Les images du feu et des dégâts de la cathédrale Notre-Dame de Paris me ramènent inlassablement en tête cette autre image, choc médiatique pendant mon enfance, symbole de la fin de la Yougoslavie de mes grands-parents, l'image du violoncelliste Vedran Smailović, donnant un concert dans la bibliothèque nationale de Sarajevo, haut-lieu du vivre ensemble qui réunissait des héritages littéraires de strates historiques si variées, si pluriculturelles, bibliothèque en ruines, détruite par la guerre, volontairement, cible d'un urbicide s'acharnant sur les bâtiments avec rage pour en détruire la symbolique...
D'autres images de destructions de guerre n'ont cessé depuis de croiser mon chemin, par les médias, par mes travaux de recherche, en Afghanistan, au Mali, en Syrie et dans tant d'autres lieux où la ruine est volontaire et choisie...
Parmi des patrimoines détruits, beaucoup pourraient venir à l'esprit. Petite liste (malheureusement) loin d'être exhaustive :
- les bouddhas de Bamiyan en Afghanistan,
- Stari Most, le vieux pont de Mostar en Bosnie-Herzégovine,
- les mausolées de Tombouctou au Mali,
- les trésors archéologiques de Palmyre ou l'ancienne cité d'Alep en Syrie.
Si les guerres ont très souvent détruit des patrimoines, ceux-ci n'étaient souvent que des "dommages collatéraux", des cibles indirectes. A partir de la guerre civile espagnole, la protection des biens et patrimoines culturels va devenir l'une des préoccupations de la communauté internationale (NÉGRI, Vincent (dir.), 2014, Le patrimoine culturel, cible des conflits armés : de la guerre civile espagnole aux guerres du 21e siècle, Bruylant, Bruxelles), et le droit va progressivement évoluer vers une meilleure prise en compte de cette dimension symbolique de l'identité telle qu'elle peut être une cible volontaire dans les guerres.
L'une des grandes mutations des conflits armés post-guerre froide vient de la prégnance ces mémoricides, c'est-à-dire de cet acharnement à détruire, par leurs symboles, la mémoire de l'Autre ou d'un vivre-ensemble que haïssent certains belligérants. C'est pourquoi, en mars 2017 (seulement), la destruction volontaire du patrimoine culturel dans la guerre est devenue un crime de guerre, à la suite d'une résolution votée par le Conseil de sécurité des Nations unies.