Droits d'auteurs et citations

Tous les éléments publiés sur ce blog peuvent être utilisés avec l'accord de l'auteur du blog et A LA CONDITION de citer les sources utilisées (qu'il s'agisse du ou des billets utilisés comme des auteurs cités dans le blog). Merci de respecter les droits d'auteur (pour tous les textes et documents utilisés dans le blog, y compris pour les auteurs cités). Pour me contacter : benedicte.tratnjek[at]gmail.com

dimanche 28 décembre 2008

Nommer les lieux : une problématique en géographie culturelle et politique


Plusieurs manifestations récentes posent la question de "nommer les lieux". Au FIG 2008, Pierre Jaillard (Président de la Commission Nationale de Toponymie) s'est interrogé sur le sujet "Toponymes : une source de conflits ?". Au mois de novembre, le Café géo du Flore à Paris amènera un débat sur "Dire le monde en plusieurs langues". Et en juillet, une émission du Dessous des cartes a été consacrée à la question "Nommer le monde". La diversité de ces manifestations montrent combien la question se pose à plusieurs échelles.


Comme le montre Jean-Victor dans l'émission Le dessous des cartes : "Choisir un nom géographique n’est pas neutre mais traduit bien souvent une vision, une représentation d’un espace, voire sa domination. Les dénominations géographiques, loin d’être symboliques, sont aussi sources de contentieux". Une réflexion qui rejoint les travaux du géographe Paul Claval, spécialiste de géographie culturelle et de géographie politique. Mêlant cette double analyse, le sous-chapitre "Nommer les lieux, qualifier les espaces" dans son ouvrage Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux commence ainsi : "Il ne suffit pas de reconnaître et de s'orienter. L'explorateur veut conserver la mémoire des terres qu'il a découvertes et les faire connaître à tous ; pour parler des lieux et des milieux, il n'est d'autre moyen que de procéder au baptême du terrain et à l'élaboration d'un vocabulaire propre à qualifier les diverses facettes de l'espace" (Armand Colin, collection U, Paris, 2003, p. 121). C'est ainsi, pour citer un exemple bien connu, que les grands découvreurs ont baptisé les terres qu'ils exploraient transformant ces "terra incognitae" en terres connues. Et l'on pense à la contribution de Jacques Cartier sur la toponymie canadienne. Aujourd'hui, toutes les terres de la planètes sont connues et on ne trouve plus de "terra icognitae". La question de "nommer les lieux" reste pourtant d'une très grande actualité. Comme le montre Paul Claval, "la toponymie est un trait de culture et un héritage culturel. [...] Il arrive aussi que les noms changent brutalement dans tout un espace à la suite de l'instauration d'un nouveau pouvoir, d'une invasion, ou du triomphe de nouvelles modes. Nommer les lieux, c'est les imprégner de culture et de pouvoir" (op. cit., p. 121). Et l'on pense aux exemples des indépendances des pays d'Asie centrale. ici, changer les noms des lieux (tout particulièrement des villes) reflète une volonté d'imposer les symboles du nouveau pouvoir. Si l'on prend l'exemple du Kazakhstan, on constate qu'aux lendemains de l'indépendance, les proches du pouvoir n'ont pas forcément changé : en 1991, l'équipe dirigeante est restée au pouvoir, et le Kazakhstan a conservé sa bourgeoisie d'Etat. Néanmoins, la volonté de changer le Kazakhstan a été marquée dans le territoire, par les nombreux changements de noms, surtout ceux des villes les plus connues. Bien évidemment, le changement radical du nom de la capitale est un symbole fort de l'affirmation d'un nouveau pouvoir : Tselinograd est devenue Akmola avant de se transformer définitivement en Astana. Autres changements à noter : le passage du nom de Djamboul à celui de Taraz, de Gouriev à Atyraou, de Chevtchenko à Aktaou, de Léninsk à Baïkonour, de Kzyl-Orda à Ak-Métchet à Kzylorda... Plus que le nombre de ces changements, c'est leur sens qu'il faut interroger : dans la plupart des cas, il s'agit avant tout d'une adaptation des noms au kazakh, devenu langue nationale. Mais, dans le cas des villes les plus connues, considérées comme des géosymboles pour la population locale comme pour l'opinion publique extérieure, les changements de noms sont plus radicaux, et le sens de tels changements est à rechercher dans une volonté de rupture avec l'identité précédente, ici soviétique. Comme dans les autres pays d'Asie centrale, il s'agit avant tout de marquer l'espace par des noms symbolisant l'indépendance avec une signification double : se libérer des marqueurs territoriaux de l'ère soviétique et ancrer l'identité nationale nouvellement acquise à travers des géosymboles et des noms. Cette démonstration de l'utilisation des hauts-lieux et des noms se lit également dans le cas du Turkménistan (voir à ce propos l'ouvrage de Cécile Gintrac et Anne Fénot Achgabat, une capitale ostentatoire. Urbanisme et autocratie au Turkménistan). Dans toute l'Asie centrale, les noms des villes, et tout particulièrement des villes-capitales (véritables vitrines vers l'extérieur), ne pouvaient plus être des symboles du passé soviétique, mais deviennent des symboles de l'identité nationale, pour marquer l'appropriation spatiale du nouveau pouvoir sur un territoire uni par une identité (avec toutes les contradictions qu'imposent la recherche d'une identité nationale forte mais acquise depuis peu).


Nommer les lieux permet de s'approprier l'espace et donc de construire une identité spatiale. Aujourd'hui, il n'y a plus de terres inconnues ; pourtant, la problématique autour des noms de lieux est toujours aussi présente . Peut-être même encore plus, car, sur fond de géographie politique, les noms donnés aux lieux sont l'objet, pour certains, de rivalités dans le choix symbolique des noms des espaces. Le nom est un marqueur important de l'identité de la même façon que l'enfant ne peut se reconnaître dans la société si on ne lui donne pas de prénom, la place des lieux est traduite par le nom qu'on leur donne. Des cas comme la ville de Mitrovica, appelée Mitrovicë par les Albanais, Kosovska Mitrovica par les Serbes, Mitrovica ou Mitrovitsa par la communauté internationale (tout comme le nom du Kosovo lui-même : Kosovë pour les Albanais, Kosovo-Metohija pour les Serbes, Kosovo ou Kossovo pour la communauté internationale) montrent combien la question des noms est un enjeu, en tant que symbole des rivalités de pouvoir et des affrontements pour l'appropriation d'un territoire entre plusieurs communautés (qu'elles soient culturelles, mais aussi sociales et/ou politiques).



"Nommer le monde" - Le dessous des cartes - 12 juillet 2008


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très bon article, cette problématique que j'avais eu l'occasion de découvrir chez Paul Claval (ouvrage cité ci-dessus) m'avait beaucoup intéressé, en cela que je n'y avais jamais songé !

Pour le cas du Turkménistan, "nommer les lieux" n'est-ce pas plus la marque du pouvoir, et exclusivement du pouvoir ? La culture ne semble pas vraiment imprégner ces noms qui ne servent que "la folie de Niazov".