La réédition de l'Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires par le réseau ". a été l'occasion de nombreuses émissions de radio. La première édition est parue en 2009 (voir un compte-rendu de lecture pour les Cafés géographiques) avait été l'occasion d'un café géo le 27 octobre 2009 (voir le compte-rendu : "L'Europe et la misère du monde : mobilités, politiques migratoires en débats") avec deux des auteurs, le géographe Olivier Clochard et l'ethnologue Alain Morice. Cette seconde édition est l'occasion d'une biblio/sitographie présentée autour de quelques cartes extraites de cet atlas et/ou réalisées par les auteurs de cet atlas.
Une géographie de la frontière-barrière :
"Des morts par milliers aux portes de l'Europe"
Explication de la carte par Claire Rodier « Des morts par milliers aux portes de l'Europe » :
Source : Jean-Baptiste François, "Un atlas pour mieux comprendre les migrations en Europe", La Croix, 14 novembre 2012.
D'autres cartes montrant l'évolution de cette géographie des morts aux portes de l'Europe :
- "Des morts par milliers aux portes de l’Europe", Olivier Clochard et Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, mars 2004 (2ème publication : décembre 2006).
- "Mourir aux portes de l’Europe", Olivier Clochard et Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, juin 2010.
- "Morts aux frontières", dans Jean Marc Manach, 2011, « Mémorial des morts aux frontières de l’Europe », OWNI, 18 février 2011.
Compter les morts
"Il n'existe pas de chiffres officiels concernant le nombre de migrants décédés aux frontières européennes, mais, selon les organisations qui tentent de recenser le phénomène, il serait passé, entre le début des années 1990 et 2012, de quelques dizaines à plusieurs centaines, voire des milliers par an. Le calcul est loin d'être exempt de biais : d'abord parce que l'attention portée à cette question par les institutions qui défendent la cause des migrants a nettement augmenté au cours de la même période. La couverture par les médias a suivi et l'on ne compte plus les reportages consacrés à ce sujet ces dernières années. On peut donc estimer que, tout autant que l'accroissement réel du nombre de morts, la construction d'instruments de mesure, doublée d'un effet de loupe médiatique, a contribué à l'explosion des chiffres. A contrario, plusieurs facteurs jouent dans le sens inverse, comme l'invisibilité d'une proportion que l'on pressent importante, mais qui reste inconnue, de décès intervenus au cours de la trajectoire migratoire, notamment lors de naufrages ou en plein désert, ou encore l'occultation volontaire par les forces policières ou politiques de certains épisodes meurtriers de la "guerre aux migrants". Des autorités qui savent aussi instrumentaliser les événements dramatiques pour justifier le durcissement des contrôles.
Dans ce contexte scientifiquement peu fiable, pourquoi chercher à compter les morts de la migration ? Parce que les victimes de cette "guerre" sont une composante indissociable de la politique migratoire menée par l'Europe à ses frontières, et au-delà. Et parce que l'imprécision même des sources est le révoltant témoin d'une réalité qui doit être appréhendée. L'organisation United for Intercultural Action a été la première à répertorier ces funèbres aléas des mouvements de population : elle évalue à 16 250 le nombre de morts entre janvier 1993 et mars 2012, une représentation minimale d'une hécatombe ignorée. Car pour les noyés, par exemple, le calcul est fondé sur le décompte des corps des personnes découvertes sur les plages, ainsi que sur les estimations avancées par les rescapés des naufrages. Or la plupart de ceux-ci ont lieu loin des côtes.
Pour le seul premier semestre 2011, le HCR a recensé près de 1500 décès dans le périmètre Malte-Libye-Tunisie-Sicile. Pourtant, à cette période, la zone était sous la haute surveillance des brigades Frontex et des navires sous commandement de l'OTAN. En mars 2011, 63 migrants fuyant la Libye sont morts dans leur embarcation à la dérive, malgré leur survol par un avion de patrouille et des SOS envoyés toutes les 4 heures pendant 10 jours. Ces morts sans nom et sans nombre en disent long sur les processus de déshumanisation des migrants, réduits à l'état d'individus surnuméraires qui peuvent disparaître sans laisser de traces. Parmi ceux qui arrivent à braver les obstacles naturels ou ont la chance de rencontrer une mère bienveillante, certains sont interceptés par la police aux frontières et devront attendre dans des camps que leur demande d'entrée sur le territoire soit instruite".
Source : Migreurop, "Dossier Forteresse Europe. L'itinéraire des migrants vers l'UE", Carto, n°14, novembre/décembre 2012, p. 16.
La mise en place et l'extension de l'espace Schengen
"Schengen, du nom d'une petite ville luxembourgeoise située près de la frontière entre l'Allemagne et la France, un terme devenu familier au grand public européen mais aussi à tous les migrants et candidats à la migration en Europe. L'extension en décembre 2007 de l'espace Schengen à neuf des douze nouveaux Etats membres de l'Union européenne, l'entrée de la Suisse à la fin de 2008, viennent de mettre en lumière les recompositions importantes qui s'effectuent dans les champ des migrations internationales en Europe, mais qui s'inscrivent, en fait, dans un espace beaucoup plus vaste, car les implications de cette mesure dépassent largement les frontières de ce continent. Le développement et le fonctionnement du système Schengen expriment l'importance de la régionalisation dans la régulation migratoire mondiale et la volonté des Etats d'établir un ordre sécuritaire régional dont l'espace s'inscrit au-delà des limites de l'Union européenne.
La mise en place progressive de l'accord et son contenu
La Convention de Schengen, issue de la volonté de plusieurs Etats, la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, de développer la libre circulation et de coordonner la lutte contre l'immigration clandestine, a été signée en 1985 et appliquée effectivement en 1995. L'espace Schengen s'est étendu progressivement à la majorité des Etats membres : l'Italie (1990), l'Espagne et le Portugal (1991), la Grèce (1992), l'Autriche (1995), le Danemark, la Finlande et la Suède (1996). La mise en place de l'espace Schengen, et son élargissement, son renforcement, son intégration théorique au sein du droit de l'Union par le traité d'Amsterdam (1997) et effective en 1999 ("l'acquis Schengen") constituent l'une des bases de la politique sécuritaire développée en Europe. Il y a un "avant" et un "après" Schengen, mais on observera cependant que son champ d'application ne coïncide pas complètement avec celui de l'Union européenne et que ce dispositif est essentiellement focalisé sur la police des frontières externes et qu'il ne constitue pas véritablement l'expression d'une politique migratoire commune pour le séjour des immigrés, ni encore moins pour le "vivre ensemble" au sein des sociétés européennes.
Parmi les principales mesures, la convention redéfinit les limites de ce "territoire sans frontière" en abolissant les contrôles aux frontières intérieures communes et les reportant aux frontières extérieures marquant la séparation, la ligne de contact aérienne, terrestre ou maritime entre un pays de l'Union avec un Etat non-membre de l'accord ou avec un pays tiers. L'instauration de cette barrière externe qui évolue spatialement, juridiquement, se fragmente en une multiplicité de lieux dans les ports et les aéroports, fait apparaître un concept nouveau dans la géographie politique du continent. L'accord définit aussi l'harmonisation des conditions d'entrée et de visas pour les courts séjours (dits "visas Schengen"), délivrés par un seul Etat. Le contrôle et la fermeture de cette frontière sont devenus la pierre angulaire de ce dispositif clé de la politique européenne. Par ailleurs, l'accord de Schengen vise aussi à coordonner et à développer la coopération policière et judiciaire entre les Etats signataires avec la mise en place du système d'information Schengen (SIS), à double finalité, justice et contrôle des flux migratoires, que les autorités souhaitent développer, dans l'avenir, par le recours aux nouvelles technologies et à la biométrie.
L'extension récente d'un espace réglementaire spécifique, au statut ambigu par rapport à l'Union européenne
L'espace d'application de Schengen diffère sensiblement de celui de l'Union : deux membres importants, le Royaume-Uni, l'Irlande restent à l'extérieur du dispositif, même si des aménagements permettent des coopération en matière d'information (SIS) et de coopération judiciaire. Neuf nouveaux membres de l'Union l'ont rejoint le 21 décembre 2007 (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte). En dehors de Chypre (admission prévue fin 2008), deux autres partenaires, la Bulgarie et la Roumanie n'y sont pas admis (dans l'attente de la réunion de toutes les conditions relatives à l'acquis de Schengen), alors que deux Etats extérieurs à l'Union européenne (Islande, Norvège) ont adhéré, qui seront rejoints par la Suisse fin 2008. D'où une certaine ambiguïté du statut de Schengen, accord à la fois intergouvernemental, intra-communautaire ("acquis Schengen" du traité d'Amsterdam), mais aussi extra communautaire.
L'extension de l'espace européen de libre circulation
Le principe de l'accord repose sur l'instauration d'un espace de libre circulation qui permet aujourd'hui à 400 millions d'Européens de se déplacer librement dans un ensemble régional de 3 600 000 km2, sans contrôles au passage des frontières intérieures, démarche qui applique le principe de libre circulation adopté par le traité de Rome, à l'origine de l'Union. Le traité de Maastricht avait fait de la liberté de circulation, d'installation et de travail l'un des attributs essentiels de la citoyenneté européenne et distingué les Européens communautaires des non communautaires. Néanmoins, ce dispositif qui favorise indiscutablement la circulation, le tourisme intérieur et les affaires à l'intérieur de cet espace ne confère pas la liberté d'établissement. Actuellement, les personnes qui sont en possession d'un passeport européen, les étrangers en possession d'un titre de séjour d'une durée supérieure à 3 mois ou d'un visa court (visa Schengen) peuvent circuler librement sur le territoire des autres Etats de l'espace Schengen, mais ne peuvent y séjourner plus de trois mois, ni y exercer une activité professionnelle sans démarche administrative."
Source : Gildas Simon, 2008, La planète migratoire dans la mondialisation, Armand Colin, collection U Géographie, Paris, pp. 223-225.
La mise en place et l'extension de l'espace Schengen
"Schengen, du nom d'une petite ville luxembourgeoise située près de la frontière entre l'Allemagne et la France, un terme devenu familier au grand public européen mais aussi à tous les migrants et candidats à la migration en Europe. L'extension en décembre 2007 de l'espace Schengen à neuf des douze nouveaux Etats membres de l'Union européenne, l'entrée de la Suisse à la fin de 2008, viennent de mettre en lumière les recompositions importantes qui s'effectuent dans les champ des migrations internationales en Europe, mais qui s'inscrivent, en fait, dans un espace beaucoup plus vaste, car les implications de cette mesure dépassent largement les frontières de ce continent. Le développement et le fonctionnement du système Schengen expriment l'importance de la régionalisation dans la régulation migratoire mondiale et la volonté des Etats d'établir un ordre sécuritaire régional dont l'espace s'inscrit au-delà des limites de l'Union européenne.
La mise en place progressive de l'accord et son contenu
La Convention de Schengen, issue de la volonté de plusieurs Etats, la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, de développer la libre circulation et de coordonner la lutte contre l'immigration clandestine, a été signée en 1985 et appliquée effectivement en 1995. L'espace Schengen s'est étendu progressivement à la majorité des Etats membres : l'Italie (1990), l'Espagne et le Portugal (1991), la Grèce (1992), l'Autriche (1995), le Danemark, la Finlande et la Suède (1996). La mise en place de l'espace Schengen, et son élargissement, son renforcement, son intégration théorique au sein du droit de l'Union par le traité d'Amsterdam (1997) et effective en 1999 ("l'acquis Schengen") constituent l'une des bases de la politique sécuritaire développée en Europe. Il y a un "avant" et un "après" Schengen, mais on observera cependant que son champ d'application ne coïncide pas complètement avec celui de l'Union européenne et que ce dispositif est essentiellement focalisé sur la police des frontières externes et qu'il ne constitue pas véritablement l'expression d'une politique migratoire commune pour le séjour des immigrés, ni encore moins pour le "vivre ensemble" au sein des sociétés européennes.
Parmi les principales mesures, la convention redéfinit les limites de ce "territoire sans frontière" en abolissant les contrôles aux frontières intérieures communes et les reportant aux frontières extérieures marquant la séparation, la ligne de contact aérienne, terrestre ou maritime entre un pays de l'Union avec un Etat non-membre de l'accord ou avec un pays tiers. L'instauration de cette barrière externe qui évolue spatialement, juridiquement, se fragmente en une multiplicité de lieux dans les ports et les aéroports, fait apparaître un concept nouveau dans la géographie politique du continent. L'accord définit aussi l'harmonisation des conditions d'entrée et de visas pour les courts séjours (dits "visas Schengen"), délivrés par un seul Etat. Le contrôle et la fermeture de cette frontière sont devenus la pierre angulaire de ce dispositif clé de la politique européenne. Par ailleurs, l'accord de Schengen vise aussi à coordonner et à développer la coopération policière et judiciaire entre les Etats signataires avec la mise en place du système d'information Schengen (SIS), à double finalité, justice et contrôle des flux migratoires, que les autorités souhaitent développer, dans l'avenir, par le recours aux nouvelles technologies et à la biométrie.
L'extension récente d'un espace réglementaire spécifique, au statut ambigu par rapport à l'Union européenne
L'espace d'application de Schengen diffère sensiblement de celui de l'Union : deux membres importants, le Royaume-Uni, l'Irlande restent à l'extérieur du dispositif, même si des aménagements permettent des coopération en matière d'information (SIS) et de coopération judiciaire. Neuf nouveaux membres de l'Union l'ont rejoint le 21 décembre 2007 (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte). En dehors de Chypre (admission prévue fin 2008), deux autres partenaires, la Bulgarie et la Roumanie n'y sont pas admis (dans l'attente de la réunion de toutes les conditions relatives à l'acquis de Schengen), alors que deux Etats extérieurs à l'Union européenne (Islande, Norvège) ont adhéré, qui seront rejoints par la Suisse fin 2008. D'où une certaine ambiguïté du statut de Schengen, accord à la fois intergouvernemental, intra-communautaire ("acquis Schengen" du traité d'Amsterdam), mais aussi extra communautaire.
L'extension de l'espace européen de libre circulation
Le principe de l'accord repose sur l'instauration d'un espace de libre circulation qui permet aujourd'hui à 400 millions d'Européens de se déplacer librement dans un ensemble régional de 3 600 000 km2, sans contrôles au passage des frontières intérieures, démarche qui applique le principe de libre circulation adopté par le traité de Rome, à l'origine de l'Union. Le traité de Maastricht avait fait de la liberté de circulation, d'installation et de travail l'un des attributs essentiels de la citoyenneté européenne et distingué les Européens communautaires des non communautaires. Néanmoins, ce dispositif qui favorise indiscutablement la circulation, le tourisme intérieur et les affaires à l'intérieur de cet espace ne confère pas la liberté d'établissement. Actuellement, les personnes qui sont en possession d'un passeport européen, les étrangers en possession d'un titre de séjour d'une durée supérieure à 3 mois ou d'un visa court (visa Schengen) peuvent circuler librement sur le territoire des autres Etats de l'espace Schengen, mais ne peuvent y séjourner plus de trois mois, ni y exercer une activité professionnelle sans démarche administrative."
Source : Gildas Simon, 2008, La planète migratoire dans la mondialisation, Armand Colin, collection U Géographie, Paris, pp. 223-225.
Ressources biblio/sitographiques :
- Michel Agier (dir.), 2007, "Terrains d'Asiles. Réfugiés, déplacés, sans-papiers face aux dispositifs de contrôle et d'assistance", Asylon(s), n°2, octobre 2007.
- Emmanuelle Bonerandi et Lydia Coudroy De Lille (dir.), 2008, "De nouvelles mobilités dans une Europe élargie", Espace populations sociétés, n°2008/2.
L' "encampement" des "indésirables" :
"L'Europe des camps d'enfermement"
Source : « L’Europe des camps d’enfermement », Olivier Clochard et Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, juin 2010.
A propos de la méthodologie de Migreurop pour construire cette carte : Caroline Intrand et Pierre-Arnaud Perrouty, 2005, "La diversité des camps d'étrangers en Europe : présentation de la carte des camps de Migreurop", Cultures & Conflits, n°57, pp. 71-90.
Emission Planète Terre, France Culture, 7 novembre 2011,
avec Olivier Clochard et Serge Weber, animée par Sylvain Kahn.
Le décompte des morts aux portes de l'Europe entraîne dans un autre aspect de la géographie des politiques migratoires européennes : celle des territoires d'attente des migrants lors de leur arrivée sur le sol européen. Cette carte de "L'Europe des camps d'enfermement" présente plusieurs types de lieux de contrôle et d'immobilité forcée pour les "étrangers" (voir notamment "Etrangers. Une obsession européenne", Télérama horizons, hors-série n°4, avril 2011, 98 p.). "Cette carte, qui pour des raisons pratiques représente les lieux fermés et identifiables auxquels ont été ajoutés certains lieux ouverts caractéristiques, permet de visualiser l'ampleur du phénomène de mise à distance des étrangers en Europe" (Caroline Intrand et Pierre-Arnaud Perrouty, 2005, "La diversité des camps d'étrangers en Europe : présentation de la carte des camps de Migreurop", Cultures & Conflits, n°57, pp. 71-90). Parmi les territoires de l'attente, le réseau Migreurop distingue différents types de lieux :
- en fonction des (im)mobilités et de l'enfermement des migrants :
- des camps fermés,
- et des camps ouverts.
- en fonction du type de fonction attribuée à ces lieux de confinement :
- des camps pour les étrangers en vue de l'examen de leur demande d'admission au séjour sur le territoire d'un Etat,
- des camps pour les étrangers présents sur le territoire d'un Etat et en instance d'expulsion,
- des camps combinant les deux fonctions (examen de ma demande d'admission et d'expulsion),
- et des lieux et camps informels des quartiers périphériques situés dans les grandes villes.
Cette carte recense ainsi les lieux de mise à l'écart des étrangers en différenciant lieux ouverts et lieux fermés, et en fonction de la diversité des régimes de détention.
La carte laisse apparaître des stratégies différentes à l'échelle des Etats au sein de l'Union européenne : ainsi, cette carte montre qu'en France, les deux fonctions (examen de la demande d'admission en bleu sur la carte / expulsion en rouge) sont très distinctes dans les camps, tandis qu'en Allemagne, les camps combinant les deux fonctions (en noir) sur plus nombreux. Derrière l'objectif commun d'externalisation des frontières de l'Union européenne, cette géographie des politiques migratoires européennes produit des territoires de l'attente pour les migrants aux formes très diverses.
Lieux de mise à l'écart : la notion de "camps" d'étrangers en question
La question pose nécessairement celle des termes employés : face à la diversité des noms donnés aux territoires de l'attente (camps de rétention d'étrangers, "jungles", centres d'accueil des demandeurs d'asile...), la notion de "camps" a pu être contestée dans un emploi pour désigner toutes les formes de territoires de l'attente pour les migrants. "La notion de camp d'étrangers pour Migreurop n'est pas uniquement définie par les lieux de privation de liberté tels que les camps de rétention, de détention ou les prisons. Afin de ne pas occulter une partie de la réalité des conséquences des politiques migratoires en Europe, le réseau a étendu le concept de "camps" à tout lieu de relégation où l'étranger est privé de ses droits - parfois seulement partiellement. Le terme va donc définir tous les types de lieux de mise à distance des étrangers : ainsi certains centres ouverts d'accueil, de transit ou d'hébergement, dans lesquels les étrangers sont cantonnés parce qu'ils n'ont pas d'autre choix que celui de s'y trouver, seront entendus comme des camps. Les lieux de regroupement informels des étrangers en errance, ou de regroupement dans l'attente du passage clandestin d'une frontière, comme en son temps Sangatte ou actuellement les camps du nord du Maroc, font également partie de ce que Migreurop rassemble sous le mot camp" (Caroline Intrand et Pierre-Arnaud Perrouty, 2005, "La diversité des camps d'étrangers en Europe : présentation de la carte des camps de Migreurop", Cultures & Conflits, n°57, pp. 71-90).
Dans l'Atlas des migrants en Europe, Emmanuel Blanchard revient sur cette question : "Le terme de "camp" est polysémique et s'applique à des formes diverses de clôture de l'espace. Même utilisé sans qualificatif, ce mot reste pourtant, dans nombre d'esprits, associé aux seuls camps de concentration et d'extermination de la seconde guerre mondiale. Son usage pour désigner des pratiques contemporaines d'internement ou de logement contraint demeure donc polémique. A l'instar de l'utilisation d'autres termes renvoyant aux Années noires, l'emploi du mot "camp" pour désigner des pratiques répressives contemporaines expose à l'accusation de révisionnisme historique. Ainsi, après 2003, les militants du réseau Migreurop, alors en voie de constitution, furent pris à partie, aussi bien par des ONG que par des acteurs gouvernementaux pour leur volonté de rompre avec une euphémisation qui ne rendait compte ni des conditions de vie des migrants, ni des techniques répressives utilisées à leur encontre". Pour les militants du réseau Migreurop, il faut "appeler un camp un camp" (Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, p. 63).
La diversité des lieux de mise à l'écart et d'enfermement des étrangers
"L'éventail des camps et des centres de rétention ou détention, d'attente ou de transit pour immigrants en Europe, et plus particulièrement dans l'Union européenne et l'espace Schengen, est large. Au-delà de la disparité de ces lieux, trois principales situations fonctionnelles sont à envisager : arrivée et identification sur le territoire, accueil et hébergement pendant les procédures légales en vue de l'obtention d'un statut de réfugié, d’un titre de séjour et, dans la négative, procédures d’éloignement du territoire.
Une typologie des centres pourrait être fondée sur le critère de leur fonctionnalité (identification, examen de la demande d’admission sur le territoire, accueil et hébergement, organisation d’une mesure de reconduite ou d’expulsion, etc.. ) ou sur celui du statut administratif et juridique des étrangers destinés à y être accueillis, hébergés ou détenus (demandeurs d’asile, étrangers interceptés à la frontière, étrangers en situation irrégulière interceptés sur le territoire, etc. ). Mais un même centre pouvait avoir plusieurs fonctionnalités et/ou accueillir ou détenir des personnes ayant des statuts administratifs et juridiques divers. Les politiques d’accueil et de détention, qui ne relèvent pas de la même logique et n'ont pas les mêmes objectifs, sont pourtant souvent confondues.
Les difficultés à établir une typologie proviennent de l’hétérogénéité des systèmes d’accueil et d’hébergement et des systèmes de détention et de renvoi des étrangers : variété des dénominations, variété des fonctions (de la simple réception / identification à l'accueil et l'hébergement pendant la procédure en allant jusqu'à la "préparation au retour"), variété des statuts administratifs et juridiques des étrangers détenus ou hébergés dans chaque type de centres. Dans certains pays, les demandeurs d’asile sont placés dans les mêmes centres pendant toutes les étapes de la procédure. Finalement, le critère du caractère ouvert ou fermé des centres est le plus clair : alors que les étrangers hébergés dans les centres ouverts peuvent entrer et sortir de ces centres, sous réserve d’éventuelles contraintes (demande d’autorisation de sortie, limitation du nombre de jours autorisés d’absence, etc…), les centres fermés se caractérisent par la privation de liberté imposée aux étrangers.
Il faut noter que tous les centres en fonction dans les pays de l'UE ne sont pas toujours répertoriés officiellement. Dans certains, il n’existe pas de liste officielle centralisée des centres (ex : Allemagne). En Grèce, en France, il n’y a pas de liste officielle exhaustive et mise à jour des Locaux de rétention administrative (LRA).
Les dénominations et localisations des centres fermés sont diverses. Près des points de passage des frontières, les étrangers détenus à leur arrivée sur le territoire peuvent être détenus dans des centres appelés "zone de transit", "zone d’attente", "centres de transit", "centres de rapatriement ou dans des locaux de la police des frontières. Dans certains pays il existe des centres fermés appelés "centres de réception", ou "centre d’identification" qui sont plus spécifiquement destinés aux demandeurs d’asile en vue de l’examen de leur admission dans la procédure ou le dispositif d’accueil.
Répartis au-delà des espaces frontaliers, sur le territoire des États, les centres de "détention", de "rétention administrative", "d’internement des étrangers", des "centres gardés pour étranger", "centre de renvoi, "centres d’assistance", sont destinés à la détention des étrangers en infraction avec la législation sur l’entrée et le séjour. On note aussi l’emploi d’établissements pénitentiaires qui ne sont pas spécifiquement réservés aux étrangers.
Du point de vue de leur localisation (voir cartes) et de leur dimension, les centrespeuvent être situés à proximité de lieux stratégiques (points de contrôles frontaliers, terrestres, maritimes ou aéroportuaires), de grandes villes ou répartis sur le territoire. La plupart des centres ont été aménagés dans des locaux déjà existant qui ont été réaffectés à l'hébergement des migrants : anciennes casernes ou bâtiments militaires (ex. : Malte, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Danemark), hangars ou anciens entrepôts de marchandises désaffectés (ex. : Grèce), ancienne plate-forme flottante utilisée autrefois en Mer du Nord amarrée dans le port de Rotterdam (Pays-Bas). D’autres pays ont simplement utilisé d’anciennes prisons (ex. : Belgique, Espagne) ou ont directement aménagé des zones séparées dans des centres pénitenciers, des prisons, en service pour les droits communs (ex. : Grande Bretagne, Irlande, Chypre, Grèce, Luxembourg, Autriche) ou dans des commissariats de police.
Dans certains pays, des centres fermés ont été installés dans des campements ou dans des bâtiments en préfabriqué destinés à être temporaires (ex : Malte, Grèce). Grilles, barbelés et mesures de sécurité ont été ajoutés à ces structures conçues et utilisées autrefois pour d’autres usages. Ces lieux ont souvent un aspect sinistre, voir déshumanisant (ex : dans certains centres en Italie, l’utilisation de cages et de containers est apparue particulièrement déshumanisant, également en Grèce)."
Les difficultés à établir une typologie proviennent de l’hétérogénéité des systèmes d’accueil et d’hébergement et des systèmes de détention et de renvoi des étrangers : variété des dénominations, variété des fonctions (de la simple réception / identification à l'accueil et l'hébergement pendant la procédure en allant jusqu'à la "préparation au retour"), variété des statuts administratifs et juridiques des étrangers détenus ou hébergés dans chaque type de centres. Dans certains pays, les demandeurs d’asile sont placés dans les mêmes centres pendant toutes les étapes de la procédure. Finalement, le critère du caractère ouvert ou fermé des centres est le plus clair : alors que les étrangers hébergés dans les centres ouverts peuvent entrer et sortir de ces centres, sous réserve d’éventuelles contraintes (demande d’autorisation de sortie, limitation du nombre de jours autorisés d’absence, etc…), les centres fermés se caractérisent par la privation de liberté imposée aux étrangers.
Il faut noter que tous les centres en fonction dans les pays de l'UE ne sont pas toujours répertoriés officiellement. Dans certains, il n’existe pas de liste officielle centralisée des centres (ex : Allemagne). En Grèce, en France, il n’y a pas de liste officielle exhaustive et mise à jour des Locaux de rétention administrative (LRA).
Les dénominations et localisations des centres fermés sont diverses. Près des points de passage des frontières, les étrangers détenus à leur arrivée sur le territoire peuvent être détenus dans des centres appelés "zone de transit", "zone d’attente", "centres de transit", "centres de rapatriement ou dans des locaux de la police des frontières. Dans certains pays il existe des centres fermés appelés "centres de réception", ou "centre d’identification" qui sont plus spécifiquement destinés aux demandeurs d’asile en vue de l’examen de leur admission dans la procédure ou le dispositif d’accueil.
Répartis au-delà des espaces frontaliers, sur le territoire des États, les centres de "détention", de "rétention administrative", "d’internement des étrangers", des "centres gardés pour étranger", "centre de renvoi, "centres d’assistance", sont destinés à la détention des étrangers en infraction avec la législation sur l’entrée et le séjour. On note aussi l’emploi d’établissements pénitentiaires qui ne sont pas spécifiquement réservés aux étrangers.
Du point de vue de leur localisation (voir cartes) et de leur dimension, les centrespeuvent être situés à proximité de lieux stratégiques (points de contrôles frontaliers, terrestres, maritimes ou aéroportuaires), de grandes villes ou répartis sur le territoire. La plupart des centres ont été aménagés dans des locaux déjà existant qui ont été réaffectés à l'hébergement des migrants : anciennes casernes ou bâtiments militaires (ex. : Malte, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Danemark), hangars ou anciens entrepôts de marchandises désaffectés (ex. : Grèce), ancienne plate-forme flottante utilisée autrefois en Mer du Nord amarrée dans le port de Rotterdam (Pays-Bas). D’autres pays ont simplement utilisé d’anciennes prisons (ex. : Belgique, Espagne) ou ont directement aménagé des zones séparées dans des centres pénitenciers, des prisons, en service pour les droits communs (ex. : Grande Bretagne, Irlande, Chypre, Grèce, Luxembourg, Autriche) ou dans des commissariats de police.
Dans certains pays, des centres fermés ont été installés dans des campements ou dans des bâtiments en préfabriqué destinés à être temporaires (ex : Malte, Grèce). Grilles, barbelés et mesures de sécurité ont été ajoutés à ces structures conçues et utilisées autrefois pour d’autres usages. Ces lieux ont souvent un aspect sinistre, voir déshumanisant (ex : dans certains centres en Italie, l’utilisation de cages et de containers est apparue particulièrement déshumanisant, également en Grèce)."
Source : Sylviane Tabarly, 2008, "L’Europe, une "forteresse" ? La gestion des politiques migratoires. Des lieux entre mobilités et immobilisations. Objectifs et activités de l’agence Frontex", Géoconfluences, 17 décembre 2008.
Ressources biblio/sitographiques :
- Claire Rodier, 2002, "Zone d'attente de Roissy : à la frontière de l'Etat de droit", Hommes & Migrations, n°1238, juillet/août 2002, pp. 23-31.
- Violaine Carrère, 2002, "Sangatte, un toit pour des fantômes", Hommes & migrations, n°1238, juillet/août 2002, pp. 13-22.
- Olivier Clochard, Antoine Decourcelle et Chloé Intrand, 2003, "Zones d'attente et demande d'asile à la frontière : le renforcement des contrôles migratoires ?", Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 19, n°2/2003, pp. 157-189.
- Claire Rodier, 2004, "Les camps d'étrangers, dispositif clef de la politique d'immigration et d'asile de l'Union européenne", dans Pierre-Arnaud Perrouty (dir.), 2004, La mise à l'écart de l'étranger, centres fermés et expulsions, Editions Labor, Bruxelles.
- Olivier Clochard, Yves Gastaud et Ralph Schor, 2004, "Les camps d'étrangers depuis 1938 : continuité et adaptations. Du "modèle" français à la construction de l'espace Schengen", Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 20, n°2/2004, pp. 57-87.
- Jérôme Valluy (dir.), 2005, "L'Europe des camps. La mise à l'écart des étrangers", Cultures & Conflits, n°57.
- Chowra Makaremi, 2007, "Vies "en instance" : Le temps et l'espace du maintien en zone d'attente. Le cas de la "Zapi 3" de Roissy-Charles-De-Gaulle", Ayslon(s), n°2, octobre 2007.
- Nicolas Fischer, 2007, "Entre urgence et contrôle. Eléments d'analyse du dispositif contemporain de rétention administrative pour les étrangers en instance d'éloignement du territoire", Recueil Alexandrie, collection Esquisses, n°9, février 2007.
- Sylviane Tabarly, 2008, "L’Europe, une "forteresse" ? La gestion des politiques migratoires. Des lieux entre mobilités et immobilisations. Objectifs et activités de l’agence Frontex", Géoconfluences, 17 décembre 2008.
- Anaik Pian, 2009, Aux nouvelles frontières de l'Europe. L'aventure incertaine des Sénégalais au Maroc, La Dispute, Paris, 237 p. (voir la recension d'Olivier Clochard pour la Revue Européenne des Migrations Internationales).
- Karen Akoka et Olivier Clochard, 2009, "Dans la jungle des villes", Vacarme, n°48, été 2009.
- Olivier Legros, 2010, "Les "villages d'insertion" : un tournant dans les politiques en direction des migrants roms en région parisienne ?", Asylon(s), n°8.
- Michel Agier, 2010, "Couloirs d'exil. Un paysage global de camps", Métropolitiques, 1er décembre 2010.
- Olivier Thomas, 2011, Des émigrants dans le passage. Une approche géographique de la condition de clandestin à Cherbourg et sur les côtes de la Manche, thèse de doctorat en géographie, Université de Caen.
- Olivier Thomas, 2012, "Voir ou ne pas voir les migrants ? Les camps de "clandestins" près des côtés de la Manche", Métropolitiques, 14 mai 2012.
Camps de détention et zones de transit en Belgique
"La Belgique compte six centres fermés pour étrangers. Le premier d'entre eux, fait de bâtiments préfabriqués, existe depuis 1988. Dans ces centres, environ 8 000 étrangers transitent chaque année en vue de leur expulsion ou de leur refoulement. Ces lieux d'enfermement sont très régulièrement l'objet de critiques d'ONG ou d'institutions internationales en raison de violations des droits fondamentaux des personnes. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné à trois reprises la Belgique pour des faits liés à la détention ou à l'expulsion d'étrangers. Les conditions matérielles de détention sont très variables d'un centre à l'autre et ne sont pas parmi les plus mauvaises d'Europe. cependant, les centres fermés belges sont clairement utilisés comme outil de pression sur les étrangers, les règlements y sont carcéraux et les durées de détention très longues, proches en cela des voisins des Pays-bas ou de l'Allemagne.
Deux de ces centres, situés dans l'enceinte de l'aéroport international, ont pour vocation de détenir des étrangers qui ne sont pas en possession des documents nécessaires pour accéder au territoire, ou parce que l'administration souhaite éclaircir les motifs de leur voyage. Parmi ces personnes, on distingue les demandeurs d'asile arrivés à la frontière aéroportuaire, détenus au centre 127. Ces derniers sont automatiquement détenus, et ce pendant toute la durée de leur procédure (ne pouvant cependant excéder deux mois et demi), en contradiction flagrante avec l'esprit de la convention de Genève. Un nouveau centre est en construction afin de remplacer ces deux centres frontaliers trop vétustes et au sein desquels il n'est pas même possible pour les détenus de recevoir de visite.
Les quatre autres centres du pays ont pour principale vocation l'éloignement des étrangers arrêtés sur le territoire. il peut s'agir de sans-papiers, mais aussi, dans plusieurs cas énumérés par la loi, de demandeurs d'asile, y compris les "cas Dublin", qui constituent une priorité pour l'Office des étrangers, qui est l'administration en charge des questions de séjour et d'éloignement. Le fonctionnement de ces centres est défini dans des règlements d'inspiration carcérale, dont l'un des objectifs est le contrôle des étrangers détenus. Outre le fait que la détention elle-même suscite souvent la colère des personnes qui la subissent, ces règlements ne font qu'accentuer la tension dans les centres. Les détenus sont soumis à un régime de groupe disciplinaire basé sur la menace permanente de sanctions, la mesure ultime étant le placement en cellule d'isolement. Cette punition, extrêmement stigmatisante, est régulièrement utilisée, sans que le détenu ait la possibilité d'avoir accès à une quelconque décision motivée la justifiant. (...)
De manière géénrale, l'accès aux soins dans les centres fermés est régulièrement montré du doigt par les ONG : détention de personnes gravement malades dont l'état ne devrait aucunement être compatible avec une incarcération, présence de médecins à la liberté d'action limitée car sous contrat avec l'administration et difficulté d'obtenir un avis médical indépendant, accès des détenus aux médecins filtré par le personnel, tels sont quelques-uns des éléments à l'origine des inquiétudes des membres d'ONG habilités à visiter les centres."
Source : Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, pp. 74-75.
La protection de la frontière de l'Union européenne :
les opérations de surveillance de l'agence Frontex
Explication par Claire Rodier de la carte « Les opérations de surveillance de l'agence » :
"Frontex (alias Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures) fait suite à plusieurs tentatives de coordination du contrôle de l'immigration en Union européenne (UE). prétendant surmonter l'alternative entre l'action de centres spécialisés disséminés sur le territoire de l'Union et la mise en place d'un corps européen de gardes-frontières, la création de Frontex en mai 2005 résulte d'un compromis entre, d'un côté, les tenants d'une communautarisation du contrôle et de la surveillance aux frontières extérieures et, de l'autre, les Etats membres soucieux de conserver leur prérogatives souveraines dans ce domaine.
Ayant son siège à Varsovie, Frontex est devenue opérationnelle en mai 2005. Son Conseil d'administration (CA) est composé d'un représentant de chaque Etat membre et de deux représentants de la Commission. Son autonomie financière est supposée garantie par une dotation du budget communautaire et des pays signataires de la convention de Schengen. Ses moyens de base sont en forte progression : 42 millions d'euros en 2007, 70 millions en 2008, pour des effectifs respectifs de 136 et 196 agents (contractuels, experts, détachés, consultants).
Du contrôle de l'immigration à celui des frontières des pays tiers
Les attributions de Frontex sont multiples. L'activité la plus médiatisée de l'Agence est la coordination d'opérations de contrôle et de surveillance à la frontière extérieure de l'Union en des points jugés particulièrement "à risque" en termes migratoires. Le CA valide la décision d'intervention, puis Frontex fait appel à des Etats membres pour qu'ils mettent à disposition du matériel et du personnel. En cas d'affluence de migrants jugée forte ou démesurée, Frontex peut, depuis août 2007, mobiliser des "équipes d'intervention rapide aux frontières" (RABIT, pour Rapid Border Intervention Team). Parallèlement, dans le but d'uniformiser les opérations aux frontières extérieures de l'UE, Frontex fait de la formation, principalement en direction de formateurs nationaux mais aussi d'agents appelés à participer à ses missions.
Frontex a su s'assurer du soutien de plusieurs organisations internationales telles que le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) et l'Organisation pour les migrations internationales (OIM). Cette collaboration illustre la volonté de l'Agence d'affirmer l'ambivalence de sa mission entre surveillance/contrôle et sauvetage. Cette posture a pour caractéristique de présenter les migrants comme des victimes passives qu'il convient de protéger contre les trafics d'etres humains et de s'assurer l'affichage médiatique d'une réponse "juste" à la "crise" migratoire entre répression et assistance. Les signaux négatifs qu'elle envoie en direction des migrants potentiels sont destinés à décourager toute tentative d'entrer irrégulièrement sur le territoire de l'UE. Elle sert ainsi comme un gage que les pays européens "agissent" vraiment pour gérer cette "crise" migratoire aux frontières.
L'agence a su également développer des relations privilégiées avec les gouvernements des pays "à risque", comme le Sénégal, où des agents européens apportent leur soutien aux forces de l'ordre locales afin d'empêcher les départs à la source. Ces activités particulièrement opaques sont peu soucieuses du respect des droits humains".
Source : Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, pp. 41-42.
La complexité des questions migratoires, entre surveillance/contrôle et droits de l'homme/protection, ne peut être comprise sans une analyse multiscalaire : à l'échelle de l'Union européenne, la montée généralisée des extrêmes droites pose l' "étranger" et le "migrant" au coeur des enjeux électoraux. A l'échelle des Etats membres de l'espace Schengen qui ont des frontières extérieures de l'Union européenne, l'externalisation de la politique migratoire (avec des contrôles et des dispositifs sécuritaires au Maroc, au sénégal ou encore en Mauritanie, par exemple) entre également dans ce "jeu" multiscalaire entre intérêts nationaux et intégration dans la politique communautaire. Enfin, le poids des acteurs économiques ne doit pas être négligé : que ce soit pour l'emmurement ou pour la gestion de la surveillance (notamment par sa technologisation), la protection de la frontière de l'Union européenne produit une "économie de la frontière".
La protection de la frontière de l'Union européenne : l'enjeu des marchés autour de la surveillance des frontières
Explication par Claire Rodier de la carte « L'enjeu des marchés autour de la surveillance des frontières » :
La politique migratoire européenne dessine une géographie sécuritaire de l'espace Schengen, par différents types de dispositifs spatiaux : l'emmurement des frontières extérieures de l'Union européenne, la mise en place d'un contrôle territorial aux frontières maritimes et terrestres, et l'externalisation du contrôle des frontières de plus en plus loin de celles-ci. Les politiques migratoires européennes tendent non pas à faire disparaître le "désir migratoire", mais à élargir l'espace migratoire. L'efficacité des dispositifs sécuritaires aux frontières de l'Union européenne tend à être remise en cause par les contournements établis par les réseaux de passeurs. Et ceux-ci tendent à leur tour à renforcer et durcir les stratégies de l'Union européenne, par une externalisation du contrôle des frontières extérieures dans un espace de plus en plus étendu. Ce jeu d'interactions entre le renforcement des contrôles à la frontière et les stratégies de contournement des dispositifs sécuritaires par les migrants et/ou les passeurs dessine une nouvelle géographie de la migration en Europe.
Les lieux de la surveillance des frontières de l'Union européenne :
"Vingt ans après la chute du mur de Berlin, de nouvelles barrières ont surgi en Europe, comme presque sur tous les continents. La Méditerranée, espace historique de brassages, a vu son rôle d'interface se renforcer avec la fixation de la frontière extérieure de l'espace Schengen. La tension est forte dans tous les détroits au carrefour des nouvelles routes migratoires, continentales et maritimes. Sur la rive nord de Gibraltar, les autorités espagnoles et européennes ont mis en oeuvre en 1998 le SIVE (Système intégré de surveillance extérieure). Depuis 2002, ce dispositif s'appuie sur une technologie (radars, caméras thermiques et à infrarouges) et des moyens d'intervention maritimes et aériens. Mais les stratégies de débordement utilisées par les réseaux de passeurs ont amené l'extension du dispositif sur les côtes de Malaga et de l'Andalousie, puis vers l'archipel des Canaries. La logique implacable (contournement-extension-contournement) continue à déplacer la surveillance vers des espaces sans cesse plus éloignés, la Muaritanie, puis le Sénégal, demain le golfe de Guinée. Autres lieux de surveillance et de tensions migratoires, le détroit de Sicile et Malte, où convergent les flux d'Africains transitant par la Tunisie et la Libye, le détroit d'Otrante entre Albanie et Italie, la frontière en mer Egée entre les îles grecques et turques. Tous ces lieux de haute intensité migratoire sont chargés d'espoirs fous, de déceptions, de drames aussi, car chaque jour des migrants risquent leur vie pour tenter de franchir ces murs dressés par les pays riches : près de 10 000 personnes auraient péri en mer entre 1992 et 2006, dont la moitié au large du Maroc".
Source : Gildas Simon, 2008, "Migrants et migrations du monde", La documentation photographique, n°8063, mai/juin 2008, p. 56.
les expulsions en 2009
Explication par Claire Rodier de la carte « expulsions en 2009 » :
Ressources biblio/sitographiques :
- Jérôme Valluy, 2007, "Solidarités et répressions envers les exilés : Le Maroc oriental sous pression de l'externalisation européenne de l'asile", Asylon(s), n°2, octobre 2007.
- Jérôme Valluy, 2007, "Contribution à une sociologie politique du HCR : le cas des politiques européennes et du HCR au Maroc", Recueil Alexandries, collection Etudes, n°1, mai 2007.
- Antoine Pécoud, 2010, "Contrôle des frontières, campagnes d'information et crédibilité des politiques d'immigration", Asylon(s), n°8.
- Emmanuel Berson, 2011, "Un mur sur le détroit de Calais", Recueil Alexandries, collection Esquisses, septembre 2011.
Les frontières de l'Union européenne
et l'outre-mer français : "Le soleil ne se couche
jamais sur l'Union européenne"
L'Atlas des migrants en Europe n'oublie pas de traiter d'un autre aspect de la frontière de l'Union européenne, souvent peu abordé : partant de la carte qui constate que "Le soleil ne se couche jamais sur l'Union européenne", recensant les différents territoires d'outre-mer des pays de l'Union européenne, cet atlas aborde également la question des "lointains bastions de la politique européenne", tout particulièrement autour du cas français : "l'espace Schegen ne comprend, de la France, que ses terres européennes. Pourquoi certaines terres ultramarines de la France en reproduisent-elles néanmoins le modèle ? Comment leurs pays voisins sont-ils devenus des symboles du concept d' "immigration clandestine", et des cibles de scores exceptionnels d'éloignement ? Pourquoi la France se vante-t-elle si peu de ces lointains fleurons de la politique européenne ?" (Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, p. 53). Le réseau Migreurop identifie ainsi "trois forteresses françaises contre la circulation régionale" : Mayotte, la Guyane et la Guadeloupe.
"L'archipel de Mayotte sous contrôle"
"Mayotte. Cette île est unie par une même culture, par d'étroits liens familiaux et par une circulation fluide aux trois autres composantes de l'archipel des Comores. Les aléas de la décolonisation ont abouti en 1974, après référendum, à l'indépendance de l'Union des Comores incluant les quatre îles. Mais en 1976 la France, passant outre les avis des Nations unies et de l'Union africaine, maintenait Mayotte dans la république en s'appuyant sur la volonté majoritaire de ses habitants, en dépit du fait que l'archipel forme un tout. Vingt ans devaient pourtant encore s'écouler avant que l'Etat français songe à appliquer, avec de nombreuses dérogations, ses normes à Mayotte. En 1995, le "visa Balladur", imposé aux Comoriens pour se rendre à Mayotte, concrétisait la rupture.
Depuis, la société mahoraise évolue rapidement, et Mayotte deviendra un département vers 2010 : bouleversement douloureux de la société par le passage rapide d'un statut local musulman vers un statut civil républicain accompagné, pour les Mahorais, d'avancées sociales et économiques qu'ils ne sont pas prêts à partager. Un tiers de la population est constitué de Comoriens qualifiés de "clandestins" même s'ils vivent souvent depuis longtemps à Mayotte et y sont intégrés à la vie sociale et économique. Chaque année depuis 2006, environ 16 000 d'entre eux (près de 10 % de la population) dont plus de 2 000 mineurs sont éloignés vers l'île d'Anjouan" (Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, p. 53).
"La Guyane : carrefour migratoire"
"Guyane. Deux longs fleuves frontaliers, le Maroni et l'Oyapock, percent une forêt amazonienne hostile. Les pirogues des ppulations du fleuve passent régulièrement d'un bord à l'autre depuis longtemps, bien avant que des Européens se risquent dans ces parages. de forts courants ou la forêt protègent la frontière maritime ou terrestre, alors que toute surveillance de ces voies fluviales restera illusoire. Les théâtrales opérations "Anaconda" contre le fléau de l'orpaillage clandestin frappent la main-d'oeuvre démunie venue du Nordeste brésilien mais rarement ceux qui, à Cayenne, en tirent profit. Elles masquent le nombre bien plus élevé d'interpellations dans les zones urbaines. Chaque année depuis 2006, entre 8 000 et 9 000 étrangers sont hâtivement éloignés - Brésiliens et Surinamiens surtout, parfois Haïtiens ou autres" (Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, p. 53)
==> Dans tous les territoires considérés, se pratique une géographie de l'isolement : la surveillance de la frontière tend à produire des dispositifs spatiaux de contrôle par l'emmurement de la frontière, la mise en réseau de patrouilles et de missions de contrôle aux frontières terrestres et maritimes, mais aussi par l'externalisation du dispositif sécuritaire. La gestion de cette surveillance doit être pensée en croisant les échelles d'analyse : enjeux locaux (notamment électoraux, mais aussi économiques), enjeux communautaires (les différentes géographies de l'Union européenne, entre le territoire communautaire, l'espace Schengen, la zone euro... qui ne forment pas un "tout" unique), enjeux internationaux. Les cartes s'avèrent des outils de diffusion de l'information, mais aussi de discours (voir le billet "La cartes-discours. Quelques éléments de réflexion") sur les politiques migratoires européennes : la production de cartes dénonçant le nombre de morts aux portes de l'Europe ou les coups humains et financiers de l'enfermement des étrangers dans des centres de rétention, participe d'une "géographie critique" proposée par Migreurop et bien d'autres.
Pour ne donner qu'un exemple de l'intérêt de ces représentations cartographiques, mais aussi de l'analyse de leur évolution : dans les années 1990, les cartes dans les manuels scolaires d'histoire et de géographie présentait l'espace Schengen comme un espace de libre circulation, l'enseignant étant, par le biais des programmes, à discuter des bienfaits de la libre circulation à l'intérieur de cet espace Schengen, sans que les frontières et leur surveillance/contrôle ne soient mis en avant dans les manuels. Aujourd'hui, la question migratoire est devenue prégnante dans nos sociétés, notamment en termes d'enjeux électoraux : les cartes, en tout premier lieu la carte des "milliers de morts aux portes de l'Union européenne", du fait de sa forte médiatisation, témoignent de l'évolution de la représentation dans nos sociétés du sens de l'espace Schengen. il ne s'agit plus en premier lieu d'un espace de libre circulation, mais d'un territoire de l'isolement.
Glossaire pour comprendre la géographie des migrations
"Mobilité : ce terme générique recouvre des mouvements impliquant un changement de position, un déplacement. Il désigne des phénomènes aussi divers que les déplacements pendulaires, touristiques, mais aussi les migrations résidentielles ou de travail. Les migrations sont donc un des aspects des mobilités humaines, tout déplacement ne constituant pas une migration.
Migration internationale : cette expression renvoie au déplacement d'un individu ou d'un groupe impliquant un changement de résidence (migration) et de pays (internationale). L'ONU définit le migrant comme "une personne qui change de pays de résidence".
Espace et champ migratoire : ce sont des espaces parcourus et structurés par l'ensemble des flux relativement stables et réguliers de migrants, quelle que soit leur origine ou leur destination. Ce concept permet de dégager les pratiques spécifiques de chaque groupe de migrants sur l'ensemble de l'espace parcouru, quelle qu'en soit l'échelle (locale, nationale, régionale, intercontinentale, planétaire), en tenant compte des différents acteurs du champ migratoire : le migrant, mais aussi sa famille, le passeur ou le douanier.
Circulation migratoire : cette notion a été forgée pour décrire la complexité croissante des phénomènes de mobilité internationale. Elle veut tenir compte à la fois des espaces concernés par les migrations, des déplacements accrus des personnes entre les différents lieux et des flux matériels (biens, services, transferts financiers) et idéels (normes, valeurs, représentations) induits par les migrations. Le migrant et le circulant, plutôt que l'immigré ou l'émigré, deviennent des figures centrales dans ces nouvelles orientations de la recherche universitaire.
Espace transnational : ce concept permet de rendre compte de la complexité croissante des phénomènes migratoires et de dépasser la représentation classique - espace d'origine et/ou espace d'installation - qui enferme dans des catégories duales. En pointant la dimension "transfrontière" des champs migratoires, ce concept met à la fois l'accent sur les capacités des migrants à traverser les frontières, à développer, le cas échéant, des stratégies de contournement des obstacles réglementaires ou institutionnels, à fixer des parcours migratoires stables et à installer des liens durables entre pays de résidence et pays d'origine."
Source : Gildas Simon, 2008, "Migrations et migrants du monde", La documentation photographique, n°8063, mai/juin 2008, p. 15.
Pour aller plus loin : sélection d'ouvrages et de numéros de revue sur la géographie des migrations
- Rémy Knafou (dir.), 1998, La planète "nomade". Les mobilités géographiques d'aujourd'hui, Belin, 250 p.
- Sylvie Chédemail, 1998, Migrants internationaux et diasporas, Armand Colin, collection Prépas Géographie, Paris, 188 p.
- Véronique Lassailly-Jacob, Jean-Yves Marchal et André Quesnel (dir.), 1999, Déplacés et réfugiés. La mobilité sous contrainte, IRD Editions, collection Colloques et séminaires, Paris, 504 p.
- Luc Cambrézy, 2001, Réfugiés et exilés. Crise des sociétés, crise des territoires, Editions des archives contemporaines, Paris, 216 p.
- Smaïn Laacher, 2002, Après Sangatte... Nouvelles immigrations, nouveaux enjeux, La Dispute, paris.
- Michel Burneau, 2004, Diasporas et espaces transnationaux, Anthropos, collection Villes-Géographie, Paris, 249 p.
- Véronique Lassailly-Jacob (dir.), 2006, "Territoires d'exil : les camps de réfugiés", Bulletin de l'Association de Géographes Français, vol. 83, n°2006/1.
- Serge Weber, 2007, Nouvelle Europe, Nouvelles migrations : frontières, intégration, mondialisation, Editions du félin, 118 p.
- Gildas Simon, 2008, "Migrations et migrants du monde", La documentation photographique, n°8063, mai/juin 2008,64 p.
- Gildas Simon, 2008, La planète migratoire dans la mondialisation, Armand Colin, collection U Géographie, Paris, 255 p.
- Michel Agier, 2008, Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, collection Bibliothèque des savoirs, Paris, 350 p.
- Luc Cambrézy, Smaïn Laacher, Véronique Lassailly-Jacob et Luc Legoux (dir.), 2008, L'asile au Sud, La Dispute, Paris, 221 p.
- Catherine Wihtol de Wenden, 2009, Atlas mondial des migrations. Réguler, réprimer... gouverner, Autrement, collection Atlas/Monde, Paris.
- Migreurop, 2009, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, réédition en 2012.
- Jérôme Lombard et Olivier Ninot (dir.), 2010, "Nouvelles mobilités dans les Suds", Espace populations sociétés, n°2010/2-3.
1 commentaire:
Joli travail de compilation et de synthèse sur cette thématique, bravo Bénédicte.
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