On entend par "zones grises" (ou Terrae incognitae) "des zones - et des populations - exclues du réseau mondial de l'autorité politique, de l'économie d'échange, de l'information et qui se structurent selon leurs propres lois, atteignant un haut degré d'autonomie et d'opacité" (Pascal Boniface, "Les Terrae incognitae ou zones grises", dans Pascal Boniface (dir.), Atlas des relations internationales, Hatier, Paris, 2003, pp. 60-61). Les zones grises sont donc des zones de non-droit, ou plus précisément, d'un autre droit, dans lequel la souveraineté de l'Etat est totalement remise en cause au point de devenir inexistante, et qui sont aux mains d'acteurs syntagmatiques (c'est-à-dire ceux qui ont un programme) qui ne répondent qu'à leurs propres lois. On retrouve des zones grises à la fois dans les zones de guérillas (comme, par exemple, au Sri Lanka : voir l'article de Delon Madavan, "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire", EchoGéo, Rubrique Sur le vif 2009, 2009), mais également à l'intérieur des villes, dans des quartiers échappant au contrôle des autorités locales (comme, par exemple, à Karachi : voir le blog Anthropologie du présent et les articles de Laurent Gayer, "Karachi : violences et globalisation dans une ville-monde", Raisons politiques, n°15, n°2004-3, 2004, pp. 37-51 ; et de Michel Boivin, "Karachi et ses territoires en conflit : pour une relecture de la question communautaire", Hérodote, n°101, n°2001-2, 2001, pp. 180-200).
Les zones tribales sont aux mains des Talibans (ou "étudiants en religion"), et posent donc la question de la porosité de la frontière : alors qu'elles sont incontestablement ouvertes vers l'Afghanistan, les zones tribales sont relativement fermées vers le Pakistan, dont elles dépendent officiellement, mais dont l'autorité étatique n'est absolument pas reconnue. Mais les dernières progressions des Talibans vers la Province du Nord-Ouest, se rapprochant de la capitale, montrent combien les zones tribales offrent aux Talibans une profondeur stratégique non seulement vers l'Afghanistan, mais également vers le Pakistan.
L'important pour le Pakistan était d'empêcher cette progression et d'empêcher les Talibans d'étendre durablement leur zone de contrôle dans laquelle ils imposent leur propre droit. Le fait de reprendre la ville de Daggar n'a pas encore permis de reprendre le contrôle de tout le district. Mais cela démontre néanmoins l'importance stratégique et psychologique de la prise des villes dans les guerres actuelles, en tant que verrou. Les combats entre les Talibans et l'armée pakistanaise ont entraîné le déplacement d'au moins 30.000 civils (voir "L'offensive militaire contre les Taliban fait des milliers de déplacés", France 24, 28 avril 2009).
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