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samedi 9 mai 2009

L'immédiat après-guerre à Grozny (vu depuis la Russie)


La Tchétchénie a longtemps été perçue comme "le bourbier russe". Haut-lieu de la contestation interne face au renouveau de la puissance russe (on consultera, à cet égard, les billets du blog collectif Alliance géostratégique, dont le thème du mois est consacré à "la Russie, puissance résurgente", mai 2009), la ville de Grozny n'est pas seulement en proie au défi de la reconstruction : c'est également un enjeu politique très important pour la Russie. Quelques éléments de réflexion (qui mériteraient d'être plus longuement développés) sur la question de la Tchétchénie et de la puissance en Russie.



La Tchétchénie : une remise en cause de la puissance russe ?

Le schéma ci-contre représente les différents facteurs associés "traditionnellement" à la question de la puissance :
1/ territoire
2/ population
3/poids militaire et économique
4/ rayonnement culturel.




Une remise en cause de la souveraineté étatique sur le territoire russe

La rebellion tchétchène s'appuie sur des revendications séparatistes. Depuis 15 ans, la Tchétchénie est en proie aux guerres et à la guérilla. Pourtant, la remise en cause de la souveraineté russe sur ce territoire n'a pas été l'objet d'une intervention de la communauté internationale. Certes, l'action militaire de la Russie en Tchétchénie a souvent été condamnée, mais l'action de la communauté internationale s'est limitée à ces condamnations. La Russie reste une puissance politique, militaire et diplomatique qui pèse sur la scène internationale, au point qu'aucune intervention militaire n'a jamais été envisagée. La Russie, malgré un poids moins important que celui de l'URSS, pèse encore sur la scène internationale, suffisamment pour que ces "affaires" internes restent de son seul ressort.

La question de la Tchétchénie pose à la fois celle du contrôle du territoire et celle de la question des nationalités. Nénamoins, le cas de la Tchétchénie cache le rétablissement d'une stabilité et d'une souveraineté étatiques sur la plus grande partie du territoire, au tournant des années 2000. Le seul cas de la Tchécthénie n'a pas réussi à remettre en cause le contrôle territorial dans le reste de la Russie. Il semble donc qu'il y ait des foyers de tension, des sortes de "poches" où se développent des contestations, sans que celles-ci ne puissent s'étendre sur le reste du territoire, ou même dans les régions voisines, qui pourtant sont confrontées au même problème de nationalités : "dans le reste du Nord Caucase, la peur d'être entraînés dans un tel conflit, le rejet de l'islamisme radical, l'acceptation de la présence russe (notamment par les non-musulmans), de même que le mépris affiché par les Tchétchènes envers ceux qui acceptaient sans résister la domination russe ont suffi, jusqu'ici, pour que les peuples voisins ne s'engagent pas dans ce gouffre" (Jean Radvanyi et Gérard Wild, "La Russie entre deux mondes", Documentation photographique, n°8045, 2005, pp. 30-31). Il ne faut pas, cependant, sous-estimer la situation en Tchétchénie, comme dans le reste du Nord-Caucase : la région est extrêmement pauvre, le chômage y atteint des taux records, les conditions de vie sont déplorables (taux de mortalité infantile très élevé, état sanitaire très dégradé), autant de sources de tensions sociales qui pèsent sur la stabilité de cette région.

La Tchétchénie peut réellement être considérée comme la "mauvaise conscience russe" (expression de Jean Radvanyi et Gérard Wild, "La Russie entre deux mondes", Documentation photographique, n°8045, 2005, pp. 30-31), ce qui donne plus de poids à l'arrêt des opérations dites anti-terroristes menées en Tchétchénie annoncé le 16 avril 2009 : si les Russes s'opposent en grande majorité à l'indépendance de la Tchétchénie, la guerre n'est pas la solution la plus adéquate à envisager pour l'opinion publique. De plus, il s'agit la d'un important "coup de force" diplomatique pour la Russie, qui ne pourra plus s'entendre contester son action en Tchétchénie sur la scène internationale. Enfin, la lassitude face à la pérennité du conflit se fait sentir également du côté de la grande majorité de la population tchétchène : "la population du Caucase semble, comme en Tchétchénie, aspirer aujourd'hui à la paix et à une vie normale" (Michel Nazet, La Russie et ses marges : nouvel empire ?, Ellipses, collection CQFD, Paris, 2007, p. 158). La politique menée par le gouvernement de Moscou va pouvoir s'appuyer sur la profonde division qui affecte depuis quelques années la société tchétchène : "si une large partie de la population n'aspire plus qu'au retour à la paix, fût-ce dans le cadre de l'autonomie imposée par Moscou, de nombreux jeunes rejoignent les groupes armés de la résistance, partisans d'un islamisme radical, jusque dans les actions terroristes les plus insupportables" (Jean Radvanyi et Gérard Wild, "La Russie entre deux mondes", Documentation photographique, n°8045, 2005, pp. 30-31). Un contexte favorable pour mettre fin à cet "embourbement", et une décision politique interne (tant vis-à-vis de la population tchétchène que de l'opinion publique dans le reste de la Russie) et extérieure (vis-à-vis de la communauté internationale et du poids diplomatique résurgent de la Russie). On est donc passé de l'échec en 1994 d'une démonstration de la puissance russe (avec la Première guerre de Tchétchénie) à un renouveau de la puissance russe sur plusieurs plans, à la fois à l'intérieur du pays (malgré le fait que les 2 guerres de Tchétchénie soient considérées comme des échecs militaires face à cet "embourbement", la Tchétchénie n'a pas obtenir l'indépendance souhaitée par les "rebelles") et à l'extérieur du pays (la puissance d'un Etat est aussi liée à son rayonnement culturel, et la situation en Tchétchénie "entâchait" celui de la Russie).



La question des frontières en Russie : entre sécurisation et coopération

La question de la Tchétchénie, en tant que région où des mouvements séparatistes remettent en cause l'intégrité du territoire russe, pose la question des frontières. Si l'attention concernant ce problème est souvent focalisée sur la région du Caucase (entre un Nord-Caucase où la question des nationalités est très prégnante et un Sud-Caucase indépendant qui est entré dans un "rapport de force" avec le gouvernement de Moscou), elle ne peut résumer la totalité de la problématique. Bien évidemment, le redécoupage issu de l'implosion de l'URSS a entraîné un "reformatage" des frontières : en 1991, la Russie fut ainsi ramenée à ses frontières de 1683 sans l'Ukraine orientale, mettant ainsi fin à 3 siècles d'expansion territoriale (l'expasion maximale fut atteinte en 1953, au moment de la mort de Staline). Cette région met parfaitement en exergue le rôle très symbolique de la frontière pour les Etats issus de l'URSS et récemment indépendants, et ainsi leur volonté de consolider leur existence et la souveraineté de l'Etat nouvellement créé. D'où un renforcement de ces nouvelles frontières (autrefois des limites administratives au sein de l'URSS, devenues de véritables lignes politiques, avec une forte valeur juridique), qui se traduit parfois par leur matérialisation (avec des postes de contrôle visibles de loin, par exemple). Dans ces régions (Caucase, Pays Baltes, Ukraine et Asie centrale), la frontière a un rôle hautement politisé (qui prend parfois bien plus d'importance que les bénéfices d'échanges économiques).

Néanmoins, la question de la frontière pour la Russie ne se limite pas à ces exemples, mais s'ils en font partie intégrante. Toutes les frontières de la Russie (environ 13.000 km) n'ont pas la même "fonction" : si certaines sont l'objet de tensions, la coopération se développe également sur d'autres frontières, notamment dans la partie asiatique de la Russie. La "valeur" de la frontière prend une signification toute particulière en fonction de son origine (issue ou non de la "perte territoriale" suite à la décomposition de l'URSS), et ce autant du point de vue russe que du point de vue de l'Etat voisin (nouvellement indépendant ou non).







Texte : Les éléments de la puissance russe (cliquer dessus pour agrandir)

Extrait de Pascal Marchand, Atlas géopolitique de la Russie. Puissance d'hier, puissance de demain ?, Autrement, collection Atlas/Monde, Paris, 2007, 80 pages.





Ce billet fait suite à deux autres billets sur la Tchétchénie et l'arrêt des opérations militaires russes :

- "Guerre et guérillas urbaines en Tchétchénie", billet du 17 avril 2009.
- "L'immédiat après-guerre à Grozny (vu depuis la Tchétchénie)", billet du 8 mai 2009.



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