Droits d'auteurs et citations

Tous les éléments publiés sur ce blog peuvent être utilisés avec l'accord de l'auteur du blog et A LA CONDITION de citer les sources utilisées (qu'il s'agisse du ou des billets utilisés comme des auteurs cités dans le blog). Merci de respecter les droits d'auteur (pour tous les textes et documents utilisés dans le blog, y compris pour les auteurs cités). Pour me contacter : benedicte.tratnjek[at]gmail.com

mardi 11 novembre 2008

Les lieux de mémoire : préserver ou oublier la guerre ?


En ce 11 novembre est l'occasion de revenir sur la question de la commémoration et de la mémoire. Les guerres s'inscrivent dans les espaces urbains, et l'un des enjeux de la reconstruction est le choix entre un urbanisme ancré dans le souvenir et un urbanisme tournant radicalement la page. La guerre doit-elle avoir ses lieux dans la ville de l'après-guerre ? Cette question a été (parmi d'autres !) abordée à travers des exemples précis dans l'ouvrage collectif Villes en guerre (1914-1945) sous la direction de Philippe Chassaigne et Jean-Marc Largeaud (Actes d'un colloque, Armand Colin, Paris, 2004), avec notamment :
  • "La reconstruction des villes du Nord. Mémoire et identité", Bénédicte Grailles
  • "Propagande, vanadalisme et oubli. La statue d'Edith Cavell d'une guerre à l'autre", Christelle Sniter
  • "Gloire, destruction et amnésie. Reims, 1914-1938", Yann Harlaut
  • "Les villes françaises décorées de la Légion d'honneur pour faits de guerre 1914-1945", Xavier Boniface



Lieux de mémoire ou lieux de l'oubli

Les études sur les villes de l'immédiat après-guerre (notamment sur Beyrouth) ont montré que 2 dangers pouvaient mettre en péril le processus de reconstruction : l'indécision (qui allonge fortement le temps de la reconstruction et de la mise en pratique des projets) et la confiscation (où les habitants ne sont pas impliqués dans le processus de décision et de mise en pratique, se voyant ainsi privés de leur participation citoyenne). Comme le montre la géographe Liliane Barakat, "aujourd'hui [en 1995] la guerre est terminée, Beyrouth a été réunifiée mais le centre-ville demeure l'espace-néant, l'espace-refus d'une guerre que l'on veut trop vite oublier en détruisant les dernières images d'un passé figé dans les ruines" ("Le centre-ville de Beyrouth, pratiques et perceptions", dans Beyrouth : construire l'avenir, reconstruire le passé ?, collectif, Dossiers de "l'Urban Research Institute", Beyrouth, 1995, p. 198). Alors que l'ancien centre-ville de Beyrouth était devenue une zone de non-droit aux mains du Hezbollah depuis fin 2006, celui-ci pose également aujourd'hui la question de sa reconstruction : le démontage du campement n'en a pas, pour autant, "effacé" la permanence des tensions dans la ville, et les défis sont encore nombreux quant à l'avenir de ce centre-ville.

Ces 2 risques (indécision et confiscation) influencent directement le temps de la reconstruction, les lieux concernés et les inégalités spatiales qui en découlent, et les perceptions qu'ont les habitants de leur espace pratiqué. Une des principales question se pose autour de la problématique des lieux de mémoire : doit-on en construire ou oublier la guerre dans le nouvel urbanisme ? Quelle place dans la ville leur donner, quels symboles utilisés, dans quels lieux les implanter ? Un des risques est donc le rejet formel du passé proche, l'oubli total de la période de guerre, et donc le déni des tensions entre les populations qui sont pourtant encore très présentes dans les lendemains de la guerre. Cet oubli est d'autant plus dangereux qu'il pérennise les tensions dans leur silence, mais ne les efface pas. Un autre danger est celui d'exclure la population du projet de reconstruction : elle devient alors incapable de se réapproprier sa propre ville, et cette perception se ressent dans l'échec de la reconstruction du "vivre ensemble". L'exemple du pont de Mitrovica, pensé, conçu et reconstruit par la communauté internationale, voulu comme symbole de l'échange entre les populations, est à ce titre illustratif d'un lieu non approprié, voire "boudé" par la population, et du manque d'analyse des enjeux, des rivalités et des tensions sous-jacents dans le processus de reconstruction. Les lieux de mémoire entrent également dans cette problématique : il faut qu'ils deviennent des géosymboles non seulement médiatisés (le pont de Mitrovica a été une grande opération médiatique sur l'action de la communauté internationale, l'image s'est fortement "expatriée", mais un échec total auprès de la population, ne contrecarrant pas le repli sur soi communautaire extrême divisant la ville en 2 parties totalement distinctes). De plus, la question des emplacements de ces lieux de mémoire participe d'un débat plus large sur les enjeux de la reconstruction : doit-on les "implanter" dans les "espaces visibles" ou les répartir sur l'ensemble de la ville afin qu'ils soient appropriés par tous ? La reconstruction est, le plus souvent, géocentrée : le risque de marginalisation, voire d'exclusion, des périphéries urbaines n'en est que plus grand.


L'enjeu des lieux de mémoire est donc multiple : localisations, symboles utilisés, messages voulus, participation des habitants au débat, place attribuée au passé... La place de la commémoration dans la société de l'après-guerre n'est pas une question marginale, mais un symbole des nombreuses difficultés et vulnérabilités de l'espace urbain dans l'immédiat après-guerre.


Aucun commentaire: