Réaliser des cartes d'une guerre actuelle, au cours de laquelle les "lignes de front" entre les adversaires sont particulièrement mouvantes, pose tout d'abord la question de l'accessibilité et de la fiabilité des données. Mais aussi (et surtout) celle des choix cartographiques. Une carte thématique n'est pas neutre (à ce propos, voir le billet "La carte-discours. Quelques éléments de réflexion"), elle est une représentation de l'espace (et non une présentation). Les choix du cartographe et/ou de son commanditaire construisent une représentation de l'espace, mais n'en rendent qu'une partie, celle qui correspond à leur démonstration. De plus, le lecteur de la carte possède ses propres filtres de représentation : il perçoit et interprète la carte. Si la cartographie thématique francophone a été très marquée par la sémiologie graphique proposée par Jacques Bertin, la profusion de cartes sur Internet, dont on ne connaît pas toujours la source (date et auteur notamment), et encore moins les intentionnalités (quelle objectivité ?), tend à permettre une surenchère de la part d'interprétation de l'auteur et/ou commanditaire de la carte, tout en se parant des atours de l'objectivité cartographique (tout du moins d'une perception, erronée, de la carte qui dirait le "vrai", telle une présentation des réalités spatiales, alors qu'elle est et reste une représentation des réalités spatiales).
Lors de la réalisation de cartes sur l'état actuel des différents adversaires dans la guerre en Syrie pour le site Noria, ces questions d'accessibilité des données (quelle objectivité et quelle méthodologie pour les sources qui servent de référents aux cartes que l'on veut produire) et de choix cartographiques se sont révélées cruciales. Au moment de la conception et de la réalisation de ces cartes "Mapping competing strategies in Syrian conflict", le géographe Fabrice Balanche publiait son article "L'insurrection syrienne et la guerre des cartes" (Orient XXI, 24 octobre 2013), interrogeant et confrontant différentes représentations cartographiques de la guerre en Syrie. On se propose, dans ce billet, de confronter les réalisations cartographiques existantes et les difficultés de conception/réalisation qui existent dans la production cartographique sur la guerre en Syrie. Dans le cas des conflits armés, ces représentations peuvent être particulièrement empreintes de subjectivité et d'idéologies spatiales, et se révèlent non pas toujours des outils d'information et d'explication de la guerre en tant que tels, mais avant tout un matériau pour la compréhension des conflits de représentation qui se surajoutent au conflit armé.