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vendredi 16 septembre 2011

Frontières mobiles : quelques réflexions après le colloque BRIT XI


Les XIe Rencontres du réseau BRIT (Border Regions in Transition) ont réuni à Genève et Grenoble les 6-9 septembre 2011 de nombreux intervenants et discutants autour de la question des "Frontières mobiles" (voir le programme). Une question originale, tant la frontière paraît a priori être figée dans l'espace, bien qu'elle soit malléable dans le temps. Or, l'approche mobilitaire ne questionne pas seulement le mouvement dans le temps long (où l'histoire des frontières est bien évidemment faite de déplacements bien connus) : elle appréhende également des mobilités "ordinaires", ancrées dans le quotidien. Ce n'est donc pas seulement la frontière juridique qui était questionnée dans ce colloque, mais aussi les frontières vécues, les frontières revendiquées, les disputes frontalières.



Présentation du colloque par les organisateurs :
Bien que leur mort, ainsi que celle des territoires, ait été annoncée au début des années 1990, les frontières constituent toujours une réalité prégnante. Elles sont marquées toutefois par les processus constants de déterritorialisation-reterritorialisation et d’ouverture / fermeture (« debordering-rebordering ») qui les sélectionnent, les re-hiérarchisent mais aussi qui les rendent plus diverses dans leurs formes et leurs matérialisations. Ainsi, l’inscription spatiale de la frontière est de plus en plus difficile à définir, ce qui constituera le cœur du questionnement de notre colloque. Différentes tendances sont en effet à l’œuvre, qui produisent des frontières plus mouvantes,  plus ouvertes ou plus floues. 
Tout d’abord la frontière fixe, dans sa forme la plus classique, s’avère toujours sujette à une certaine mobilité lorsqu’elle se cale sur des discontinuités naturelles dont la forme peut évoluer. Il en va ainsi des thalwegs qui fluctuent avec les évolutions des cours d’eau. Le changement climatique peut aussi être responsable de changement topographique avec la fonte de glaciers sur lesquels des frontières ont été établies, obligeant à revoir une frontière dépendant de la localisation d’un sommet, d’un col ou d’une ligne de partage des eaux. 
Mais la notion de frontière mobile prend toute sa dimension si l'on considère que les fonctions frontalières tendent à dépasser la localisation sur les limites établies des aires de souveraineté nationale, pour être repoussées, projetées, multipliées ou diffusées dans l’espace. La fonction de contrôle peut notamment être disséminée à travers le territoire national, et non plus fixée à la seule entrée de celui-ci. Il en va ainsi des frontières biométriques, numériques ou « intelligentes ». Les frontières s’organisent conjointement de plus en plus en réseau, ce qui a fait émerger l’idée de frontières réticulaires, se situant aux nœuds de communication. Que ce soit dans les aéroports, les gares, ou suivant des équipes mobiles de douaniers, les migrations et les transactions sont contrôlées par des « frontières mobiles ». 
Pour certains auteurs, ces dynamiques tendent à effacer la frontière, là où pour d’autres la logique réticulaire qui supplanterait celle du territoire créerait de nouvelles frontières, se trouvant loin du territoire national et ses limites administratives : elles sont projetées. On peut alors relier ce nouveau type de frontières au phénomène d’extraterritorialité. 
Il semble essentiel de se demander ce qu’il advient des régions frontalières dans ce contexte : certaines peuvent se trouver soulagées des contraintes imposées anciennement par la frontière, mais d’autres peuvent perdre les avantages comparatifs induits par ces frontières. De nouvelles dynamiques voient le jour, où la frontière tend à être repoussée, où la ligne de frontière est transformée en zone d’échanges ou de projet. Les zones frontalières jouent donc sur la frontière, la repoussant au gré de leurs besoins. 
Enfin, les nombreux espaces et territoires éphémères qui voient le jour dans un contexte postmoderne apportent une dimension supplémentaire à la notion de mobilité des frontières. Fronts agricoles, appropriations éphémères de l’espace public, autant de rapports de pouvoir au sein de la société tendant à créer des frontières toujours plus mobiles. 
Le colloque sera donc d’abord consacré aux frontières embarquées et individualisées, aux frontières projetées, aux frontières fluctuantes et aux frontières éphémères, mais il pourrait apparaître assez cynique de s’interroger sur la seule dissolution de la frontière alors que notre époque atteste d’une multiplication des frontières physiques solides, telles que les murs. C’est pourquoi nous souhaitons également accueillir des participations qui analysent le lien entre la transformation des fonctions des frontières et l’émergence de nouveaux murs, ne se contentant pas de considérer ces formes comme des résurgences d’anciens réflexes militaires de fortification du territoire national : les murs eux-mêmes peuvent être mobiles, toute visée expansionniste servant à justifier leur déplacement.

Extraits de l'argumentaire de l'appel à contribution, qui posait de nombreux éléments de réflexion sur ce que l'on peut entendre par "Frontières mobiles", et qui a servi de support de travail aux différents intervenants.




Quelques éléments de réflexion sur les "frontières mobiles"

Le colloque réunissait des interventions en français et en anglais. Ce qui a permis de (re-)questionner les différentes approches de la frontière d'une langue à l'autre. De nombreux travaux rappellent, en effet, que dans la recherche en sciences humaines, sociales et politiques, traduire n'est pas une seule question de transcription, dans la mesure où chaque notion et chaque concept impliquent des sous-entendus inhérents à l'épistémologie de chaque discipline pensée dans une langue. Par exemple, si paysage et landscape sont équivalents dans le langage courant, les géographes français et les géographes anglo-saxons ne sous-entendent pas tout à fait la même chose quand les premiers parlent de paysage et les seconds de landscape, dans la mesure où ces deux concepts portent avec eux un "bagage" épistémologique qui est sous-entendu (à ce propos, voir la réflexion de la philosophe Barbara Cassin, qui a dirigé le Vocabulaire Européen des philosophes. Dictionnaire des intraduisibles, sur l'existence d'une géographie du sens des mots : "Dire le monde en plusieurs langues", Cafés géographiques, 25 novembre 2008).

Concernant la frontière, il est bien connu que derrière le concept unique en français, se cachent deux concepts en anglais : border et frontier.La frontière-ligne (border) et la frontière-zone (frontier) sont deux dispositifs spatiaux distincts dans la littérature anglo-saxonne, tandis que le concept de frontière est englobant dans la littérature francophone. 

C'est un des axes permettant de discuter cette notion de "frontières mobiles" : si l'on considère la frontière-zone, c'est-à-dire non seulement le tracé frontalier, mais aussi l'ensemble du dispositif spatial qui dans une zone structurée par ce tracé fait frontière , on peut questionner cette approche de la frontière par les mobilités.

Par exemple, si l'on prend le cas de la frontière internationale entre Etats-Unis et Mexique, la frontière-ligne - border - est une ligne politique structurant une bande frontalière de part et d'autre de cet axe, dans laquelle sont déployés des stratégies de contrôle de l'espace : les Border Patrol du côté étatsunien participent, par leur quadrillage de leur espace, à créer une frontière-zone, c'est-à-dire un espace structuré par l'effet-frontière. Mais cette zone est mouvante, dans la mesure où elle dépend des évolutions de ce marquage de l'espace (marquage à la fois sécuritaire et symbolique).


Les "frontières mobiles" et la ville en guerre : frontières vécues, murs et ponts

Ces constats furent le point de départ pour la réflexion sur la pertinence d'interroger les "frontières mobiles" dans la ville en guerre. Plusieurs intervenants ont appréhendé cette question par l'échelle intraurbaine, notamment dans le cas de l'après-guerre (le géographe Bernard Reitel a ainsi proposé une analyse sur la resémantisation des traces du Mur de Berlin, c'est-à-dire sur une nouvelle mise en langage de ces traces dans la ville, avec un effort récent de patrimonialisation du Mur, inégalement réparti dans la ville, qui tend non seulement à produire un tourisme de mémoire, mais aussi à réinventer la mémoire dans la ville par la mise en visibilité sélective des traces du Mur. D'autres interventions ont porté sur des villes en conflit, telles qu'Hébron (intervention de Brigitte Piquard), ville divisée située dans le Sud de la Cisjordanie (voir également Chloé Yvroux, 2009, "L'impact du contexte géopolitique sur "l'habiter" des populations d'Hébron-Al Khalil (Cisjordanie)", L'espace géographique, n°2009/3, pp. 222-232).

La question des murs, que ce soit les murs matérialisant une frontière internationale (par exemple, l'intervention d'Alexandra Novosseloff sur l'exemple coréen) ou les murs à l'intérieur d'un territoire nationale (avec plusieurs interventions sur la "barrière de sécurité" de Cisjordanie) ont permis de croiser les approches disciplinaires : géographie, science politique et information/communication ont pu ainsi dialoguer sur la question des perceptions et des représentations (par les habitants, par les acteurs de ces aménagements, par les médias) des murs. Des débats ont aussi eu lieu autour de la terminologie à employer : dans le cas des murs, pour continuer sur cet exemple, faut-il parler de frontières matérialisées, de murs frontaliers, de barrières frontalières ?

La question des "frontières mobiles" fut donc particulièrement motivante pour les intervenants, parce qu'elle invitait à se positionner sur ce qui n'est pas intuitif : la frontière dans ses mouvements. Le cas du Sahara occidental (discuté par Karine Bennafla) peut faire ici école, tant cette frontière est mouvante dans son tracé, mais reste néanmoins une discontinuité spatiale ancrée dans les pratiques spatiales (voir aussi Luis Martinez, 2011, "Frontières et nationalisme autour du Sahara occidental", Ceriscope).

La question de la matérialité et de la visibilité des murs a elle aussi été posée : voir le mur suffit-il à faire la frontière ? On retrouve là un des questionnements sur le pont : voir le passage suffit-il à produire une continuité spatiale ? On avait, en écho à l'ouvrage d'Alexandra Novosseloff et de Franck Neisse, Des murs entre les hommes, discuter du pont-frontière dans les villes de Mitrovica et de Mostar (voir "Des ponts entre les hommes : les paradoxes de géosymboles dans les villes en guerre", Cafés géographiques, rubrique Vox geographi, 12 décembre 2009). Le pont a d'ailleurs été discuté et a entraîné des échanges sur la frontière-coupure/frontière-couture, entre discontinuité et dynamique spatiale (voir les articles de ce blog sur le pont).



Quelques retours du colloque Frontières mobiles (BRIT XI)

On peut retrouver des éléments des discussions (notamment un suivi de l'intervention du géographe Michel Foucher sur les frontières africaines) sur twitter (hashtag #BRITxi), notamment sur les comptes Geopolitics2012 et VilleEnGuerreDifférentes publications devraient être mises en place (numéros de revues thématiques, actes en ligne...), on en reparlera prochainement sur ce blog.

La prochaine rencontre du réseau BRIT aura certainement lieu à Fukuoka en novembre 2012. Elle sera certainement l'occasion de nouvelles discussions passionnantes autour du thème de la frontière, trop souvent annoncé comme "bien connu", mais qui pose pourtant aujourd'hui de nombreuses questions renouvelées.



Pour aller plus loin sur les frontières :

Des définitions de la frontière et des espaces frontaliers :
  • Bernard Reitel, "Frontière", Hypergéo.
  • Bernard Reitel et Patricia Zander, "Espace frontalier", Hypergéo.
  • Bernard Reitel et Patricia Zander, "Ville frontalière", Hypergéo.
  • Groupe Frontière, Chritiane Arbaret-Schulz, Antoine Beyer, Jean-Luc Piermay, Bernard Reitel, Catherine Selimanovski, Christophe Sohn et Patricia Zander, "La frontière, un objet spatial en mutation", EspacesTemps.net, rubrique Textuel, 29 octobre 2004.
  • Jacques Lévy, "Frontière", EspacesTemps.net, rubrique Il paraît, 29 octobre 2004. 


Sitographie sélective :


Bibliographie sélective :

Des revues en ligne :

Des ouvrages récents :
  • Michel Foucher, 2008, L'obsession des frontières, Perrin, Paris.
  • Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet (dir.), 2005, Tropisme des frontières. Approche pluridisciplinaire, L'Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, tome 1.
  • Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet (dir.), 2006, Regards géopolitiques sur les frontières, L'Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, tome 2. 
  • Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard, 2007, Les frontières mondiales. origines et dynamiques, Editions du Temps, collection Une géographie, Paris.
  • Alexandra Novosseloff et Franck Neisse, 2007, Des murs entre les hommes, La Documentation française, Paris (voir un compte-rendu de lecture).
  • Georges Banu, 2010, Des murs... au Mur, Gründ, Paris (voir un compte-rendu de lecture).


1 commentaire:

cha_flo a dit…

Merci pour ce retour intéressant.. La frontière-zone et la frontière-ligne, et tant de réalités différentes. Je m'intéresse en ce moment aux camps de réfugiés, un phénomène qui interroge également la frontière : souvent situé à la frontière, le camp de réfugié crée un nouveau territoire - un espace de vie - en un lieu dont la vocation originelle consistait précisément à séparer deux territoires.