Le prochain Café géographique de Toulouse aura pour thématique la géographie des conflits, autour du cas du Vietnam. Il aura lieu le mercredi 29 janvier 2014 au Bistrot de Julie (4 allée Paul Feuga, métro Palais de justice, Toulouse : voir un plan d'accès sur le site des Cafés géographiques). Le débat sera animé par Frédéric Fortunel (université du Maine) et Daniel Weissberg (université Toulouse 2 - Le Mirail).
Frédéric Fortunel, 2003, L'État, les paysanneries et les cultures commerciales pérennes dans les plateaux du centre Viêt Nam. L'autochtonie en quête de territoires, thèse de doctorat en géographie, Université Toulouse 2, p. 428. |
Présentation du Café géo "POUR UNE GÉOGRAPHIE DES CONFLITS : LE CAS DU VIETNAM" par Frédéric Fortunel et Daniel Weissberg :
"Reprenant l’expression que le général De Gaulle a utilisée pour la France, on pourrait dire que « le Viêt-nam s’est construit par l’épée ». Rares sont les Etats dont l’histoire est jalonnée d’autant d’épisodes guerriers, à tel point que les conflits semblent constitutifs de l’affirmation nationale elle-même. A cette histoire guerrière établie dans la longue durée – la formation progressive du territoire national, « Nam Tiên » ou « Marche vers le Sud » a duré plusieurs siècles-, il faudrait ajouter les multiples conflits dynastiques, les oppositions entre principautés rivales, les révoltes paysannes récurrentes et les rébellions antifiscales endémiques. Près d’un siècle de lutte anticoloniale (jusqu’à Dien Bien Phu en 1954), et deux décennies de guerre impliquant les plus grandes puissances prolongent cette histoire tumultueuse. Et pour clore (provisoirement ?) cette énumération il faudrait rappeler les violents affrontements de 1979 avec la Chine, conséquences eux-mêmes d’une invasion du Cambodge, suivie de dix années de présence armée dans ce pays.Cette histoire –pour le coup vraiment « pleine de bruits et de fureur »- explique sans doute que le Vietnam soit aujourd’hui un théâtre de conflictualités multiples dont presque toutes s’enracinent, peu ou prou, dans ces héritages.
A ce stade, il serait commode de distinguer deux types de conflits : les conflits internes et les conflits qui résultent de la place et du rôle que le pays revendique dans son environnement régional. Mais cette distinction serait simpliste : les conflits fonciers liés au développement de l’hévéaculture et d’autres cultures pérennes par exemple s’expliquent largement par l’engagement actif du Vietnam dans la mondialisation depuis l’adoption de la politique d’ouverture et de modernisation (Doi Moi). Acteurs et enjeux sont donc multiples, à la fois endogènes et exogènes. L’ouverture d’un terrain de golf ou l’urbanisation des périphéries urbaines n’opposent pas seulement les paysans chassés de leurs terres et les bureaucrates chargés de leur expropriation au nom de l’intérêt national. Investisseurs singapouriens, grandes firmes transnationales, organisations multilatérales en charge de la coopération sont autant d’acteurs puissants quoique peu visibles. Et toujours, dans le gant du libre marchése glisse la main de fer du parti unique, même si, non sans mal, un embryon de société civile se constitue. Malgré la censure, internet ouvre quelques lucarnes sur le monde. La lutte pour la liberté d’expression et des pratiques religieuses, un combat de tous les jours, n’est jamais gagnée, jamais perdue. Ici ou là, des groupes informels se constituent de façon aléatoire pour dénoncer le bradage des ressources nationales (la bauxite), la corruption ou les bas salaires.
Pour le géographe, les conflits au Vietnam et autour du Vietnam sont difficilement lisibles. La perception et le traitement par les autorités vietnamiennes des revendications chinoises sur les archipels Spratleys et Paracels en offre une parfaite illustration. Si les droits nationaux sont clairement revendiqués dans les instances internationales (de l’ASEAN aux Nations-Unies),cela va de pair avec un contrôle étroit des manifestations intérieures, tolérées ou réprimées selon les circonstances. Ce traitement reflète, entre autres, l’état des rapports de force internes au sein des instances du pouvoir, une perception différenciée des possibles alliances régionales, une conscience claire de la dissymétrie des forces en présence, sans que l’on puisse dire ce qui l’emporte au fil du temps.
D’une façon générale, les conflits au Vietnam seraient sans doute plus faciles à analyser s’ils s’inscrivaient sur des territoires déterminés. Mais ce n’est pas toujours le cas. De même, une typologie des conflits selon leur intensité ou leurs origines est peu efficiente tant sont intriqués les divers plans de conflictualités. Une approche par échelles serait peut-être un pis-aller acceptable. Elle permettrait de distinguer des conflits d’extension locale (conflits fonciers, conflits environnementaux), régionaux (déséquilibres territoriaux, problèmes liés aux mobilités internes), nationaux (statut des autochtonies, affirmation des droits fondamentaux liés à la personne humaine) et des questions internationales (rôle en Asie du Sud-est, relations avec la Chine, place du pays dans la division internationale du travail, etc.).
Mais au-delà de cette énumération –même incomplète-, la diversité des conflits au Vietnam souligne les difficultés du pouvoir en place depuis des décennies à passer d’une légitimité historique, acquise dans la lutte contre « l’étranger » et pour l’unité nationale, à une autre légitimité qui serait assise sur la croissance économique, l’instauration d’un Etat de droit et le progrès social."
Source : Site des Cafés géographiques.
GÉOGRAPHIE, CONFLITS ET VIETNAM :
"Dans le cadre des cycles familiaux et macro-économiques, le bassin caféier, cœur de la province, n'est plus le pôle attractif. Entre l'arrivée de migrants dans les marges forestières et la pression foncière qui pèse de plus en plus fort au centre, les populations les plus fragiles économiquement, dont l'essentiel est composé d'autochtones, se retrouvent pris en tenaille entre un centre où ils ne peuvent plus habiter et une périphérie où ils ne peuvent plus se réfugier. Cet élément est important car il est le résultat d'une série de resserrements territoriaux au centre de la province et dans les marges contribuant aux difficultés croissantes de certains villages autochtones.
Cette situation amène à des conflits fonciers nombreux et intenses dans les marges, c'est-à-dire dans les zones où se négocient les appropriations. Ainsi, selon des données partielles fournies par Vò §×nh Lîi, entre 1990 et 1998 dans les quatre provinces du Tây Nguyên plus de 2 500 conflits fonciers ont été recensés, ce qui équivaut approximativement à une nouvelle dispute par jour. On observe une multiplicité d'acteurs engagés dans ces conflits : ceux-ci opposent des paysans entre eux (entre autochtones, entre allochtones et autochtones) mais aussi des villages d'autochtones et des unités productrices ou administratives d'État.
Les réformes engagées dans les structures d'État touchant de près ou de loin le statut des autochtones ont eu pour effets de délimiter les terres mais surtout de réveiller de vieux conflits que l'autonomie de la paysannerie a fait resurgir. Au regard des vastes espaces concernés par les planifications des compagnies et des fermes d'État, on comprend pourquoi ces disputes sont d'autant plus délicates que les groupes en présence sont de puissance inégale. Une enquête récente au sujet des querelles foncières à Gia Lai, Dak Lak et Lâm Dông indique que sur les soixante disputes les plus âpres, 75 % concernent les villages autochtones et des unités collectives (coopératives, fermes d'État) ; 11 % ont pour acteur des unités collectives, des établissements et des bureaux administratifs, 8 % opposent des localités entre elles et 5 % des institutions cultuelles et des localités.
Ces conflits illustrent les contradictions qui se font jour à Dak Lak. Violence symbolique ou violence physique, les revendications sont d'autant plus acharnées qu'elles mettent en jeu la survie de chacun. Par la diffusion du modèle de "développement" promis par la caféiculture, les relations sociales se nouent autour de l'appropriation foncière et font se confronter des acteurs et des logiques différents, selon un droit univoque qui cloisonne le territoire."
Source : Frédéric Fortunel, 2003, L'État, les paysanneries et les cultures commerciales pérennes dans les plateaux du centre Viêt Nam. L'autochtonie en quête de territoires, thèse de doctorat en géographie, Université Toulouse 2, pp. 373-374.
Viêt-Nam du Sud. Défoliation, 1961 à 1971 et zones de guerre Source : Thao Tran, Jean-Paul Amat et Françoise Pirot, 2007, "Guerre et défoliation dans le Sud Viêt-Nam, 1961-1971. Aux sources de l'histoire", Histoire & Mesure, vol. 22, n°1/2007, pp. 71-107. |
GÉOGRAPHIE DU VIETNAM : QUELQUES RESSOURCES
Note : Cette bibliographie ne vise pas du tout l'exhaustivité, et renvoie aux références bibliographiques bien plus complètes proposées par chacune des ressources citées ici. C'est dans cette perspective qu'elle est présentée par ordre chronologique de parution.
- Frédéric Fortunel, 1999, "Logiques de fronts pionniers et enjeux de l'autochtonie dans les plateaux du Centre Viêt-Nam", dans Dynamiques agraires et construction sociale du territoire, pp. 31-38.
- Olivier Tessier, 2002, "Fondateurs, ancêtres et migrants : mobilité et reformulation des espaces d'appartenance dans un village du Nord Viêt-Nam", Moussons, n°6, pp. 99-132.
- Frédéric Fortunel, 2003, L'État, les paysanneries et les cultures commerciales pérennes dans les plateaux du centre Viêt Nam. L'autochtonie en quête de territoires, thèse de doctorat en géographie, Université Toulouse 2.
- Jean Michaud et Sarah Turner, 2003, "Tribulations d'un marché de montagne du Nord-Vietnam", Etudes rurales, n°165-166, pp. 53-80.
- Laurent Fages, 2004, De stratégies en tragédies : confrontations territoriales et évolutions des systèmes ruraux : exemples de groupes ethniques du Nord-Vietnam, thèse de doctorat en géographie, Université Bordeaux 3.
- Rodolphe De Konick, Frédéric Durand et Frédéric Fortunel (dir.), 2005, Agriculture, environnement et sociétés sur les hautes terres du Viêt Nam, Arkuiris, 224 p.
- Nguyên Tùng et Nelly Krowolski, 2005, "Hôi An, de l'éveil à la résurrection du patrimoine", Autrepart, n°33, pp. 141-155.
- Jean-Christophe Castella, Nathalie Rachel Tronche et Nguyen Vu, 2005, "Impact des dynamiques agraires sur les paysages de montagne au nord du Vietnam au cours de la décennie 1990", Cybergeo, rubrique Environnement, Nature, paysage, article 297, 30 janvier 2005.
- Thao Tran, 2006, Les perturbations anthropiques contemporaines dans les mangroves du Sud Viêt-Nam. Entre nature, civilisations et histoire. Approches par modélisation et analyse spatiales, thèse de doctorat en géographie, Université Paris 4.
- Thao Tran et Françoise Pirot, 2006, "Guerre et modélisation spatiale : pour une reconstitution historique de la défoliation (1961-1971) apppliquée au Sud Viêt-Nam", Actes de la conférence francophone ESRI, 17 p.
- Thi Hanh Nguyen, 2006, Les conflits frontaliers sino-vietnamiens de 1885 à nos jours, thèse de doctorat en histoire, Université Paris 1.
- Jean-Philippe Fontenelle, 2006, "La décentralisation de l'hydraulique agricole du delta du fleuve Rouge au Viêt-nam : rupture ou continuité ?", Hérodote, n°121, pp. 55-72.
- Frédéric Fortunel, 2007, "Le plateau des Boloven et la culture du café, entre division interne et intégration régionale", L'Espace géographique, vol. 36, n°3/2007, pp. 215-228.
- Thao Tran, Jean-Paul Amat et Françoise Pirot, 2007, "Guerre et défoliation dans le Sud Viêt-Nam, 1961-1971. Aux sources de l'histoire", Histoire & Mesure, vol. 22, n°1/2007, pp. 71-107.
- Steve Déry, 2007, "Les parcs nationaux en Asie du Sud-Est, une manifestation de la transformation de l'État moderne. Le cas du parc national Cat Tien au Vietnam", Géocarrefour, vol. 82, n°4/2007, pp. 219-230.
- Frédéric Fortunel, 2008, "Trajectoires foncières de minorités ethniques au Vietnam", Etudes rurales, n°181, pp. 103-114.
- Dao The Anh et Sylvie Fanchette, 2008, "La crise alimentaire mondiale : une opportunité pour relancer la filière rizicole au Vietnam ?", Hérodote, n°131, pp. 175-194.
- Christophe Gironde, 2008, "Grandes réformes et petits arrangements dans les campagnes vietnamiennes", Autrepart, n°48, pp. 113-127.
- Eric Mottet et Yann Roche, 2008, "L'urbanisation de la ville de Ninh Binh dans le delta du fleuve rouge (Vietnam) : mise en perspective des forces et faiblesses de la gestion du risque d'inondation", VertigO, vol. 8, n°3/2008.
- Steve Déry et Martin Tremblay, 2008, "L'implantation des aires protégées au Vietnam : quels impacts pour les populations locales ? Une étude de cas dans la province de Lam Dông", VertigO, vol. 8, n°3/2008.
- Christian Culas et Jean-François Klein (dit.), 2009, "Vietnam : Histoire et perspectives contemporaines", Moussons, n°13-14 :
- Christian Culas et Jean-François Klein : "Introduction : Vingt ans de recherches sur le Việt Nam (1990-2010)"
- Daniel Hémery : "L’Homme, un itinéraire vietnamien. Humanisme et sujet humain au XXe siècle"
- Jean-François Klein : "Une histoire impériale connectée ? Hải Phòng : jalon d’une stratégie lyonnaise en Asie orientale (1881-1886)"
- Emmanuelle Affidi : "Vulgarisation du savoir et colonisation des esprits par la presse et le livre en Indochine française et dans les Indes néerlandaises (1908-1936)"
- Caroline Herbelin : "Des habitations à bon marché au Việt Nam. La question du logement social en situation coloniale"
- François Guillemot : "Penser le nationalisme révolutionnaire au Việt Nam : Identités politiques et itinéraires singuliers à la recherche d’une hypothétique « Troisième voie »"
- Heinz Schütte : "Aspects architecturaux de la transformation de Hà Nội après le Đổi mới (1986) : contradictions, phantasmes, espoirs"
- Olivier Tessier : "« Aide » (giúp đỡ) et réciprocité dans une société villageoise du Nord du Vietnam : entre solidarité et dépendance"
- Sylvie Fanchette et Xuân Hoản Nguyễn : "Un cluster en expansion : les villages de métier de meubles d’art de Đồng Kỵ (Vietnam), réseaux sociaux, dynamiques territoriales et développement économique"
- Christophe Gironde : "Réformes, croissance, et augmentation des inégalités dans le delta du fleuve Rouge – Việt Nam (1980-2000)"
- Anne-Valérie Schweyer : "Buddhism in Čampā"
- Jérémy Jammes : "Caodaism and its global networks: An Ethnological Analysis of a Vietnamese Religious Movement in Vietnam and abroad"
- Agnès De Féo : "Les musulmans de Châu Đốc (Vietnam) à l’épreuve du satanisme"
- Emmanuelle Peyvel, 2009, "Mui Ne (Vietnam) : deux approches différentes de la plage par les touristes occidentaux et domestiques", Géographie et cultures, n°67, pp. 79-92.
- Viet Ha Phan, 2010, Les conflits fonciers dans le contexte de la transition agraire aux Hauts Plateaux du centre Vietnam, thèse de doctorat en géographie, Université Toulouse 2.
- Michel Bruneau, 2011, "Les logiques chinoise et vietnamienne d'expansion et d'intégration territoriales : une relation fractale ?", Cahiers d'Outre-Mer, n°253-254, pp. 209-232.
- Danielle Labbé et Clément Musil, 2011, "L'extension des limites administratives de Hanoi : une exercice de recomposition territoriale en tension", Cybergeo, rubrique Aménagement, urbanisme, article 546, 14 octobre 2011.
- Nguyen Qu'y Nghi, 2012, "L'instabilité organisationnelle des districts industriels. Dynamiques des transformations internes d'un village de métier au nord du Viêt Nam", Moussons, n°20, pp. 161-181.
- Gwenn Pulliat, 2012, "Se nourrir à Hanoi : les recompositions du système alimentaire d'une ville émergente", EchoGéo, n°21, juillet/septembre 2012.
- Gwenn Pulliat, 2013, "Les migrants à Hanoï : Construction politique d'un groupe social dominé", Espaces et sociétés, n°154, pp. 87-102.
- Frédéric Fortunel, 2013, "L'hévéaculture transfrontalière en Asie du Sud-Est continentale. la construction d'une division spatiale du travail entre Cambodge, Laos et Viêt-Nam", L'Espace géographique, vol. 42, n°2/2013, pp. 165-178.
Frédéric Fortunel, 2003, L'État, les paysanneries et les cultures commerciales pérennes dans les plateaux du centre Viêt Nam. L'autochtonie en quête de territoires, thèse de doctorat en géographie, Université Toulouse 2, p. 321. |
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