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mardi 15 novembre 2011

La ville-capitale, le pouvoir, la symbolique et la toponymie : sélection bibliographique/sitographique



A l'occasion de la mise en ligne de l'article de Julien Arnoult : "Quand les capitales déménagent", publié dans le magazine Carto (n°4, mars/avril 2011, p. 35), voici une sélection (bien évidemment subjective et non exhaustive) de ressources bibliographiques et sitographiques concernant les liens entre pouvoir et symbolique dans les villes-capitales.

Quand les capitales déménagent
Source : Julien Arnoult, "Quand les capitales déménagent", Carto, n°4, mars/avril 2011, p. 35.

On peut s'étonner, sur la carte proposée par Julien Arnoult, dans son article de l'absence de certains déménagements de capitales, et notamment de l'absence de l'Afrique sur cette carte (on pense notamment à la Côte d'Ivoire avec Yamoussoukro, au Nigeria avec Abuja, ou encore à la Tanzanie avec Dodoma), mais également le Brésil (avec Brasilia). Pourtant, la carte fait état de changement de capitales plus anciens que ceux-ci (Kyoto -> Edo/Tokyo en 1868 ; Istanbul -> Angora/Ankara en 1923, et plus récemment Karachi -> Islamabad en 1967) : y aurait-il des changements de capitales plus marquants, plus "sensationnels", dans l'imaginaire collectif ? Cette absence est intéressante en termes de perceptions et de représentations, dans la mesure où elle nous donne à voir les lieux marquants de l'imaginaire spatial collectif. L'absence de Brasilia sur cette carte, souvent citée comme exemple emblématique des transferts de capitales, rappelle qu'il existe deux types d'enjeux : la symbolique des lieux comme matérialisation d'un nouveau pouvoir et l'aménagement du territoire (le premier enjeu marquant davantage l'imaginaire collectif, dans la mesure où il s'agit d'un urbanisme autoritaire).

L'idée de changement de villes-capitales est tout d'abord liée, dans l'imaginaire spatial, à l'indépendance de certains Etats : la carte montre ainsi de nouvelles capitales en Asie centrale (avec Astana au Kazakhstan), mais l'on pourrait aussi penser aux indépendances africaines. Autre logique de déplacement de la ville-capitale : la volonté d'affirmer une rupture avec l'émergence d'un nouveau pouvoir ou d'un nouveau régime (sans qu'il y ait pour autant nécessairement une redéfinition des frontières nationales) : Julien Arnoult parle ainsi du Japon avec Edo - devenant Tokyo - au détriment de Kyoto, de la Turquie avec Angora - devenant Ankara - au détriment d'Istanbul...

C'est aussi un enjeu toponymique qui se joue dans la symbolique des lieux du pouvoir : la rupture n'est pas seulement mise en visibilité par le déplacement de la capitale dans une autre ville, mais aussi par le nouveau toponyme attribué à cette nouvelle capitale. Pour d'autres nouvelles villes-capitales, le pouvoir s'installe dans des villes nouvelles, créées "sur mesure" pour accueillir le nouveau pouvoir. L'architecture et le paysage sont alors modelés et mis en scène pour montrer le poids de ce nouveau pouvoir : c'est le cas du village de Yamoussoukro devenant la capitale de la Côte d'Ivoire indépendante sous le règne de Félix Houphouët-Boigny (qui fait ainsi de son village natal une ville nouvelle dotée de tous les ministères, de palais, d'une basilique gigantesque, d'une école militaire...).

Sur la carte de Julien Arnoult, on note enfin que des projets de déplacement de capitale sont en cours, comme par exemple "annoncé en 2005, le projet de déplacer neuf ministères et plusieurs agences gouvernementales d'ici 2014 de Séoul vers la ville nouvelle de Sejong, actuellement en construction en Corée du Sud" (à ce propos voir l'excellent Atlas de Séoul de Valérie Gelezeau, Autrement, collection Atlas Mégapoles, 2011 ; ainsi que l'émission "Séoul, nouvelle ville monde ?", Planète Terre, diffusée le 16 novembre 2011), ou encore le déplacement en projet de Jakarta au profit de Palangkaraya (à propos de Jakarta, voir l'excellent ouvrage de Jérôme Tadié : Les territoires de la violence à Jakarta, Belin, collection Mappemonde, 2006).

"Ville nouvelle ou remodelée, les récents changements de capitale ont été accompagnés de projets architecturaux et urbains démesurés. telle est la marque du nouveau départ des dirigeants à poigne" (Julien Arnoult, "Quand les capitales déménagent", Carto, n°4, mars/avril 2011, p. 35). Il est intéressant de noter le rôle de l'urbanisme et de l'architecture dans ces changements de villes-capitales : le pouvoir est, le plus souvent, mis en scène par des formes géométriques, symbolisant l'ordre et le contrôle. Le transfert des capitales pose la question de la symbolique des lieux et celle des pouvoirs dans la ville.



D'Abidjan à Yamoussoukro, de Yamoussoukro à Abidjan : la ou les ville(s)-capitale(s) ivoirienne(s)


Interroger des élèves, des étudiants ou des passants dans la rue : "quelle est la capitale de la Côte d'Ivoire ?". Une grande majorité vous répondra : "Abidjan". Pourtant, la capitale ivoirienne est bien Yamoussoukro, le village natal du premier président de la Côte d'Ivoire indépendante, Félix Houphouët-Boigny. Cette réponse ne souligne pas seulement une connaissance parfois approximative d'une Afrique regardée par le prisme du regard eurocentré (voir "Comprendre l'Afrique en évitant les idées reçues", compte-rendu du café géographique du 8 octobre 2011, animé par Georges Courade) : elle témoigne aussi de la relation entre Abidjan et Yamoussoukro, cette dernière ne s'étant jamais imposée comme capitale économique de la Côte d'Ivoire. Malgré le changement de capitale, Abidjan est restée le pôle économique de la Côte d'Ivoire, et progressivement certains fonctions politiques déplacées à Yamoussoukro ont été "rapatriées" à Abidjan, ville de l'ouverture de la Côte d'Ivoire sur le monde.


Pour le géographe Roland Pourtier, "Yamoussoukro est le plus bel exemple de "ville du prince" de l'Afrique contemporaine. Sa création a été décidée par Félix Houphouët-Boigny, qui domina la vie politique de Côte d'Ivoire de la Deuxième Guerre mondiale jusqu'à sa mort en 1993. Le lieu choisi est son village natal, dans les savanes du pays Baoulé. La ville a été construite grâce aux ressources provenant des exportations agricoles, principalement le cacao. L'ordre géométrique d'un schéma d'urbanisme grandiose et l'architecture monumentale gravent dans l'espace ivoirien la gloire de son fils le plus illustre. Aménagée pour accueillir 400 000 personnes, Yamoussoukro n'en compte pas encore la moitié : la crise économique ivoirienne de la fin des années 1980 a ralenti sa croissance. La ville cependant n'est plus une épure d'architecte ; elle occupe désormais une place bien réelle dans le réseau urbain ivoirien." (Roland Pourtier, "Villes africaines", Documentation photographique, n°8009, juin 1999, p. 40).


La ville de Yamoussoukro illustre bien les transferts de capitales dont il est question dans l'article de Julien Arnoult, c'est-à-dire celles qui ont pour objectif d'affirmer le pouvoir d'un homme et/ou d'un régime, en le rendant visible.





Bibliographie/sitographie sur Yamoussoukro, la ville du Prince :




Autres ressources sur Yamoussoukro :

  • Sylvy Jaglin, 1993, "L'ajustement gestionnaire à Yamoussoukro (Côte d'Ivoire) : le "Vieux" et la commune au "village" ", dans Alain Dubresson et Sylvy Jaglin (dir.), 1993, Pouvoirs et cités d'Afrique Noire : la décentralisation en question, Karthala, Paris, pp. 141-173.
  • Jean-Fabien Steck, 1997, Transports par cars et dynamique spatiale en Côte d'Ivoire : le cas de Yamoussoukro, mémoire de maîtrise en géographie, Université de Paris X, Nanterre, 175 p.
  • Jean-Fabien Steck, 2004, "Requiem pour une gare routière. Succès et fragilités d'un territoire informel à Yamoussoukro", Autrepart, n°32, pp. 95-114.





Brasilia (Brésil) : le transfert d'une capitale pour le rééquilibrage d'un pays


Devenue capitale du Brésil en 1960, "créée pour rééquilibrer la distribution de population brésilienne" (Neli Aparecida De Mello, François-Michel Le Tourneau, Hervé Théry et Laurent Vidal, 2004, Brasilia, quarante ans après, Editions de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine (IHEAL) / La Documentation française, Paris, p. 9) en conquérant les terres intérieures, Brasilia est souvent citée comme un exemple emblématique de la mise en scène du pouvoir dans l'architecture, l'urbanisme et la toponymie. 40 ans après sa création, Brasilia est souvent considérée comme un succès dans la mesure où "Brasília a rempli ces deux fonctions à la fois : elle est bien « un centre politique et administratif, jouissant de toutes les commodités possibles, pour elle-même et dans son voisinage », au point d’attirer des migrants fascinés par cet îlot de richesse, et même si elle n’était pas « placée dans une zone déjà très peuplée », le mouvement migratoire s’est chargé de créer cette situation. Elle a également été « un ferment, un centre de colonisation et d’irradiation », par l’intermédiaire des routes construites pour la desservir et la relier tant aux régions déjà peuplées qu’aux fronts pionniers de l’Ouest et du Nord. (...) Capitale politique incontestée, capitale pionnière dépassée par son succès même, Brasília est aussi aujourd’hui une métropole parmi les autres. On peut le regretter, parce que son projet original s’est affadi et parce qu’elle connaît désormais les mêmes tensions sociales que les autres métropoles. On peut aussi penser que, de ce fait, elle revient dans la norme et devient plus représentative de la nation brésilienne" (Neli Aparecida De Mello, François-Michel Le Tourneau, Hervé Théry et Laurent Vidal, 2004, Brasilia, quarante ans après, Editions de l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine (IHEAL) / La Documentation française, Paris, pp. 108-109).


L'exemple de Brasilia n'illustre pas le cas de transferts de villes-capitales pour l'affirmation du pouvoir d'un homme ou d'un régime, mais bien comme outil de l'aménagement du territoire national. Ce n'est pas la ville comme symbole du pouvoir qui est alors pensée, mais la ville comme outil de la construction nationale, autour des problématiques de rééquilibrage du peuplement et des activités.




Bibliographie/sitographie sur Brasilia :


D'autres ressources sur le Brésil à surveiller :
  • Le blog Braises du géographe Hervé Théry.
  • La revue franco-brésilienne Confins.






D'autres transferts de villes-capitales récents


La liste n'étant pas exhaustive, n'hésitez pas à me faire part des transferts de capitales récents (depuis la moitié du XXème siècle) que j'ai pu oublier. La liste sera mise à jour en fonction de votre aide, merci d'avance !




Pakistan : Karachi -> Islamabad
Nigeria : Lagos -> Abuja
Tanzanie : Dar-es-Salaam -> Dodoma
Kazakhstan : Almaty -> AstanaMalaisie : Kuala Lumpur -> Putrajaya
Birmanie : Rangoon -> Naypyidaw




La construction d’une capitale dans un lieu auparavant désert n’est pas un fait isolé dans l’histoire, bien au contraire. Plusieurs exemples de capitale de ce type peuvent, au contraire, êtres rapprochés de l’expérience brésilienne.• La construction de la ville de Washington date-t-elle de la fin du XVIIIe siècle. Un siècle plus tard, en 1800, la ville devenait la capitale des États-Unis.• Canberra, elle, a été fondée en 1913, et fut élevée au rang de capitale le 9 mai 1927. Le plan de Canberra fut choisi parmi 113 concurrents lors d’un concours international d’architecture. Le vainqueur, Walter Burlet Griffin, déclara que Canberra ne devrait ressembler à aucune autre ville du monde.• Islamabad est un peu plus récente que Brasília, puisqu’elle fut élevée comme capitale du Pakistan en 1959 et construite pendant les années 1960. Selon le journal officiel local, « Le plan directeur de cette ville, la plus moderne qui soit, a été dressé en 1960 par le cabinet grec d’architecture Constantinos Doxiades. Le chantier fut lancé en octobre 1961, et la ville fut inaugurée le 26 octobre 1966, date de la première installation d’un immeuble de bureau. ».Il faut noter que ces trois villes ont été construites à proximité d’autres grandes villes. Ainsi Canberra n’est qu’à 244 kilomètres de Sydney et Washington à 327 kilomètres de New York. Quant à Islamabad, elle est si proche de Rawalpindi qu’elles sont considérées comme une seule agglomération. Brasília, elle, se situe à 931 kilomètres de Rio de Janeiro et 870 kilomètres de São Paulo, à vol d’oiseau, la nouvelle capitale devant promouvoir la conquête de l’intérieur du pays.
Source : Neli Aparecida De Mello, François-Michel Le Tourneau, Hervé Théry et
Laurent Vidal, 2004, Brasilia, quarante ans après, Editions de l'Institut des Hautes
Etudes de l'Amérique Latine (IHEAL) / La Documentation française, Paris,  pp. 36-37.






Bibliographie/sitographie concernant Astana et le Kazakhstan :


"La mainmise présidentielle s’est illustrée de manière plus explicite encore au Kazakhstan par le changement de capitale. Le président Nazarbaev apparaît d’ailleurs comme la tête pensante de ce projet : il est souvent présenté comme l’instigateur de la réforme, un homme providentiel, le « grand architecte » de l’indépendance mais aussi du vaste chantier qu’est devenue la ville d’Astana. C’est ce qu’illustre cette phrase, que l’on peut lire dans un musée de la capitale kazakhstanaise : « Astana, la jeune capitale du Kazakhstan souverain, est devenue l’incarnation concrète de la conception eurasiatique du Président de la République du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev ». La décision unilatérale de déplacer la capitale vers Astana est symptomatique d’une structure pyramidale de l’appareil d’Etat. Le président se trouve au sommet, il règne en maître sur la « destinée » du pays et de la nation. L’impossible remise en question du projet et l’absence de concertation au sein de la classe politique témoignent d’un  processus de « présidentialisation » du pouvoir. Dans un tel contexte, on comprend mieux pourquoi opposition au projet de transfert du centre administratif était synonyme d’opposition au pouvoir en place et donc au président. Sans aller jusqu’à qualifier le projet de caprice présidentiel ou de pulsion mégalomane, le transfert de la capitale apparaît malgré tout comme le projet « fétiche » de Noursoultan Nazarbaïev"

Source : 
Adrien Fauve et Cécile Gintrac, 2009,
"Production de l'espace urbain et mise en scène du pouvoir dans deux capitales présidentielles d'Asie centrale", L'Espace politique, n°8, n°2009/2, paragraphe 10.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci de cette revue critique au sujet d'une question qui me passionne toujours autant !
Adrien Fauve