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samedi 21 mai 2011

Reportage "Mogadiscio, une capitale fantôme"


Arte propose, ce mardi 24 mai 2011 à partir de 20h40, une soirée consacrée à "La Somalie, d'un chaos à l'autre" (voir le site spécial consacré à cette soirée, avec des articles, la présentation des reportages, et quelques extraits).


Au programme :
- Toxic Somalia, de Paul Moreira, 2010 (diffusé à 20h40).
- Mogadiscio, capitale fantôme, de Thomas Dandois, 2010 (diffusé à 21h35).


Présentation de Toxic Somalia :
Déverser une tonne de déchets toxiques le long des côtes somaliennes ne coûte que 2,50 dollars. C'est la décharge la moins chère du monde, et une source de bénéfices confortables pour les Occidentaux. Mais ces polluants anéantissent les ressources maritimes, provoquent des malformations génétiques et des cancers chez les enfants... Afin de protéger leurs côtes et tout simplement de survivre, les Somaliens ont abandonné la pêche et se sont tournés vers la piraterie. Parallèlement, les réseaux mafieux responsables des trafics d'armes et de déchets prospèrent...

ZONE INTERDITE
Qui déverse ces déchets ? Qui en tire profit ? Deux journalistes italiens ont déjà perdu la vie en 1994 pour avoir posé ces questions. Ce documentaire ouvre à nouveau l'enquête, qui nous emmène du côté de la mafia italienne, des pirates somaliens et des trafics entourant la gestion des déchets nucléaires. Paul Moreira s'est notamment rendu à Hobyo, une ville contrôlée par les pirates, et à Mogadiscio, où kidnappings et attentats sont fréquents. Les témoignages qu'il a recueillis sont exceptionnels.




Présentation de Mogadiscio, capitale fantôme :
Passage stratégique pour le commerce mondial, le golfe d'Aden est devenu le sanctuaire des pirates, qui réclament des rançons de plus en plus exorbitantes. À Mogadiscio, les Shebab contrôlent une grande partie de la capitale pendant que le gouvernement officiel vit replié sur un minuscule territoire. Attentats et fusillades s'ajoutent à la famine pour rendre le quotidien impossible : fuyant la guerre civile, les Somaliens se réfugient en masse au Kenya, ce qui fragilise encore davantage la région. Du côté des organisations humanitaires, on juge la Somalie "impraticable"...

PERLE NOIRE
De la chute du dictateur Siad Barré à l'actuel conflit entre le gouvernement de transition et les milices fondamentalistes en passant par les interventions internationales des années 1990 (opération "Restore hope") et la paix éphémère des tribunaux islamiques dans les années 2000, le pays semble ne jamais sortir du chaos. Thomas Dandois est allé à la rencontre des miliciens, des civils et des députés somaliens pour tenter de comprendre comment celle que l'on surnommait la "Perle blanche de l'océan Indien" est devenue un pays dévasté.

diffusé sur Arte le mardi 24 mai 2011 à partir de 21h35


En attendant de découvrir ces reportages,
voici une sélection de ressources en ligne
pour découvrir les enjeux de la Somalie.

 

Pour aller plus loin sur la situation actuelle en Somalie :

Des articles de fond sur la Somalie :


Des cartes sur la Somalie et la Corne de l'Afrique :

La Somalie : clans, éleveurs, agriculteurs et divisions territoriales
Source : Alain Gascon, "La Somalie en mauvais Etat", Echogéo, Sur le vif 2008.

jeudi 11 juin 2009

La guerre, la ville et la mer


Quoi de commun entre Abidjan, Beyrouth, Dubrovnik, Freetown, Mogadiscio ou Port-au-Prince ? Au moins trois points : leur urbanité, leur conflictualité et leur littoralité. Quels liens peut-on faire entre « la guerre, la ville et la mer » (pour détourner le titre de l’ouvrage de Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville et le soldat, Editions Odile Jacob, 2002) ?



Les villes côtières et la guerre

« C’est par la mer qu’il convient de commencer toute Géographie » (Michelet, cité dans Jean-Pierre Paulet, Les villes et la mer, Ellipses, collection Carrefours, 2007). On parlera ici de littoralité pour aborder l’ensemble des villes côtières, qu’elles aient ou non une fonction portuaire importante. Parce que cette ouverture sur la mer a de forts impacts en termes tactiques et stratégiques dans la conduite de la guerre (comme l’a démontré d’ailleurs Stéphane Taillat sur le cas des Marines dans son billet « De l’action “au-delà de l’horizon” à la stabilisation des “littoraux chaotiques”: la doctrine des Marines » du 2 juin 2009 sur AGS). « Les villes côtières occupent un rôle majeur et la nécessité d’avoir des positions face à la mer a toujours été une réalité de l’histoire » (Jean-Pierre Paulet, op. cit., p. 3).



Pour faire simple, les villes côtières peuvent être impliquées de deux manières dans la guerre : la ville côtière affectée par des combats, et la ville côtière qui se dresse comme un soutien pour la conduite de la guerre (on pense là aux bases militaires avancées dans un Etat étranger, qui permettent à un pays de disposer d’une force armée mobilisable et rapidement déployable dans une région éloignée de son territoire nationale). On abordera spécifiquement dans ce billet la ville côtière en guerre, dans la mesure où celle-ci cumule les difficultés pour la conduite des opérations militaires, qu’il convient de minorer, voire de transformer en avantages : l’urbain (en tant que milieu en trois dimensions) et le littoral sont des milieux contraignants pour l’action militaire. D’ailleurs, le géographe Philippe Boulanger, dans sa typologie des « espaces sensibles », laisse une grande place à la fois à la maîtrise du milieu urbain et à celle des littoraux : « tous les espaces sont considérés comme sensibles pour le militaire en opération. Pourtant, certains d’entre eux occupent une place stratégique et tactique croissante depuis la fin du XXe siècle. Les doctrines et les théories militaires sur leur exploitation se multiplient et continuent d’être élaborées. Au moins trois de ces espaces peuvent être distingués : le milieu urbain, le littoral et le milieu aérien. Quant au milieu urbain, la croissance de l’urbanisation et le développement des opérations de maintien de la paix et de coercition dans cet espace constituent des phénomènes à la fois prépondérants et préoccupants. Le militaire, surtout entraîné à combattre en milieu rural durant la guerre froide, prend conscience des contraintes de tout ordre que la maîtrise de ce milieu impose comme en témoigne les récentes expériences russes en Tchétchénie et américaines en Afrique, au Moyen-Orient ou en Amérique centrale. Quant au littoral ou au milieu aérien, la recherche de leur maîtrise n’est pas nouvelle en soi. Mais, en revanche, les doctrines et les techniques d’action dans ces milieux se sont précisées depuis 1945 et montrent l’importance croissante qu’ils occupent pour les opérations en cours et futures. » (Philippe Boulanger, 2006, Géographie militaire, Ellipses, collection Carrefours Les Dossiers, Paris, p. 253).

Petite précision : la littoralité de la ville côtière n’implique pas systématiquement sa maritimité. Dubrovnik, ville croate « célèbre » pour les bombardements serbes qui y ont détruit une très grande partie de ce patrimoine architectural d’une valeur inestimable pendant les guerres de décomposition de la Yougoslavie (on se reportera, pour un excellent approfondissement des enjeux et des impacts de ces destructions relevant de l’urbicide, à l’ouvrage de Clémentine Bories, 2005, Les bombardements serbes sur la vieille ville de Dubrovnik. La protection internationale des biens culturels, Editions Pedone, collection Perspectives internationales, n°27) est bien une ville côtière (située sur les bords de la mer adriatique), mais pas une ville maritime, dans le sens où l’ouverture maritime ne prédomine pas sur l’identité de la ville, ni en termes économiques, ni en termes culturels (la fonction portuaire, limitée au port de pêche et au port de plaisance, n’a pas donné à la ville une identité prédominante). Petit retour sur les définitions : le littoral forme un espace de contact entre la terre et la mer, et donc un espace particulièrement dynamique (pour une définition plus précise et une épistémologie synthétique du concept, voir le site Hypergéo). Les littoraux offrent donc des formes qui privilégient les opérations amphibies pour la conquête de la ville côtière, tandis qu’ils compliquent la défense de la ville pour celui qui la détient. Mais on ne peut réduire le lien guerre/ville/mer à ses principes généraux. A travers les cas de Beyrouth et de Mogadiscio, on verra ainsi deux exemples d’utilisation de la littoralité dans la conduite de la guerre urbaine.



La ville encerclée : la mer comme stratégie d’enclavement de la guerre urbaine

Une ouverture sur la mer ne signifie pas intrinsèquement un désenclavement constant de la ville côtière, et cette position peut être utilisée pour « assiéger » la ville, et ainsi contrecarre les effets néfastes de la guerre urbaine. L’armée israélienne a bien utilisé le principe (pas si paradoxal qu’il n’y paraît à priori !) d’enclavement par la mer contre la ville de Beyrouth. Si l’on connaît bien les conseils des plus grands stratèges de tous temps : éviter la ville, véritable piège pour les armées « classiques » (voir, à ce propos, les nombreux articles de l’AGS d’avril 2009 dont le thème du mois était consacré à « La ville sous le feu »), la réalité du phénomène planétaire d’urbanisation les rend plus que difficiles à appliquer dans les guerres récentes, en cours, et plus encore futures. Pourtant, le siège reste une stratégie séduisante (comme l’a montré le cas de la ville de Sarajevo, assiégée par les forces militaires serbes le temps de la guerre de Bosnie-Herzégovine : voir mon billet pour l’AGS sur « Vivre la ville sous le feu » consacré à cette « ville-prison »). Et si la mer appelle à un imaginaire d’ouverture, d’évasion, d’aventure et de liberté (on lira, à ce propos, le remarquable ouvrage du géographe Michel Roux, 1997, L’imaginaire marin des Français. Mythe et géographie de la mer, L’Harmattan, collection Maritimes, 220 p.), il n’en reste pas moins que la ville côtière peut être enclavée, coupée de cet espace de liberté. Sans réduire l’ensemble des opérations militaires israéliennes menées à Beyrouth à cette seule stratégie (on se reportera notamment à l’ouvrage de Jean-Louis Dufour, La guerre, la ville et le soldat, Odile Jacob, Paris, 2002, pour le chapitre 8 consacré à « Beyrouth, la ville aux guerres multiples », pp. 195-213), on s’arrêtera ici sur ce principe de l’encerclement de la ville par la mer. L’opération « Paix en Galilée » est ainsi déclenchée, dans un contexte d’internationalisation de la guerre civile libanaise (notamment depuis le début de l’intervention militaire syrienne le 1er juin 1976), le 6 juin 1982. L’avancée israélienne pénétrant par le Liban-Sud est très rapide et n’est pas réellement freinée par les quelques points de résistance tenus par les groupes palestino-progressistes, notamment au Liban-Sud. Dès le 10 juin 1982, Tsahal est aux portes de la capitale libanaise, et la bataille de Beyrouth s’engage le 14 juin. Il est intéressant de noter que les 3 jours séparant l’arrivée des troupes militaires israéliennes aux portes de la ville (« dans la nuit du 9 au 10 juin, Tsahal borde la route Beyrouth-Damas », Jean-Louis Dufour, op. cit., p. 206) et le déclenchement des combats urbains ont permis aux forces israéliennes d’encercler la ville de Beyrouth. Plus intéressante encore, la combinaison des différentes armées pour obtenir un contrôle des trois dimensions : encerclement par la mer, encerclement aérien et encerclement terrestre.



Quelques indications sur la topographie particulière du site de l’agglomération beyrouthine. La vieille ville s’est construite sur un promontoire, formé de deux collines peu élevées : la colline orientale est limitée à l’Est par le fleuve de Beyrouth ; et la colline occidentale se jette dans la mer Méditerranée. Entre les deux collines : la vieille ville, d’où s’est étendue l’urbanisation de l’agglomération, en direction de l’Est, et plus récemment mais de manière plus étendue vers le Sud (voir le schéma très simplifié présentant le site de la ville de Beyrouth et les deux principaux axes de développement de la périphérie). Un site maritime et une situation privilégiant la ville de Beyrouth dans les échanges entre Occident et Moyen-Orient. Néanmoins, les accès à la mer sont peu nombreux : la Méditerranée y est profonde et souvent agitée. De plus, la côte est particulièrement escarpée, tout particulièrement dans la partie Ouest du centre-ville (zone qui correspond aux premières extensions de la ville, mais qui n’a pas été choisie pour l’établissement du site originel justement pour son non-accès à la mer). Les points d’accès par la mer sont donc peu nombreux et leur accès dépend en grande partie des conditions météorologiques. Ces spécificités offraient à l’armée israélienne les conditions idéales pour couper la ville des routes maritimes qui auraient pu permettre l’arrivée d’une aide extérieure, et ce en déployant des moyens relativement limités : Beyrouth est un cas-type de ville côtière offrant peu de plages pour débarquer des troupes. L’armée israélienne a tourné en avantages cette spécificité, d’autant plus qu’elle se recoupait aux caractéristiques terrestres de la topographie de Beyrouth : tout l’Est de la ville est dominé, sur plus de 180°, par des élévations – atteignant 500 mètres de hauteur à seulement 5 km du centre-ville : contrôler l’Est de la ville se résume donc à tenir les quelques points dominants ; au Sud, la ville s’étend dans une banlieue pauvre qui s’urbanise de plus en plus au cœur de la plaine littorale. Au final, que ce soit sur mer ou sur terre, la ville de Beyrouth présente le cas-type de la ville pouvant être encerclée, en bloquant toutes les voies de communication (routes terrestres et routes maritimes). L’encerclement fut même complet avec le déploiement de l’arme aérienne, bloquant ainsi les dernières voies de communication susceptibles de désenclaver – au moins partiellement – la ville de Beyrouth. La maîtrise des milieux fut donc consolidée par le quadrillage mené par les avions de Tsahal, qui non seulement permettaient de contrôler la troisième dimension, mais également de venir un appui des autres forces. Entre le 10 et le 13 juin 1982, l’armée israélienne a mis en place un enclavement total de la ville de Beyrouth. Le 14 juin 1982, la ville – déjà en proie à la guerre civile depuis 1975, est complètement verrouillée. La « bataille de Beyrouth » est lancée.




La ville ouverte : l’ouverture maritime comme atout stratégique

Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1992, les troupes états-uniennes ont débarqué sur le rivage de Mogadiscio (pour une analyse des enjeux de la guerre à Mogadiscio, on se reportera notamment aux articles de Roland Marchal, « La guerre à Mogadiscio », Politique africaine, n°46, juin 1992, pp. 120-125 ; et Mogadiscio dans la guerre civile : rêves d'Etat, Les Etudes du CERI, n°69, octobre 2000) : elles attaquent au même moment la plage voisine de l’aéroport et la zone portuaire, grâce à des véhicules amphibies (aéroglisseurs pour décharger le matériel et hélicoptères pour emmener les hommes). Rapidement, l’aéroport et le port sont aux mains des militaires états-uniens (barrages aux entrées avec contrôle des identités et des véhicules). Que nous apprend cette opération ? La maîtrise des zones offrant un accès privilégié à la ville (port et aéroport) est une priorité pour les militaires tentant de prendre une ville. D’une part, il s’agit d’assurer l’approvisionnement des troupes engagées dans la ville, et plus en profondeur dans la zone de belligérance. Bien évidemment, l’aéroport est privilégié. Mais, il s’agit de ne pas sous-estimer le rôle du port dans ce type d’engagement en zone urbaine : en effet, l’approvisionnement par voie maritime permet une diversification des routes et des moyens (et tout le monde connaît la prégnance de la question de la diversification des approvisionnements énergétiques tant en termes de lieux de l’approvisionnement, de routes empruntées par les énergies que de sortes d’énergie : il en est ici de même, la diversification des moyens de l’approvisionnement en matériel, nourriture, fournitures diverses, hommes… est un atout considérable, dans la mesure où il empêche à l’ennemi de pouvoir rapidement fragiliser la force armée en bloquant sa seule route ou son seul moyen de transport – par exemple, dans le cas où l’ennemi est doté de moyens sol-air efficaces fragilisant, voire bloquant, l’approvisionnement aérien). D’autre part, tenir l’espace entre terre et mer, et tout particulièrement les points d’accès privilégiés (il est évident que les ports sont implantés dans les zones les plus favorables de la ville, et non sur des côtes escarpées !), permet d’empêcher un ennemi d’encercler la ville par la mer (et pouvant déployer des moyens de lutter contre une telle stratégie depuis la ville), ou d’empêcher le débarquement d’un ennemi par la mer. La zone portuaire, pour toute armée possédant une marine de guerre, permet de contrôler la basse mer, et donc de solidifier ses positions à l’intérieur de la ville, en optant pour une stratégie de déploiement depuis la zone portuaire vers les autres quartiers, sans multiplier les lignes de front (et ainsi d’éviter l’encerclement de l’armée engagée dans la ville). Il s’agit, bien évidemment, de principes, les réalités de la guerre étant parfois plus complexes et dépendant essentiellement des moyens dont disposent les ennemis. Néanmoins, ces principes mettent en exergue l’importance de la zone littorale et tout particulièrement de la zone portuaire. Par conséquent, l’implication de l’ouverture sur la mer ne peut être entendue seulement au sens d’un débarquement amphibie, mais doit être prise en compte tout au long de l’opération militaire dans la ville côtière.

A l’intérieur de la ville, pour aborder le combat urbain de manière plus spécifique, la zone portuaire présente également de caractéristiques qui lui sont propres. Tout d’abord, au point de vue urbanistique : dans toutes les villes du monde, la zone portuaire se distingue par son urbanisme. Pour reprendre l’exemple de Mogadiscio, le port constitue un quartier dans lequel les routes sont larges, se croisent à angle droit et délimitent de grandes parcelles, contrairement aux quartiers populaires (dont l’urbanisation n’a pas été maîtrisée et dans lesquels les routes sont sinueuses) et aux bidonvilles (dans lesquels l’urbanisation a été illégale et anarchique, et dans lesquels on ne retrouve que des chemins dans lesquels il est impossible de circuler avec des véhicules). De plus, les maisons du quartier du port sont espacées, et sont formées par trois ou quatre étages : encore une spécificité de ce quartier, contrastant avec les autres secteurs de la ville (entassements dans des maisons ou des baraques basses, qui réduisent l’aspect « trois dimensions » de la ville) ou dans le centre du pouvoir (hauts bâtiments de cinq ou six étages en moyenne). Ces dernières informations sont extraites de l’excellente étude « Géographie et combat en zone urbaine » (Cahier de la recherche doctrinale, CDEF-DREX, janvier 2005) dont la 5ème partie est consacrée à la ville de Mogadiscio. De telles caractéristiques démontrent que le quartier portuaire doit être envisagé comme une zone spécifique dans la tactique menée dans la ville : toutes les zones portuaires (on entend ici par zone portuaire la zone industrielle construite autour d’un port de marchandises pouvant accueillir des navires de commerce importants, et non les zones de pêche ou les ports de plaisance, qui relèvent plus de la littoralité d’une ville côtière que de sa maritimité) sont agencées pour le passage de grands véhicules et pour le stockage de marchandises dans de vastes entrepôts. Une zone qui offre de nombreux avantages pour le déploiement et le positionnement d’une force militaire engagée dans une ville étrangère : les vastes routes permettent le déploiement et la circulation de véhicules militaires lourds, ainsi que le stationnement des hélicoptères (or, on connaît les difficultés à déployer des matériels tels que le char Leclerc dans les villes), et les vastes hangars permettent non seulement de stocker ce matériel, mais également d’établir une base militaire qui servira de point d’appui et de coordination pour l’ensemble des opérations menées dans la ville (les aéroports présentent d’ailleurs des avantages similaires dans l’établissement d’une base militaire au sein de la ville en guerre, comme le montre par exemple le positionnement des troupes françaises dans l’aéroport de Bangui en République Centrafricaine). Néanmoins, cette même spécificité entraîne parfois des contraintes, telles que, dans le cas de Mogadiscio, l’utilisation de ces mêmes espaces vides (le port a été fermé en novembre 1992, tenu par la milice des Murosade, puis après l’intermède états-unien il a été refermé en octobre 1995) par les milices comme point d’appui, ou par les populations civiles déplacées (soit à l’intérieur de la ville, soit en provenance des autres zones de belligérance). Dans le cas de Mogadiscio, Marc-Antoine Pérouse de Montclos a ainsi montré l’impact de l’installation des déplacés de guerre dans les espaces vides, et tout particulièrement dans les entreprises désaffectées de la zone portuaire (Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Villes en guerre en Somalie : Mogadiscio et Hargeisa, Les Dossiers du CEPED, avril 2000). Cette installation de population dans une zone non résidentielle à priori (suite à des mobilités contraintes répondant à des stratégies de survie individuelles) peut d’ailleurs se faire sous deux formes : l’installation dans des camps de déplacés ou dans des « scouats ». La ville côtière en guerre cumule donc les difficultés pour le militaire, présentant à la fois les caractéristiques du milieu urbain et celles du littoral, deux « espaces sensibles ». Et l’on retrouvera ici le concept analysé par Stéphane Taillat de « littoraux chaotiques » dans le cadre de la doctrine états-unienne (op. cit.). L’exemple de Mogadiscio n’a d’ailleurs pas été choisi par hasard, pour présenter brièvement des aspects stratégiques et tactiques de ces « littoraux chaotiques ». Si la Somalie est souvent présentée pour ses différentes phases de guerre urbaine (les combats ont d’ailleurs repris au sein de la capitale le 1er juin 2009, opposant de nouveau des milices sous le contrôle de chefs de clans) ou pour le danger d’attaques de piraterie aux bords de ses côtes (de même l’actualité récente le prouve), la proximité même entre ces deux espaces de tension, la terre et la mer, est souvent peu analysée. Si la géostratégie des mers (on pense notamment là à l’ouvrage d’André Vigarié, 1995, La mer et la géostratégie des nations, Economica, collection Bibliothèque stratégique, Paris, 432 p.) et ce que l’on pourrait appeler la « géostratégie des terres » par opposition, sont particulièrement développées, l’une comme l’autre semble laisser une place marginale à une « géostratégie des littoraux ». Face à la littoralisation de l’urbanisation, les questions de déplacements de zones de tensions parallèlement aux déplacements de population (mobilités « volontaires » ou sous la contrainte) et d’émergence de nouvelles zones de tensions dans les villes (avec un afflux constant de populations qui s’entassent dans des zones déjà précaires, d’où d’importants risques de paupérisation, de bidonvilisation, de criminalisation… des quartiers précaires et des quartiers populaires) vont particulièrement affectées les villes côtières, qui sont de plus en plus attractives. D’où d’importants défis en termes sécuritaires : la littoralisation des zones de tension et la maritimisation des insécurités. Vers une élaboration de « concepts amphibies » ?



Billet également publié sur Alliance géostratégique (AGS).



Quelques liens pour aller plus loin sur Beyrouth :

Sur le déroulement des guerres, les combats urbains et les stratégies des acteurs syntagmatiques :


Sur les problématiques urbaines et la population face à la guerre et l’après-guerre :


Quelques liens pour aller plus loin sur Mogadiscio :

Sur la situation politique et sociale en Somalie :

Sur les opérations en milieu urbain :

Sur les attaques de piraterie :

dimanche 7 juin 2009

Les déplacés à Mogadiscio


La reprise des combats à Mogadiscio depuis février 2009 (tout particulièrement depuis le 7 mai) repose la question des déplacés à l'intérieur de la ville, alors même que la question des camps de déplacés datant des affrontements des années 1990 pose toujours de nombreux problèmes de gestion dans la capitale.
"Face à la recrudescence des combats à Mogadiscio, le président somalien Cheikh Charif Ahmed a exhorté lundi [25 mai 2009] la communauté internationale à l'aider à repousser les milices islamistes qui comptent des centaines de combattants étrangers dans leurs rangs. Le regain de violences a fait quelque 200 morts ce mois-ci à Mogadiscio, où les combats ont contraint plus de 60.000 habitants à fuir" (photographie de Mohamed Dahir pour AFP, publiée avec ce comentaire dans Le Figaro Magazine du 27 mai 2009)



Quelques points sur la situation en Somalie :

Le pays est plongé dans une guerre civile depuis 1988. L'Etat est d'ailleurs contesté dans deux régions séparatistes : le Somaliland (au Nord-Ouest, dont la grande ville est Hargeisa) et le Punland (au Nord-Est, avec pour grande ville Bossaso). Les deux régions ont fait sécession, mais leur indépendance n'est abssolument pas reconnue. Toujours est-il que cette situation remet en cause la souveraineté du gouvernement dans les 2/3 de sa superficie environ. De plus, les contestations sont aussi internes à la région du Sud, comme en témoigne l'incessant état de guerre dans la ville de Mogadiscio. Comme le titre le géographe Alain Gascon, en jouant sur le double sens des mots, la Somalie est "en mauvais Etat" (Alain Gascon, "La Somalie en mauvais État", EchoGéo, Rubrique Sur le vif 2008). La contestation, voire l'absolue remise en cause, de l'intégrité des autorités officielles en Somalie ont ainsi permis l'émergence de "zones grises", c'est-à-dire "des zones - et des populations - exclues du réseau mondial de l'autorité politique, de l'économie d'échange, de l'information et qui se structurent selon leurs propres lois, atteignant un haut degré d'autonomie et d'opacité" (Pascal Boniface, "Les Terrae incognitae ou zones grises", dans Pascal Boniface (dir.), Atlas des relations internationales, Hatier, Paris, 2003, pp. 60-61). Les zones grises sont donc des zones de non-droit, ou plus précisément, d'un autre droit, dans lequel la souveraineté de l'Etat est totalement remise en cause au point de devenir inexistante, et qui sont aux mains d'acteurs qui ne répondent qu'à leurs propres lois : en général, des milices et/ou des réseaux criminels.




"Somalie, le chaos" - Envoyé spécial - France 2.



Combats et déplacés à Mogadiscio :

La reprise des combats fait suite à une période de violences continues dans la ville de Mogadiscio. On peut ainsi qualifier la ville de "chaotique", dans la mesure où aucun retour à la paix n'a pu se faire depuis maintenant plus de 20 ans.

La question des déplacés s'est déjà posée dans les années 1990, comme le démontre parfaitement Marc-Antoine Pérouse de Montclos : "Les raisons d'une attraction urbaine en temps de guerre. On peut donc se demander pourquoi des déplacés continuent de venir sur Mogadiscio. Le fait que les ressources de la prédation se trouvent en ville a pu constituer un premier élément d'explication. Puis, une fois la ville pillée, la débrouille, la contrebande et la focalisation de l'aide humanitaire sur la capitale ont pu compensé le manque à gagner. Des trafics de toutes sortes ont alimenté les flux commerciaux. [...] La logistique humanitaire aussi a joué un rôle essentiel dans l'attraction urbaine, ceci expliquant d'ailleurs le gonflement des chiffres de 1992 quant au nombre de déplacés. [...] A l'échelle du pays, la concentration de l'opération Restore Hope sur Mogadiscio a privilégié la ville au détriment des campagnes, à tel point que des experts favorables à la fédéralisation de la Somalie ont proposé un déménagement de la capitale une fois la paix rétablie" (Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Villes en guerre en Somalie : Mogadiscio et Hargeisa, Les dossiers du CEPED, n°59, Centre français sur la population et le développement, Pars, avril 2000, pp. 23-24). Marc-Antoine Pérouse de Montclos estime à 201 le nombre de camps de déplacés installés à l'intérieur de la ville de Mogadiscio en 1997 (voir la carte, op. cit., p. 29). Si les médias s'intéressent ces derniers jours à la question des déplacés, suite à la recrudescence des combats, cette question n'est donc pas une nouveauté. Dans de tels camps, l'aide humanitaire s'est restreinte au fur et à mesure du temps : fortement mise à contribution pendant l'opération Restore Hope, elle est devenue très difficile à mettre en place d'une part pour le degré de dangerosité de la ville (d'autant plus intense pour les différents réseaux humanitaires que la ville de Mogadiscio a été laissée à son propre sort, avec l'arrêt d'opérations militaires internationales pour tenter de ramener la paix en Somalie, suite à l'échec de la "bataille de Mogadiscio", les 3 et 4 octobre 1993, mis en scène dans le film de Ridley Scott La chute du faucon noir datant de 2001) ; d'autre part pour le désintérêt progressif des contributeurs financiers pour le cas des déplacés de guerre à Mogadiscio, la Somalie à mesure que celle-ci disparaissait des intérêts médiatiques (voir le billet "Les médias, la violence, l'événement et le haut-lieu" du 8 avril 2009).

Au final, les camps de déplacés, qui bénéificiaient d'une aide humanitaire très réduite, sont devenus des camps de "la débrouille" : " d'après les sondages de SCF en 1993, 52 % des déplacés se nourrissaient exclusivement de l'aide alimentaire, 90 % en dépendaient d'une manière ou d'une autre et 13 % touchaient une rétribution en nature de la part des ONG. A l'époque, on estimait qu'un tiers vivaient de la revente de leur ration et personne ne se plaignait d'insécurité dans les camps" (Marc-Antoine Pérouse de Monclos, op. cit., p. 24). Mais la dégradation de la situation dans les camps de déplacés a immédiatement suivi le départ de la plus grande partie des ONG : "accompagné d'une réduction drastique de l'aide humanitaire à partir de 1996, le départ des Américains et de l'ONU a bien sûr entraîné des changements majeurs à cet égard. Peu avant leur retrait, les organisations caritatives ont voulu se donner bonne conscience en tablant prématurément sur une stabilisation de la situation et ont tenté de faciliter un rapatriement des déplacés vers leur région d'origine, essentiellement la province de Bay : le Camp 124, la Kitchen 53, Asli et Jirde-Fish ont ainsi été vidés de leur population pour ces raisons. Plus simplement, bien des camps et des orphelinats ont fermé leurs portes faute de soutien extérieur, tels Shuke, Shureye, Eno, Anzilotti, Port Africa, Shandinle, Polygram, Urdo ou UNICEF dans le quartier de Hamar Jajab" (op. cit., p. 25). Pour les camps de déplacés qui ont "survécu" à cette période, on peut noter quelques points communs : une pérennisation du camp (qui est censé n'être qu'une solution temporaire), une dégradation des conditions de vie (notamment d'un point de vue sanitaire), une précarisation des sources d'approvisionnement permettant la survie des populations "encampées", une "professionalisation" des personnes habitant dans le camp (ne pouvant plus compter sur l'aide humanitaire, les déplacés - en principe enfermés dans le camp - ont ainsi nettement élargi leur espace pratiqué par des migrations pendulaires pour se rendre sur leur lieu de travail - ce qui est contraire aux logiques d'organisation d'un camp régulé par la communauté internationale ou par une ONG) et la prédominance de l'économie informelle (qui témoigne également d'une forte ouverture du camp vers l'extérîeur, avec des déplacements des personnes vivant dans le camp vers les zones commerciales, les zones d'échange informel... du reste de la ville de Mogadiscio). Les stratégies de survie face à la misère dans les camps de déplacés sont donc très diverses.

Aux périodes de combats (avec la pérennisation de l'état de guerre, on peut qualifier ces violences de structurelles tant elles s'inscrivent désormais dans les logiques sociospatiales d'organisation et de fonctionnement de la ville de Mogadiscio : on parlera même, pour reprendre le terme du géographe Jérôme Tadié, de "violences ordinaires"), se surajoutent des risques sociaux conjoncturels, qui amplifient ainsi le "chaos urbain". Ainsi, les émeutes de mai 2008 dans la capitale ont éclaté suite à des manifestations contre la hausse des prix des denrées alimentaires, que la police a tenté de disperser (voir sur le blog de l'anthropologue Alain Bertho : "Emeutes à Mogadiscio - mai 2008"). En plein coeur de la crise alimentaire de 2008, les "désordres" issus de l'incessante poursuite de la guerre et de l'émergence de zones échappant à l'autorité et au contrôle du pouvoir en place à l'intérieur même de la capitale ont été amplifiés par ce facteur conjoncturel. Aujourd'hui, la reprise des combats depuis février 2009, et tout particulièrement depuis le 7 mai, s'inscrit dans une logique de contestations et de violences qui témoignent du rejet le plus absolu de la part des chefs miliciens de l'autorité du gouvernement provisoire, mis en place fin 2006. Les médias "pointent" ces derniers jours sur la situation des nombreux déplacés de guerre - autant dans la ville de Mogadiscio elle-même (en provenance des quartiers Nord affectés par des combats particulièrement violents) qu'en provenance des autres régions de la Somalie. Pourtant, ces nouveaux déplacés ne posent pas la question d'un problème nouveau de gestion de l'afflux de population dans une ville soumise à un chaos généralisé et une remise en cause de la souveraineté des autorités officielles, mais réaffirment des problématiques déjà bien ancrées dans la ville depuis maintenant plus de 20 ans.




Quelques articles pour aller plus loin :


Et également : l'article "Somalie" dans l'excellent site Aménagement linguistique du monde tenu par Jacques Leclerc (chercheur à l'Université Laval à Québec).


mercredi 25 février 2009

Violences à Mogadiscio


De violents combats ont opposé ce mardi 24 février 2009 les islamistes radicaux et les forces progouvernementales à Mogadiscio. Ces violences s'inscrivent dans un contexte d'instabilité politique chronique en Somalie, tout particulièrement dans la capitale Mogadiscio. Depuis les famines et la guerre dans les années 1990, la situation de la Somalie reste très précaire, tant du point de vue de son instabilité politique que du fait des conséquences de la guerre.

La ville de Mogadiscio a été en proie à une guerre civile depuis 1988, qui a déclenché l'opération "Restore Hope" en juin 1993 (voir à ce propos l'excellent billet de François Duran "Mogadiscio, le 17 juin 1993"). Alors que la situation s'est stabilisée dans le reste du pays à partir de 1995, Mogadiscio et sa région sont restées en proie à une importante déstabilisation. Les conséquences de la guerre civile pour la ville de Mogadiscio sont multiples :

  • importance des destructions
    Destructions des habitations, de la voierie, des services publics (tels que le ramassage des ordures, les services médicaux, l'éducation...), etc.
    Ces destructions se surajoutent à un urbanisme déjà déficient et à de grandes difficultés (voir à ce propos Marc-Antoine Pérouse de Montclos, 2000, Villes en guerre en Somalie : Mogadiscio et Hargeisa, Les Dossiers du CEPED, n°59, Centre français sur la population et le développement, 68 pages). L'inscription durable dans le temps et dans l'espace de l'instabilité ont empêché toute reconstruction tant du bâti, que des infrastructures et des services publics.
  • des flux massifs de population
    Ces flux se font dans les 2 sens : arrivée de déplacés dans la ville de Mogadiscio et exode massif des habitants de Mogadiscio, en fonction de la situation politique.
    Cela se traduit notamment par la multiplication de "camps de réfugiés" (ici, le terme de "camps de déplacés" serait plus approprié, même si l'on ne distingue pas, par la terminologie, la provenance des habitants de ces espaces d'accueil en utilisant globalement l'expression "camps de réfugiés). Ces réfugiés ne comptent pas s'installer définitivement dans la ville de Mogadiscio. Les camps sont principalement répartis dans les espaces laissés vides par l'urbanisation et à la périphérie de la ville.
    A chaque reprise des combats à Mogadiscio, la ville se vide d'une part très importante de sa population. Les affrontements du mardi 24 février 2009 ont ainsi provoqué le départ de milliers d'habitants de la capitale pour le Kenya, qui s'installent principalement dans le camps de réfugiés (on peut parler là de réel camp de réfugiés, puisqu'il accueille des arrivants ayant fui leur pays) de Dadaab (Nord-Est du Kenya), un camp surpeuplé dans lequel les conditions de vie sont déplorables, comme le prouve l'épidémie de choléra actuelle. Force est de constater que la situation dans ce camp ne risque pas de s'arranger avec l'arrivée massive de nouveaux réfugiés.
  • une situation qui s'enlise
    Les violences se poursuivent dans la ville de Mogadiscio, soumise à de régulières oppositions armées entre les milices et les forces pro-gouvernementales (comme, par exemple, les affrontements du mois de juin 2008), ainsi qu'à de violentes émeutes (comme les émeutes de mai 2008).
  • une insécurité accrue
    La ville toute entière ainsi que ses voies d'accès sont particulièrement insécurisées. Les voyageurs sont menacés par des pilleurs, des milices... De plus, les chefs de guerre se disputent des quartiers, afin d'asseoir leur pouvoir, leur contrôle territorial, ainsi que leurs trafics criminels (voir à ce propos l'article d'Alain Gascon, "La Somalie en mauvais Etat", Echogéo, Rubrique Sur le vif, 27 mai 2008).
  • une jeunesse détruite
    Par l'engagement de nombreux enfants dans les milices, par le manque d'accès à l'éducation, par le manque d'accès aux soins médicaux et à une alimentation suffisante...



En résulte dans la capitale une véritable anarchie. La Somalie est un pays sans Etat stable, en proie aux affrontements entre un gouvernement qui peine à établir sa souveraineté territoriale et des milices qui s'approprient des territoires dans lesquels règnent leur autorité.



A lire sur la ville de Mogadiscio :



A voir :

samedi 30 août 2008

Les émeutes de la faim



Les émeutes de la faim (ici à Haïti, en avril 2008, source : Le Point) ont souvent été l'objet de l'actualité internationale de l'année 2008, montrant ainsi la détresse des populations urbaines les plus pauvres des grandes métropoles des pays du Sud. Les émeutes du mois d'avril 2008 à Port-au-Prince ont été un symbole fortement médiatisé, relançant le débat sur la situation des 35 pays touchés cette année par ce phénomène. La hausse des prix des denrées alimentaires touche ainsi inégalement les populations urbaines, et se superposent à une géographie ségrégative dans les pays du Sud. Une première distinction semble nécessaire : un petit point sur les différentes significations de la "sécurité alimentaire".

"food security" : "capacité de produire des quantités suffisantes de nourriture pour assurer l'alimentation d'une population donnée" (définition de Jean-Paul CHARVET, 2002, Historiens-Géographes, n°378). C'était la première définition que l'on a donné à cette question de sécurité alimentaire, on ne prenait en compte que la quantité de nourriture. On calcule alors la sous-alimentation.

"food safe" : la question n'est pas tant la quantité que la qualité : il ne suffit pas que les hommes est suffisamment à manger en termes de quantité (ce que reprenait la notion de "food security") mais qu'ils puissent accéder à suffisamment de nourritures en termes de quantité et de qualité (ex : avoir une alimentation équilibrée apportant les différents besoins nutritionnels nécessaires au bon fonctionnement du corps humain). On calcule alors la malnutrition.




Les émeutes de la faim posent la question de "la justice et de l'injustice spatiales", et ce à plusieurs échelles. Tout d'abord, à l'échelle mondiale, elles se superposent à la carte de l'IDH (indice de développement humain), soulignant bien évidemment les écarts de développement entre les pays du Nord et les pays du Sud. La mondialisation pose le défi de la sécurité alimentaire. Les travaux de la géographe Sylvie Brunel replacent également cette question dans le cadre de la mondialisation. Notamment son article "La famine est en partie le fruit de la géopolitique" (dans Images économiques du monde 2005, Armand Colin, 2004), mais aussi dans ses nombreux ouvrages. Elle explique que les famines d'aujourd'hui sont devenues un outil de contrôle ou d'élimination de populations jugées comme indésirables. Elle met ainsi en place une différence entre les facteurs des famines et ceux de la malnutrition. "Entre famine et malnutrition existe une différence non de degrés, mais de nature : phénomène brutal, collectif et localisé, la famine ne s'explique pas par les mêmes causes que la malnutrition, ne frappe pas les mêmes personnes et ne résout pas de la même façon" (extrait de l'article cité précédemment). Elle en conclut que les famines actuelles "s'expliquent donc par la géopolitique, tandis que la malnutrition est le produit de la pauvreté". On retrouve ces phénomènes d'utilisation des ressources alimentaires comme arme à la fois au Darfour, mais plus anciennement en Somalie (où les sacs de denrées alimentaires provanant de l'aire internationale ont été pour la plupart conservés dans des zones de stockage sans pouvoir atteindre les population, voire réquisitionnés par les rebelles). Aujourd'hui, au Darfour, le gouvernement soudanais exploite cette arme alimentaire de la même façon qu'il l'avait fait dans les années 1990 pour les conflits dans les monts Noubas, interdit aux ONG d'intervenir pour apporter une aide alimentaire.





Le Dessous des cartes, décembre 2007.



Mais l'on ne peut se contenter d'une analyse à l'échelle mondiale, la faim touchant inégalement les populations des pays les plus pauvres. D'une part, la ville semble le terrain le plus touché par cette question, du fait de la dépendance alimentaire qu'elle entretient avec son arrière-pays, et l'absence partielle ou totale de moyens de subvenir à ses besoins pour la population sans recourir aux achats sur les marchés ou des magasins. D'autre part, au sein de la ville, une géographie ségrégative explique les contrastes existant dans l'accès aux ressources alimentaires.





Les facteurs explicatifs sont nombreux : bien évidemment la flambée des prix mondiaux des denrées alimentaires est une cause majeure, mais également des processus économiques mondiaux touchant indirectement (la hausse des prix des ressources énergétiques, un changement des demandes de consommation à l'échelle mondiale, la réorganisation de la filière alimentaire dans l'économie mondiale).