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mercredi 7 novembre 2012

Géographie des élections présidentielles étatsuniennes : premières cartes de l' "Amérique pourpre"

Alors que les résultats de la réélection de Barack Obama pour son second mandat de Président des Etats-Unis viennent de tomber cette nuit, la cartographie électorale est déjà bien riche en ligne. Néanmoins, les cartes électorales peuvent paraître trompeuses : la question de l'échelle des résultats et du manque de lien avec la densité de population dans les territoires représentés ont déjà été mises en avant dans des articles ou billets concernant les élections présidentielles de 2008. Voici donc un billet proposant quelques cartes autres que celle commune à tous les sites d'informations (la carte des résultats par Etat en fonction de la superficie) et des liens pour revenir sur les enjeux de cette cartographie électorale, mais aussi sur les "codes" nécessaires pour la comprendre.

Concernant les résultats d'élections françaises, le géographe Gilles Fumey, parmi d'autres, avait déjà brandit un "carton rouge pour les cartes électorales", revenant sur cet impératif de comprendre ce que nous dit la carte. La carte-discours dépend des choix du cartographe (volontaires ou imposés par son commanditaire), et dans le cas des cartes électorales, le choix du territoire de référence qui sera cartographié change totalement la représentation cartographique. En France, le choix de représenter les résultats des vote par région, par département, par canton ou par ville, change totalement la représentation. De plus, la corrélation doit être faite avec la densité de population : dans le cas des Etats-Unis, l'article de Cris Beauchemin, "Élections présidentielles aux États-Unis : « The Great Divide », mythe ou réalité spatiale ?" (Mappemonde, n°77, n°1/2005, rubrique "Internet" : voir le billet "Les élections présidentielles des Etats-Unis en cartes"), revenant sur la victoire de George W. Bush en 2004 interrogeait justement, en confrontant différentes cartes, la représentation de la "marge de victoire" par la représentation cartographique. Il confrontait ainsi plusieurs séries de cartes :
  • carte des résultats par Etat :
    • carte "classique" selon la superficie
    • anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans la population nationale
    • anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans le collège électoral
  • carte des résultats par comté :
    • carte "classique" selon la superficie
    • anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans la population nationale
  • carte des résultats par comté en fonction de la marge de victoire
    • carte "classique" selon la superficie
    • anamorphose selon le poids relatif de chaque Etat dans la population nationale

Cartographies des élections présidentielles aux Etats-Unis en 2004 :
une "Amérique divisée" ou une "Amérique pourpre" ?
Source : Cris Beauchemin, "Élections présidentielles aux États-Unis : « The Great Divide »,
mythe ou réalité spatiale ?
" (Mappemonde, n°77, n°1/2005, rubrique "Internet".


Par ces travaux, les géographes et cartographes ont mis en avant une "Amérique pourpre" (que l'on retrouve aussi en 2008) : la carte électorale est souvent un élément du discours d'une "Amérique divisée", comme en témoignent les titres des grands médias français de ce jour d'annonce de la victoire de Barack Obama ("L'Amérique est divisée sur tous les plans" pour France Télévisions, "Les deux Amérique" pour Le Monde pour qui "jamais l'Amérique n'a paru aussi divisée", "Les Etats-Unis plus divisés que jamais" pour Sud-Ouest, etc.). Le discours de victoire de Barack Obama à Chicago annonce pourtant "Nous ne sommes pas si divisés...

Ces cartes de la géographie du vote par Etat ne sont pas, pour autant, fausses. Elles témoignent non pas de "la" réalité, mais bien d' "une" réalité, comme toutes les cartes. Les divisions existent, mais les choix de la représentation cartographique peuvent les accentuer ou les amoindrir. C'est dans cette perspective que la carte électorale, par ses choix, est un discours sur la géographie du vote.

Carte des résultats des élections présidentielles étatsuniennes par Etat
Source : Le Monde, 7 novembre 2008.

En comparant cette carte représentant le candidat victorieux par Etat à celle de 2008, on constate que la victoire de Barack Obama, à cette échelle, est plus ténue qu'en 2008 : Mitt Romney a ainsi convaincu plusieurs Etats qui avaient donné Barack Obama vainqueur en 2008 (l'Indiana, la Caroline du Nord (les résultats de la Floride - qui avait donné la victoire à Barack Obama en 2004 - restent en attente à l'heure où sont écrites ces lignes). Les lignes de fracture dessinent tout de même une géographie électorale assez similaire à celle de 2008. L' "Amérique des villes" resterait majoritairement démocrate tandis que l' "Amérique profonde" resterait majoritairement républicaine... Les Etats-Unis seraient donc profondément divisés.

"Y a-t-il vraiment deux Amériques ? L'une conservatrice, républicaine, bigote et rouge, l'autre libérale, urbaine, démocrate, inclusive et bleue ? La carte bicolore qui s’affiche à l’issue des élections reflète le cliché produit par le mode de scrutin, le « Winner-Take-All » qui consacre, à deux exceptions près,un seul vainqueur par Etat. La réalité est en fait moins tranchée : les Etats sont moins uniformes que ne le caricature le mode de scrutin et les mêmes électeurs peuvent voter pour un parti à la présidentielle, pour un autre au Congrès (ou encore pour le poste de gouverneur). Loin d’être bicolore, la carte électorale afficherait alors un subtil dégradé de violet…" (Elisabeth Vallet, 2012, "Les fractures électorales de la démocratie américaine", Visions cartographiques, 29 octobre 2012).

En effet, sur ce type de carte ne donnant que le vainqueur par Etat, on ne voit pas si cette victoire est solide ou si elle dépend d'une très petite avance. Des cartes sur la "marge de victoire" lors de l'élection 2008 (celles de 2012 sont à venir !) permettent d'affiner cette analyse. Dans la carte interactive du Washington Post sur les éelctions de 2008 ("Presidential Election: Winners by County", novembre 2008) qui permet de choisir les résultats combinés ou les résultats par candidat, les résultats électoraux en fonction de la "marge de victoire" (calculée en retirant le nombre de voies attribuées au perdant du comté considéré au nombre de voies du vainqueur : par exemple, dans le comté de Broward en Floride, Barack Obama a reçu 464.353 votes, et John McCain 220.786 votes, ce qui donne à Obama une marge de victoire de 243.567 votes) montrent qu'à l'échelle des comtés, les territoires emportés par John McCain ne lui donnaient que rarement de très légères marges de victoires, tandis que Barack Obama pouvait s'appuyer sur de nettes victoires à Los Angeles ou à Chicago et sur un nombre de victoires relatives plus important. Il sera nécessaire de confronter cette carte de 2008 aux cartes du même ordre avec les résultats de 2012.


Carte des résultats des élections présidentielles étatsuniennes de 2008
par comté (aplats de couleur) et tenant compte de la "marge de victoire"
Source : The Washington Post, novembre 2008. 
Carte de la marge de victoire par comté lors des élections 2012Source : "President map", The New York Times, 7 novembre 2012.


De plus, il est intéressant de montrer, à des échelles différentes, les évolutions dans la géographie du vote. La carte de l'évolution du vote par comté entre 2008 et 2012 proposée par le New York Times montre que si Barack Obama est vainqueur de cette élection, il a déçu une partie des électeurs qui avaient voté en 2008 pour le parti démocrate. Si ce constat est assez "logique", Barack Obama, en tant que Président sortant, devant répondre d'un bilan, ce qui est plus intéressant est d'observer que loin des clichés sur un clivage "Amérique urbaine"/"Amérique profonde", cette évolution du vote affecte tout autant les comtés très fortement urbanisés que les autres, et ne laisse pas entrevoir la même ligne de fracture que la carte des résultats par Etat selon la superficie.

Evolution du vote par comté entre 2008 et 2012
Source : "President map", The New York Times, 7 novembre 2012.

Enfin, la question de la densité de population par Etat et celle du nombre de grands électeurs varient grandement le poids électoral de chacun d'entre eux : sur les 50 Etats des Etats-Unis, certains sont très étendus mais peu peuplés (l'exemple extrême étant, bien entendu, le cas de l'Alaska), d'autres sont très peu étendus mais leur densité de population est très grande (le cas extrême étant celui de l'Etat de New York). Le nombre de grands électeurs, c'est-à-dire le poids électoral de chaque Etat, n'apparaît pas dans les cartes montrant les résultats électoraux selon la superficie. Le fait de gagner le plus grand nombre d'Etats ne fait donc pas un vainqueur, puisque chaque Etat n'a pas le même poids démographique, ni même le même nombre de grands électeurs. Les profondes différences de densité de population qui existent aux Etats-Unis font de la carte des résultats électoraux par Etat une interprétation des divisions qui doit être relativisée et comparée à ces deux critères : densité de population/nombre de grands électeurs. Pour ne donner que deux exemples des conséquences de la géographie du peuplement sur l'inadéquation entre la carte électorale par Etat et le nombre de grands électeurs qui varie d'un Etat à l'autre (selon les chiffres du Bureau de recensement des Etats-Unis datant de décembre 2010) : 
  • L'Etat de New York, qui s'étend sur 141.229 km2, avec plus de 19 millions d'habitants (au 3ème rang après la Californie et le Texas), compte 29 grands électeurs.
  • L'Etat du Montana, qui s'étend sur 380.834 km2 (la "tâche" de couleur du vainqueur de cet Etat est donc bien plus visible sur la carte des résultats électoraux par Etat) compte 989.415 habitants, et 3 grands électeurs.
Pourtant, sur une carte des résultats électoraux par Etat, le Montana et l'Etat de New York "comptent" chacun pour "1". Les cartes mettant en scène le poids démographique ou le poids des grands électeurs mettent davantage en scène le poids de la victoire d'un candidat dans tel ou tel Etat. La tâche de couleur de l'Etat de New York apparaît alors plus conséquente que celle qui fait apparaître les résultats par Etat selon leur superficie ; celle du Montana plus relative.

Carte des intentions de vote par Etat en fonction du nombre de grands électeurs
Source : The New York Times, novembre 2012 (avant le vote).


A noter que Mark Newman qui a produit les cartes par anamorphoses sur lesquelles s'appuient en partie l'article de Cris Beauchemin (Élections présidentielles aux États-Unis : « The Great Divide », mythe ou réalité spatiale ?", Mappemonde, n°77, n°1/2005, rubrique "Internet") a, d'ores et déjà, réalisé des cartes par anamorphoses des résultats par Etat, confrontés à la population d'une part, au nombre de grands électeurs d'autre part. La confrontation entre la carte des résultats par Etat selon la superficie de l'Etat et celles des résultats par Etat selon la population/le nombre de grands électeurs proposent des représentations graphiques différentes de la victoire de Barack Obama : dans la carte "classique" (par superficie), la victoire de Barack Obama semble bien plus fragile (voire contestable) que dans les cartes par anamorphoses. Alors que les premiers débats ont lieu sur la capacité de Barack Obama à légitimer ce deuxième mandat (sa réélection se fait du fait d'une victoire par le nombre de grands électeurs, et non par le nombre de votes ; de plus, si les démocrates sont toujours, après cette élection, majoritaires au Sénat, les républicains le sont restés à la Chambre des représentants, acquise en 2010 : le Congrès est donc divisé), la question de nos représentations cartographiques sur ce vote devrait entrer dans la ligne de mire.
Carte des résultats 2012 par Etat selon la superficieSource : Mark Newman, "Maps of the 2012 US presidential election results", 7 novembre 2012.
Carte des résultats 2012 par Etat selon le nombre de grands électeursSource : Mark Newman, "Maps of the 2012 US presidential election results", 7 novembre 2012.

Carte des résultats 2012 par Etat selon le nombre d'habitants
Source : Mark Newman, "Maps of the 2012 US presidential election results", 7 novembre 2012.


Dans les jours à venir, d'autres cartes suivront, et viendront compléter ces premières cartes (dont on ne peut qu'admirer la capacité de réactivité, les résultats venant de "tomber" il y a quelques heures seulement...) : à surveiller, les cartes des résultats par comté, qui affineront cette carte à l'échelle des Etat, les cartes par anamorphoses, mais aussi (et surtout) les cartes par comté tenant compte de la "marge de victoire", qui montreront la diversité des votes à l'intérieur des Etats, et laisseront certainement apparaître à nouveau cette "Amérique pourpre". Et permettront de dessiner cette géographie de l'Amérique qui a souvent, ces dernières semaines, été qualifiée d' "indécise" (voir dans la page "The Electoral Map: Building a Path to Victory" du New York Times, l'animation présentant les différents scénarios en fonction du choix des "Etats-balances", encore appelés "Etats-pivots"), mais qui reflète surtout la variété des votes par-delà le clivage "Amérique profonde"/"Amérique urbaine". Les résultats sont serrés, les divisions existent donc : deux visions pour les Etats-Unis se sont exprimées dans ces élections présidentielles. Mais ces divisions sont certainement plus subtiles que celles d'un clivage entre deux Amériques l'une "profonde", l'autre "urbaine".

De nombreux géographes ont, principalement pour le cas français, discuté de l'importance de relativiser, dans les pays développés, le clivage urbain/"rural", puisque ces sociétés ne sont plus marquées par ce clivage, mais par différents gradients d'urbanité (pour voir les débats autour de cette question qui ne fait pas l'unanimité chez les géographes : Jacques Lévy, 2003, "Vote et gradient d'urbanité. L'autre surprise du 21 avril", EspacesTemps.net, rubrique Mensuelles / La carte, 5 juin 2003 ; Jérôme Fourquet, Pascal Buléon et Loïc Ravenel, 2003, "Vote et gradient d'urbanité : les nouveaux territoires des élections présidentielles de 2002", Espace, populations, sociétés, vol. 21, n°3/2003, pp. 469-482 ; Fabrice Ripoll et Jean Rivière, 2007, "La ville dense comme seul espace légitime ? Analyse critique d'un discours dominant sur le vote et l'urbain", Annales de la recherche urbaine, n°102, juillet 2007, pp. 121-130. ; et à la (ré)écoute l'émission : "France 2012 : géographie d'un vote", Planète Terre, France Culture, 25 avril 2012, avec Jacques Lévy, animée par Sylvain Kahn). Si la question des "gradients d'urbanité" ne fait pas l'unanimité, elle montre au minima que la réflexion sur la géographie électorale doit être menée à l'image de cette "Amérique pourpre" qui laisse apparaître une géographie du vote plus subtile qu'un simple clivage "rouge/bleu".

Enfin, en regardant les résultats chiffrés par genre, groupe ethnique, âge, niveau d'éducation, revenu, type de lieu de résidence, etc. proposés par le New York Times, force est de constater qu'il reste de nombreux éléments à cartographier pour mettre en avant tous les enjeux qui se cache derrière cette "Amérique pourpre" et cette géographie du vote. La cartographie électorale est, par conséquent, un outil particulièrement riche, à condition de savoir ce qui est cartographié !


Extrait des résultats chiffrés par groupes de population pour les élections 2012
(critères : sexe, âge, revenu, appartenance communautaire, niveau d'éducation...)

Source : "President Exil Polls", The New York Times, 7 novembre 2012.



Des cartes sur les élections présidentielles étatsuniennes et leurs enjeux


A propos de la géographie des élections présidentielles étatsuniennes 2012



Des liens sur la géographie électorale


=> En guise de (non-)conclusion, voici une invitation à (re)découvrir le très article du géographe Thierry Joliveau sur "La carte, un truc de maniaques ?" dans son carnet de recherches Monde géonumérique (7 avril 2010). En voici le point de départ : "La carte est-elle un objet complexe, un outil réservé aux spécialistes ? Ou bien, comme la néogéographie le postule, tout un chacun aujourd’hui va-t-il être amené à fabriquer sa propre carte et donc à maîtriser la technique cartographique ? Cette question est difficile à trancher mais ouvrir le débat me paraît nécessaire".


2 commentaires:

everd a dit…

il faut ajouter celui là : http://www.espacestemps.net/document.php?id=9768

Tratnjek Bénédicte a dit…

En effet, cet article, publié depuis, montre bien l'importance de faire un suivi : le billet annonçait bien les "premières" cartes, d'autres très intéressantes sont certainement à venir, j'essayerais de refaire un billet dans quelques mois avec d'autres cartes.

En attendant, grand merci d'avoir signalé l'article de Luc Guillemot et Jacques Lévy pour EspacesTemps : "L'espace-Obama. Une victoire des réseaux sur les territoires", et la carte qui l'accompagne.

Les premières lignes : "La représentation cartographique habituelle de l’élection présidentielle américaine peut s’avérer trompeuse. Découpant l’espace à l’échelle des États, elle donne l’image d’un partage territorial entre vingt-six États (plus le District of Columbia) pour Barack Obama et vingt-quatre pour Mitt Romney. Si l’on descend au niveau du comté (il y en a plus de 3000 aux États-Unis, soit une moyenne d’environ 100 000 habitants par comté), d’autres configurations spatiales apparaissent. Si, par ailleurs, on ne représente plus les surfaces, comme sur les cartes classiques, mais les habitants, on obtient une image plus réaliste de l’espace étatsunien. Tel est le choix que propose le cartogramme ci-contre. On y voit que Obama confirme sa géographie de 2008 : une majorité fondée sur des réseaux face à une forte minorité républicaine appuyée sur des territoires."

A LIRE : http://www.espacestemps.net/docannexe9769.html