au milieu aérien, la recherche de leur maîtrise n’est pas nouvelle en soi. Mais, en revanche, les doctrines et les techniques d’action dans ces milieux se sont précisées depuis 1945 et montrent l’importance croissante qu’ils occupent pour les opérations en cours et futures. » (Philippe Boulanger, 2006, Géographie militaire, Ellipses, collection Carrefours Les Dossiers, Paris, p. 253).

Petite précision : la littoralité de la ville côtière n’implique pas systématiquement sa maritimité. Dubrovnik, ville croate « célèbre » pour les bombardements serbes qui y ont détruit une très grande partie de ce patrimoine architectural d’une valeur inestimable pendant les guerres de décomposition de la Yougoslavie (on se reportera, pour un excellent approfondissement des enjeux et des impacts de ces destructions relevant de l’urbicide, à l’ouvrage de Clémentine Bories, 2005, Les bombardements serbes sur la vieille ville de Dubrovnik. La protection internationale des biens culturels, Editions Pedone, collection Perspectives internationales, n°27) est bien une ville côtière (située sur les bords de la mer adriatique), mais pas une ville maritime, dans le sens où l’ouverture maritime ne prédomine pas sur l’identité de la ville, ni en termes économiques, ni en termes culturels (la fonction portuaire, limitée au port de pêche et au port de plaisance, n’a pas donné à la ville une identité prédominante). Petit retour sur les définitions : le littoral forme un espace de contact entre la terre et la mer, et donc un espace particulièrement dynamique (pour une définition plus précise et une épistémologie synthétique du concept, voir le site Hypergéo). Les littoraux offrent donc des formes qui privilégient les opérations amphibies pour la conquête de la ville côtière, tandis qu’ils compliquent la défense de la ville pour celui qui la détient. Mais on ne peut réduire le lien guerre/ville/mer à ses principes généraux. A travers les cas de Beyrouth et de Mogadiscio, on verra ainsi deux exemples d’utilisation de la littoralité dans la conduite de la guerre urbaine.



La ville encerclée : la mer comme stratégie d’enclavement de la guerre urbaine

Une ouverture sur la mer ne signifie pas intrinsèquement un désenclavement constant de la ville côtière, et cette position peut être utilisée pour « assiéger » la ville, et ainsi contrecarre les effets néfastes de la guerre urbaine. L’armée israélienne a bien utilisé le principe (pas si paradoxal qu’il n’y paraît à priori !) d’enclavement par la mer contre la ville de Beyrouth. Si l’on connaît bien les conseils des plus grands stratèges de tous temps : éviter la ville, véritable piège pour les armées « classiques » (voir, à ce propos, les nombreux articles de l’AGS d’avril 2009 dont le thème du mois était consacré à « La ville sous le feu »), la réalité du phénomène planétaire d’urbanisation les rend plus que difficiles à appliquer dans les guerres récentes, en cours, et plus encore futures. Pourtant, le siège reste une stratégie séduisante (comme l’a montré le cas de la ville de Sarajevo, assiégée par les forces militaires serbes le temps de la guerre de Bosnie-Herzégovine : voir mon billet pour l’AGS sur « Vivre la ville sous le feu » consacré à cette « ville-prison »). Et si la mer appelle à un imaginaire d’ouverture, d’évasion, d’aventure et de liberté (on lira, à ce propos, le remarquable ouvrage du géographe Michel Roux, 1997, L’imaginaire marin des Français. Mythe et géographie de la mer, L’Harmattan, collection Maritimes, 220 p.), il n’en reste pas moins que la ville côtière peut être enclavée, coupée de cet espace de liberté. Sans réduire l’ensemble des opérations militaires israéliennes menées à Beyrouth à cette seule stratégie (on se reportera notamment à l’ouvrage de Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville et le soldat, Odile Jacob, Paris, 2002, pour le chapitre 8 consacré à « Beyrouth, la ville aux guerres multiples », pp. 195-213), on s’arrêtera ici sur ce principe de l’encerclement de la ville par la mer. L’opération « Paix en Galilée » est ainsi déclenchée, dans un contexte d’internationalisation de la guerre civile libanaise (notamment depuis le début de l’intervention militaire syrienne le 1er juin 1976), le 6 juin 1982. L’avancée israélienne pénétrant par le Liban-Sud est très rapide et n’est pas réellement freinée par les quelques points de résistance tenus par les groupes palestino-progressistes, notamment au Liban-Sud. Dès le 10 juin 1982, Tsahal est aux portes de la capitale libanaise, et la bataille de Beyrouth s’engage le 14 juin. Il est intéressant de noter que les 3 jours séparant l’arrivée des troupes militaires israéliennes aux portes de la ville (« dans la nuit du 9 au 10 juin, Tsahal borde la route Beyrouth-Damas », Jean-Louis Dufour, op. cit., p. 206) et le déclenchement des combats urbains ont permis aux forces israéliennes d’encercler la ville de Beyrouth. Plus intéressante encore, la combinaison des différentes armées pour obtenir un contrôle des trois dimensions : encerclement par la mer, encerclement aérien et encerclement terrestre.



Quelques indications sur la topographie particulière du site de l’agglomération beyrouthine. La vieille ville s’est construite sur un promontoire, formé de deux collines peu élevées : la colline orientale est limitée à l’Est par le fleuve de Beyrouth ; et la colline occidentale se jette dans la mer Méditerranée. Entre les deux collines : la vieille ville, d’où s’est étendue l’urbanisation de l’agglomération, en direction de l’Est, et plus récemment mais de manière plus étendue vers le Sud (voir le schéma très simplifié présentant le site de la ville de Beyrouth et les deux principaux axes de développement de la périphérie). Un site maritime et une situation privilégiant la ville de Beyrouth dans les échanges entre Occident et Moyen-Orient. Néanmoins, les accès à la mer sont peu nombreux : la Méditerranée y est profonde et souvent agitée. De plus, la côte est particulièrement escarpée, tout particulièrement dans la partie Ouest du centre-ville (zone qui correspond aux premières extensions de la ville, mais qui n’a pas été choisie pour l’établissement du site originel justement pour son non-accès à la mer). Les points d’accès par la mer sont donc peu nombreux et leur accès dépend en grande partie des conditions météorologiques. Ces spécificités offraient à l’armée israélienne les conditions idéales pour couper la ville des routes maritimes qui auraient pu permettre l’arrivée d’une aide extérieure, et ce en déployant des moyens relativement limités : Beyrouth est un cas-type de ville côtière offrant peu de plages pour débarquer des troupes. L’armée israélienne a tourné en avantages cette spécificité, d’autant plus qu’elle se recoupait aux caractéristiques terrestres de la topographie de Beyrouth : tout l’Est de la ville est dominé, sur plus de 180°, par des élévations – atteignant 500 mètres de hauteur à seulement 5 km du centre-ville : contrôler l’Est de la ville se résume donc à tenir les quelques points dominants ; au Sud, la ville s’étend dans une banlieue pauvre qui s’urbanise de plus en plus au cœur de la plaine littorale. Au final, que ce soit sur mer ou sur terre, la ville de Beyrouth présente le cas-type de la ville pouvant être encerclée, en bloquant toutes les voies de communication (routes terrestres et routes maritimes). L’encerclement fut même complet avec le déploiement de l’arme aérienne, bloquant ainsi les dernières voies de communication susceptibles de désenclaver – au moins partiellement – la ville de Beyrouth. La maîtrise des milieux fut donc consolidée par le quadrillage mené par les avions de Tsahal, qui non seulement permettaient de contrôler la troisième dimension, mais également de venir un appui des autres forces. Entre le 10 et le 13 juin 1982, l’armée israélienne a mis en place un enclavement total de la ville de Beyrouth. Le 14 juin 1982, la ville – déjà en proie à la guerre civile depuis 1975, est complètement verrouillée. La « bataille de Beyrouth » est lancée.




La ville ouverte : l’ouverture maritime comme atout stratégique

Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1992, les troupes états-uniennes ont débarqué sur le rivage de Mogadiscio (pour une analyse des enjeux de la guerre à Mogadiscio, on se reportera notamment aux articles de Roland Marchal, « La guerre à Mogadiscio », Politique africaine, n°46, juin 1992, pp. 120-125 ; et Mogadiscio dans la guerre civile : rêves d'Etat, Les Etudes du CERI, n°69, octobre 2000) : elles attaquent au même moment la plage voisine de l’aéroport et la zone portuaire, grâce à des véhicules amphibies (aéroglisseurs pour décharger le matériel et hélicoptères pour emmener les hommes). Rapidement, l’aéroport et le port sont aux mains des militaires états-uniens (barrages aux entrées avec contrôle des identités et des véhicules). Que nous apprend cette opération ? La maîtrise des zones offrant un accès privilégié à la ville (port et aéroport) est une priorité pour les militaires tentant de prendre une ville. D’une part, il s’agit d’assurer l’approvisionnement des troupes engagées dans la ville, et plus en profondeur dans la zone de belligérance. Bien évidemment, l’aéroport est privilégié. Mais, il s’agit de ne pas sous-estimer le rôle du port dans ce type d’engagement en zone urbaine : en effet, l’approvisionnement par voie maritime permet une diversification des routes et des moyens (et tout le monde connaît la prégnance de la question de la diversification des approvisionnements énergétiques tant en termes de lieux de l’approvisionnement, de routes empruntées par les énergies que de sortes d’énergie : il en est ici de même, la diversification des moyens de l’approvisionnement en matériel, nourriture, fournitures diverses, hommes… est un atout considérable, dans la mesure où il empêche à l’ennemi de pouvoir rapidement fragiliser la force armée en bloquant sa seule route ou son seul moyen de transport – par exemple, dans le cas où l’ennemi est doté de moyens sol-air efficaces fragilisant, voire bloquant, l’approvisionnement aérien). D’autre part, tenir l’espace entre terre et mer, et tout particulièrement les points d’accès privilégiés (il est évident que les ports sont implantés dans les zones les plus favorables de la ville, et non sur des côtes escarpées !), permet d’empêcher un ennemi d’encercler la ville par la mer (et pouvant déployer des moyens de lutter contre une telle stratégie depuis la ville), ou d’empêcher le débarquement d’un ennemi par la mer. La zone portuaire, pour toute armée possédant une marine de guerre, permet de contrôler la basse mer, et donc de solidifier ses positions à l’intérieur de la ville, en optant pour une stratégie de déploiement depuis la zone portuaire vers les autres quartiers, sans multiplier les lignes de front (et ainsi d’éviter l’encerclement de l’armée engagée dans la ville). Il s’agit, bien évidemment, de principes, les réalités de la guerre étant parfois plus complexes et dépendant essentiellement des moyens dont disposent les ennemis. Néanmoins, ces principes mettent en exergue l’importance de la zone littorale et tout particulièrement de la zone portuaire. Par conséquent, l’implication de l’ouverture sur la mer ne peut être entendue seulement au sens d’un débarquement amphibie, mais doit être prise en compte tout au long de l’opération militaire dans la ville côtière.

A l’intérieur de la ville, pour aborder le combat urbain de manière plus spécifique, la zone portuaire présente également de caractéristiques qui lui sont propres. Tout d’abord, au point de vue urbanistique : dans toutes les villes du monde, la zone portuaire se distingue par son urbanisme. Pour reprendre l’exemple de Mogadiscio, le port constitue un quartier dans lequel les routes sont larges, se croisent à angle droit et délimitent de grandes parcelles, contrairement aux quartiers populaires (dont l’urbanisation n’a pas été maîtrisée et dans lesquels les routes sont sinueuses) et aux bidonvilles (dans lesquels l’urbanisation a été illégale et anarchique, et dans lesquels on ne retrouve que des chemins dans lesquels il est impossible de circuler avec des véhicules). De plus, les maisons du quartier du port sont espacées, et sont formées par trois ou quatre étages : encore une spécificité de ce quartier, contrastant avec les autres secteurs de la ville (entassements dans des maisons ou des baraques basses, qui réduisent l’aspect « trois dimensions » de la ville) ou dans le centre du pouvoir (hauts bâtiments de cinq ou six étages en moyenne). Ces dernières informations sont extraites de l’excellente étude « Géographie et combat en zone urbaine » (Cahier de la recherche doctrinale, CDEF-DREX, janvier 2005) dont la 5ème partie est consacrée à la ville de Mogadiscio. De telles caractéristiques démontrent que le quartier portuaire doit être envisagé comme une zone spécifique dans la tactique menée dans la ville : toutes les zones portuaires (on entend ici par zone portuaire la zone industrielle construite autour d’un port de marchandises pouvant accueillir des navires de commerce importants, et non les zones de pêche ou les ports de plaisance, qui relèvent plus de la littoralité d’une ville côtière que de sa maritimité) sont agencées pour le passage de grands véhicules et pour le stockage de marchandises dans de vastes entrepôts. Une zone qui offre de nombreux avantages pour le déploiement et le positionnement d’une force militaire engagée dans une ville étrangère : les vastes routes permettent le déploiement et la circulation de véhicules militaires lourds, ainsi que le stationnement des hélicoptères (or, on connaît les difficultés à déployer des matériels tels que le char Leclerc dans les villes), et les vastes hangars permettent non seulement de stocker ce matériel, mais également d’établir une base militaire qui servira de point d’appui et de coordination pour l’ensemble des opérations menées dans la ville (les aéroports présentent d’ailleurs des avantages similaires dans l’établissement d’une base militaire au sein de la ville en guerre, comme le montre par exemple le positionnement des troupes françaises dans l’aéroport de Bangui en République Centrafricaine). Néanmoins, cette même spécificité entraîne parfois des contraintes, telles que, dans le cas de Mogadiscio, l’utilisation de ces mêmes espaces vides (le port a été fermé en novembre 1992, tenu par la milice des Murosade, puis après l’intermède états-unien il a été refermé en octobre 1995) par les milices comme point d’appui, ou par les populations civiles déplacées (soit à l’intérieur de la ville, soit en provenance des autres zones de belligérance). Dans le cas de Mogadiscio, Marc-Antoine Pérouse de Montclos a ainsi montré l’impact de l’installation des déplacés de guerre dans les espaces vides, et tout particulièrement dans les entreprises désaffectées de la zone portuaire (Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Villes en guerre en Somalie : Mogadiscio et Hargeisa, Les Dossiers du CEPED, avril 2000). Cette installation de population dans une zone non résidentielle à priori (suite à des mobilités contraintes répondant à des stratégies de survie individuelles) peut d’ailleurs se faire sous deux formes : l’installation dans des camps de déplacés ou dans des « scouats ». La ville côtière en guerre cumule donc les difficultés pour le militaire, présentant à la fois les caractéristiques du milieu urbain et celles du littoral, deux « espaces sensibles ». Et l’on retrouvera ici le concept analysé par Stéphane Taillat de « littoraux chaotiques » dans le cadre de la doctrine états-unienne (op. cit.). L’exemple de Mogadiscio n’a d’ailleurs pas été choisi par hasard, pour présenter brièvement des aspects stratégiques et tactiques de ces « littoraux chaotiques ». Si la Somalie est souvent présentée pour ses différentes phases de guerre urbaine (les combats ont d’ailleurs repris au sein de la capitale le 1er juin 2009, opposant de nouveau des milices sous le contrôle de chefs de clans) ou pour le danger d’attaques de piraterie aux bords de ses côtes (de même l’actualité récente le prouve), la proximité même entre ces deux espaces de tension, la terre et la mer, est souvent peu analysée. Si la géostratégie des mers (on pense notamment là à l’ouvrage d’André Vigarié, 1995, La mer et la géostratégie des nations, Economica, collection Bibliothèque stratégique, Paris, 432 p.) et ce que l’on pourrait appeler la « géostratégie des terres » par opposition, sont particulièrement développées, l’une comme l’autre semble laisser une place marginale à une « géostratégie des littoraux ». Face à la littoralisation de l’urbanisation, les questions de déplacements de zones de tensions parallèlement aux déplacements de population (mobilités « volontaires » ou sous la contrainte) et d’émergence de nouvelles zones de tensions dans les villes (avec un afflux constant de populations qui s’entassent dans des zones déjà précaires, d’où d’importants risques de paupérisation, de bidonvilisation, de criminalisation… des quartiers précaires et des quartiers populaires) vont particulièrement affectées les villes côtières, qui sont de plus en plus attractives. D’où d’importants défis en termes sécuritaires : la littoralisation des zones de tension et la maritimisation des insécurités. Vers une élaboration de « concepts amphibies » ?



Billet également publié sur Alliance géostratégique (AGS).



Quelques liens pour aller plus loin sur Beyrouth :

Sur le déroulement des guerres, les combats urbains et les stratégies des acteurs syntagmatiques :


Sur les problématiques urbaines et la population face à la guerre et l’après-guerre :


Quelques liens pour aller plus loin sur Mogadiscio :

Sur la situation politique et sociale en Somalie :

Sur les opérations en milieu urbain :

Sur les attaques de piraterie :

mardi 9 juin 2009

La bande dessinée et la guerre : l'exemple de Corto Maltese


Un café géo qui s'annonce des plus passionnants à Clermont-Ferrand ce samedi 13 juin 2009 à 17h au café-lecture des Augustes : Raphaël Paris (chercheur au CNRS) mènera ainsi une réflexion sur "Les évolutions de Corto Maltese dans les conflits du XXe siècle". L'occasion d'aborder la manière dont la bande dessinée s'approprie les territoires des conflits, leurs acteurs et leurs enjeux. La bande dessinée est, bien évidemment, une affaire d'imaginaire, mais certaines d'entre elles s'approprient les réalités politiques pour créer un monde dans lequel des personnages évoluent. Si les liens entre bandes dessinées et hsitoire sont souvent étudiés (et même utilisés en classes), ceux avec la géographie ne sont pas, pour l'instant, aussi bien exploité ! Pourtant, la bande dessinée peut être un témoignage très important mettant en scène les peurs, les fantasmes territoriaux, les représentations, bref le regard qui est porté sur le monde qui nous entoure, et tout particulièrement ses problèmes. Le cas de Corto Maltese avait déjà été proposé dans une émission du Dessous des cartes datant du 28 décembre 2002 (pour retrouver les cartes de cette émission).





En attendant le café géo, quelques liens :

"Dans le sillage de Corto", un blog entièrement dédié à Corto Maltese.

Le site "Cortour", qui invite à la découverte des lieux croqués par Hugo Pratt dans sa bande dessinée.

Pour une approche de l'utilisation pédagogique des liens entre bandes dessinées et histoire-géographie (c'est plus souvent l'approche historique qui est montrée) ou éducation civique, arts plastiques... : l'excellent site du CNDP (centre national de documentation pédagogique) "L@BD" (et leurs nombreuses publications, sur la lecture et l'utilisation pédagogiques de Tintin, des mangas...).



A noter également : une exposition intitulée Hugo Pratt, périples secrets au Musée d'art Thomas Henri à Cherbourg jusqu'au 20 septembre 2009. Plus d'informations sur le blog Terrimago (un blog d'ailleurs passionnant qui présente "de nombreux exemples de ce que la cartographie peut apporter dans des domaines d'application très variés, sans tomber dans des détails techniques ni faire la promotion de produits ou services de cartographie").



lundi 8 juin 2009

Petite Bosnie : un quartier révélateur des évolutions sociospatiales à Mitrovica




"Petite Bosnie"
mars 2004 / mars 2009






Deux photographies du même quartier, "Petite Bosnie", l'une en mars 2004, l'autre en mars 2009. Deux terrains dans la ville de Mitrovica, le premier séjour pour le mémoire de maîtrise, le dernier séjour pour la thèse. Entre les deux, la ville de Mitrovica a subi des transformations sociales, économiques, culturelles, politiques. Parfois, ces transformations sont sous-jacentes, parfois brutales. Ce quartier est particulièrement atypique dans l'ensemble du Kosovo, une poche de peuplement minoritaire, mais surtout un quartier "multiethnique", seul réel quartier où se mélangent les populations au Kosovo. L'analyse de ces deux photographies présente une ville de Mitrovica entre permanences et mutations.




Bénédicte Tratnjek, "Du jeu des « sept erreurs » du quartier Petite Bosnie.", EspacesTemps.net, Mensuelles, 08.06.2009
http://espacestemps.net/document7772.html



dimanche 7 juin 2009

MOUT : Military Operations on Urbanized Terrain


Pour inaugurer une série de billets qui mettront en ligne des documents fondamentaux dans l'étude et la compréhension de la guerre urbaine, voici quelques documents du Center for Army Lessons Learned (février 2001, publié sur le site Global Security, le site du Combat Studies Insitute, dans un dossier consacré aux MOUT, c'est-à-dire aux opérations militaires en milieu urbain). Le 1er power-point revient sur les principaux textes qui ont construit et ont fait évoluer la pensée militaire états-unienne autour de la question de la guerre urbaine et des modalités de combat pour ce milieu si contraignant mais inévitable. Le 2ème power-point présente l'introduction du FM 90-10 (entièrement accessible sur le site Global Security), doctrine états-unienne consacrée au combat urbain.







Les déplacés à Mogadiscio


La reprise des combats à Mogadiscio depuis février 2009 (tout particulièrement depuis le 7 mai) repose la question des déplacés à l'intérieur de la ville, alors même que la question des camps de déplacés datant des affrontements des années 1990 pose toujours de nombreux problèmes de gestion dans la capitale.
"Face à la recrudescence des combats à Mogadiscio, le président somalien Cheikh Charif Ahmed a exhorté lundi [25 mai 2009] la communauté internationale à l'aider à repousser les milices islamistes qui comptent des centaines de combattants étrangers dans leurs rangs. Le regain de violences a fait quelque 200 morts ce mois-ci à Mogadiscio, où les combats ont contraint plus de 60.000 habitants à fuir" (photographie de Mohamed Dahir pour AFP, publiée avec ce comentaire dans Le Figaro Magazine du 27 mai 2009)



Quelques points sur la situation en Somalie :

Le pays est plongé dans une guerre civile depuis 1988. L'Etat est d'ailleurs contesté dans deux régions séparatistes : le Somaliland (au Nord-Ouest, dont la grande ville est Hargeisa) et le Punland (au Nord-Est, avec pour grande ville Bossaso). Les deux régions ont fait sécession, mais leur indépendance n'est abssolument pas reconnue. Toujours est-il que cette situation remet en cause la souveraineté du gouvernement dans les 2/3 de sa superficie environ. De plus, les contestations sont aussi internes à la région du Sud, comme en témoigne l'incessant état de guerre dans la ville de Mogadiscio. Comme le titre le géographe Alain Gascon, en jouant sur le double sens des mots, la Somalie est "en mauvais Etat" (Alain Gascon, "La Somalie en mauvais État", EchoGéo, Rubrique Sur le vif 2008). La contestation, voire l'absolue remise en cause, de l'intégrité des autorités officielles en Somalie ont ainsi permis l'émergence de "zones grises", c'est-à-dire "des zones - et des populations - exclues du réseau mondial de l'autorité politique, de l'économie d'échange, de l'information et qui se structurent selon leurs propres lois, atteignant un haut degré d'autonomie et d'opacité" (Pascal Boniface, "Les Terrae incognitae ou zones grises", dans Pascal Boniface (dir.), Atlas des relations internationales, Hatier, Paris, 2003, pp. 60-61). Les zones grises sont donc des zones de non-droit, ou plus précisément, d'un autre droit, dans lequel la souveraineté de l'Etat est totalement remise en cause au point de devenir inexistante, et qui sont aux mains d'acteurs qui ne répondent qu'à leurs propres lois : en général, des milices et/ou des réseaux criminels.




"Somalie, le chaos" - Envoyé spécial - France 2.



Combats et déplacés à Mogadiscio :

La reprise des combats fait suite à une période de violences continues dans la ville de Mogadiscio. On peut ainsi qualifier la ville de "chaotique", dans la mesure où aucun retour à la paix n'a pu se faire depuis maintenant plus de 20 ans.

La question des déplacés s'est déjà posée dans les années 1990, comme le démontre parfaitement Marc-Antoine Pérouse de Montclos : "Les raisons d'une attraction urbaine en temps de guerre. On peut donc se demander pourquoi des déplacés continuent de venir sur Mogadiscio. Le fait que les ressources de la prédation se trouvent en ville a pu constituer un premier élément d'explication. Puis, une fois la ville pillée, la débrouille, la contrebande et la focalisation de l'aide humanitaire sur la capitale ont pu compensé le manque à gagner. Des trafics de toutes sortes ont alimenté les flux commerciaux. [...] La logistique humanitaire aussi a joué un rôle essentiel dans l'attraction urbaine, ceci expliquant d'ailleurs le gonflement des chiffres de 1992 quant au nombre de déplacés. [...] A l'échelle du pays, la concentration de l'opération Restore Hope sur Mogadiscio a privilégié la ville au détriment des campagnes, à tel point que des experts favorables à la fédéralisation de la Somalie ont proposé un déménagement de la capitale une fois la paix rétablie" (Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Villes en guerre en Somalie : Mogadiscio et Hargeisa, Les dossiers du CEPED, n°59, Centre français sur la population et le développement, Pars, avril 2000, pp. 23-24). Marc-Antoine Pérouse de Montclos estime à 201 le nombre de camps de déplacés installés à l'intérieur de la ville de Mogadiscio en 1997 (voir la carte, op. cit., p. 29). Si les médias s'intéressent ces derniers jours à la question des déplacés, suite à la recrudescence des combats, cette question n'est donc pas une nouveauté. Dans de tels camps, l'aide humanitaire s'est restreinte au fur et à mesure du temps : fortement mise à contribution pendant l'opération Restore Hope, elle est devenue très difficile à mettre en place d'une part pour le degré de dangerosité de la ville (d'autant plus intense pour les différents réseaux humanitaires que la ville de Mogadiscio a été laissée à son propre sort, avec l'arrêt d'opérations militaires internationales pour tenter de ramener la paix en Somalie, suite à l'échec de la "bataille de Mogadiscio", les 3 et 4 octobre 1993, mis en scène dans le film de Ridley Scott La chute du faucon noir datant de 2001) ; d'autre part pour le désintérêt progressif des contributeurs financiers pour le cas des déplacés de guerre à Mogadiscio, la Somalie à mesure que celle-ci disparaissait des intérêts médiatiques (voir le billet "Les médias, la violence, l'événement et le haut-lieu" du 8 avril 2009).

Au final, les camps de déplacés, qui bénéificiaient d'une aide humanitaire très réduite, sont devenus des camps de "la débrouille" : " d'après les sondages de SCF en 1993, 52 % des déplacés se nourrissaient exclusivement de l'aide alimentaire, 90 % en dépendaient d'une manière ou d'une autre et 13 % touchaient une rétribution en nature de la part des ONG. A l'époque, on estimait qu'un tiers vivaient de la revente de leur ration et personne ne se plaignait d'insécurité dans les camps" (Marc-Antoine Pérouse de Monclos, op. cit., p. 24). Mais la dégradation de la situation dans les camps de déplacés a immédiatement suivi le départ de la plus grande partie des ONG : "accompagné d'une réduction drastique de l'aide humanitaire à partir de 1996, le départ des Américains et de l'ONU a bien sûr entraîné des changements majeurs à cet égard. Peu avant leur retrait, les organisations caritatives ont voulu se donner bonne conscience en tablant prématurément sur une stabilisation de la situation et ont tenté de faciliter un rapatriement des déplacés vers leur région d'origine, essentiellement la province de Bay : le Camp 124, la Kitchen 53, Asli et Jirde-Fish ont ainsi été vidés de leur population pour ces raisons. Plus simplement, bien des camps et des orphelinats ont fermé leurs portes faute de soutien extérieur, tels Shuke, Shureye, Eno, Anzilotti, Port Africa, Shandinle, Polygram, Urdo ou UNICEF dans le quartier de Hamar Jajab" (op. cit., p. 25). Pour les camps de déplacés qui ont "survécu" à cette période, on peut noter quelques points communs : une pérennisation du camp (qui est censé n'être qu'une solution temporaire), une dégradation des conditions de vie (notamment d'un point de vue sanitaire), une précarisation des sources d'approvisionnement permettant la survie des populations "encampées", une "professionalisation" des personnes habitant dans le camp (ne pouvant plus compter sur l'aide humanitaire, les déplacés - en principe enfermés dans le camp - ont ainsi nettement élargi leur espace pratiqué par des migrations pendulaires pour se rendre sur leur lieu de travail - ce qui est contraire aux logiques d'organisation d'un camp régulé par la communauté internationale ou par une ONG) et la prédominance de l'économie informelle (qui témoigne également d'une forte ouverture du camp vers l'extérîeur, avec des déplacements des personnes vivant dans le camp vers les zones commerciales, les zones d'échange informel... du reste de la ville de Mogadiscio). Les stratégies de survie face à la misère dans les camps de déplacés sont donc très diverses.

Aux périodes de combats (avec la pérennisation de l'état de guerre, on peut qualifier ces violences de structurelles tant elles s'inscrivent désormais dans les logiques sociospatiales d'organisation et de fonctionnement de la ville de Mogadiscio : on parlera même, pour reprendre le terme du géographe Jérôme Tadié, de "violences ordinaires"), se surajoutent des risques sociaux conjoncturels, qui amplifient ainsi le "chaos urbain". Ainsi, les émeutes de mai 2008 dans la capitale ont éclaté suite à des manifestations contre la hausse des prix des denrées alimentaires, que la police a tenté de disperser (voir sur le blog de l'anthropologue Alain Bertho : "Emeutes à Mogadiscio - mai 2008"). En plein coeur de la crise alimentaire de 2008, les "désordres" issus de l'incessante poursuite de la guerre et de l'émergence de zones échappant à l'autorité et au contrôle du pouvoir en place à l'intérieur même de la capitale ont été amplifiés par ce facteur conjoncturel. Aujourd'hui, la reprise des combats depuis février 2009, et tout particulièrement depuis le 7 mai, s'inscrit dans une logique de contestations et de violences qui témoignent du rejet le plus absolu de la part des chefs miliciens de l'autorité du gouvernement provisoire, mis en place fin 2006. Les médias "pointent" ces derniers jours sur la situation des nombreux déplacés de guerre - autant dans la ville de Mogadiscio elle-même (en provenance des quartiers Nord affectés par des combats particulièrement violents) qu'en provenance des autres régions de la Somalie. Pourtant, ces nouveaux déplacés ne posent pas la question d'un problème nouveau de gestion de l'afflux de population dans une ville soumise à un chaos généralisé et une remise en cause de la souveraineté des autorités officielles, mais réaffirment des problématiques déjà bien ancrées dans la ville depuis maintenant plus de 20 ans.




Quelques articles pour aller plus loin :


Et également : l'article "Somalie" dans l'excellent site Aménagement linguistique du monde tenu par Jacques Leclerc (chercheur à l'Université Laval à Québec).


samedi 6 juin 2009

L'émission "Planète insolite" dans les Balkans


Publiées ce samedi 6 juin 2009 dans le blog L'ex-Yougoslavie tenu par Isabelle Bal, et regroupant des informations sur les différentes opérations militaires menées dans les pays issus de la décomposition de la Yougoslavie, ces vidéos sont des extraits de l'émission Planète insolite, documentaire proposé sur France 5 pour mettre en exergue "les modes de vie avec les yeux d'un voyageur prêt à tout expérimenté". Le reportage manque parfois de rigueur quant à la complexité des situations balkaniques, et reflètent avant tout un discours médiatique, mais l'émission reste intéressante en termes de découvertes de paysages et de témoignages de la population locale quant aux modes de vie. A découvrir sur le blog L'ex-Yougoslavie les 4 vidéos qui retracent le trajet de ce reportage sur le Kosovo, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.




"La fin des guerres majeures ?"


Le CEREM (Centre d'Etudes et de Recherches de l'Ecole Militaire) organise, en partenariat avec le Centre Raymond Aron, les 15 et 16 juin 2009 un colloque sur "La fin des guerres majeures ?", à l'Ecole Militaire (Paris 7ème), dans l'amphithéâtre Des Vallières. S'inscrire auprès de Julie Guillaume (julie.guillaume@defense.gouv.fr) avant le 11 juin.


Au programme :

Lundi 15 juin : Qu'est-ce qu'une guerre majeure ?

9h : Discours d’ouverture Général Laurent Labaye (EMS)

9h15 : Présentation du colloque par Frédéric Ramel (Université Paris-Sud XI-CEREM) et Olivier Remaud (EHESS - CRPRA)


9 h 30-13 h Les guerres majeures dans l’histoire

Président de séance : Général de division (2S) Jean-Claude Beyer (CEREM)

"La guerre de Trente ans", par Guillaume Lasconjarias (CDEF)

"Les guerres de la Révolution et de l’Empire", par Patrice Gueniffey (EHESS, CRPRA)

11 h-11h30 Pause

"La Première guerre mondiale", par Christophe Prochasson (EHESS, centre de recherches historiques)

"La Guerre Froide", par Georges-Henri Soutou (université Paris IV Sorbonne, membre de l’Institut)


15 h-18 h 30 Approches contemporaines

Président de séance : A.J.R. Groom (Université du Kent)

"La guerre majeure dans les théories des relations internationales", par Thomas Meszaros (Université Jean Moulin Lyon-III, Institut de Hautes Études Internationales et du Développement Genève)

"La guerre contre le terrorisme, une guerre majeure ?", par Olivier Chopin (CNRS - CRPRA)

16 h 30-17 h Pause

"Le nucléaire et la possibilité de la guerre majeure", par Louis Gautier (Université Jean Moulin Lyon-III)

"Les puissances émergentes et le risque de guerre majeure", par Yannick Prost (MAE)


Mardi 16 juin : Des guerres majeures à la transformation des guerres

9 h 30-13 h Penser les guerres de notre temps

Président de séance : Général Vincent Desportes (CID)

"Clausewitz et la guerre majeure", par Beatrice Heuser (Université de Reading)

"La ruse et les formes contemporaines de la guerre", par Jean-Vincent Holeindre (EHESS - CRPRA)

11 h-11 h 30 Pause

"Le peuple et la transformation de la guerre", par Pascal Vennesson (Université Paris-II Panthéon Assas, Institut universitaire de Florence)

"L’Europe, les États-Unis et la guerre", par Pierre Manent (EHESS - CRPRA)


Italique
15 h-17 h « Nouvelles sociétés », « nouvelles guerres » ?

Président de séance : Frédéric Charillon (Université d’Auvergne Clermont-Ferrand I - Directeur de l’IRSEM)

"Le « chaos » irakien", par le colonel Michel Goya (EMA)

"Les nouvelles guerres pour la reconnaissance", par Thomas Lindemann (Université d’Artois, CERAPS)

"La politique militaire des États européens face aux transformations de la guerre", par Bastien Irondelle (CERI, Sciences Po)


17h : Clôture du colloque : Frédéric Charillon (Université d’Auvergne Clermont-Ferrand I - Directeur de l’IRSEM) et Frédéric Ramel (université Paris-Sud XI - CEREM)


vendredi 5 juin 2009

Planète terre : les émissions de juin 2009


A noter : les prochaines émissions de Planète Terre (l'émission de géographie présentée par Sylvain Kahn sur France Culture tous les mercredis de 14h00 à 14h30).


Mercredi 10 juin 2009 : "Une géographie de l'Iran à la veille des élections", avec Bernard Hourcade, géographe spécialiste de l'Iran, directeur de recherches au CNRS (Mondes iranien et indien), et notamment auteur de Iran : Identités nouvelles d'une République (Belin, coll. Asie plurielle, 2002, 223 p.), et co-auteur d'un Atlas de l'Iran (avec Hubert Mazurek, Mahmoud Taleghani, Mohammad-Hosseyn Papoli-Yazdi, La Documentation française / CNRS-Reclus, coll. Dynamiques du territoire, 1998, 192 p.).


Mercredi 17 juin 2009 : "Santé, croyances et éthique en Afrique", avec Jeanne-Marie Amat-Roze (géographe, professeur à l’Université de Paris 12 Créteil, spécialiste en géographie de la santé), Philippe Denis (professeur de l'histoire du christianisme à l'université du Natal en Afrique du Sud), et Elisabeth Dorier-Apprill (professeur de géographie à l'Université de Provence, spécialiste des questions urbaines, tout particulièrement sur les questions de santé dans les villes africaines, co-responsable du groupe "Urbanité & vies citadines")


Mercredi 1er juillet 2009 : "Les nouvelles géographies de la ville et des banlieues", avec Béatrice Giblin (professeur de géographie à l'Université Paris 8, spécialiste des questions de géopolitique, responsable de l'Institut Français de Géopolitique et de la revue Hérodote) et Michel Lussault (professeur de géographie à l'ENS-SHS à Lyon, spécialiste notamment des questions urbaines, qui travaille actuellement sur le concept de "ville vulnérable")




mardi 2 juin 2009

Festival de Géopolitique et de Géoéconomie 2009


Le premier Festival de Géopolitique et Géoéconomie 2009 sera consacré à la question : "Guerre et intelligence économiques". Organisé par l'association Antéios, l'ESC (Ecole supérieure de commerce) Grenoble et la collection Major aux éditions PUF, il aura lieu du 12 au 14 juin 2009 à Grenoble (dans les locaux de l'ESC Grenoble). Le programme est disponible sur le site du festival. Parmi les interventions, on notera tout particulièrement celles de François Bernard Huygue sur "L'opinion, nouvel acteur et nouvel enjeu" (samedi 13 juin à 10h15), de Christian Harbulot sur "Internet, le nouveau champ de bataille" (samedi 13 à 10h45), de Sylvie Brunel sur "Les ONG, un acteur vertueux ?" (samedi 13 à 11h30) et de Xavier Raufer sur "Le crime organisé, un acteur discret" (samedi 13 à 12h15), ainsi que des projections sur le thème "La géopolitique au cinéma". Le concept de la guerre économique est d'ailleurs questionné, avec pertinence, dans un billet du blog "Nihil novi sub sole" ce 2 juin, intitulé "La guerre économique, est-ce que ça existe ?".