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vendredi 23 janvier 2009

La guerre, la ville et la santé


Comprendre la géographie de la santé dans les villes en guerre permet de mettre en exergue des inégalités sociospatiales qui relèvent à la fois du temps de la montée des tensions (avec, par exemple, un accès inégal aux soins entre les différentes classes sociales, les différents quartiers, les différentes communautés...), du temps de la guerre (qui impose de fortes contraintes en termes de mobilités, d'approvisionnements en médicaments et en électricité...), et du temps de la reconstruction (où des inégalités sociospatiales peuvent se renforcer ou se créer). "L'explication de ces disparités passe par la confrontation de la distribution et des combinaisons spatiales, des facteurs de risques d'un indicateur de santé à la géographie de cet indicateur" (Gérard Salem, 2002, "Peuplement, population et santé : une inégale répartition", dans Jean-Paul Charvet et Michel Sivignon, 2002, Gégraphie humaine. Questions et enjeux du monde contemporain, Armand Colin, collection U, Paris, p. 83). Evidemment les guerres ont des impacts conséquents en termes de mortalité. Mais, le cas particulier d'un environnement violent montre également l'exacerbation des tensions autour de l'accès aux soins dans un contexte de prolifération des maladies et des blessures.



Les impacts directs des guerres sur la santé

La forte augmentation du taux de mortalité est un impact direct de la violence collective exercée pendant une guerre. Mais on voit également, lors de la guerre, l'augmentation des maladies "évitables" du fait du manque de médicaments, des difficultés à se déplacer dans la ville en guerre, et de la destruction partielle ou totale des infrastructures sanitaires. Pour exemples, "à Sarajevo, les naissances de bébés prématurés ont doublé [le temps de la guerre de Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995] et, en 1993, les poids moyens à la naissance avaient chuté de 20 %. [...] Pendant les combats de Bosnie-Herzégovine, en 1994, moins de 35 % des enfants étaient vaccinés, contre 95 % avant le début des hostilités. En Iraq, la couverture vaccinale a considérablement diminué après la guerre du Golfe de 1991 et sous le coup des sanctions économiques et politiques prises par la suite. [...] En 1985-1986, au Nicaragua, une épidémie de rougeole a été attribuée dans une large mesure au fait que les services de santé n'étaient plus vraiment à même de vacciner la population à risque dans les zones touchées par le conflit. [...] Pendant l'exode du Rwanda, en 1994, ce sont des maladies liées à l'eau, comme le choléra et la dysenterie à Shigella spp, qui ont pris des proportions épidémiques et tué en un mois de 6 % à 10 % des réfugiés qui arrivaient au Zaïre (République démocratique du Congo actuelle). Le taux brut de mortalité de 20 à 35 pour 10.000 habitants par jour était deux à trois fois supérieur à celui enregistré auparavant dans les populations réfugiées" (Etienne G. Krug, Linda L. Dahlberg, James A. Mercy, Anthony Zwi et Rafael Lozano-Ascencio (dir.), 2002, Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation mondiale de la santé, Genève, p. 248). La forte diminution de la vaccination, les problèmes d'approvisionnements des centres médicaux, les contraintes de mobilité pour les populations dans les zones de combat (pour exemple, le siège de Sarajevo empêchait les habitants de se rendre à leur guise dans les hôpitaux sans prendre le risque de se retrouver sous les tirs de l'armée serbe positionnée sur les hauteurs de la ville, encerclant ainsi Sarajevo), les déplacements de populations qui fuient les zones de combat (et deviennent souvent des vecteurs des maladies transmissibles) et le manque chronique de nourriture (que ce soit en quantité ou en qualité) sont autant de facteurs explicatifs : il serait donc très restreint de limiter la question de la santé à la seule question des morts et blessés par les combats.


L'Organisation mondiale de la santé propose une typologie des impacts directs des conflits sur la santé (Rapport mondial sur la violence et la santé, op. cit., p. 247) autour de 3 impacts et de leurs facteurs :

MORTALITE ACCRUE :
  • décès dues à des causes externes, principalement liées à des armes
  • décès liées à des maladies infectieuses (comme la rougeole, la poliomyélite, le tétanos et le paludisme)
  • décès dus à des maladies non transmissibles, ainsi que des décès par ailleurs évitables avec des soins médicaux (y compris l'asthme, le diabète et les interventions chirurgicales d'urgence)


MORBIDITE ACCRUE :

  • blessures dues à des causes externes, comme celles infligées par des armes, des mutilations, des mines antipersonnel, des brûlures et des empoisonnements
  • morbidité associée à des causes externes, y compris la violence sexuelle
  • maladies infectieuses 1/ liées à l'eau (comme le choléra, la fièvre typhoïde, la dysenterie due à la Shigella spp) 2/ à transmission vectorielle (comme le paludisme et l'onchocercose) 3/ autres maladies transmissibles (comme la tuberculose, les infections respiratoires aiguës, l'infection à HIV et d'autres maladies sexuellement transmissibles)
  • santé génésique 1/ un plus grand nombre de mortinaissances et de naissances prématurées, plus de cas de faible poids à la naissance, plus de complications pendant les accouchements 2/ incidence génétique à plus long terme de l'exposition à des produits chimiques et à des radiations
  • nutrition : malnutrition chronique et aiguë et divers troubles liés à des carences
  • santé mentale : angoisse, dépression, état de stress post-traumatique, comportement suicidaire


INCAPACITE ACCRUE :

  • physique
  • psychologique
  • sociale



Mobilités et santé dans les villes-cibles

L'étude des mobilités des populations est au coeur de l'analyse de la géographie de la santé dans des environnements violents. Dans la ville-cible, les mobilités sont restreintes au minimum : les populations sont contraintes à l'enfermement dans la maison pour éviter les tirs, et dans le quartier-territoire pour éviter les représailles de la milice ou de la force armée de l'autre communauté. Difficile dans ces conditions de se rendre dans des centres médicaux, d'autant plus que ces derniers se dégradent et sont de moins en moins nombreux à mesure que la guerre s'éternise. Cette situation provoque un accroissement des inégalités sociospatiales dans la ville entre les populations vivant dans des quartiers possédant leurs propres services de santé et les populations enfermées dans des quartiers dépourvus ou mal pourvus de centres de soin. Dans ces quartiers, la médecine "illégale" se développe et des habitants s'improvisent médecins, ce qui accroît les risques de complication, même des maladies les plus bégnines. L'enfermement dans les quartiers-territoires pose également la question de la rapidité des secours à intervenir dans les quartiers les plus éloignés et de la rapidité des habitants à se rendre auprès des personnels soignants (non pas tant en distance, mais avant tout en termes de temps). De plus, à l'intérieur même des quartiers-territoires, existe une forte disparité entre les habitants. D'une part, les populations se retrouvant en situation de minorité dans le quartier communautaire subissent de fortes discriminations dans l'accès aux soins. D'autre part, la rareté des médicaments et la dégradation des services médicaux (notamment en termes de capacité d'accueil) expliquent l'inflation des coûts des soins médicaux, ce qui accroît une inégalité sociale entre les classes sociales. Enfin, il existe une forte concurrence entre les belligérants quant à l'accès aux soins : il s'agit principalement de bloquer les accès du quartier "ennemi", d'en empêcher l'approvisionnement en nourriture et en médicaments, ce qui renforce l'enfermement des quartiers-territoires et la dégradation des conditions sanitaires. La densité de population pose des problèmes sanitaires majeurs : tout d'abord, nourrir les populations du quartier-territoire se révèle complexe dans une ville où la mobilité est fortement restreinte. De plus, l'évacuation des déchets et des eaux usagées se dégradent fortement, ce qui rend insalubres de nombreuses zones habitées. Enfin, la question de l'approvisionnement en eau potable, celle du chauffage dans les habitations (bois de chauffage, électricité, gaz naturel...) et celle de l'habitat (entre destructions, squatts, constructions avec des matériaux de récupérations...) sont autant de difficultés quotidiennes pour les populations les plus vulnérables (soit par leur condition sociale, soit par leur localisation dans un quartier marginalisé et enfermé, soit par leur situation de minorités...) qui accentuent les risques sanitaires à l'intérieur de la ville-cible. D'un point de vue sanitaire, la ville-cible se vulnérabilise à mesure qu'elle se fragmente et qu'elle se paupérise.



Mobilité et santé dans les villes-refuges

La problématique des mobilités se pose également dans le cas des villes-refuges, affectées indirectement par les guerres, et tout particulièrement par l'arrivée massive de déplacés en provenance des zones de combats (voir l'exemple d'Abéché au Tchad). "Les anciens déplacés ou réfugiés d'origine paysanne installés en ville sont le groupe le plus vulnérable et le plus "invible". Souvent peu qualifiés, sans formation adaptée à la ville, réticents à exercer des activités non agricoles car jugées dégradantes, ils peinent le plus à s'intégrer dans les villes" (François Grünewald (dir.), Villes en guerres, guerres en ville : acteurs humanitaires et pratiques urbaines. Mali, Guinée, Angola, rapport de synthèse, juin 2004, Urgence Réhabilitation Développement - groupe URD, p. 4). La vulnérabilité face aux conditions sanitaires pour les populations déplacées ou réfugiées s'exprime à divers égards : tout d'abord, se pose la question du logement. Deux types de situation se distinguent : d'une part les populations arrivant dans la ville elle-même et d'autre part les populations installées dans des camps de réfugiés. Les déplacements de ces populations permettent la diffusion de multiples maladies transmissibles (paludisme, sida...). Les épidémies se diffusent d'autant plus que sur la route de l'exil, ces populations n'ont plus accès aux médicaments et aux soins. Qu'elles aient attrapé ces maladies dans leur lieu d'origine ou qu'elles les contractent dans les lieux-étapes de leur migration, ces populations deviennent des vecteurs de diffusion de l'épidémie à la fois dans les lieux-étapes suivants et dans leur lieu d'accueil. Les populations s'installant dans la ville-refuge elle-même sont également vulnérabilisées dans leur lieu d'accueil. En effet, ces populations se logent dans des villes qui ont du mal à gérer un afflux massif de déplacés/réfugiés : leurs installations sont souvent sommaires (matériaux de récupération) et la "bidonvilisation" des périphéries s'accroît. Les quartiers où s'installent ces populations font face à d'importants problèmes sanitaires, du fait de "l'entassement" des populations, depuis les problèmes d'approvisionnement en nourriture jusqu'aux problèmes d'évacuation des eaux usagées et des déchets, en passant par l'insalubrité des zones d'installation. En effet, ces populations s'installent dans les "espaces vides" de la ville-refuge, c'est-à-dire dans les zones insalubres non urbanisées jusque-là. De plus, ces populations bénéficient moins facilement de l'aide humanitaire que les populations des camps de réfugiés dans la mesure où elles sont moins visibles et peu identifiées. Ces phénomènes affectent directement la ville-refuge avec la paupérisation de quartiers entiers, et la dégradation des conditions sanitaires. De plus, les services de santé ne peuvent faire face à l'afflux de ces populations, et de ce fait le nombre de médecins par habitant dans la ville diminue fortement. Les inégalités sociospatiales en termes d'accès aux soins sont donc fortement renforcées.



Dégradation de l'environnement et santé dans les villes en guerre

Le cas du Kosovo (voir notamment le chapitre "Guerre "high tech", désastre humanitaire et environnement" écrit par Luc Mampaey, dans Bernard Adam (dir.), 1999, La guerre du Kosovo. Eclairages et commentaires, GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la sécurité et la paix) - Editions Complexe, Bruxelles, pp. 125-138, notamment sur le débat autour de l'utilisation des munitions à uranium appauvri) a été particulièrement illustratif d'une préoccupation de plus en plus accrue pour les questions d'impacts environnementaux provoqués par les guerres. Ces questions sont diverses (voir l'article de Pekka Haavisto, "L'impact de la guerre sur l'environnement" dans Les Chroniques de l'ONU, volume XXXVII, n°1, 2000) : elles concernent tout d'abord les impacts de l'utilisation de produits chimiques dans les munitions, et les conséquences pour les populations locales exposées durablement à ces produits. La question du ciblage dans la guerre urbaine se pose également : les "dégâts collatéraux" affectent parfois des lieux à haut risque (telles que des usines). Mais de telles destructions peuvent également être l'effet d'une stratégie militaire puisque ces mêmes usines sont des centres névralgiques de l'économie d'un pays. De plus, la guerre provoque ou accentue la dégradation de l'appareil industriel soit du fait des destructions, soit par le manque d'investissements financiers. C'est le cas du complexe industrialo-minier de Trepca dans la ville de Mitrovica au Kosovo, complètement obsolète, fermé par décision de la communauté internationale à la fin de la guerre, car menaçant la santé publique (pollution accrue des eaux de la rivière Ibar, pollution de l'air...). Si cette fermeture a un effet positif quant à son impact direct sur la santé, les effets indirects, eux, ne le sont pas : la fermeture a provoqué une très forte montée du chômage dans la ville de Mitrovica dont l'économie -déjà fragile avant la guerre - reposait en très grande partie sur le fonctionnement de ce complexe industriel, d'où une paupérisation accrue dans l'ensemble de la ville. Et, de ce fait, une dégradation des conditions sanitaires et de l'accès aux soins par manque de moyens financiers, que ce soit au niveau des individus ou des acteurs de la gouvernance urbaine. L'interaction entre guerre, santé et environnement est donc complexe, puisqu'une décision positive sur la santé peut avoir des conséquences négatives, y compris sur la santé !



La reconstruction et l'accès aux soins : vers des nouvelles inégalités ?

La question de la dégradation des conditions sanitaires et des équipements des services de santé se pose dans l'immédiat après-guerre, dans un contexte de tensions entre les différentes communautés et les différentes classes sociales. Il s'agit de faire face à la fois à l'insalubrité de certains quartiers, à la remise en fonctionnement des systèmes de santé, à la reconstruction des équipements, à l'approvisionnement en médicaments et matériels hospitaliers... Le coût financier de ces objectifs est très conséquent, alors même que l'économie de la ville s'est effondrée avec la guerre et que les autres enjeux de la reconstruction sont très nombreux. Le problème se pose principalement autour de la localisation des services de soin réapprovisionnés et reconstruits : alors que les centres-villes bénéficient, en général, d'un "retour à la normale" rapide, les préiphéries ne sont pas, le plus souvent, des zones où la restauration des services de santé est prioritaire, alors même que ces préiphéries sont souvent les zones où l'insalubrité est la plus grande et de ce fait les populations y sont le plus vulnérables face aux maladies. Le cas de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth et des problèmes persistants dans la banlieue sud de la ville est particulièrement illustratif d'une reconstruction à "deux vitesses" (voir, à ce propos, les travaux d'Eric Verdeil et le mémoire de géographie en ligne Beyrouth : reconstruire la ville, reconstruire la vie ?). Les disparités sociospatiales en termes de santé peuvent donc entraîner de nombreuses disparités, et de ce fait de nouvelles tensions dans des villes de l'après-guerre.


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