Quelques jours avant d'être à ses côtés pour le Forum de l'IRSEM sur les "Nouveaux espaces conflictuels" du 10 janvier 2012 autour du sujet : "De la guerre urbaine à la ville en guerre" (Ecole militaire, amphithéâtre De Bourcet, 12h30-14h00), voici quelques extraits d'un témoignage du Colonel Michel Goya (directeur du domaine "Nouveaux conflits" à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire - IRSEM, auteur de nombreux ouvrages sur le fait militaire parmi lesquels Res militaris. De l'emploi des forces armées au XXIe siècle (Economica, 2010) et Irak. Les armées du chaos (Economica, 2008), et animateur du blog La voie de l'épée) sur la lutte anti-snipers menée à Sarajevo. C'est incontestablement l'un des observateurs les plus avertis de la "guerre urbaine". De Sarajevo à Kaboul, son expérience de terrain l'a amené à se confronter à la réalité de cet enjeu stratégique, tactique et doctrinal majeur pour le XXIe siècle.
Avec l'aimable autorisation de Michel Goya et de la rédaction de Guerres & Histoire (dont je tiens tout particulièrement à remercier les historiens Jean Lopez et Laurent Henninger pour leur gentillesse face à cette demande peu conventionnelle), voici quelques extraits du témoignage du Colonel Goya autour de son expérience de lutte anti-snipers dans Sarajevo assiégée en 1993. Ces extraits seront des points de discussion lors du séminaire "De la guerre urbaine à la ville en guerre", comme l'annonçait le billet posant les questionnements de cette séance.
L'intégralité de ce témoignage (à recommander autant pour son intérêt militaire que géographique) est à découvrir dans le n°3 de la revue Guerres & Histoire : Michel Goya, 2011, "Sarajevo 1993, les snipers dans le viseur", Entretien réalisé par Pierre Grumberg, Guerres & Histoire, n°3, pp. 6-13. L'article est par ailleurs illustré de superbes photographies. Un témoignage d'une géographie vécue à (re)lire ! Par ailleurs, le Colonel Goya a publié sur son blog le lien vers le récit qui a servi de base à cet entretien : voir son billet "Une expérience de lutte contre les snipers" (La voie de l'épée, 6 octobre 2011.
Extraits de l'entretien avec Michel Goya, réalisé par Pierre Grumberg :
Attention, il n'est pas autorisé de citer l'intégralité de ces extraits sans l'autorisation de l'auteur et de la revue, et par respect pour les droits d'auteur, toute citation doit se faire avec les références précises de l'article !
(...)
Comment s'est passée votre arrivée ?
"Nous sommes restés à Split un jour ou deux, puis nous avons traversé le pays par la route où nous sommes arrivés le 7 juillet. C'était un peu comme avancer Au coeur des ténèbres, le livre de Joseph Conrad qui a servi de base à Apocalypse now. Au début, on ne voyait pas grand-chose, puis on a commencé à apercevoir les premiers dommages, assez discrets. Et, au détour d'une vallée, le choc, avec l'entrée dans la zone de Rajlovac, contrôlée par les Serbes. Il y avait là des lotissements déserts, avec des dizaines de villas identiques ravagées. L'arrivée à Sarajevo était encore pire encore. Personne dans les rues, ni voitures, ni publicités, des murs gris criblés de balles, des traces de destruction partout, le grand immeuble du journal Oslobodjenje en ruine... L'impression irréelle, quasi onirique, de se trouver dans Le Survivant ou dans Stalingrad.
Ressentiez-vous déjà le danger ?
Nous avions le sentiment désagréable d'être exposés à une menace permanente. Il y avait bien sûr les snipers, qui surveillaient toute la ville (notamment dans la grande artère centrale qu'on appelait "Sniper Alley"), raison pour laquelle tout le monde vivait caché. Il y avait aussi les obus : 120 mm de mortiers, 100 mm des chars T-55, 122 mm de l'artillerie lourde... La ville en recevait 300 à 400 par jour, tirés au hasard, du harcèlement pur et simple. Après quelques jours, on regardait tomber les obus comme la pluie, sans trop faire attention. Une fois, pourtant, un obus a explosé dans une maison à 50 m de moi et j'ai senti la chaleur du souffle chaud. Drôle d'impression, qui m'a rendu plus prudent. Cela dit, le bombardement était devenu une routine, on ne le mentionnait même pas dans les rapports. C'est pourquoi Sarajevo passait pour un coin tranquille, alors que des zones où les obus et les tirs d'armes légères étaient exceptionnels, donc dignes d'être mentionnés, passaient pour bien plus "chaudes".
(...)
Quel était le climat à Sarajevo à l'époque ?
La ville, qui ne comptait déjà plus que 300 000 habitants, était entièrement encerclée par les Serbes. La seule issue était l'aéroport, que le REP gardait, avec mission d'empêcher tout exode. Les gens qui voulaient malgré tout s'enfuir devaient donc traverser les lignes en s'exposant aux snipers. Et les légionnaires allaient ensuite nettoyer la casse, ce qui n'était guère plaisant. Relever des enfants qui sanglotent sur le cadavre de leur mère... La ville étant assiégée, la seule nourriture parvenait via l'aide humanitaire par route et avion. Mais nous avons calculé que les habitants ne percevaient que 12 % environ des rations envoyées. Le reste était détourné par des truands et les policiers puis revendu au marché noir.
(...)
Militairement, comment se présentait la situation ?
C'est un journaliste de Libération, Didier François, qui nous a dressé le plan tactique de la zone : les positions des Serbes, à l'ouest dans le quartier plat de Grbavica, et au sud, vers la montagne. Entre eux et nous, les Bosniaques. On entendait régulièrement des tirs. Nous étions entourés au nord, à l'ouest et au sud par de grands immeubles d'où opéraient les snipers. Les Bosniaques n'avaient presque pas de soldats réguliers, la plupart étaient passés dans le camp adverse. Des brigades s'étaient organisées, devenues souvent mafieuses et prédatrices sur le dos de la population. Dans notre secteur opérait la "10e brigade de montagne", commandée par un fou dangereux, Musan Topalovic, dit Caco : un guitariste de rock et ancien proxénète, un tueur qui exécutait au besoin ses propres hommes. Caco rackettait les habitants de sa zone pour acheter des munitions aux Serbes.
(...)
Plan de l'article :
Les questions de Pierre Grumberg à Michel Goya :
- Comment la mission a-t-elle démarré pour vous ?
- De quel dispositif faisait partie votre unité ?
- Avez-vous reçu un équipement spécial ?
- Comment s'est passée votre arrivée ?
- Ressentiez-vous déjà le danger ?
- Où vous êtes-vous installés ?
- Quel était le climat à Sarajevo à l'époque ?
- Militairement, comment se présentait la situation ?
- Pardon ?
- Quelle était votre mission officielle ?
- Quand avez-vous été confrontés aux snipers ?
- Comment le détachement a-t-il réagi ?
- Comment s'est déroulée la riposte ?
- Comment s'est passée la première nuit ?
- Quels ont été les résultats ?
- Première manche gagnée ?
- Qu'avez-vous reçu ?
- Et cela a-t-il marché ?
- Votre tireur a-t-il fait mouche ?
- Le McMillan a-t-il resservi ?
- Et les autres armes ?
- Considérez-vous que votre méthode a été efficace ?
- Votre expérience a-t-elle servi ?
- Quel souvenir vous a laissé votre séjour à Sarajevo ?
Les documents complémentaires :
- Photographies de Tom Stoddart, Anja Niedringhaus, David Corbis, Marc Charruel et Chris Rainer.
- Cartes de Cyril Courgeau.
- Encadré : "De Tito au Tribunal de La Haye" (chronologie)
- Encadré : "Le siège de Sarajevo en chiffres"
- Encadré : "L'avis de la rédaction de Guerres & Histoire".
- Pour en savoir plus : bibliographie et sitographie indicatives.
Avec tous mes remerciements renouvelés pour l'équipe de la revue Guerres & Histoire, je vous invite à découvrir tous les numéros ainsi que les exclusivités de la page facebook (notamment des entretiens vidéo) de cette revue très prometteuse !
Et notamment, autour de la question de la ville en guerre, les articles :
- Yakov Semenov, 2011, "Comment j'ai pris le palais de Kaboul", interview, Guerres & Histoire, n°1, mars 2011, pp. 6-12 (voir le résumé).
- Infographie : Pierre Grumberg, 2011, "Les villes souterraines du Viêt-công", Guerres & Histoire, n°2, juin 2011, pp. 82-83 (voir le résumé).
- Michel Goya, 2011, "Sarajevo 1993, les snipers dans le viseur", Propos recueillis par Pierre Grumberg, Guerres et histoire, n°3, pp. 6-13.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire