Le départ des troupes irakiennes va profondément changer la géopolitique urbaine dans la capitale irakienne. En effet, la présence de militaires d'une force étrangère dans une ville affecte non seulement les rapports politiques, mais aussi la pratique spatiale de la ville et les processus de peuplement (on avait abordé ce point concernant la ville de Mitrovica : "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (1) : quelles approches géographiques ?", "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (2) : la démarche en géographie militaire", "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (3) : la démarche en géopolitique urbaine"). L'armée étatsunienne s'était appropriée des espaces, avait créé un dispositif sécuritaire reposant sur la création d'une zone de sécurité et des patrouilles permettant le quadrillage de la ville, et avait ainsi des incidences tant sur les territoires des acteurs de la déstabilisation (qui se sont retrouvés dans les "niches" urbaines) que sur les points vulnérables de la ville (la forte sécurisation de certaines zones urbaines les rend aussi fortement symboliques pour des actions terroristes, les transformant ainsi en géosymboles de la présence militaire étrangère). Avec le désengagement des troupes étatsuniennes (qui pose déjà des problèmes logistiques quant au retour des troupes et matériels : voir "Quand l’armée américaine déménage", Alliance GéoStratégique), les transformations de la géopolitique urbaine vont devenir un "laboratoire" pour tous les observateurs : quel dispositif sécuritaire sera mis en place par la police irakienne ? Comment se traduira-t-il dans les pratiques spatiales des habitants ? Ce retrait ne veut pas forcément dire que la présence de l'armée étatsunienne "s'effacera" de la ville : pour exemple, la politique des murs de sécurité mise en place par l'armée étatsunienne (voir le billet "Les Etats-Unis et la frontière : les murs, urbanisme de paix ou urbanisme de guerre ?") s'est ancrée dans les pratiques spatiales des habitants (notamment en tendant à l'homogénéisation des quartiers et la diminution du nombre de quartiers mixtes dans la ville) et dans l'imaginaire spatial des habitants (la peur de "l'Autre" reste un puissant moteur de recompositions sociospatiales dans la ville), malgré le démantèlement de la plupart de ces murs.
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dimanche 22 août 2010
Géographie de Bagdad (3) : "Good Bye Bagdad !"
Le départ des troupes irakiennes va profondément changer la géopolitique urbaine dans la capitale irakienne. En effet, la présence de militaires d'une force étrangère dans une ville affecte non seulement les rapports politiques, mais aussi la pratique spatiale de la ville et les processus de peuplement (on avait abordé ce point concernant la ville de Mitrovica : "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (1) : quelles approches géographiques ?", "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (2) : la démarche en géographie militaire", "Espaces des combattants et espaces militaires à Mitrovica (3) : la démarche en géopolitique urbaine"). L'armée étatsunienne s'était appropriée des espaces, avait créé un dispositif sécuritaire reposant sur la création d'une zone de sécurité et des patrouilles permettant le quadrillage de la ville, et avait ainsi des incidences tant sur les territoires des acteurs de la déstabilisation (qui se sont retrouvés dans les "niches" urbaines) que sur les points vulnérables de la ville (la forte sécurisation de certaines zones urbaines les rend aussi fortement symboliques pour des actions terroristes, les transformant ainsi en géosymboles de la présence militaire étrangère). Avec le désengagement des troupes étatsuniennes (qui pose déjà des problèmes logistiques quant au retour des troupes et matériels : voir "Quand l’armée américaine déménage", Alliance GéoStratégique), les transformations de la géopolitique urbaine vont devenir un "laboratoire" pour tous les observateurs : quel dispositif sécuritaire sera mis en place par la police irakienne ? Comment se traduira-t-il dans les pratiques spatiales des habitants ? Ce retrait ne veut pas forcément dire que la présence de l'armée étatsunienne "s'effacera" de la ville : pour exemple, la politique des murs de sécurité mise en place par l'armée étatsunienne (voir le billet "Les Etats-Unis et la frontière : les murs, urbanisme de paix ou urbanisme de guerre ?") s'est ancrée dans les pratiques spatiales des habitants (notamment en tendant à l'homogénéisation des quartiers et la diminution du nombre de quartiers mixtes dans la ville) et dans l'imaginaire spatial des habitants (la peur de "l'Autre" reste un puissant moteur de recompositions sociospatiales dans la ville), malgré le démantèlement de la plupart de ces murs.
mercredi 30 juin 2010
Géographie de Bagdad (2) : Bagdad, une ville en guerre
A lire sur le blog de Planète Terre (Sylvain Kahn) -->
Géographie de Bagdad (1) : Bagdad, une ville morcelée
mercredi 9 juin 2010
Reportage "Les sirènes de Bagdad"
jeudi 4 mars 2010
"Bagdad 1920-2010 : Patrimoine urbain et mémoires collectives en question"

dimanche 6 septembre 2009
"Comment on prend une ville"
vendredi 10 juillet 2009
Les Etats-Unis et la frontière : les murs, urbanisme de paix ou urbanisme de guerre ?
Cette question s'est posée suite à un constat relativement simple : les Etats-Unis utilisent le mur de séparation comme réponse territoriale et politique à deux enjeux sécuritaires divers : un enjeu de sécurité intérieure (la matérialisation de la frontière Etats-Unis / Mexique) et un enjeu de sécurité extérieure (la sécurisation et la pacification de l'Irak, tout particulièrement de la capitale Bagdad qui concentre les enjeux politiques, symboliques et médiatiques). Les murs, une réponse uniforme aux insécurités (au pluriel) ?
La question de la matérialisation de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, à travers la construction d'un mur, a fait coulé beaucoup d'encre parmi les journalistes. Le tracé de la frontière actuel a fait l'objet de nombreuses disputes territoriales au XIXe siècle, et ne s'est stabilisé qu'après 1853 (voir l'historique de cette frontière proposé par Fabien Guillot sur son site "Géographie sociale et politique"). Pour Michel Foucher, géographe spécialiste de la question des frontières, "Tracer une frontière est un acte géopolitique par excellence puisqu’il s’agit de délimiter des aires d’exercice de la souveraineté, d’inscrire le politique dans l’espace" (Frontières à retracer : un point de vue de géopoliticien", Frontières et limites, acte de séminaire, Centre Georges Pompidou, Paris, 1991, p. 69). De ce fait, la matérialisation de la frontière ne peut être vue comme une seule politique de sécurité : elle est aussi un symbole très fort pour les populations qui se retrouvent des deux côtés de ce mur-frontière.
Ainsi, la matérialisation de la frontière est un important marqueur spatial de la souveraineté d'un Etat sur son territoire. L'enjeu n'est pas seulement migratoire, il est également symbolique et politique. D'une part, contrôler son propre territoire estun des enjeux de la puissance d'un Etat, d'autant plus fondamental à l'heure d'une forte médiatisation de tous les recoins de la planète, pour un pays comme les Etats-Unis confronté à la recherche du maintien de leur puissance hégémonique. D'autre part, contrôler son propre territoire est également un enjeu politique intérieur, tout particulièrement dans les périodes électorales. Le thème de la sécurité est plus que jamais ancré dans les discours politiques : d'une part, la part de "l'Autre" a toujours marqué l'histoire des hommes, à la fois pour des thèses culturalistes (cet "Autre" aux moeurs et à la culture différentes) et pour des thèses malthusiennes (un afflux massif de populations ne pourra être absorbé, notamment face au manque de ressources qu'il engendrera). Il ne s'agit pas de discuter les bien-fondés et les fantasmes qui formatent ces peurs, mais de constater qu'elles engendrent des représentations particulières (avec un rejet marqué d'un "Autre" mal défini), qui elles-mêmes apppelent des réponses politiques (notamment au gré des enjeux électoraux). Force est de constater que la matérialisation de la frontière Etats-Unis/Mexique correspond à une "demande" en termes de sécurisation du territoire. Demande d'ailleurs précédée d'actions "associatives" (du fait de l'omniprésence de milices privées qui se sont auto-désignées pour assurer la surveillance de la frontière), qui montrent combien la peur d'une perte de souveraineté étatique et de contrôle territorial influence les représentations, et même les actions des habitants proches de la frontière Etats-Unis/Mexique. La matérialisation de la frontière a donc été précédée par une construction mentale (celle d'un "mur perçu", si l'on se réfère au concept de "frontière perçue" et de "frontière vécue") qui s'ancrait dans la société du Sud des Etats-Unis et s'inscrivait dans les pratiques spatiales. Du côté états-unien, le mur a donc été dans les têtes, avant d'être matérialisé. Du côté mexicain, la présence de milices privées a également marqué de longue date (bien avant la construction d'un mur) l'impossibilité ou du moins l'interdiction de passer la frontière illégalement : la frontière était déjà un territoire du danger pour tous les immigrés clandestins. Par conséquent, avant la matérialisation du mur, la frontière Etats-Unis se construisait déjà comme un mur-frontière, tant dans les représentations, dans les discours politiques que dans les pratiques spatiales.
A lire sur le mur-frontière entre les Etats-Unis et le Mexique :
- "Mexique / Etats-Unis : frontière, immigrations et inégalités sociales...", sur le site de Fabien Guillot Géographie sociale et politique.
- Des documents pédagogiques sur les sites et blogs de différents professeurs d'histoire-géographie : le blog du Lycée Molière de Villanueva de la Cañada ; le blog de M. Augris ; le site de l'académie de Nantes.
Les murs de séparation à Bagdad
Autre forme d'insécurité à laquelle sont confrontés les Etats-Unis, par le biais de leur intervention militaire menée en Irak : le maintien de l'ordre dans une opération militaire. Les murs de séparation sont dotés de plusieurs objectifs : stabiliser la situation entre les communautés qui s'opposent ; empêcher les acteurs déstabilisateurs d'opérer des exactions dans les territoires appropriés par l'autre groupe (quelque soit la façon dont les groupes se définissent en tant qu'ennemi dans une guerre larvée : différenciation politique, sociale, identitaire...) ; permettre aux militaires déployés à Bagdad d'établir des points de contrôle pour canaliser les déplacements urbains... Il s'agit là de la matérialisation de lignes de fracture intraurbaines, c'est-à-dire de frontières mentales qui marquent de fortes ségrégations dans l'organisation structurelle de la ville (et ce bien avant la guerre, qui a été un accélérateur de ces processus de différenciation et de regroupement communautaires).
Pourtant, les murs à Bagdad, comme tant d'autres, sont éphémères : "les frontières étanches n'ont jamais existé"("A bas les murs !", Cafés géo, 4 février 2008). Et les murs appelent également à de nouvelles territorialités entre enfermement (symbolisé par le seuil qu'il faut franchir, avec autorisation, pour pénétrer dans l'autre territoire) et transgression de l'interdit. Que ce soit par l'enclavement du territoire approprié ou par les flux transgressant cet enclavement, le mur laisse des stigmates dans les pratiques spatiales et la configuartion de l'espace socioculturel (voir le billet "La guerre, la ville et le mur" du 22 janvier 2009).
A lire sur le cas des murs de séparation à Bagdad :
- Le blog de Stéphane Taillat "En vérité", tout particulièrement les billets "Murs et mandats : maintien de l'ordre et sécurité à Bagdad" (31 décembre 2008) et "Retour à Sadr City" (15 mai 2008).
- Certains articles du Centre de recherche sur la mondialisation (Mondialisation.ca en français et GlobalResearch.ca en anglais), notamment "Les barrières de sécurité à Bagdad : consécration d'un nouvel apartheid intensifié par la guerre" (Jules Dufour, 26 avril 2007) et "Walls of Apartheid: Ghettoizing Baghdad" (Felicity Arbuhnot, 25 avril 2007).
En détournant le titre de l'ouvrage du géographe Michel Foucher L'obsession des frontières, on peut revenir au questionnement à l'origine de ce billet : aux Etats-Unis, y a-t-il une obsession des murs comme réponse aux insécurités sous des formes diverses ? Bien évidemment, on ne retrouve pas cette utilisation du mur et du barbelé comme outil sécuritaire aux seuls Etats-Unis (les murs en Israël-Palestine, les peacelines de Belfast, la ligne verte de Chypre, la frontière Liban/Israël...) : il s'agit ici de discuter un cas, mais l'étude mériterait d'être approfondie. Que ce soit dans le cas d'une séparation interétatique ou d'une séparation intra-urbaine, le mur a pour fonction de matérialiser la séparation, d'inscrire dans les paysages le cloisonnement des territoires, et de restreindre les pratiques spatiales en imposant un seuil entre deux territoires, qui ne peut être franchi sans autorisation. A l'heure de la globalisation, on assiste à un "retour" de la frontière, et tout particulièrement de la frontière matérialisée. Dans ce cas, le barbelé et le mur sont fortement chargés de symboles : celui d'un entre-soi extrême et d'un enfermement recherché ou imposé. Ainsi, par la barrière, il y a appropriation de la discontinuité entre deux territoires (que ce soient deux Etats, deux quartiers...).
Il est intéressant également de s'arrêter sur les discours qui entourent la construction des murs, et qui dépendent avant tout de l'utilisateur : concerné directement ou non ? D'une part, les murs semblent répondre à des demandes en termes de sécurisation de la part de certains habitants : la zone qui correspond à la juxtaposition entre deux territoires identifiés comme différents (deux Etats, deux territoires communautaires) est représentée comme une zone floue et dangereuse par les habitants. La proximité entre deux populations qui s'identifient nettement comme différentes n'est donc pas recherchée, voire même le plus brutalement rejetée, parce qu'elle est assimilée à une forte insécurité. C'est le cas de la frontière Etats-Unis/Mexique du point de vue des habitants états-uniens. Le point de vue des Mexicains est différent, puisqu'il s'agit pour eux de contrer l'effet positif de la frontière (avec le système de maquiladoras, qui apportent de nombreux emplois dans le Nord du Mexique) en le transformant en grande partie en effet-barrière. D'autre part, les discours des "observateurs", c'est-à-dire de ceux qui ne sont pas concernés par ces murs dans leurs territoires du quotidien et portent un regard extérieur. Il n'est pas rare de voir des commentaires sur les "murs de la honte" que ce soit pour parler de la frontière Etats-Unis/Mexique, des murs de séparation à Bagdad ou de tout autre mur dans le monde. Ce regard condamne la fin de la proximité, et ainsi l'impossibilité d'un multiculturalisme dans toutes les zones concernées par les murs. Ces observateurs s'interrogent sur la légitimité à matérialiser la séparation, la division, les discordes intercommunautaires.
De ce fait, le regard porter sur les murs-frontières dépend de qui pose ce regard, des intentionnalités des acteurs, de la situation politico-économique... mais également de leur vision du monde et du rôle même de la frontière dans leur espace socioculturel : la frontière est-elle un blocage ou une sécurité ? Se construit-elle en opposition aux modes d'habiter l'espace ou est-elle une légitimation de l'espace approprié ? Dans leur ouvrage Les frontières mondiales. Origines et dynamiques, Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard donnent des exemples particulièrement illustratifs de cette représentation différenciée de la frontière en fonction du rôle que les hommes lui attribuent : "si elle est très visible sur la carte, remarquable par sa linéarité et régularité, la frontière est en revanche, parfois beaucoup plus floue dans l'espace vécu des populations. S. Lima [Stéphanie Lima, 2003, Découpage entre espace et territoire : la fin des limites ? La fin des territoires communaux dans la région de Kayes, Mali, thèse, Université de Poitiers, 532 p. + annexes] démontre que les sociétés rurales africaines continuent de fonctionner en réseau plutôt qu'à l'intérieur de territoires finement délimités. Alors qu'un nouveau maillage communal intérieur est en cours d'élaboration dans la région de Kayes (Mali), les sociétés rurales considèrent ces nouvelles lignes-frontières comme des contraintes, des limites "appauvrissantes". Fondamentalement, l'espace vécu des populations s'inscrit dans la mobilité et les échanges ; une limite nette, tranchée, divise, sépare et appauvrit les sociétés. Telle est la représentation de ces sociétés, non imprégnées historiquement, d'une organisation socio-spatiale aussi cloisonnée et rigide que la nôtre. En France, culturellement, le territoire se conçoit à partir d'un espace approprié et délimité ; au Mali, le territoire est un espace de mobilité, d'échanges, de négociations aux limites souvent floues." (Editions du Temps, collection Une géographie, Paris, pp. 72-73). On peut se demander si le fait d'envisager le mur comme moyen de sécurisation d'un territoire ne provient pas seulement de moyens techniques, mais également de la vision qu'entretiennent les acteurs de la construction du mur vis-à-vis du rôle de la frontière.
Le mur se construit comme une réponse à un "ennemi" perçu, qu'il soit n "ennemi" extérieur (à travers le bétonnage des frontières interétatiques, que ce soit entre les Etats-Unis et le Mexique, ou dans les enclaves européennes de Ceuta et Melilla) ou un "ennemi" intérieur. En ce sens, le mur n'est pas seulement un outil sécuritaire (dans le sens où il n'a pas pour seul but une efficacité vis-à-vis des objectifs sécuritaires qu'on lui attribue), il est également (et avant tout ?) la matérialisation d'un discours politique centré sur les enjeux sécuritaires. "Urbanisme de paix" ou "urbanisme de guerre" : la différence entre les deux conceptions accordées aux mêmes murs par des acteurs différents ne vient-elle pas de la représentation du mur comme outil sécuritaire ou outil de division ? Et derrière, se pose la question de la séparation des groupes d'hommes comme moyen de pacifier une ville, un Etat, une région... Derrière les représentations, se posent de multiples questions quant aux modalités d'intervention d'une force militaire avec ses propres représentations dans une zone où elle doit d'abord apprendre à connaître et comprendre les représentations des habitants.
A lire et à voir :
- "La guerre, la ville et le mur", billet de ce blog du 22 janvier 2009.
- Quelques cartes sur "Frontières et murs" réunies sur le site "Géographie de la ville en guerre" (dont toutes les cartes de l'émission Le dessous des cartes proposées ci-dessous).
- "Pourquoi le retour du thème des frontières ?", Café géo avec Michel Foucher, Daniel Nordmann et Philippe Rekacewicz, 6 octobre 2006.
- Le dossier "La frontière, discontinuités et dynamiques", sur le site Géoconfluences (avec notamment un article d'Olivier Clochard sur les "Jeux de frontières à Chypre").
- Pierre Renno, "Au-delà du mur : Israël face à sa frontière", EchoGéo, Sur le vif 2008, 2008.
- "La frontière, zone de contacts ou zone de ruptures ?", Café géo avec Henri Chamussy, 28 septembre 2001.
Quelques livres récents :
- Michel Foucher, 2007, L'obsession des frontières, Editions Perrin, 250 p.
- Alexandra Novosseloff et Frank Neisse, 2007, Des murs entre les hommes, La documentation française, Paris, 212 p.
- Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard, 2007, Les frontières mondiales. Origines et dynamiques, Editions du Temps, collection Une géographie, Paris, 160 p.
Nouveaux murs
Emission du Dessous des cartes du 8 mars 2007
mercredi 8 avril 2009
Les médias, la violence, l'événement et le haut-lieu
Plusieurs billets de ce blog ont posé la question de la création de l'événement par le biais des médias et, à l'inverse, "l'oubli" de certaines informations devenues trop "ordinaires" pour devenir des actualités (sur)médiatisées. Le sensationnel fait-il (ou doit-il faire) l'actualité ? Cette question s'est posée, dans ce blog, autour des violences à Mitrovica (ville qui a "disparu" de l'actualité médiatique, à l'exception de quelques articles lors de "moments" forts tels que l'auto-proclamation de l'indépendance le 17 février 2008 et l'anniversaire de ce "événement"), mais également les violences dans la ville de Bagdad, devenues "ordinaires", non dans leur "réalité" mais dans la perception qu'en a l'opinion publique, dans la façon dont les lecteurs/téléspectateurs des médias occidentaux "reçoivent" cette information.
Cette (re)présentation médiatique sélective de l'information "formate" une image du monde : quels sont les moments qui nous sont montrés ? Que nous disent ces événements sur les menaces, les risques, les dangers dans le monde actuel ? Quels sont, au contraire, les moments qui nous sont "cachés", devenant ainsi des non-événements, non pour l'importance de l'action, mais parce que leur non-présentation les fait devenir de simples "faits ordinaires" ? Il y a des moments qui "méritent" (le mot est volontairement provocateur) de devenir des événements, tandis que d'autres peuvent être oubliés dans cette information, dans cette mise en scène des dangers du monde, rythmée par la vitesse et "l'immédiat".
Et les lieux ? Des zones, des pays, des régions entières sont absents de l'actualité. Ou peu (re)présentés : mardi 7 avril, des violences en Moldavie. Mais que sait-on le reste du temps de la Moldavie ? Comment analyser ces violences ? Sont-elles structurelles ou conjoncturelles ? Combien de personnes, tout simplement, savent placer la Moldavie sur une carte (sans être très précis : la Moldavie, c'est sur quel continent ?), ou connaissaient même avant-hier le nom de cet Etat ? Provocateurs, ces propos ? Peut-être pas tant que cela. En tout cas, il est sûr qu'il existe des faits et des lieux qui sont fortement médiatisés, et ainsi transformés en événements et en hauts-lieux, alors que d'autres sont "oubliés", comme "rayés" de la carte de notre imaginaire collectif.
Une étude sur les moments et les lieux (re)présentés dans les médias permettrait certainement de montrer de façon plus rigoureuse comment des faits et des lieux sont mis en scène ou au contraire ignorés par les médias. Les médias participent à notre représentation du monde (tout particulièrement dans ces dangers), mais parallèlement, ils répondent avant tout à la demande du public (la question de l'audimat ou des ventes), et donc montrent ce que l'opinion publique attend. C'est donc un double mouvement. Il s'agit là de montrer avant tout un problème : les médias, par leurs "sur-objets" et leurs "non-objets", entre surmédiatisation et oubli, formatent-ils notre conception du monde qui elle-même est déjà ancrée dans l'idée de menaces ?
lundi 6 avril 2009
Attentats à la voiture piégée à Bagdad
Ce lundi 6 avril 2009, 6 voitures piégées ont explosé dans différents quartiers de Bagdad. (voir notamment L'Express du 6 avril 2009), notamment à Sadr City, un des quartiers les plus pauvres, quartier chiite devenu un des hauts-lieux de la violence dans l'Irak quotidien (voir le blog de Stéphane Taillat qui analyse avec précision les phénomènes d'insurrection et de contre-insurrection en Irak). Une actualité parmi tant d'autres ? Malgré le bilan humain (on dénombre 34 morts en début d'après-midi) et l'importance du message politique (qui répond à la fois au Sommet du G20, au Sommet de l'OTAN, et aux orientations actuelles prises par le nouveau Président des Etats-Unis), cette démonstration, cette mise en scène de revendications, semble passer au "second plan" dans l'actualité médiatique. Des violences "ordinaires" pour reprendre l'expression du géographe Jérôme Tadié ? Cela renvoie à notre façon de "recevoir" l'actualité. Si les médias nous "vendent" des informations, les transformant ainsi en événements, les médias ne peuvent "vendre" ces informations que si l'opinion publique s'y intéresse. Et les violences dans la ville de Bagdad, comme celles de la ville de Mitrovica et de son célèbre pont - de moins en moins célèbre ! - depuis quelques années, ou de nombreuses villes en guerre, semblent aujourd'hui perdre de leur intérêt médiatique. Le lien entre les médias et l'opinion publique est indiscutable quant à la conception d'un "événement" : l'aspect sensationnel (re)présenté (il s'agit à la fois d'une présentation de l'information, et d'une représentation en tant que mise en scène de l'information pour la transformer en événement) est, en partie, un construit médiatique et social : médiatique parce que la mise en scène en fait un événement (c'est-à-dire une information extraordinaire), et social parce que la mise en scène ne fonctionne que si l'opinion publique y "adhère". Alors, les violences à Bagdad : ordinaires ou extraordinaires ?
lundi 23 mars 2009
La paix et l'eau à Bagdad
En complément du billet "La guerre, la ville et l'eau", retrouvez le reportage proposé sur Arte dans l'émission Global Mag, consacré à "Bagdad, la paix sale" (émission du 20 mars 2009). "Egouts à ciel ouvert, branchements électriques sauvages: à Bagdad, la guerre a laissé des cicatrices bien visibles. Des maladies comme le cholera ou la malaria réapparaissent dans cet environnement insalubre. L’ampleur de la tâche dépasse le ministère de l’environnement et son maigre budget". Egalement à retrouver sur le blog de l'émission un entretien avec Feurat Alani, réalisateur du reportage.
"Comment sait-on qu'une ville n'est plus en guerre ?". Le reportage montre ainsi l'importance des stigmates de la guerre dans la ville de Bagdad, au prisme de la destruction des services urbains de distribution de l'eau. Odeurs nauséabondes (avec des égouts à ciel ouvert), canalisations détruites qui n'amènent plus l'eau dans les maisons, pollution des eaux (dans lesquelles sont déversées toutes les ordures - y compris les corps), risques d'épidémies (notamment avec la chaleur de l'été)... "L'eau du Tigre est pompée pour être bue, malgré toutes les pollutions, celles qui se voient et les autres". L'eau est également un discours et un message politiques : la télévision est ainsi utilisée par le maire de la ville de Bagdad pour faire savoir que l'eau est potable à 98 % dans la ville. Le problème de la reconstruction passe bien évidemment dans la réorganisation des services de l'eau, mais également par celle des services sanitaires, l'assainissement des quartiers. L'eau comme facteur crisogène dans la ville de Bagdad, encore fragilisée, avec une nette différenciation sociale entre les habitants. L'eau, comme risque social au coeur même de la reconstruction de la ville.
jeudi 26 février 2009
Les risques de la reconstruction
A travers l'exemple de l'Irak, Stéphane Taillat souligne les liens entre la reconstruction, les tensions politiques, les enjeux électoraux et les défis économiques dans l'immédiat après-guerre (voir son billet "La rente pétrolière et la reconstruction : le péril qui vient" du 26 février 2009). La reconstruction est une urgence dans l'immédiat après-guerre : il s'agit avant tout pour les populations de survivre (avoir un toit, accès à l'eau potable, accès aux soins médicaux...) et pour les autorités de pouvoir rétablir un fonctionnement "normal" du pays et de retrouver leur souveraineté sur la totalité du territoire. Les risques autour de la question de la reconstruction sont nombreux, et la reconstruction en elle-même ne suffit pas :
- une reconstruction qui tarde
C'est le cas actuellement en Irak, comme le souligne Stéphane Taillat : "c’est la lenteur de la reconstruction qui a probablement contribué le plus à l’essor du soutien populaire à l’insurrection entre la fin de l’hiver et le printemps 2004". Les difficultés économiques et sociales s'inscrivent durablement dans les villes de l'immédiat après-guerre et repousser la reconstruction est un catalyseur de tensions entre les communautés identitaires, entre les groupes sociaux, entre les groupes politiques... Les retards en termes de reconstruction sont des facteurs de radicalisation plitique des populations les plus démunies.
- une reconstruction inégale
Le cas de la ville de Beyrouth est, à ce titre, particulièrement illustratif. La reconstruction a surimposé des discriminations dans l'espace urbain. En effet, la reconstruction a été le fruit, avant tout, d'investissements privés, qui se sont concentrés sur le centre-ville (partie Nord de la ville de Beyrouth). Les périphéries (partie Sud) ont été délaissées par ce mouvement de reconstruction. Et c'est là l'un des principaux facteurs explicatifs de la montée de l'influence des milices (et tout particulièrement du Hezbollah) dans les banlieues Sud de l'agglomération beyrouthine. A la ligne de fracture identitaire Est/Ouest, s'est ajoutée une ligne de fracture sociale Nord-Sud, particulièrement ancrée dans les tensions politiques (Voir notamment les travaux du géographe Eric Verdeil sur les différents enjeux de la reconstruction à Beyrouth).
- une reconstruction mal ciblée
On retrouve là l'exemple de l'ex-Yougoslavie, et notamment de la reconstruction des ponts de Mitrovica et de Mostar. Les 2 ponts ont été détruits respectivement pendant les guerres du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine. Si les 2 guerres sont différentes quant aux populations impliquées, à la situation d'avant-guerre, au déroulement des conflits et aux conséquences de ceux-ci, les 2 ponts ont été reconstruits comme des symboles de la réconciliation des populations dans les villes de Mitrovica et de Mostar. Force est de constater dans les 2 cas que les communautés restent chacune enfermée sur leur rive et que les ponts ne sont que peu traversés... Reconstruire le bâti ne suffit pas à effacer l'efficacité géographique de la guerre et à rétablir les pratiques spatiales d'avant-guerre(Voir notamment sur ce blog "Les frontières urbaines de l'ex-Yougoslavie : Mostar, Sarajevo, Mitrovica..." et "La notion d'urbicide : exemples en ex-Yougoslavie").
vendredi 16 janvier 2009
Deux émissions de radio sur Bagdad

dimanche 12 octobre 2008
Villes en guerre et fragmentations
Stéphane Taillat (doctorant travaillant sur la contre-insurrection en Irak) livre sur son blog une analyse pertinente et soulevant de nombreuses pistes de réflexion sur "la situation à BAGDAD et un phénomène hautement symbolique: la destruction progressive des murs en béton armé qui partageaient les quartiers et les communautés de la capitale" à partir de l'article d'Alissa Rubin paru dans le New York Times. L'occasion ici de présenter quelques réflexions géographiques sur la question des "quartiers-territoires" selon les termes de la géographe Elisabeth Dorier-Apprill. En géographie militaire, le quartier n'est pas seulement une échelle tactique qui doit être pensée en termes de déploiement d'unités, d'adaptation des hommes et du matériel, de difficultés et de contraintes au niveau des transmissions... Il est avant tout un espace de vie qui prend sens pour les populations. De la même façon, le quartier n'est pas seulement une entité administrative (d'ailleurs, le quartier perçu ne correspond pas forcément aux délimitations administratives, mais relève d'une réelle appropriation de l'espace par les habitants), il est avant tout un espace vécu, un espace pratiqué et un espace identifié comme espace commun, partagé par une petite communauté urbaine qui se retrouve autour de leur proximité, et établit des relations de voisinage. Comme l'explique Paul-David Régnier dans son Dictionnaire de géographie militaire, "un quartier n'existe que parce que ses habitants se définissent par rapport à lui, en font un élément de leur identité urbaine" (CNRS Editions, Paris, 2008, p. 189).
- Les mobilités des habitants de chaque quartier reflètent en partie la représentation qu'ils ont de leur ville (l'enfermement dans le quartier reflètant un sentiment d'insécurisation vis-à-vis de ce que les habitants perçoivent comme un extérieur). De plus, l'évolution de ces mobilités permet de dresser un diagnostic sur les zones dangereuses ou perçues comme telles par les populations.
- L'enfermement dans le quartier soulève un paradoxe pour l'action militaire : la communautarisation de la ville selon des quartiers-territoires fortement appropriés par un groupe se référant à une identité commune (qu'elle soit culturelle, sociale ou politique) permet la sécurisation de la ville. C'est en partie la logique de la construction des "murs de la paix" de Belfast à Bagdad, en passant par Nicosie. Mais, parallèlement, cette sécurisation apportée par la division physique des populations jugées comme ennemies, ne permet plus la rencontre de ces mêmes populations. Le risque de manipulation de l'identité est alors exacerbé - notamment auprès des enfants, chez qui il est "facile" de diaboliser un "Autre" qu'ils ne connaissent pas, alors même qu'ils représentent le véritable enjeu d'une "paix durable" (à l'heure où les débats géographiques se consacrent pleinement à la question du "développement durable", il est dommage de constater que cette problématique ne soit pas ou que peu abordée autour des questions sur les moyens, les acteurs, les territoires de la construction d'une paix durable après des guerres).
Source : Jean-Pierre PAULET, 2002, Les représentations mentales en géographie, Anthropos, collection Géographie, Paris p. 8
- Sur Bassora et Bagdad : Lazar Marius, 2008, "Bassora : géopolitique d'une région chiite", Hérodote, n°130, 3ème trimestre 2008, pp. 76-111.
- Sur Beyrouth : Eric Verdeil, 2001, "Reconstructions manquées à Beyrouth. La poursuite de la guerre par le projet urbain", Les Annales de la recherche urbaine, n° spécial "Villes et guerres", n°91, décembre 2001, pp. 65-73.
- Sur Belfast : Florine Ballif, 2001, "Belfast : vers un urbanisme de paix ? Les recompositions spatiales au sortir de la guerre civile", Les Annales de la recherche urbaine, n° spécial "Villes et guerres", n°91, décembre 2001, pp. 53-60.