Le 27 février 2012, France 24 a consacré deux émissions sur la question des Corans brûlés en Afghanistan et de ses conséquences, l'une en français : "Afghanistan, Irak, Libye : peut-on imposer la démocratie ?", et l'autre en anglais "Afghan Rage" (voir les vidéos de ces deux émissions à la fin du billet). Adam Baczko (doctorant à l'EHESS et à l'IRSEM), l'un des intervenants de l'émission "Afghan Rage", revient sur les arguments qu'il a présentés lors de cette émission, et nous donne son point de vue, à partir de son expérience de terrain en Afghanistan, sur l'insurrection taliban. Voir également le précédent billet d'Adam Baczko sur ce blog "La "guerre de guérilla" n'existe pas" (11 mai 2010).
"Présence des groupes talibans en Afghanistan" Source : Carte de Laura Margueritte, publiée dans Constance de Bonnaventure, "Afghanistan au plus près du pouvoir", Carto, n°7, septembre/octobre 2011. |
Afghanistan : Une mise en perspective des émeutes
et de leurs implications politiques (Adam Baczko)
Lors de cette émission, je souhaitais faire passer quelques éléments qui me paraissent particulièrement décisifs sur le plan politique et que j’ai pu observer lors de mes terrains en Afghanistan. Je profite de ce billet pour répéter et développer les trois points centraux de cette intervention télévisuelle :
Les évènements récents, les manifestations suite aux Corans brulés, ainsi que les morts d’occidentaux tués par des militaires ou des fonctionnaires afghans, montrent bien que la cause que soutiennent les Taliban emporte de plus en plus l’assentiment de la population. Ceci n’est pas contradictoire avec la profonde hostilité que nombre d’Afghans expriment à l’égard de l’idéologie prônée par l’organisation cléricale. Cependant, les pratiques occidentales, notamment les assassinats et les arrestations nocturnes menés par les forces spéciales, les comportements agressifs des soldats occidentaux et la corruption du régime de Karzai ont crée un profond sentiment de révolte et de rejet. La violence des réactions récentes doit être replacée dans ce contexte quotidien d’humiliation, qui permet aux Taliban de se poser comme un mouvement de libération nationale et de reconstruction d’une autorité juste par opposition à la coalition militaire et au gouvernement actuel.
L’insurrection Taliban progresse car elle gouverne mieux, et non parce qu’elle est militairement plus forte. Les Talibans mettent en place une administration qui couvre la majeure partie du territoire, un système de gouvernement procédurier et efficace. Leur système de justice, en particulier, est très performant pour résoudre les conflits fonciers et familiaux dans les régions rurales. La formation de cet Etat parallèle confirme la nature politique du mouvement Taliban, qui investit dans le champ politique des ressources propres au champ religieux. Dans cette perspective, il faut différencier les Taliban d’Al Qaeda et des autres mouvements jihadistes internationaux. Les Talibans ont des objectifs circonscrits au territoire afghan, mus par une vision nationaliste et étatiste.
L’option militaire, même sous la forme de raids conduits par des drones et des forces spéciales, est contre-productive. Il est urgent de profiter de la fenêtre actuelle de négociation, alors que les relations entre les Talibans et les services secrets pakistanais se sont récemment tendus. Le risque est grand, alors que l’Alliance du Nord s’est reformée sous un nouveau nom, le Front National d’Afghanistan, et qu’elle se réarme avec le soutien financier de l’Inde, qu’une guerre civile éclate. Or, une vacance prolongée du pouvoir serait le pire scénario, tant pour la population afghane, que pour les pays occidentaux, dont l’objectif premier était d’éviter que la région puisse servir de sanctuaire à des mouvements terroristes. Les Occidentaux et les Afghans ont un intérêt commun à éviter que le pays ne devienne un champ de bataille par procuration dans l’affrontement indo-pakistanais et, de ce fait, un espace de désordre. De ce point de vue, la volatilité récente des gouvernants occidentaux et les velléités actuelles de se retirer dans la panique, sans solution politique négociée au préalable avec les mouvements afghans, Taliban et nordiste, est profondément inquiétante.
Adam BACZKO.
Bibliographie/sitographie commentée
(par Adam Baczko)
David B. Edwards, Before Taliban: genealogies of the Afghan Jihad, Berkeley, University of California Press, 2002.
Un ouvrage qui plonge dans les premières années des trois décennies de guerre civile en Afghanistan et qui permet de mieux comprendre la crise politique, dont l’émergence du mouvement Taliban résulte.
Gilles Dorronsoro, Christian Olsson et Raphaël Pouyé, Insurrections / contre-insurrections : éléments d’analyse sociologique à partir des terrains irakien et afghan, Paris, IRSEM, 2009.
Un rapport dont la partie sur l’Afghanistan synthétise les analyses de Gilles Dorronsoro sur les erreurs stratégiques commises par les occidentaux.
Alex Strick et Felix Kuehn, An enemy we created: the myth of the Taliban/Al Qaeda merger in Afghanistan 1970-2010, Londres, Hurst & Co, 2012
Un livre qui démontre la distinction entre Taliban et Al Qaeda et la nature politique du mouvement.
Alexandre Strick Van Linschoten, A different place: http://www.alexstrick.com/
Le blog, maintenant peu actif d’un chercheur base à Kandahar, mais dont les archives sont une mine d’informations.
Chistian Bleuer, Ghost of Alexandre: http://easterncampaign.com/
Le blog d’un chercheur travaillant sur les problématiques centre-asiatiques, avec une bibliographie extensive sur la region.
Afghanistan Analyst Network: http://aan-afghanistan.com/
Le site du centre d’analyse dirigé par Thomas Ruttig, dont les blogs et les rapports sont parmi les meilleures productions sur la situation contemporaine en Afghanistan.
Afghanistan, Irak, Libye :
peut-on imposer la démocratie ?
Emission "Le débat", France 24, 27 février 2012.
Toutes les informations sur le site de France 24.
Présentation de l'émission sur le site de France 24 :
L'affaire des Corans brûlés n'en finit plus d'enflammer l'Afghanistan. Un attentat a frappé Jalalabad. Attaque revendiquée par les talibans. Cette affaire peut-elle nuire au dialogue engagé entre les Américains et les Talibans. Le retour des islamistes est-il inévitable après le départ des forces de l'Otan ? L'occasion de nous interroger plus largement sur ces guerres en Afghanistan, en Irak ou encore en Libye. A quoi ont-elles servi ?
Invités de l'émission :
- Ariane Quentier, journaliste auteur de L'Afghanistan : au coeur du chaos.
- Gérard Chaliand, spécialiste des conflits armés, auteur des Guerres irrégulières.
- Colonel Michel Goya, directeur d'études à l'IRSEM, auteur de Res militaris : de l'emploi des forces armées au XXIe siècle.
- Professeur Walid Pahres, conseiller auprès du Congres American pour les questions de terrorisme, auteur du livre The Coming Revolution: Struggle for Freedom in the Middle East, conseiller du candidat républicain Mitt Romney sur le Proche et le Moyen-Orient.
- Marie Normand, correspondante France 24 à Kaboul.
Afghan Rage
Emission "The debate", France 24 International, 27 février 2012.
Toutes les informations sur le site de France 24.
Présentation de l'émission sur le site de France 24 :
The burning of the Koran appears to have undone years of trying to win over hearts and minds - on the streets of Afghanistan there's nothing but a visceral hatred for the West and its values. International forces are due to stay on in the country until 2014, but what can they achieve with such hostility from the people they are trying to train and protect ?
Invités de l'émission :
- Assad Omer. Afghan Ambassador to France.
- Thomas Ruttig. Co-director, Afghanistan Analyts Network (from Berlin).
- Ronald Neumann. Former US Ambassador to Afghanistan (2005 to 2007). President, American Academy of Diplomacy (from Washington).
- Adam Baczko. PhD Researcher, EHESS Institute.
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