Aborder la géographie du droit d'asile en France au prisme de la création et des variations de la "liste des pays d'origine sûrs" permet à la fois de comprendre l'entremêlement d'enjeux politiques multiscalaires qui dépassent parfois nettement la question du droit à la protection internationale pour s'ancrer dans les réalités des politiques migratoires des pays d'accueil, de revenir sur la question de la carte-discours pour montrer que les choix cartographiques permettent de représenter des discours spatiaux "modelés" en fonction des intentions des auteurs/commanditaires des cartes. La géographie du droit d'asile en France est multiple et se traduit dans des conflits de représentations entre les différents acteurs de la protection internationale.
Références de l'article : Bénédicte Tratnjek, 2012, "France : un droit d'asile à géographie variable", Les Cafés géographiques, rubrique Vox geographi, 14 février 2012, en ligne : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2370
"En 2011, les institutions internationales, les instances et associations agissant pour la protection des demandeurs d’asile ont célébré le soixantième anniversaire de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 qui assure la protection des réfugiés, des apatrides et des demandeurs d’asile. A priori, la question du droit d’asile semble dessiner une géographie « uniformisée », ou tout du moins une géographie de la sécurité/insécurité qui s’établit à l’échelle de chaque Etat qui la regarde. Mais les diverses interprétations de la Convention de Genève de 1951 peuvent être plus ou moins restrictives, et donnent à voir diverses représentations du statut de demandeur d’asile et une géographie de la discrimination et des persécutions à géométrie variable, qui construit un imaginaire spatial de la migration à destination de la France.
Le 11 mars 2011, le conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) décide d’ajouter à la liste des « pays d’origine sûrs » : l’Albanie et le Kosovo. Mise en place pour la première fois en place en 2005, « la notion de pays d’origine sûr a été introduite dans le droit français par la loi n°2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n°52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile. Aux termes de la loi, un pays est considéré comme sûr « s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». C’est le conseil d’administration de l’OFPRA qui fixe la liste des pays d’origine sûrs » [1]. Le Kosovo était, en 2009 et en 2010, le principal territoire [2] d’origine des demandeurs d’asile en France [3].
Le 2 décembre 2011, cette liste s’allonge, passant de 16 à 20 Etats placés sur la liste des « pays d’origine sûrs », avec l’ajout de l’Arménie, du Bangladesh, du Monténégro et de la Moldavie. En 2011, le Bangladesh était devenu le premier pays d’origine des demandeurs d’asile en France, et la demande en provenance de l’Arménie avait doublé [4]. De nombreuses associations de protection des demandeurs d’asile dénoncent l’imbrication des enjeux socio-politiques internes (la liste des pays d’origine sûrs étant perçue comme un moyen de réguler les flux migratoires) et des enjeux socio-politiques des pays que quittent les demandeurs d’asile, au nom de la protection accordée par la Convention de Genève de 1951. C’est donc un regard multiscalaire qu’il est nécessaire de poser sur ces questions, tant l’entremêlement des échelles permet de comprendre les conflits de représentation qui se jouent entre institutions étatiques et protecteurs des demandeurs d’asile.
La liste des « pays d’origine sûrs » ne vise pas à dessiner une géographie de la sécurité et de l’insécurité dans le monde : comme son nom l’indique, elle ne s’attache qu’à définir, parmi les différents pays d’origine des demandeurs d’asile en France (et non ceux qui ne sont pas concernés par le départ de migrants qui se déclareront dans le pays d’accueil comme relevant de la Convention de Genève de 1951), les pays dans lesquels la sécurité des habitants est garantie par les institutions étatiques. Ce sont donc les pays « producteurs » de demandeurs d’asile qui sont visés dans cette liste. En 2010, « pour la troisième année consécutive, la France enregistre une hausse de la demande d’asile sur son territoire. 52 762 demandes ont été formulées contre 47 686 en 2009, soit un écart de près de 11 % » (FORUM REFUGIES, 2011, p. 129).
Cette même année 2010, les principaux pays de provenance des primo-arrivants (première demande d’asile, en opposition aux dossiers en réexamen, c’est-à-dire aux demandeurs ayant déjà fait une tentative) sont le Kosovo (avec 3 267 demandes - hors mineurs accompagnants, soit 8,8 % de la demande globale), le Bangladesh (3 061 demandes, soit 8,3 %), la République démocratique du Congo (2 616 demandes, soit 7 %), la Russie (2 424 demandes, soit 6,6 %), Sri Lanka (2 265 demandes, soit 6,1 %), la Chine (1 805 demandes, soit 4,9 %), la Guinée (1 712 demandes, soit 4,6 %), Haïti (1 500 demandes, soit 4 %), l’Arménie (1 278 demandes, soit 3,5 %) et la Turquie (1 240 demandes, soit 3,3 %) (FORUM REFUGIES, 2011, p. 130).
Ce sont ces pays qui sont concernés par un examen par l’OFPRA sur l’(in)sécurité des habitants, et qui sont potentiellement inscrits sur la liste des pays d’origine sûrs. Des Etats voisins de la France comme la Belgique, l’Allemagne ou encore la Suisse n’étant pas des pays d’origine de demandeurs d’asile, ils n’apparaîtront pas sur cette liste. Pourtant, celle-ci reste une manière de concevoir, par le prisme des pays « producteurs » de demandeurs d’asile, une géographie de l’insécurité et une géographie du droit d’asile « légitime ». En quoi la proportion de la demande d’asile dessine-t-elle une géographie de l’(in)sécurité telle que perçue par les autorités françaises ?
(...)"
La demande d'asile en France en 2010 en provenance des pays européens (nombre de demandeurs d'asile européens selon le pays de nationalité en 2010) |
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