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mardi 10 novembre 2009

D'un mur à l'autre : la fermeture des territoires en question


Le mur est une barrière qui permet une mise à distance à la fois matérielle et symbolique (voir le billet "La guerre, la ville et le mur"). Revenant sur le concept de discontinuité, le géographe Gilles Fumey a bien montré que "jamais dans l’histoire, les frontières étanches n’ont existé" et que les murs en tant que construction matérielle ne sont pas amené à perdurer (Gilles Fumey, "A bas les murs !", Cafés géo, Brèves de comptoir, 4 février 2008). Les murs tombent, mais les pratiques spatiales restent profondément marqués par la distanciation qui avaient été matérialisées par les murs. La fermeture des territoires n'a d'ailleurs pas toujours besoin d'une matérialisation de la séparation, comme le montre l'exemple de Mitrovica (pas de murs, mais deux territoires communautaires fortement appropriés dans lequel "l'Autre" sait qu'il est un "indésirable"). Comme le dit le géographe Michel Sivignon pour le cas des Balkans, mais la formule pourrait s'appliquer pour de nombreuses autres régions du monde (et pas si loin de nous !), "la frontière est aussi dans les têtes" (Michel Sivignon, 2009, Les Balkans : une géopolitique de la violence, Belin, collection Mappemonde, Paris, p. 151).

Ce lundi 9 novembre, la commémoration du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin a rappelé que si longtemps on avait pu le nommer le Mur (au singulier, avec une majuscule, soulignant par là son caractère exceptionnel), aujourd'hui de nombreux autres murs se bâtissent et se défont dans le monde, que ce soit à l'échelle d'un territoire (Israël/Palestine), d'une frontière (Etats-Unis/Mexique), d'une ville (Nicosie), ou d'un quartier (Belfast, "gated communities"). Le géographe Pierre Gentelle rappelle la double signification de chacune de ses barrières matérialisées en fonction du regard de l'observateur : "tous les murs ont une même fonction évidente de protection et de signe de propriété, quand on s'est soi-même mis dedans. Tous les murs ont une fonction d'enfermement quand l'individu ou le peuple y sont mis par les autres" (Pierre Gentelle, "Le Mur, marque essentielle de l'Homme sur la Terre", Cafés géo, Lettres de Cassandre n°88, 20 janvier 2009).

Ce mardi 10 novembre 2009, une brèche a été ouverte dans le "mur de l'apartheid" (un nom soulignant l'enfermement subi) du point de vue palestinien appelé "mur de séparation" (un nom appuyant l'idée de protection et d'enfermement choisi) du point de vue israélien, en écho aux commémorations de la chute du mur de Berlin. Une action très symbolique qui ne va pas changer fondamentalement les restrictions dans les mobilités.

Les géographes Stéphane Rosière et Florine Ballif proposent à ce propos de nouveaux concepts pour décrire la fermeture des territoires par le biais de barrières matérialisées : la teichopolitique et la teichométrie, construits sur la racine grecque "teichos" qui signifie "mur de la cité". "Par teichopolitique, on entend toute politique de cloisonnement de l’espace, en général liée à un souci plus ou moins fondé de protection d’un territoire – et donc pour en renforcer le contrôle. De ce point de vue, les auteurs considèrent que les barrières qui empêchent de sortir d’un territoire (comme le "mur de protection antifasciste" qui fut érigé entre la RDA et la RFA) et celles qui ont pour but d’empêcher de pénétrer dans un territoire (comme les barrières étatsuniennes et israéliennes), bien que se prévalant d’un fondement politique et moral fort différent, répondent foncièrement aux mêmes logiques de contrôle des populations. L’idéologie et la rhétorique doivent laisser place à la réalité de l’artefact et de ses effets" (Stéphane Rosière et Florine Ballif, 2009, "Le défi des « teichopolitiques ». Analyser la fermeture contemporaine des territoires", L'Espace géographique, tome 38, n°2009/3, p. 194). "Par « teichométrie », on entend la mesure du phénomène d’enfermement. La « métrie » se propose non seulement de mesurer les installations de façon linéaire mais aussi d’en appréhender les effets aux échelles locale, régionale et mondiale. En termes d’efficacité, l’imperméabilité de ces dispositifs est l’indicateur le plus pertinent, et sa mesure est difficile : par définition le franchissement illégal peut être estimé mais pas mesuré avec précision" (Stéphane Rosière et Florine Ballif, 2009, "Le défi des « teichopolitiques ». Analyser la fermeture contemporaine des territoires", L'Espace géographique, tome 38, n°2009/3, p. 196).

La question des murs est donc une question dont les géographes s'emparent aujourd'hui, qu'ils s'agissent de murs frontaliers, de murs urbains... La géographie de l'enfermement permet ainsi l'analyse des réalités matérielles et des imaginaires spatiaux relativement à l'enfermement subi/choisi. Le paysage est dès lors mobilisé et transformé afin d'ancrer dans les territoires des traces visibles d'un projet politique, ici la distanciation et la différenciation. Si les contournements de la barrière physique sont possibles (la frontière totalement étanche n'existant pas), le mur laisse une marque visible de l'enfermement et permet de donner des significations aux territoires à travers la symbolique de la maison et de ses murs qui sépare espace privé d'espace public. Le mur de la maison est doté d'une porte, qui en tant que seuil permet de contrôler les entrées et les sorties entre désirables et indésirables, autorisés et interdits de franchissement.


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