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lundi 6 octobre 2008

Géographie politique de l'Irlande du Nord


Aux origines du conflit : une "guerre de religion" ?


Les racines de la question nord-irlandaise remontent à la Plantation d'Ulster en 1609. Les terres des clans indigènes sont distribuées en lots, à charge pour le propriétaire d'y installer des cultivateurs et d'y construire des ouvrages de défense. L'opération se solde par l'arrivée de 100 000 petits colons écossais, imprégnés d'éthique puritaine, dans le Nord-Est de l'Irlande, où ils défrichent les forêts, drainent les marais et fondent des villes. Cette mise en valeur repose sur la spoliation et la déportation des Irlandais, catholiques. C'est avant tout une opposition intercommunautaire pour la possession d'une terre. Un engrenage de révoltes et de répressions se met en marche et le sentiment calviniste d'élection se mue en préjugé sectaire. La religion appuie la haine de "l'Autre", "voleur" de terre, quelque soit le point de vue. En 1795, est fondé l'ordre d'Orange, pour défendre le roi d'Angleterre et ses héritiers tant qu'ils maintiendront une constitution protestante en Ulster.

Au XIXe siècle, l'Ulster, à la différence du reste de l'île irlandaise, participe à la révolution industrielle. Le prolétariat protestant voit les catholiques misérables affluant des campagnes comme des concurrents et la bourgeoisie, dépendante de la Grande-Bretagne, s'oppose à toute autonomie irlandaise, alors que les élites protestantes libérales dublinoises contribuent à l'émancipation nationale. Le 1er président de la République d'Irlande (dont le drapeau symbolise le vert des catholiques et l'orange des protestants réunis par le blanc de la concorde) sera un protestant (Douglas Hyde).

Quand Londres accorde à l'Irlande une indépendance conditionnelle en 1921, la géographie confessionnelle sert à justifier la partition de l'île, où les catholiques sont largement majoritaires, les protestants l'emportant légèrement en Ulster. Mais la frontière de l'Irlande du Nord ne coïncide pas avec celle de l'Ulster. Amputer l'Irlande du Nord de 3 comtés à écrasante majorité catholique permettait d'assurer le maintien de la suprématie protestante (mais si l'on enlevait également 2 autres comtés à légère majorité catholique, l'Irlande du Nord n'était plus viable).

Au fil des recensements, la proportion de catholiques et le nombre de districts où ils sont majoritaires progressent. Les Eglises protestantes établies (presbytériens, Eglise d'Irlande) déclinent au profit des Eglises dissidentes (évangélistes, baptistes), tandis que les personnes se déclarant sans religion sont de plus en plus nombreuses.




Quelques chiffres

1911
74 % de catholiques en Irlande
56 % de protestants en Ulster

1991
96 % de catholiques en République d'Irlande
62 % de protestants en Irlande du Nord






Le contexte historique du conflit

L'Irlande du Nord fait partie du Royaume-Uni depuis la conquête effectuée entre 1534 et 1691 par des colons protestants anglais et écossais. Les protestants ont imposé un système d'assujettissement de la population catholique jusqu'à la guerre d'indépendance. La guerre d'indépendance oppose entre 1916 et 1920 l'Armée britannique et l'IRA historique. Face aux demandes de la majorité catholique du Sud et de l'Ouest, et de la majorité protestante du Nord-Est, une loi en 1920 établit 2 administrations autonomes : l'Irlande du Nord (Ulster), et l'Irlande du Sud (Eire). Seule l'administration de l'Irlande du Nord a vu le jour (l'administration du Sud de l'île étant remplacée par l'Etat libre d'Irlande en 1922). En 1956, l'IRA tenta, par une série d'attentats à l'explosif, mal préparer, de forcer la Grande-Bretagne à reconsidérer sa position vis-à-vis de l'Ulster. C'est un échec total. De 1967 à 1969, les émeutes se multiplient (malgré les tentatives de retour au calme). D'où des manifestations de masse contre les manipulations électorales favorisant les candidats protestants dans des zones majoritairement catholiques (Londonderry, Armagh). Dès 1968, les tensions intercommunautaires s'engagent sur la voie du conflit armé. Les activistes catholiques décidés de prendre en main la sécurité de leurs quartiers créent une "zone de non-droit" connue sous le nom de "Free Derry" ("Derry libre"). Les manifestations étaient contrecarrées par des actions de groupes paramilitaires protestants (incendies de maisons appartenant à des catholiques). Des barricades catholiques ont été érigées en réponse aux barricades protestantes. Les émeutes finirent par attirer l'attention des médias du monde entier dès 1969 è l'indignation d'une bonne partie de la population britannique, l'émotion causée par les images de familles fuyant leurs maisons dévastées par les incendiaires protestants, le fracas des tirs automatiques au cœur d'une ville européenne, la radicalisation grandissante de la communauté catholique, braquèrent l'attention sur l'Irlande du Nord.




Un conflit intercommunautaire

En 1969-1970, la British Army est déployée à Belfast pour établir une séparation physique entre les 2 communautés. Les militaires britanniques ont été initialement accueillis en sauveurs par la communauté catholique (contrairement aux idées reçues). La mission des militaires britanniques était de protéger la communauté catholique des agressions des activistes protestants è la confession des soldats déployés ne compta pas tant que la mission de protection était remplie, à la satisfaction de tous. L'emploi des armes à feu aux mains de tireurs isolés a commencé à se banaliser. A cause du manque de connaissance du terrain et de la sous-estimation du degré d'exaspération des catholiques, des erreurs majeures ont été commises, comme des fouilles de l'Armée britannique dans les quartiers catholiques en 1970 et l'imposition d'un couvre-feu è mesures impopulaires qui ont brisé toute coopération entre la communauté catholique et les militaires britanniques (plus désormais considérés comme des protecteurs impartiaux). En 1970, l'IRA entra alors en action directe contre l'armée britannique (organisée en PIRA = IRA provisoire). Ces actions ont pour but d'isoler l'Armée britannique et briser le facteur sympathie qu'elle procurait à la communauté catholique (attentats à l'explosif, assassinats…). Ces actions terroristes ont pour objectif d'affirmer sa mainmise sur la population catholique, et d'écarter tout meneur d'opinion hostile à son action. L'appartenance religieuse est ainsi manipulée par l'IRA. Entre 1972 et 1976, les belligérants se professionnalisent. 1972 est l'année la plus meurtrière avec 467 morts (dont 223 civils, 103 soldats britanniques). Le 30 janvier 1972, surnommé Bloody Sunday, une manifestation se déroule durant laquelle 13 civils furent tués par les militaires britanniques. Le 21 juillet 1972, surnommé Bloody Friday, 1853 bombes tombent en moins d'1h30. Par la suite, la guerre civile ne cesse de faire des morts (3 100 entre 1972 et 1994), les attentats se succèdent. Le conflit est une guerre de libération coloniale è comme l'opposition pour le territoire entre les 2 peuples recoupe le clivage religieux, la religion est devenue un élément d'identification, et même de différenciation. Par exemple, en Irlande du Nord, on se dit "athée catholique" ou "athée protestant". Seulement, seulement 5 % des établissements d'enseignement sont mixtes (c'est-à-dire qu'ils accueillent les élèves sans distinction de religion).




Les premiers pas vers la paix

Epuisée par ces années de luttes violentes, l'Irlande du Nord cherche des solutions, aidée de l'Angleterre (elle aussi victime des troubles agitant l'Irlande du Nord) et de l'Irlande. Mais les 1ers accords (ceux de Sunningdale de 1973 et ceux de Hillsborough de 1985) échouent tous 2. En 1993, John Major (1er ministre britannique) franchit un pas décisif en proposant non plus seulement au SDLP (Social Democratic and Labour Party : parti catholique modéré prônant la non-violence) mais aussi au Sinn Féin (aile politique de l'IRA au poids électoral considérable) de participer aux pourparlers de paix. Les négociations débouchent sur un accord en 1995. Les paramilitaires des 2 camps cessent les hostilités. Mais les protestants extrémistes, comme ceux du DUP (Democratic Unionist Part) menés par le pasteur Ian Paisley, ralentissent consciemment le processus de paix, craignant une perte de pouvoir face à une démographie catholique croissante et craignant qu'un 1er pas vers la réunification ne soit franchi. En 1996, l'IRA reprend les armes.







Il faut attendre 1998 pour qu'un nouvel espoir de paix, fragile, naisse. C'est l'accord du Vendredi Saint, signé par 8 partis politiques (dont le DUP et le Sinn Féin), qui sont les partis les plus populaires des 2 communautés. Cet accord porte sur l'élection d'une assembnlée locale, un cessez-le-feu et le désarmement progressif des organisations paramilitaires. Plusieurs de ces organisations refusent. En 2002, le DUP se retire du processus de paix, accusant le Sinn Féin d'espionnage pour le compte de l'IRA. Mais de nouveaux espoirs se fondent le 28 juillet 2005 et le souhait de perspectives plus optimistes est alors permis. L'IRA dépose officiellement les armes et demande à ses membres de lutter désormais pour la réunification de l'Irlande par des moyens politiques. Depuis 2005, l'Irlande du Nord connaît un calme relatif et de nouveaux accords entre Irlande du Nord, Angleterre et Irlande se mettent en place. Néanmoins, les peacelines dans la ville de Belfast n'ont pas disparu du paysage urbain, et sont même devenues des projets urbanistiques en faveur de la paix : diviser pour mieux réconcilier ? L'avenir repose aujourd'hui sur des enfants qui n'apprennent pas à se connaître les uns et les autres et entretiennent la peur de leurs aînés.






Sources :

  • Raids, hors-série n°21, "Guerre au coeur de l'Europe : Irlande du Nord", 2007

  • Jennifer Heurley, 2001, Les frontières internes et externes de l'Irlande du Nord (Logiques territoriales et recomposition d'un espace conflictuel), thèse de géographie, université Paris-Sorbonne, 459 pages + annexes)


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