Le processus de reconnaissance de l'indépendance du Kosovo stagne : aux lendemains de l'auto-proclamation par les Albanais du Kosovo le 17 février 2008, environ 1/3 des Etats membres des Nations Unies a reconnu cette indépendance, environ 1/3 ne s'est pas prononcé, environ 1/3 s'y est opposé. Depuis quelques Etats ont depuis reconnu l'indépendance du Kosovo, cet équilibre a été quelque peu altéré, mais les opposants à l'indépendance restent sur leur position, bloquant ainsi le processus de reconnaissance, légale pour les uns, illégale pour les autres. Les deux pouvoirs qui se disputent encore aujourd'hui ce territoire - celui de Serbie et celui du Kosovo - sont ainsi légitimes, selon le point de vue envisagé* (voir les billets "L'indépendance du Kosovo : positions serbes, macédoniennes et monténégrines", "Le Kosovo vu par..." et "Kosovars ou Kosoviens ? Nommer les lieux, nommer les peuples").
* On utilise d'ailleurs les guillemets pour parler de l' "Etat" du Kosovo pour souligner cette situation juridique complexe, et la diversité des réactions quant à la reconnaissance du Kosovo : pour exemple, si les médias français parlent unanimement de l'Etat du Kosovo, suivant par-là la reconnaissance de cette indépendance par l'Etat français dès son auto-proclamation, ce n'est absolument pas le cas des médias des pays qui se sont officiellement opposé à cette reconnaissance (parmi lesquels la Russie, la Chine, le Venezuela, l'Espagne... et bien évidemment la Serbie), qui de fait parlent du Kosovo non comme un Etat, mais comme une province du Kosovo. Ces guillemets ne sont pas un parti pris, mais relève d'une précaution à prendre tous les points de vue des acteurs politiques impliqués.
* On utilise d'ailleurs les guillemets pour parler de l' "Etat" du Kosovo pour souligner cette situation juridique complexe, et la diversité des réactions quant à la reconnaissance du Kosovo : pour exemple, si les médias français parlent unanimement de l'Etat du Kosovo, suivant par-là la reconnaissance de cette indépendance par l'Etat français dès son auto-proclamation, ce n'est absolument pas le cas des médias des pays qui se sont officiellement opposé à cette reconnaissance (parmi lesquels la Russie, la Chine, le Venezuela, l'Espagne... et bien évidemment la Serbie), qui de fait parlent du Kosovo non comme un Etat, mais comme une province du Kosovo. Ces guillemets ne sont pas un parti pris, mais relève d'une précaution à prendre tous les points de vue des acteurs politiques impliqués.
Pourtant, l'actualité du Kosovo est assez mouvementée : un attentat à Mitrovica le 2 juillet 2010, la question de la présence de la Minuk et de la résolution 1244, et la question d'une nouvelle partition territoriale avec l'autonomie proposée par le gouvernement de Pristina au Nord du Kosovo. Ces trois éléments sont particulièrement révélateurs des enjeux d'un "Etat" qui peine à se trouver, à fonctionner, à prendre une place dans la région balkanique, et à définir une identité et une politique nationales.
Mitrovica, une ville-symbole
au coeur des enjeux du Kosovo
La ville de Mitrovica demeure un géosymbole pour l'ensemble du Kosovo et de ses habitants. Objet d'une réelle dispute territoriale (voir la définition donnée par Stéphane Rosière sur Hypergéo) entre Albanais très majoritaires au Sud de la rivière Ibar, et Serbes majoritaires au Nord de la rivière (voir les billets concernant la ville de Mitrovica sur ce blog, ainsi que le site "Géographie militaire à Mitrovica"), la ville de Mitrovica "détrône" Pristina en tant que ville-symbole, tant tous les regards sont tournés vers elle. Si Pristina est la plus grande ville du Kosovo et sa capitale, sa relative homogénéisation communautaire est ancienne (les Serbes et les "petits peuples" ne représentaient que des minorités dans cette ville avant la guerre : les Albanais représentaient environ 79 % de la population de Pristina en 1991*, et les Serbes environ 13 %). Les Serbes ont, en très grande partie, fui cette ville, pour les enclaves serbes proches, pour rejoindre l'aire de peuplement serbe du Nord-Kosovo, ou pour quitter le Kosovo. Si le gouvernement siège à Pristina, l'attention est tournée vers Mitrovica, véritable symbole géopolitique, comme le démontre le dernier exemple de violences : l'attentat du 2 juillet 2010 qui fit un mort et 11 blessés (dont un député serbe). Chaque vague de violences dans cette ville est l'occasion d'accusations des communautés les unes envers les autres. Cette explosion est particulièrement illustrative de ces rivalités de pouvoir et de ces rivalités de discours, destinés tant à l'intérieur du Kosovo (il s'agit de convaincre sa propre population et de stabiliser les relations avec "l'Autre") que vers l'extérieur du Kosovo (il s'agit également de convaincre les acteurs internationaux de la participation de sa communauté au processus de pacification, notamment pour bénéficier de l'aide humanitaire et financière, mais aussi pour avoir un poids aux tables de négociation concernant le statut du Kosovo, que les deux communautés continuent à se disputer) : "La police kosovare affirme avoir des preuves accusant les « extrémistes serbes » tandis que Belgrade pointe les « séparatistes albanais »" ("Kosovo : qui se cache derrière l’attentat de Mitrovica ?", Le Courrier des Balkans, 5 juillet 2010). A l'échelle de la ville de Mitrovica, on peut pas considérer l'auto-proclamation de l'indépendance du Kosovo comme une rupture politique, puisque Kosovska Mitrovica/Mitrovicë est plus que jamais une ville-symbole disputée (voir "Mitrovica, synthèse des problèmes du Kosovo").
* D'après des chiffres de l'OSCE. Les chiffres doivent être pris avec précaution, puisqu'il s'agit d'estimations. En effet, les Albanais ont boycotté - en signe de protestation pacifique à la politique de discrimination menée par Slobodan Milosevic - le recensement de 1991. Néanmoins, ils donnent des indications assez précises du paysage socioculturel du Kosovo d'avant-guerre.
De la ville fragmentée
à la fragmentation de l' "Etat" ?
La ville de Mitrovica est une ville fragmentée en deux espaces politiques, de part et d'autre de la rivière-frontière Ibar (voir la page "Mitrovica" sur le site Géographie de la ville en guerre, et sur le blog les billets sur Mitrovica, notamment le power-point "La construction identitaire au Kosovo : logiques territoriales et luttes de pouvoir dans la ville de Mitrovica"). On ne parle pas ici de ségrégations, mais de fragmentations urbaines, le fonctionnement de la ville étant divisé en deux, et les espaces de vie traduisant une partition de la ville en deux. De même, les revendications toponymiques (Kosovska Mitrovica au Nord / Mitrovicë au Sud) ou la diversité linguistique (la langue serbe écrite en alphabet cyrillique au Nord / la langue albanaise en alphabet latin au Sud) renforcent ce processus de fragmentation de la ville. La fragmentation de la ville de Mitrovica, géosymbole politique et culturel, fut longtemps au coeur des propositions de découpage des frontières entre le Kosovo et la Serbie. A ce titre, l'article "Controverses sur les frontières du Kosovo" du géographe Michel Roux (Balkanologie, vol. VII, n°2, décembre 2003, pp. 183-197), s'il peut paraître à première vue "dépassé" depuis l'indépendance du Kosovo, reste au coeur de l'actualité : la fragmentation de Mitrovica entraînera-t-elle la fragmentation étatique du Kosovo ?
Depuis l'été 2010, les médias balkaniques abordent la question de la partition du Kosovo ou de l'autonomisation du Nord du Kosovo non en tant que potentielle solution, mais comme un enjeu concret dans les discussions entre les deux principales communautés, serbe et albanaise. En effet, Dukagjin Gorani, conseiller du Premier ministre Thaçi, a déclaré fin juillet 2010 que le gouvernement de Pristina était prêt à proposer une forme d'autonomie territoriale pour le Nord du Kosovo, principalement peuplé de Serbes. Cette proposition n'est pas sans rappeler le statut du Kosovo dans l'ex-Yougoslavie : en 1974, par la nouvelle constitution yougoslave, Tito accorda le statut de provinces autonomes au Kosovo et à la Voïvodine. Ce statut leur donnait le droit à un gouvernement local, mais ne leur permettait pas d'accéder au droit à l'indépendance, contrairement aux 6 Républiques - Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro et Macédoine - qui formaient la Yougoslavie. De plus, ce statut les soumettait à la République de Serbie dont le gouvernement pouvait décider, en levant l'état d'urgence (ce que fit Slobodan Milosevic), de suspendre l'autonomie. Avant l'auto-proclamation d'indépendance, les Albanais du Kosovo refusaient de revenir à ce type de statut, ayant conscience de la fragilité de l'autonomie. La solution proposée aux Serbes du Nord du Kosovo n'est pour l'instant qu'une proposition, mais elle traduit la poursuite du processus de "balkanisation", c'est-à-dire de morcellement des Etats, qui a commencé dans la région balkanique le 25 juin 1991, avec les proclamations d'indépendance de la Slovénie et de la Croatie (voir le billet "De la création au démembrement de la Yougoslavie").
Dans ce contexte, la résolution 1244 (qui a été instaurée à la suite de la guerre du Kosovo de 1999, et prévoyait de prendre fin avec le "statut final" pour le Kosovo) qui légitime la présence de l'UNMIK (force policière de la communauté internationale au Kosovo) et de la KFOR (force militaire) est remise en cause aujourd'hui (au moins pour la composante UNMIK) : les Etats reconnaissant le Kosovo comme un Etat indépendant doivent-ils rester au Kosovo sous l'égide de cette résolution ? La résolution 1244 prendra certainement fin dans les prochains mois, et devra laisser place à une autre forme d'intervention, dans la mesure où, pour l'heure, la présence de la communauté internationale, notamment la composante militaire, reste une nécessité pour assurer la protection des populations qui vivent en situation de minorités ("petits peuples" et "enclavés"). La stabilité du Kosovo reste très fragile, d'autant que les extrémistes des différentes communautés restent très attentifs à chaque décision, que les habitants se sentent pour certains en totale insécurité, et que l'économie du Kosovo peine à se développer.
Dans ce contexte, la résolution 1244 (qui a été instaurée à la suite de la guerre du Kosovo de 1999, et prévoyait de prendre fin avec le "statut final" pour le Kosovo) qui légitime la présence de l'UNMIK (force policière de la communauté internationale au Kosovo) et de la KFOR (force militaire) est remise en cause aujourd'hui (au moins pour la composante UNMIK) : les Etats reconnaissant le Kosovo comme un Etat indépendant doivent-ils rester au Kosovo sous l'égide de cette résolution ? La résolution 1244 prendra certainement fin dans les prochains mois, et devra laisser place à une autre forme d'intervention, dans la mesure où, pour l'heure, la présence de la communauté internationale, notamment la composante militaire, reste une nécessité pour assurer la protection des populations qui vivent en situation de minorités ("petits peuples" et "enclavés"). La stabilité du Kosovo reste très fragile, d'autant que les extrémistes des différentes communautés restent très attentifs à chaque décision, que les habitants se sentent pour certains en totale insécurité, et que l'économie du Kosovo peine à se développer.
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