Ce mercredi 27 avril 2011, de nouveaux combats ont eu lieu dans la métropole ivoirienne, opposant non plus les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara, mais ces derniers au "commando invisible" (voir l'entretien d'Ibrahim Coulibaly mené par la journaliste Leslie Varenne et publié dans La Tribune de Genève le 18 avril 2011). Dans la soirée, le leader de ce groupe armé était tué par les FRCI (les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, pro-Ouattara). Voir la vidéo proposée par France 24. Ces affrontements armés dans l'agglomération abidjanaise témoigne de l'importance du quartier dans la géographie des conflits urbains.
Le quartier comme centralité politique et pôle dans la géographie milicienne
Ceux qui auraient suivi dans la presse la "bataille d'Abidjan" sans connaître la ville auront été confrontés, dans les articles de presse comme dans les reportages télévisés, à une toponymie qui laissait apparaître les quartiers d'Abidjan comme des hauts-lieux dans ce conflit. Abobo ou Yopougon ont souvent été mentionnés dans les affrontements entre les miliciens de Laurent Gbagbo (le président sortant, arrêté par les forces de son rival, Alassane Ouattara, il y a 3 semaines) et celles d'Alassane Ouattara.
Pour reprendre quelque peu le fil des événements, voir les billets :
- "La vulnérabilité des habitants d'Abidjan aux lendemains de la chute de Laurent Gbagbo" (12 avril 2011),
- "Côte d'Ivoire : deux présidents pour un pays ? Retour sur la question de la partition du pays" (18 mars 2011),
- "Côte d'Ivoire : des manifestations pour réclamer les résultats des élections aux violences d'après-résultats ?" (2 décembre 2010),
- et "Elections en Côte d'Ivoire : les lieux de la politique et les lieux de la violence" (28 novembre 2010).
Retrouvez l'ensemble des billets sur la Côte d'Ivoire et sur Abidjan.
Le quartier ne relève pas seulement d'un découpage administratif (notamment en termes de gestion et de gouvernance urbaines) et/ou fonctionnel (quartiers des affaires, quartier résidentiel, quartier industriel...), mais peut également prendre le sens d'un territoire du quotidien qui est fortement approprié par les habitants qui se représentent le quartier comme un espace de vie commun, dont l'identité le distingue des autres quartiers de la ville. Lorsque les quartiers se construisent ainsi comme des territoires urbains marqués par une appropriation et par une appartenance d'un groupe d'habitants, ils font sens dans la géographie des combats.
Les géographes ont analysé ces liens entre la géographie des combats et l'échelle du quartier, notamment dans le cas des guerres miliciennes qui ont déchiré Brazzaville au début des années 1990 (voir, par exemple, les articles d'Elisabeth Dorier-Apprill : "Un cycle de guerres urbaines à Brazzaville", Annales de la recherche urbaine, 2001, n°91, pp. 101-110 ; et de Roland Pourtier : "Brazzaville dans la guerre : crise urbaine et violences politiques", Annales de géographie, 2000, n°611, pp. 3-20). Il ne s'agit pas seulement de focaliser sur une échelle, mais de montrer l'utilisation par les combattants du quartier comme fief politique, base milicienne/militaire, et comme base de "recrutement". La territorialisation par la violence se traduit par le processus de fragmentation urbaine, le quartier pouvant devenir une "ville dans la ville". Deux processus sont remarquables à cette échelle : d'une part, une tendance à la disparition des quartiers "mixtes", par les déplacements des habitants (déplacements forcés par la violence, ou contraints par la peur de violences) qui accentue l'homogénéisation des quartiers ; d'autre part, la (ré)émergence de "zones grises" dans la ville, c'est-à-dire de territoires qui sont régulés par la violence et/ou la criminalité, et qui échappe à toute gouvernance officielle. Les deux processus s'entremêlent, et complexifient le processus de (ré)conciliation dans la ville de l'immédiat après-guerre, dans la mesure où les quartiers tendent à s'autonomiser, mais aussi les pratiques spatiales des habitants s'en trouvent fortement affectées, avec une tendance au repli sur soi à l'échelle du quartier. Cela pose, dans l'immédiat après-guerre, le problème de la souveraineté des acteurs politiques et de leur contrôle sur l'ensemble de la ville, avec l'émergence dans certains quartiers (les fiefs de leurs adversaires politiques) d'espaces de contestation (politique, sociale et/ou identitaire), qui peuvent être instrumentalisés pour devenir des territoires de l'opposition.
Les quartiers d'Abidjan au coeur des violences post-électorales de fin 2010 et de la guerre de début 2011
Les géographes ont analysé ces liens entre la géographie des combats et l'échelle du quartier, notamment dans le cas des guerres miliciennes qui ont déchiré Brazzaville au début des années 1990 (voir, par exemple, les articles d'Elisabeth Dorier-Apprill : "Un cycle de guerres urbaines à Brazzaville", Annales de la recherche urbaine, 2001, n°91, pp. 101-110 ; et de Roland Pourtier : "Brazzaville dans la guerre : crise urbaine et violences politiques", Annales de géographie, 2000, n°611, pp. 3-20). Il ne s'agit pas seulement de focaliser sur une échelle, mais de montrer l'utilisation par les combattants du quartier comme fief politique, base milicienne/militaire, et comme base de "recrutement". La territorialisation par la violence se traduit par le processus de fragmentation urbaine, le quartier pouvant devenir une "ville dans la ville". Deux processus sont remarquables à cette échelle : d'une part, une tendance à la disparition des quartiers "mixtes", par les déplacements des habitants (déplacements forcés par la violence, ou contraints par la peur de violences) qui accentue l'homogénéisation des quartiers ; d'autre part, la (ré)émergence de "zones grises" dans la ville, c'est-à-dire de territoires qui sont régulés par la violence et/ou la criminalité, et qui échappe à toute gouvernance officielle. Les deux processus s'entremêlent, et complexifient le processus de (ré)conciliation dans la ville de l'immédiat après-guerre, dans la mesure où les quartiers tendent à s'autonomiser, mais aussi les pratiques spatiales des habitants s'en trouvent fortement affectées, avec une tendance au repli sur soi à l'échelle du quartier. Cela pose, dans l'immédiat après-guerre, le problème de la souveraineté des acteurs politiques et de leur contrôle sur l'ensemble de la ville, avec l'émergence dans certains quartiers (les fiefs de leurs adversaires politiques) d'espaces de contestation (politique, sociale et/ou identitaire), qui peuvent être instrumentalisés pour devenir des territoires de l'opposition.
Les quartiers d'Abidjan au coeur des violences post-électorales de fin 2010 et de la guerre de début 2011
Cette réflexion sur les quartiers comme centralités dans la géographie des combats qui ont déchiré la métropole ivoirienne. Le quartier de Yopougon, fief de la milice de Laurent Gbagbo, les Patriotes, a particulièrement été médiatisé. "Modèle" des conséquences du "miracle ivoirien", avec la disparition progressive de l'habitat sur cour (voir la description de l'organisation spatiale d'un espace-cour abidjanais dans la "Carte postale d'un habitat sur cour (Treichville)" publiée sur le site des Cafés géographiques) au bénéfice d'un habitat plus "moderne" (accès à l'eau courante, à l'électricité, disparition du puits et de la cour commune...) dans les années 1970-1980, Yopougon est devenu un quartier-cible des violences lors de l'arrestation de Laurent Gbagbo. Fief des Patriotes, de nombreux combats y ont eu lieu, détruisant les habitations et les infrastructures. La reconstruction de ce quartier qui s'est paupérisé dans les années 1990-2000 (départ ou disparition des "classes moyennes", mais surtout manque d'entretien des infrastructures et des habitations lié à la crise économique) va devenir un des enjeux prioritaires dans le processus de réconciliation d'après-crise en Côte d'Ivoire, si le nouveau président Alassane Ouattara ne veut pas voir émerger dans cet espace de vie un foyer de contestations à son pouvoir et à sa légitimité (voir le billet "Les risques de la reconstruction" du 26 février 2009).
Autre quartier qui a particulièrement médiatisé pour son importance dans la géographie des combats en ce début 2011 dans la métropole abidjanaise : Abobo. Présenté comme un fief pro-Ouattara, le quartier regroupait surtout des acteurs politiques et des groupes armés anti-Gbagbo. Considéré comme un espace de contestations important pendant la présidence de Laurent Gbagbo, Abobo est, en effet, peuplé en majorité d' "Ivoiriens du Nord", et cette composition de la population est particulièrement importante dans la construction de la géographie telle qu'elle est imaginée et perçue dans l'esprit des habitants de l'agglomération, comme dans l'ensemble de la Côte d'Ivoire. Du fait de cette importance symbolique, le quartier d'Abobo est devenu un espace de violences pendant les affrontements entre les milices pro-Gbagbo et pro-Ouattara. Mais aussi, par-delà l'arrestation de Laurent Gbagbo, le quartier est devenu l'espace d'affrontements entre les partisans de deux leaders de la chute du président sortant : Alassane Ouattara d'une part, et Ibrahim Coulabily d'autre part.
=> L'échelle du quartier ne doit pas seulement être prise en compte pour des enjeux tactiques, mais également dans la réflexion stratégique : prendre, contrôler et stabiliser une ville en guerre ne peut se réduire à l'échelle de la ville dans sa globalité, tant les enjeux politiques, sociaux et culturels se traduisent de manière hétérogène dans les espaces urbains. Comprendre la territorialisation par la violence à l'échelle du quartier est l'un des enjeux fondamentaux de la géographie des conflits urbains, comme outil de stabilisation et de pacification.
Autre quartier qui a particulièrement médiatisé pour son importance dans la géographie des combats en ce début 2011 dans la métropole abidjanaise : Abobo. Présenté comme un fief pro-Ouattara, le quartier regroupait surtout des acteurs politiques et des groupes armés anti-Gbagbo. Considéré comme un espace de contestations important pendant la présidence de Laurent Gbagbo, Abobo est, en effet, peuplé en majorité d' "Ivoiriens du Nord", et cette composition de la population est particulièrement importante dans la construction de la géographie telle qu'elle est imaginée et perçue dans l'esprit des habitants de l'agglomération, comme dans l'ensemble de la Côte d'Ivoire. Du fait de cette importance symbolique, le quartier d'Abobo est devenu un espace de violences pendant les affrontements entre les milices pro-Gbagbo et pro-Ouattara. Mais aussi, par-delà l'arrestation de Laurent Gbagbo, le quartier est devenu l'espace d'affrontements entre les partisans de deux leaders de la chute du président sortant : Alassane Ouattara d'une part, et Ibrahim Coulabily d'autre part.
=> L'échelle du quartier ne doit pas seulement être prise en compte pour des enjeux tactiques, mais également dans la réflexion stratégique : prendre, contrôler et stabiliser une ville en guerre ne peut se réduire à l'échelle de la ville dans sa globalité, tant les enjeux politiques, sociaux et culturels se traduisent de manière hétérogène dans les espaces urbains. Comprendre la territorialisation par la violence à l'échelle du quartier est l'un des enjeux fondamentaux de la géographie des conflits urbains, comme outil de stabilisation et de pacification.
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