Pour leur 8ème édition, les Cafés stratégiques invitent le géographe Stéphane Rosière sur la question des murs frontaliers. Professeur de géographie à l'Université de Reims et membre du laboratoire Habiter pour lequel il dirige l'axe de recherches "Espace politique", Stéphane Rosière est, notamment, auteur d'ouvrages majeurs dans la pensée sur l'espace politique : son manuel Géographie politique & Géopolitique. Une grammaire de l'espace politique et son Dictionnaire de l'espace politique. Géographie politique & géopolitique lui ont permis de poser les "jalons" d'un renouveau de la réflexion en géographie politique et en géopolitique, tout en l'ouvrant à un public large. Réflexion qui s'est poursuivie dans la création d'une revue en ligne : L'espace politique, dans l'organisation d'un important colloque international à Reims en 2008 sur L'espace politique. Concepts et Echelles, et dans la direction d'un ouvrage collectif, fruit des réflexions de ce colloque : Penser l'espace politique. Récemment, dans la continuité de ses travaux sur les "modifications coercitives du peuplement", il s'est intéressé à la question des murs comme frontières : que nous apprend cette matérialisation de la frontière ? Ce processus de mise à distance de "l'Autre" est-il efficace ? En quoi la mise en visibilité d'une frontière a-t-elle des conséquences sur les mobilités ? Pourquoi le paysage est-il utilisé à des fins de politique migratoire ou de sécurisation du territoire ?
Afin de vous proposer une "préparation" au café stratégique qui se déroulera ce jeudi 5 mai 2011 à 19h00 au Café Le Concorde (239 bd Saint-Germain, Vème arrondissement, Paris, métro Assemblée Nationale), voici une petite sélection bibliographique sur les "modifications coercitives du peuplement" et sur les murs-frontières, ainsi qu'un "aperçu" de la réflexion de Stéphane Rosière, à travers l'extrait de son Dictionnaire de l'espace politique concernant l'entré "Murs". En espérant vous voir nombreux à ce débat autour d'un verre !
Outre ses travaux de théorisation sur l'espace politique, Stéphane Rosière s'intéresse tout particulièrement à ce qu'il a identifié comme des "modifications coercitives du peuplement". La formule est éloquente ! Et témoigne de la continuité de ses travaux de recherche : il s'est tout d'abord intéressé à la problématiques des "nettoyages ethniques", donnant des clés pour distinguer les différentes formes de massacres de masse (notamment les génocides et les nettoyages ethniques) par une approche spatiale. Son ouvrage Le nettoyage ethnique. Terreur et peuplement lui a permis de dresser une typologie de cette "géographie de l'inhumain", dans laquelle il distingue les nettoyages ethniques en fonction des intentionnalités des acteurs de ces violences extrêmes. Ce qui l'a amené à penser la notion de "modifications coercitives du peuplement", notamment autour d'une typologie où il distingue les processus de ségrégation, d'expulsion, de colonisation, de déplacement, de refoulement et d'extermination. Ces processus ont pour point commun de montrer que les logiques de peuplement dépassent parfois les logiques démographiques et économiques, dès lors qu'un acteur politique utilise la violence pour "forcer" à un peuplement qu'il juge "digne" de son territoire. C'est ainsi que son intérêt s'est porté, plus récemment, sur la question des murs, qu'il présentera au 8ème Café stratégique : les murs constituent-ils des privations de liberté de circulation efficaces ? En quoi la matérialisation de la frontière est-elle un outil des politiques migratoires et sécuritaires d'un Etat ? Ces travaux s'inscrivent également dans sa réflexion sur la fragmentation étatique : le mur est-il une "trace" dans le paysage de cette fragmentation politique ? Comment le mur est-il perçu de part et d'autre : élément de ségrégation ou de sécurisation ? Le mur suffit-il a lui-même, ou n'est-il pas plutôt un des éléments d'un dispositif spatial plus vaste permettant l'entrave des mobilités ? Dans ce cas, n'en est-il pas seulement la forme matérialisée ?
Dans son Dictionnaire de l'espace politique, Stéphane Rosière définit ainsi le mur comme "un élément de maçonnerie constitué de pierres, de parpaings, ou de blocs de béton : si les clôtures de barbelé ne forment pas des murs, ce type d'obstacle linéaire peut être considéré comme relevant de la même logique. Par ailleurs, le mur n'est qu'un des moyens qui tendent à limiter la mobilité des hommes, il n'est qu'un élément parmi des dispositifs de sécurité de plus en plus sophistiqués : systèmes de hautes technologies, législations visant les mêmes objectifs.
La notion de mur n'est devenue pertinente dans la compréhension de l'espace politique qu'à la suite de la construction du mur de Berlin (érigé par les Allemands de l'Est en 1961, son but était de séparer hermétiquement les secteurs occidentaux de la ville du secteur soviétique et de la RDA). Malgré la disparition de celui-ci, le 9 novembre 1989, on trouve encore de nombreux murs pour cloisonner l'espace et le fragmenter que ce soit le long de certaines frontières internationales, ou autour de quartier fermés (gated communities ou ghettos).
Le nom que l'on donne à ces barrières varie souvent suivant le côté duquel on se situe... Si le terme de mur (wall en anglais) est doté d'une connotation très négative issue de la guerre froide et de la perception tyrannique du mur de Berlin, celui de clôture (fence en anglais) est perçu comme moins agressif. Ainsi, les Israéliens qui ont décidé de fermer leur frontière avec la Cisjordanie en juin 2002 parlent de barrière de sécurité (security fence), mais les Palestiniens l'appelent "mur de l'apartheid". Les discours sont un des objets de la rivalité entre les peuples et, pour paraphraser Blaise Pascal, vérité en deça de certains murs, ne l'est plus au-delà...
La construction de murs le long des frontières concerne tout d'abord les Etats entretenant des relations conflictuelles, on peut alors parler de murs de sécurité. Ils matérialisent parfois d'anciennes lignes de cessez-le-feu : Demilitarized Zone intercorréenne, "ligne verte" entre la République turque de Chypre Nord et la République chypriote, Line of Control entre les Cachemire indien et pakistanais, mur marocain au Sahara occidental, mur israélo-palestinien, etc. Au-delà de ces lignes de cessez-le-feu "figées", des Etats entretenant des relations conflictuelles murent aussi leurs frontières communes : Grèce et Turquie en Thrace, Inde et Pakistan (hors Cachmire), etc.
Un autre type de frontière caractérisé par l'existence de murs est celui des frontières marquées par un nombre important de franchissements illégaux. On peut alors parler de murs migratoires. Tel est le cas de la frontière américano-mexicaine qui, ponctuellement murée comme en Californie, devrait être "bétonnée" sur près de 1.200 kilomètres selon les décisions votées en octobre 2006. On trouve aussi de tels murs, liés aux mêmes causes, à Ceuta et Melilla, les Presidios espagnols d'Afrique du Nord.
Dans les villes aussi, les murs se multiplient. Les habitants des gated communities voient aussi d'un bon oeil ce type de protection, et le morcellement social des villes se double de plus en plus d'une fermeture physique qui remet en question le principe même de la ville, en tant que lieu de rencontre et de mélange" (pp.193-194).
La notion de mur n'est devenue pertinente dans la compréhension de l'espace politique qu'à la suite de la construction du mur de Berlin (érigé par les Allemands de l'Est en 1961, son but était de séparer hermétiquement les secteurs occidentaux de la ville du secteur soviétique et de la RDA). Malgré la disparition de celui-ci, le 9 novembre 1989, on trouve encore de nombreux murs pour cloisonner l'espace et le fragmenter que ce soit le long de certaines frontières internationales, ou autour de quartier fermés (gated communities ou ghettos).
Le nom que l'on donne à ces barrières varie souvent suivant le côté duquel on se situe... Si le terme de mur (wall en anglais) est doté d'une connotation très négative issue de la guerre froide et de la perception tyrannique du mur de Berlin, celui de clôture (fence en anglais) est perçu comme moins agressif. Ainsi, les Israéliens qui ont décidé de fermer leur frontière avec la Cisjordanie en juin 2002 parlent de barrière de sécurité (security fence), mais les Palestiniens l'appelent "mur de l'apartheid". Les discours sont un des objets de la rivalité entre les peuples et, pour paraphraser Blaise Pascal, vérité en deça de certains murs, ne l'est plus au-delà...
La construction de murs le long des frontières concerne tout d'abord les Etats entretenant des relations conflictuelles, on peut alors parler de murs de sécurité. Ils matérialisent parfois d'anciennes lignes de cessez-le-feu : Demilitarized Zone intercorréenne, "ligne verte" entre la République turque de Chypre Nord et la République chypriote, Line of Control entre les Cachemire indien et pakistanais, mur marocain au Sahara occidental, mur israélo-palestinien, etc. Au-delà de ces lignes de cessez-le-feu "figées", des Etats entretenant des relations conflictuelles murent aussi leurs frontières communes : Grèce et Turquie en Thrace, Inde et Pakistan (hors Cachmire), etc.
Un autre type de frontière caractérisé par l'existence de murs est celui des frontières marquées par un nombre important de franchissements illégaux. On peut alors parler de murs migratoires. Tel est le cas de la frontière américano-mexicaine qui, ponctuellement murée comme en Californie, devrait être "bétonnée" sur près de 1.200 kilomètres selon les décisions votées en octobre 2006. On trouve aussi de tels murs, liés aux mêmes causes, à Ceuta et Melilla, les Presidios espagnols d'Afrique du Nord.
Dans les villes aussi, les murs se multiplient. Les habitants des gated communities voient aussi d'un bon oeil ce type de protection, et le morcellement social des villes se double de plus en plus d'une fermeture physique qui remet en question le principe même de la ville, en tant que lieu de rencontre et de mélange" (pp.193-194).
Voici une petite bibliographie (loin d'être exhaustive !) pour :
- d'une part découvrir notre invité, le géographe Stéphane Rosière,
- et d'autre part poursuivre la réflexion sur les murs.L'espace politique :
- Stéphane Rosière, 2003 (réédité dans une version corrigée et complétée en 2007), Géographie politique & Géopolitique. Une grammaire de l'espace politique, Ellipses, coll. Universités Géographie, Paris.
- Stéphane Rosière, 2008, Dictionnaire de l'espace politique. Géographie politique & géopolitique, Armand Colin, Paris.
- Stéphane Rosière, Kevin Cox, Céline Vacchiani-Marcuzzo et Carl Dalhman (dir.), 2009, Penser l'espace politique, Ellipses, Paris ==> dans cet ouvrage, on retrouve notamment le chapitre introductif de Stéphane Rosière sur "L'espace politique : quels concepts et quelles échelles ?" (pp.17-33).
- Stéphane Rosière, 2010, "La fragmentation de l'espace étatique mondial. Réflexions sur l’augmentation du nombre des États", L'espace politique, n°11, n°2010-2.
- Stéphane Rosière, 2010, "Une géopolitique des classes", L'espace politique, n°12, n°2010-3 (voir également l'ensemble du n° dirigé par Gérard Dussouy sur "Les théories de la géopolitique").
Nettoyages ethniques et massacres de masse :
- Stéphane Rosière, 2006, Le nettoyage ethnique. Terreur et peuplement, Ellipses, coll. Carrefours Les Dossiers, Paris.
- Stéphane Rosière (dir.), 2005, "Nettoyage ethnique, violences politiques et peuplement", Revue Géographique de l'Est, vol. 45, n°1 (notamment l'article introductif de Stéphane Rosière : "Nettoyage ethnique, violences politiques et peuplement").
- Stéphane Rosière et Michel Roux (dir.), 2006, "Le nettoyage ethnique", Bulletin de l'Association de Géographes Français - BAGF, n°2006-4 (avec, en plus d'études de cas sur l'ex-Yougoslavie, sur la ville de Mitrovica (Kosovo) et sur le Haut-Karabagh, on retrouve un article théorique de Stéphane Rosière : "La géographie face au nettoyage ethnique - vers une géographie inhumaine").
Les "modifications coercitives du peuplement" :
Le dossier "Modifications coercitives du peuplement" dans la revue L'information géographique, n°1/2007, vol. 71, n°1, mars 2007 :
- Stéphane Rosière, "La modification coercitive du peuplement"
- Alain Gascon, "Les modifications coercitives du peuplement en Ethiopie : Staline et Pol Pot en Afrique ?"
- Marc Lavergne, "Les transplantations forcées au Darfour : dernier avatar du peuplement soudanais ou nouveau mode de gestion du territoire"
- Clémence Scalbert Yücel, "Le peuplement du Kurdistan bouleversé et complexifié : de l'assimilation à la colonisation"
- Christel Thibault, "L'état des déplacements sous contrainte au Cambodge"
A noter que le numéro est complété par un dossier "Sur Internet" consacré aux modifications coercitives du peuplement (réalisé par Jean-Philippe Raud Dugal).
Les murs-frontières : quelques ouvrages et numéros de revue
Des ouvrages :
- Alexandra Novosseloff et Frank Neisse, 2007, Des murs entre les hommes, La documentation française, Paris (voir un compte-rendu de lecture).
- Michel Foucher, 2007, L'obsession des frontières, Perrin, Paris.
- Stéphane Rosière et Florine Ballif, 2009, "Le défi des « teichopolitiques ». Analyser la fermeture contemporaine des territoires"
- Irène Salenson, "Le schème de la clôture en Israël-Palestine"
- Chloé Yvroux, "L'impact du contexte géopolitique sur «l'habiter» des populations d'Hébron-Al Khalil (Cisjordanie)"
Le dossier "Frontières, marquages et disputes" dans la revue Conflits & Cultures, n°73, printemps 2009 (voir un compte-rendu de lecture), dans lequel on notera tout particulièrement les articles :
- Didier Bigo, Riccardo Bocco et Jean-Luc Piermay, "Logiques de marquage : murs et disputes frontalières" (introduction)
- Evelyne Ritaine, "La barrière et le checkpoint : mise en politique de l’asymétrie"
- Cédric Parizot, "Après le mur : les représentations israéliennes de la séparation avec les Palestiniens"
- Florine Ballif, "Les peacelines de Belfast, entre maintien de l’ordre et gestion urbaine"
Le dossier "Les murs : séparations et traits d'union", dans la revue Politique étrangère, n°4/2010 :
- Franck Neisse et Alexandra Novosseloff, "L'expansion des murs : le reflet d'un monde fragmenté ?"
- Cédric Parizot, "D'un mur à l'autre: la séparation vue par les Israéliens (2002-2010)"
- Emmanuelle Le Texier, "Mexique/États-Unis: de la frontière intelligente au mur intérieur"
- Jean-François Drevet, "Chypre entre partition et réunification"
- Jon Calame, "La ville divisée : les minorités hors les murs"
Le dossier "Murs et frontières", dans la revue Cités, n°31, n°2007-3, dans lequel on remarquera les articles :
- Yves-Charles Zarka, "Frontières sans murs et murs sans frontières" (éditorial)
- Jean-Michel Durafour, "Murs, murs"
- Jean-Pierre Cléro, "La volonté d'espace" (présentation du dossier)
- Raphaël Draï, "Murs politiques, murs mentaux"
- Arturo Marzano, "Une nouvelle frontière entre Israël et la Palestine ?"
- Isabelle Vagnoux, "Etats-Unis et Mexique : le mur de la discorde"
- Jean-Michel Durafour, "« Cette frontière qui battait sans cesse en retraite » : Turner et le cas américain"
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