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dimanche 11 octobre 2009

Les hooligans dans les Balkans : les lieux des revendications politico-identitaires


Les récentes violences lors de rencontres sportives en Bosnie-Herzégovine (voir sur le blog de l'anthropologue Alain Bertho ses articles sur les violences du 9 septembre 2009 à Mostar en Bosnie-Herzégovine, du 17 septembre 2009 à Belgrade en Serbie et du 4 octobre 2009 à Siroki Brijeg en Bosnie-Herzégovine) ont déjà été l'objet d'un billet sur ce blog : "Sport, violence, politique et processus de paix dans les Balkans". L'actualité permet de questionner un autre point autour de l'utilisation politique du sport dans les revendications communautaires et la construction identitaire en rejet de "l'Autre" : la question des lieux où s'expriment de telles manifestations de violences à des fins politiques.

Le football est, en Europe comme dans beaucoup de régions du monde, un sport emblématique, notamment du fait de sa forte médiatisation et de sa mondialisation (voir l'article, très agréablement illustré, de Jean-Pierre Augustin, 1996, "Les variations territoriales de la mondialisation du sport", Mappemonde, n°4/1996, pp. 16-20). "Le football s'est imposé comme l'un des sports les plus achevés de la modernité" (Gilles Fumey, "Comment le monde se shoote au football...", Les Cafés géographiques, rubrique Brèves de comptoir, 4 juin 2006). Si par les aménagements et les constructions d'infrastructures qu'il suscite, le sport peut être un moyen de réactiver un territoire en crise (voir notamment les travaux des géographes Jean-Pierre Augustin et Loïc Ravenel), les lieux du sport peuvent également être utilisés pour la mise en spectacle de tensions politiques et/ou identitaires.

Le stade de football devient dès lors une scène de théâtre politique, un haut-lieu du symbolique mis en spectacle. D'une part, le stade de football est une mise en scène des dynamiques agrégatives et ségrégatives des sociétés actuelles, ne serait-ce que par le prix des places qui met en place des logiques de distanciation et de différenciation sociospatiales. "Le stade, et pas seulement un soir de march, devient en modèle réduit l'illustration de l'adéquation de l'organisation d'un espace aux valeurs d'une société" (Claude Mangin, 2001, "Les lieux du stade, modèles et médias géographiques", Mappemonde, n°64, n°2001/4, p. 36). Claude Mangin analyse ainsi, avec pertinence, le stade de football comme "une transposition du mode d'urbanité "carcérale"" (voir notamment son schéma montrant les logiques ségrégatives qui s'établissent au sein du stade de football, en fonction de l'appartenance sociale, op. cit., p. 37. On retrouvera également des schémas du même ordre dans l'analyse de la répartition sociospatiale des spectateurs dans le stade de Marseille, proposée par Christian Bromberger, 1989, "Le stade de football : une carte de la ville en réduction", Mappemonde, n°1989/2, pp. 37-40), qui met en scène les tendances de différenciation sociospatiale que l'on observe dans toutes les villes à travers des logiques d'enclavement subi/choisi (comme l'exemple de la multiplication des gated communities non seulement dans les villes dites "occidentales", mais également en Amérique du Sud d'où ce modèle est originaire, en Asie et, plus récemment, en Afrique).

Le stade est aussi le haut-lieu de la mise en spectacle de la différenciation identitaire, notamment au travers de l'utilisation de la couleur. Bien évidemment, porter le maillot de l'équipe encouragée est faire preuve de soutien. Mais cette mise en visibilité peut devenir plus problématique dans des contextes politico-sociaux sous tension, comme le montre le cas des Balkans (mais aussi la multiplication d'événements violents lors de rencontres sportives dans d'autres régions du monde). Afficher son soutien à une équipe peut être, au-delà des enjeux sportifs, une forme de reconnaissance et d'identification communautaires, qu'elles soient locales, régionales ou nationales. L'échec de l'équipe soutenue n'est, dans ce cas, plus interprété seulement au regard du résultat sportif, mais en fonction de l'inacceptable défaite, dans la mesure où elle signifie la victoire de "l'Autre".

Claude Mangin analyse, ainsi, le stade de football non seulement comme une transposition des différenciations sociales existant dans la société, mais également comme un haut-lieu politique permettant la mise en visibilité de l'appartenance identitaire. Il existe ainsi, en plus de la ségrégation sociospatiale, une territorialisation des identités à l'intérieur du stade : se placer est déjà une forme d'affirmation communautaire. Analysant le cas du stade de Nancy, il montre bien que "des tribunes aux tribus, il n'y a qu'un pas, vite franchi par les groupes de supporters placés derrière les buts. Groupés en clans aux noms éventuellement anglo-saxons et guerriers - à Nancy ils sont Snipers, Red Sharks, Diables Rouges ou Collectif -, ils ont spontanément colonisé des territoires précis et balisés, les moins chers et les plus proches du niveau du sol, les plus visibles des tribunes principales aussi. Identifiés par des banderoles, ils ont leurs couleurs, leur uniforme, leur équipement, leurs chants ("Aux armes", "Nous sommes les Nancéiens", etc.), bref leur culture, et leurs agitateurs qui organisent l'ambiance" (op. cit., p. 39). Il existe ainsi une mise en visibilité de luttes identitaires et territoriales, selon l'emplacement des spectateurs, qui se traduit par la différenciation et la mise à distance entre supporters de l'équipe locale (celle qui joue sur SON terrain, symbolisant ainsi la défense du territoire) et supporters de l'équipe visiteuse.

Lorsque de tels enjeux symboliques se matérialisent dans le contexte de l'immédiat après-guerre, comme en Bosnie-Herzégovine ou en Serbie, surtout lorsque la lutte identitaire reste profondément ancrée dans la vie politique tout comme dans les territoires du quotidien, les lieux du stade de football prennent une importance démesurée, comme ce soit dans le cas de l'affichage ostentatoire des tensions par le biais des maillots, des drapeaux, des couleurs à l'intérieur du stade, ou par le biais de violences à l'extérieur du stade. Les "espaces intermédiaires", ceux qui ne sont plus tout à fait le stade, mais pas encore les territoires du quotidien, sont particulièrement emblématiques de cette mise en visibilité du rejet de "l'Autre", puisqu'ils permettent de toucher les médias présents pour la rencontre, mais échappent au contrôle territorial qui se déploie dans un stade à travers les services de sécurité.

Du fait des "débordements" qui se multiplient de plus en plus à l'intérieur des stades, ces lieux sont devenus également des hauts-lieux du déploiement de la souveraineté locale, régionale ou étatique : contrôler le stade de football devient un enjeu politique fortement symbolique, qui permet également, par le biais des média, la mise en spectacle du contrôle territorial acquis (ou supposé l'être) dans l'ensemble de la ville, de la région et/ou de l'Etat. D'où le déplacement des violences à la sortie des stades, témoignant des limites du contrôle territorial urbain (et de la mise en scène de telles limites, entre territoires (sur)contrôlés et "zones grises").

=> Le stade de football peut donc bien être interprété comme un haut-lieu du spectacle : bien au-delà du seul spectacle sportif, le stade de football devient le lieu de la mise en visibilité des haines communautaires, des différenciations sociales, des tensions politiques.

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