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lundi 10 novembre 2008

La ville vulnérable : risques et images du risque à Port-au-Prince


L'effondrement d'une école dans la périphérie de Port-au-Prince


Le 7 novembre 2008, une école s'est effondrée dans l'arrondissement de Port-au-Prince, dans la commune de Pétion-Ville, dans la localité des Nérettes : l'effondrement du 1er étage a entraîné celui du reste du bâtiment, alors que les enfants étaient en classe. Le bilan est très lourd, et a fait au moins 90 morts. L'école La Promesse, dirigée par un pasteur, accueillait des enfants de 3 à 20 ans en grande majorité issus d'un bidonville. "Coincée entre les maisons du quartier, la construction en dur s'élevait sur deux étages, tandis qu'un troisième était en construction" (Source : TF1, 8 novembre 2008). Port-au-Prince est la capitale macrocéphalique d'Haïti, un pays sous tension. Entre violences et crises politiques et économiques successives, la ville s'est fortement paupérisée. Une géographie de l'inégalité s'est ainsi installée à Port-au-Prince, entre des quartiers sécurisés abritant les élites haïtiennes, et des quartiers défavorisés où règne l'habitat illégal et où s'entassent des populations les plus vulnérables. "Plus de la moitié de la population vit dans des quartiers défavorisés, pour la plupart illégaux. Bel-Air, Cité-Soleil, Savane Pistache… dans ces quartiers spontanés, les densités sont très fortes, pouvant atteindre 900 habitants par hectare. Les conditions de vie y sont particulièrement difficiles, en l’absence totale d’infrastructures et d’équipements et dans un contexte de récession économique permanente. Ces quartiers occupent tous les espaces résiduels non urbanisés : polders constitués à l’embouchure des deux principales ravines et charriant des déchets urbains, pentes très fortes soumises à érosion, bas-côtés des grandes voiries ou des voies ferrées… L’habitat y est au départ très précaire, puis se densifie et se pérennise avec le temps. D’un point de vue juridique, ces quartiers sont illégaux, mais pour autant leur sécurisation en la matière n’a guère d’importance. Les habitants ne sont pas menacés d’expulsion. Politiquement, aucune autorité locale ne prendrait le risque d’une telle opération. La situation sociale est explosive dans ces quartiers et chacun est contrôlé par un parti politique ou une milice. L’intervention directe de l’État, dans une perspective de restructuration ou régularisation serait considérée comme une provocation. D’autant qu’il n’y a pas de gestion foncière à Port-au-Prince et qu’aucune autorité n’a les moyens de maîtriser l’urbanisation. Au fil du temps, l’urbanisation sauvage est devenue le mode normal de croissance de Port-au-Prince" (Guillaume Josse et Pierre-Alain Pacaud, "Améliorer les quartiers précaires : Approches suivies au Burkina, Djibouti et Haïti", Agence française pour le développement) Il existe ainsi dans la capitale environ 40 bidonvilles. L'un des problèmes souvent analysés est la question de l'eau dans les quartiers pauvres : la géographe Véronique Verdeil a ainsi montré que l'accès à l'eau potable dépend de la classe sociale et de la localisation géographique ("De l'eau pour les pauvres à Port-au-Prince", Mappemonde, n°55, 1999-3, pp. 14-18). Une véritable ségrégation se met ainsi en place pour les besoins vitaux de la vie quotidienne, ce qui accroît fortement les risques sociaux et sanitaires. L'extension des bidonvilles aux périphéries de la ville, ainsi que l'appropriation d'espaces centraux par ce type d'habitat illégal, sont également des phénomènes souvent étudiés (notamment dans le quartier de Bel-Air). La notion de "risque réel" est donc directement associée à la catégorie sociale, les plus démunis ayant des stratégies de survie dans lesquelles la sécurité est secondaire. le centre-ville de Port-au-Prince est ainsi une aire en voie de ghéttoïsation (selon Nicolas Coiffier, 2005, Géographie et missions de maintien de la paix : le cas de Port-au-Prince (Haïti) et de la MINUSTAH. Une étude de géographie politique, mémoire de maîtrise de géographie, Université Paris-Sorbonne, 102 pages) avec l'émergence de bidonvilles, c'est-à-dire d'un habitat illégal et précaire dans tous les espaces "vides" du centre (qui offre plus d'espérances que les bidonvilles des périphéries, marginalisés non seulement socialement, mais aussi spatialement).




Géographie des risques et représentation des risques à Port-au-Prince

Lorsque l'on parle de Port-au-Prince dans les médias, c'est pour annoncer des épisodes de violences politisées, d'émeutes de la faim, de problèmes de gangs, de catastrophes naturelles... Pour ne donner que quelques exemples de l'actualité récente de l'année 2008, la presse a parlé d'Haïti à propos des émeutes de la faim d'avril, du passage de l'ouragan Hanna en septembre, des inondations qui ont suivies l'ouragan, ou ces derniers jours de l'effondrement d'une école. Toutes ces images insistent sur la pauvreté du pays, et tout particulièrement montrent une capitale vulnérable. Les images catastrophiques des médias accentuent l'impression de l'irrémédiabilité de la catastrophe urbaine, comme l'a démontré le géographe Michel Lussault.








Néanmoins, il faut rappeler que la notion de risque n'est pas seulement une donnée quantitative et objective : elle est également un construit social. En effet, le risque dépend de celui qui le perçoit. A travers la notion de risque, il existe 2 concepts distincts : le "risque réel" et le "risque perçu". Il ne s'agit pas de minimiser les risques urbains, mais de montrer que ces 2 types de risques ne coïncident pas forcément, puisque le risque perçu dépend du degré d'acceptabilité du risque. Celle-ci dépend de valeurs sociales, culturelles, politiques, économiques... La géographe Yvette Veyret a ainsi montré qu'il existait 2 problématiques associées à la question de risques, montrant ainsi combien la démarche géographique pour l'analyse des risques est particulièrement adaptée pour expliquer la dualité du terme et des enjeux :
  • le risque comme produit de l'interaction entre une société et son environnement : "le risque a une double composante : un facteur externe, l'aléa qui est le produit de l'environnement, entendu ici au sens large de « ce qui nous entoure » et non pas uniquement au sein restreint d'environnement naturel, et une composante interne, la vulnérabilité, qui est une caractéristique de la société. Aussi l'existence d'un risque pose-t-elle la question du rapport des hommes à leur environnement" (Yvette Veyret, dir., Les risques, Bréal, collection Amphi Géographie, Paris, 2004, p. 32)
  • le risque comme construit social : "la première question qui se pose ici est celle des représentations associées au rique. On doit mobiliser :
    - les notions de risque perçu, de risque réel, de risque objectif et de risque subjectif ;
    - les notions d'acceptabilité du risque et de seuil de tolérances ;
    - les notions de contruction
    mentale du risque, mémoire du risque, culture du risque, etc;
    En abordant ces problématiques, il convient d'abord de veiller à varier les échelles sociologiques : l'individu, le groupe social, la minorité (au sens de groupe dominé, plus ou moins partiellement privé d'accès au pouvoir, et non de minorité numérique), etc. Il faut également envisager les différentes temporalités de ces « acteurs sociaux ». Mais on doit aussi dépasser le traitement purement sociologique de la question et réinscrire la réflexion dans le cadre des préoccupations du géographe. Il convient ainsi de faire appel à la géographie des représentations et des pratiques
    "(Yvette Veyret, op. cit., p. 33)




La gestion du risque dans la reconstruction

Force est de constater que les cartes représentant le degré d'acceptabilité du risque dans une ville ne coïncident pas aux cartes figurant le risque réel. Dans les quartiers populaires et précaires, les populations sont bien plus exposées aux risques de tout ordre (industriels, environnementaux, sanitaires, sociaux, alimentaires...), et sont pourtant plus "résignées" à ces risques. Ce qui peut paraître être une évidence est en réalité une donnée fondamentale pour comprendre l'émergence ou le renforcement de lignes de fractures dans les villes avant, pendant, et après la guerre. Dans le cas particulier de la reconstruction, la paupérisation touche avant tout les quartiers les plus démunis, et ce avant la guerre. Mais également, l'effort de reconstruction y est beaucoup moins important financièrement, et recouvre des espaces beaucoup plus restreints et circonscrits. Il existe alors une véritable concurrence entre centralités et périphéries. La géographie des espaces reconstruits est directement liée à celle des "espaces visibles". Parmi ceux-ci, on peut distinguer les ¨"espaces stratégiques" et les "espaces médiatisés" qui concident le plus souvent. Dans le cas de Port-au-Prince, le centre-ville, situé en bord de mer, concentre les principaux centres de décision (politique et économique), et relève donc d'une importance vitale pour la "revitalisation" de la ville. Mais ce centre correspond aussi aux principaux territoires médiatisés. L'enjeu de reconstruire cette zone centrale est donc à la fois politique, économique, et également médiatique. L'importance de cette centralisation se ressent du point de vue des aides (à travers les donations de la communauté internationale ou des ONG) et de celui des images (celles d'une ville qui "tourne la page" de la guerre, qui "se modernise" et qui peut s'ntégrer dans les réseaux de la mondialisation). Rassurer les investisseurs économiques et les partenaires politiques passe par cette médiatisation de la reconstruction. La question de l'image dans les risques urbains se traduit non seulement auprès de la population (qui a des représentations différenciées en fonction de son seuil d'acceptabilité du risque, et ce malgré le seuil de vulnérabilité), mais également dans les politiques de la ville (à travers une reconstruction inégalement répartie dans l'espace urbain, qui délaisse des quartiers entiers pour être concentrée dans les "espaces visibles").



L'image que l'on donne aux risques et les représentations que s'en font les populations et les acteurs extérieurs ont donc des incidences sur les relations entre les différentes catégories sociales et entre les différents quartiers. Les bidonvilles et les zones centrales sont les quartiers les plus médiatisés : mais les quartiers populaires semblent souvent délaissés dans cette médiatisation du risque.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cet excellent article !!!