Charles Bwele nous informe, sur son blog Electrosphère, de la stratégie employée par les Talibans en Afghanistan ces derniers jours face à l'arrivée imminente des soldats de la coalition. "Les Talibans se doutaient que les Marines arriveraient dans ce sanctuaire peuplé essentiellement par des nomades. Plutôt que défendre âprement cette position forte, ils ont en fait une ville-fantôme truffée de mines artisanales" (Charles Bwele, "Afghanistan : une ville-fantôme piégée", Electrosphère, 3 novembre 2009). Son bilet postule deux idées importantes dans la prise en compte de la ville dans la guerre : la ville-fantôme et la ville piégée.
On revient là sur l'idée de ville-cible (voir le billet "Typologie du lien ville/guerre" du 24 août 2008). On sait que la ville est devenue un enjeu stratégique majeur tant elle concentre les pouvoirs, les richesses et les forces vives d'une région ou d'un Etat. Pourtant, il n'en reste pas moins que faire la guerre dans la ville n'est jamais recommandé, et que les conseils des stratèges pour éviter d'entrer dans la ville restent des recommandations avisées. Certes, il n'est pas toujours évident d'éviter la ville.
La ville-fantôme serait donc le résultat absolu de la ville anéantie(quand l'anéantissement a abouti à son objectif initial) : la vie urbaine y est impossible. Dans la ville détruite, la vie urbaine est fortement conditionnée par l'enfermement ressenti par les habitants et par les départs de ceux qui fuient la ville-prison, mais une forme de vie urbaine, fondée sur des solidarités et des haines, persiste. La distinction entre l'anéantissement et la destruction de la ville ne relève pas tant des moyens employés, mais davantage des intentionnalités des acteurs qui coordonnent ces violences.
On lira à ce propos :
Plusieurs types de stratégies peuvent nénamoins être mises en place : elles dépendent d'un faisceau de facteurs, parmi lesquels la taille de la ville, les moyens matériels et l'éthique des combattants entrent en compte. Si détruire la ville dans sa totalité est aujourd'hui inacceptable pour les Armées intervenant au nom du rétablissement de la paix, l'idée de transformer une ville en no man's land ne reste pas inconcevable pour de nombreux belligérants. La part de l'éthique est donc à prendre en compte dans l'analyse des stratégies et des tactiques déployées dans les villes en guerre.
Il y a donc une différence fondamentale entre une ville anéantie (à l'exemple de cette ville que cite Charles Bwele, en faisant référence à un article du Sunday Times, située dans la région d'Helmand, une des provinces les plus insécurisées de l'Afghanistan) et une ville détruite. Au-delà d'un seul jeu de mots, il s'agit là de souligner des stratégies et des symboliques différentes.
La ville anéantie rappelle la stratégie employée pendant la Seconde Guerre mondiale : les villes bombardées avaient pour objectif de faire la guerre aux villes sans pour autant y pénétrer, en anéantissant les forces vives (à travers la destruction du moral des civils) et les ressources stratégiques (à travers la destruction des infrastructures et des sources d'approvisionnement tant en armes, en alimentation, en eau...). On se reportera là au chapitre "La ville bombardée" dans l'ouvrage de Jean-Louis Dufour : La guerre, la ville et le soldat (Odile Jacob, Paris, 2002, pp. 217-240).
La ville détruite n'est pas forcément anéantie, du moins ce n'est pas l'objectif recherché. Pour autant, les destructions sont à la fois le résultat d'une stratégie (détruire les points vitaux de la ville, tels que les centres du pouvoir, les noeuds de communication, les établissements militaires...) et d'une mise en visibilité des discours des acteurs syntagmatiques dans le paysage (par la destruction de géosymboles qui constituent l'identité rejetée par les belligérants). On retrouve là la question de l'urbicide (voir le billet "La notion d'urbicide : exemples en ex-Yougoslavie" du 22 octobre 2008).
La ville-fantôme serait donc le résultat absolu de la ville anéantie(quand l'anéantissement a abouti à son objectif initial) : la vie urbaine y est impossible. Dans la ville détruite, la vie urbaine est fortement conditionnée par l'enfermement ressenti par les habitants et par les départs de ceux qui fuient la ville-prison, mais une forme de vie urbaine, fondée sur des solidarités et des haines, persiste. La distinction entre l'anéantissement et la destruction de la ville ne relève pas tant des moyens employés, mais davantage des intentionnalités des acteurs qui coordonnent ces violences.
La "ville piégée" doit, elle également, être interrogée au prisme des intentionnalités des acteurs syntagmatiques : la ville est un piège en tant que les belligérants ont la possibilité de se terrer, de progresser sans être vu, de mettre à mal des armées aux moyens techniques supérieurs. Mais l'idée de ville piégée relève d'une stratégie qui consiste à produire la ville piège, à la transformer en un terrain dans lequel il est impossible de progresser.
On lira à ce propos :
- Le blog du Major Paul Smyth (en anglais) : Helmand Blog.
- Le billet "Urbicide" (datant du 15 septembre 2009 et consacré à la bande de Gaza) sur le blog du Transit-City (un think-tank sur la ville et les modes de vie urbains).
2 commentaires:
A signaler, sur la notion d'urbicide au Liban, deux textes récents qui en soulignent à la fois l'apport et certaines ambiguïtés. J'en propose un commentaire : http://rumor.hypotheses.org/93
Merci de m'avoir signalé cet article passionnant qui fait bien l'état de la question de l'urbicide au Liban. Cela me rappelle les travaux d thèse de Nabil Beyhum qui soulignait combien le Hezbollah avait pensé géographiquement la destruction de symboles dans la ville de Beyrouth lors de la guerre civile.
J'en profite pour rappeler que beaucoup de vos travaux sont disponibles en ligne comme je l'avais souligné dans un post en juillet 2009 :
http://geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/2009/07/des-articles-en-ligne-sur-le-liban-et.html
On retrouvera sur le site des archives ouvertes du CNRS un grand nombre de vos articles :
http://hal.archives-ouvertes.fr/index.php?action_todo=search&s_type=advanced&submit=1&search_without_file=YES&f_0=LASTNAME&p_0=is_exactly&f_1=FIRSTNAME&p_1=is_exactly&l_0=and&halsid=72cf7q7joradth4vt8g15sl962&v_0=Verdeil&v_1=Eric
ainsi que votre thèse sur Une ville et ses urbaniste : Beyrouth en reconstruction :
http://geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/2009/01/une-thse-sur-la-reconstruction-beyrouth.html
Les activités d'Eric Verdeil sont également disponibles cette adresse, avec de nombreux liens vers des articles en ligne :
http://umr5600.univ-lyon3.fr/chercheur/verdeil/publi.htm
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