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samedi 12 mars 2016

Quand la bande dessinée s'empare de la ville (Revue Place Publique n°56)

Le n°56 de la revue Place Publique Nantes/Saint-Nazaire (mars/avril 2016) s’intéresse à la représentation de la ville dans la bande dessinée et à la place de la bande dessinée dans la ville (tout particulièrement autour des projets à Nantes et Saint-Nazaire). Si les liens entre développement territorial, ville et bande dessinée font immédiatement penser à Angoulême, son Festival international de la bande dessinée et à sa Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, d’autres villes françaises investissent la bande dessinée à la fois :
  • comme patrimoine (la ville représentée dans la bande dessinée, comme la valorisation de la représentation de Saint-Nazaire par Hergé dans Tintin),
  • comme outil de projets territoriaux, notamment dans le cadre de la reconversion de friches urbaines, tels que la Maison Fumetti, installée dans les murs de l’ancienne manufacture des tabacs à Nantes aux côtés de la bibliothèque municipale,
  • comme outil de marketing territorial avec, par exemple, l’exposition Dans les pas de Tintin, installée dans le port de Saint-Nazaire (et autres lieux nazairiens traversés par Tintin), offrant au passant la confrontation entre le port comme paysage et le port comme espace dessiné.
Tintin_port_Saint_Nazaire
C’est l’ensemble de ces thématiques qu’explorent le n°56 de Place Publique Nantes/Saint-Nazaire, paru début mars 2016.


Sommaire du numéro :
Quand la bande dessinée s’empare de la ville

« Nantes a le plaisir de vous annoncer la naissance d’une scène BD » (Franck Renaud) : Il est encore possible d’exister entre deux villes poids lourds de la bande dessinée, Angoulême et son Festival international de la BD et Saint-Malo, avec Quai des bulles, sans s’aventurer sur le même terrain. Nantes veut en donner la preuve et a fait le choix de créer une maison de la bande dessinée, intégrée à la bibliothèque de l’ex-Manufacture des tabacs. La Maison Fumetti se veut un lieu pour les auteurs, alors qu’une scène nantaise émerge nationalement, et destiné à donner le goût du 9e art au public.
« Avec la Maison Fumetti, auteurs de BD et bibliothèque sous le même toit » (Aymeric Seasseau) : Lieu dédié à la bande dessinée, la Maison Fumetti lâchera à l’été ses bouffées de BD depuis les murs de l’ancienne manufacture des tabacs, dans un bâtiment mutualisé avec la bibliothèque municipale. Pourquoi et comment Nantes mise-t-elle sur la bande dessinée ? Visite du projet avec Aymeric Seassau, l’adjoint en charge du livre.
« Nantes, de la « ville qui bouge » à l’aimant à dessinateurs à BD » (Dominique Sagot-Duvauroux) : Si les retombées financières de la culture ne sont pas négligeables pour une métropole, tout ce qui gravite autour des activités créatives aide également à remodeler une ville et à dessiner une « ambiance » urbaine. Économiste de la culture, Dominique Sagot-Duvauroux détaille les étapes qui ont permis à Nantes de s’installer parmi les villes « créatives ». Il précise également à quelles conditions la scène nantaise de la bande dessinée pourra exister entre Angoulême et Saint-Malo, les villes qui organisent les deux principaux festivals de BD.
« La frontière entre villes imaginaires et villes réelles est assez mince » (Bénédicte Tratnjek) : Comment la ville, les villes, sont-elles représentées dans la bande dessinée ? La géographe Bénédicte Tratnjek, qui mène une recherche sur les villes en guerre dans la BD, explore ces représentations depuis la ville nord-américaine de Little Nemo au début du 20e siècle. Si les mégalopoles investissent massivement les cases, avec Titeuf et Cédric, les banlieues et le périurbain ne sont pas oubliés.



« Abécédaire : Du général Alcatraz à Michel Vaillant » : À Nantes comme à Saint-Nazaire, le monde la BD déborde des cases des albums. Cet abécédaire en témoigne, voulant montrer la diversité de cette scène qui n’hésite pas, par exemple, à se frotter au catch dessiné. Il ne prétend surtout pas à l’exhaustivité et ne reprend pas les auteurs ou œuvres cités par ailleurs dans notre dossier.
« La BD ? Il faut travailler ! Nantes, de case en case » (Erwann Pivaut) : Une vingtaine d’étudiants sortent diplômés chaque année de la filière « bande dessinée » de l’École Pivaut à Nantes. Une formation reconnue pour cette école privée fondée voilà plus de trente ans par un chaudronnier-soudeur passionné de dessin.
« La longue aventure du retour de Tintin à Saint-Nazaire » (Jean-Claude Chemin) : C’est certainement la plus longue et la plus récente des aventures de Tintin, engagée en 1986 : celle de son retour à Saint-Nazaire. Comment six vignettes se sont échappées de l’album Les 7 Boules de Cristal pour s’installer dans une ville qui avait le moral en berne. À l’origine de l’histoire, des lecteurs attentifs d’Hergé qui ont carillonné à Moulinsart.
« Nantes, capitale mondiale de la BD du monde ! » (Vincent Sorel) : De la préhistoire à aujourd’hui, voici un clin d’œil en cinq planches, à la fois moqueur et amical, sur Nantes, capitale mondiale – et peut-être même intersidérale – de la bande dessinée. Lorsque le comité de rédaction de Place publique a décidé de consacrer le dossier de ce numéro à un état des lieux du neuvième art à Nantes et à Saint-Nazaire, au pourquoi et au comment de la création de la Maison Fumetti, nous avons aussi souhaité publier une BD originale.
« La bande dessinée permet à Angoulême de tirer son épingle du jeu » (Jean-Pierre Mercier) : C’est toute une « culture jeune » qui impose la BD dans les années soixante et soixante-dix en France, déjà – comme aujourd’hui – premier marché européen. Profitant de cette passion française pour le dessin et les bulles, le Festival international d’Angoulême, créé en 1974, lui servira de « caisse de résonance ». Considéré comme un des meilleurs connaisseurs de la bande dessinée, Jean-Pierre Mercier, feuillette pour Place publique cette histoire.
« Jules Grandjouan, les images et les mots de la révolte » (Didier Guyvarc’h) : Avec Honte à celui qui ne se révolte pas contre l’injustice sociale, le dessinateur nantais Jules Grandjouan signe en 1910 une toile qui peut se lire comme une bande dessinée, écho graphique aux luttes sociales de l’époque. Quand le graphiste met son art au service au service de la révolution.

jeudi 10 mars 2016

La ville et la guerre dans la bande dessinée

Ce texte est un extrait du compte-rendu du Café géographique de Paris du 28 janvier 2014, sur le sujet  « Représenter l’espace urbain dans la bande dessinée  » (avec Aymeric Landot) suite à la journée d’études du Laboratoire junior Sciences Dessinées du 18 septembre 2013 : Ville et bande dessinée, avec Benoît Peeters comme invité du grand entretien. L’intégralité du compte-rendu a été publiée sur le site des Cafés géographiques que nous remercions de cette invitation. Ce texte a été préalablement publié sur le carnet de recherche du Laboratoire junior Sciences dessinées (ENS de Lyon).
Voir également le billet « La ville dans le manga, entre urbaphilie et urbaphobie ».  Voir tous les billets de la série “Café géo Ville et BD”.

La ville et la guerre dans la bande dessinée
Qu’il s’agisse des comics ou des mangas, de nombreuses bandes dessinées explorent la ville comme un territoire de violences, mais aussi comme l’espace où émergent des héros urbains. Les superhéros des comics, ou Ryo Saeba qui, dans Angel Heart (la suite alternative de City Hunter) déclare : « On n’est pas dans la jungle ici ! La ville a sa propre façon de combaaaattre ! » (Tsukasa Hōjō, Angel Heart, tome 2 saison 1, Générations Comics, p. 214). Bénédicte Tratnjek propose donc de poursuivre sur des représentations plus ancrées sur les espaces du « réel » autour de la figure de la ville en guerre. C’est à la fois en tant que lectrice de bandes dessinées et par ses recherches en doctorat qu’elle a abordé la BD par l’approche spatiale : cette réflexion sur la représentation de la ville en guerre dans la bande dessinée provient donc d’un questionnement méthodologique sur le poids de ses propres imaginaires dans la manière dont elle pense son objet d’études, la ville en guerre.
La ville et le combat « urbain » dans City Hunter / Angel Heart Source : Tsukasa Hōjō, Angel Heart, tome 2, saison 1, p. 114.
La ville et le combat « urbain » dans City Hunter / Angel Heart
Source : Tsukasa Hōjō, Angel Heart, tome 2, saison 1, p. 114.
Nombreuses sont les bandes dessinées qui prennent la ville en guerre ou la ville de l’immédiat après-guerre comme espace-cadre de la fiction ou de la non-fiction. Certains hauts-lieux médiatiques de la guerre, de la destruction et de la reconstruction sont très présents dans la BD. C’est le cas du pont de Mostar, que l’on retrouve autant dans les carnets de voyage dessiné de Jacques Ferrandez, Le tramway de Sarajevo (Casterman, 2005) ou dans la BD autobiographique du croate Frano Petruša, Meilleurs vœux de Mostar (Casterman, 2012). Comme le rappelait Fabien Nury lors d’une table-ronde aux Rendez-vous de l’histoire de Blois de 2013, intitulée « Pourquoi la BD est-elle « partie en guerre » ? », « à moins d’être fou-furieux, aucun d’entre nous [les auteurs de bande dessinée], la guerre, n’a envie de la vivre. Ou de la voir. Je parle de la vraie. C’est l’horreur, et on détourne le regard. Qui d’entre nous a envie d’aller se promener en Syrie ? Pour autant, la guerre nous passionne et nous fascine tellement qu’elle est un genre littéraire, cinématographique et de BD à part entière, à œuvres qui se comptent par milliers ». Qu’il s’agisse de la Première Guerre mondiale [1] – depuis l’incontournable travail de Jacques Tardi (avec C’était la guerre des tranchées, 1914-1918Le Der des DersPutain de guerre !Adieu Brindavoine, etc.), jusqu’à des bandes dessinées plus récentes : Notre mère la Guerre (Maël et Kris), les deux premiers tomes de Mattéo (Jean-Pierre Gibrat), L’Ambulance 13 (Patrick Cothias, Patrice Ordas et Alain Mounier), Cicatrices de guerre(s) (collectif), Vies tranchées. Les soldats fous de la Grande Guerre (collectif), Svoboda ! (Jean-Denis Pendanx et Kris), Le Décalogue(Frank Giroud)… – ou de guerres très récentes – depuis la guerre de Bosnie-Herzégovine aux guerres d’Afghanistan (dont le célèbre kaboul Disco où Nicolas Wild nous raconte les territoires du quotidien dans un Kaboul très éloigné des espaces du sensationnel médiatique) et d’Irak –, les espaces de guerre sont particulièrement présents dans la bande dessinée. Dans la représentation des espaces de la guerre, les dimensions spatiale et paysagère sont particulièrement importantes, tant pour la lecture que pour créer une « ambiance ». Ainsi, la Grande Guerre dans Corto Maltese (Hugo Pratt) est proposée avec une forte distanciation, Corto s’aventurant par-delà les espaces de combat et vivant l’espace par la liberté. C’est davantage une approche romantique de la guerre, et surtout une approche romantique des espaces de la liberté qui nous sont ici donnés à voir. Beaucoup de bandes dessinées récentes ont approché la guerre, avec (ou peut-être malgré) l’héritage de Jacques Tardi, c’est-à-dire par une très forte représentation de l’espace de la bataille, et des « paysages du sang » qu’elle produit. « Dans leur(s) représentation(s) de la Grande Guerre en bandes dessinées, les dessinateurs utilisent des éléments signifiants permettant aux lecteurs d’authentifier le contexte historique dans lequel se déroule les aventures qui lui sont proposées » [2]. A propos de Notre mère la Guerre, Kris précise ainsi avoir été particulièrement marqué par les traces de la Grande Guerre dans les paysages de Verdun [3]. La dimension paysagère est particulièrement présente dans la BD pour représenter ce que fait la guerre, ce qu’elle fait faire aux hommes, ce que sont les cicatrices qui s’ancrent par-delà le temps des combats.
Tout comme les paysages de la Première Guerre mondiale, les paysages yougoslaves et post-yougoslaves sont particulièrement représentés dans la bande dessinée. Dans ces cas précis, la ville est beaucoup plus présente. D’une part, parce qu’elle a été l’espace-cible de nombreux combats ; d’autre part, parce qu’elle a été, en tant que ville en guerre, fortement médiatisée. Les toponymes de Sarajevo et Mostar (Bosnie-Herzégovine), Vukovar et Dubrovnik (Croatie) ou encore Priština et Mitrovica (Kosovo) sont désormais associés, dans l’imaginaire spatial collectif, à une géographie de la violence. La richesse du corpus multiplie les approches, les types de bandes dessinées, mais surtout le différents rapports à l’espace de la ville en guerre : depuis des auteurs ex-yougoslaves comme Frano Petruša (Guerre et matchMeilleurs vœux de Mostar), Tomaž Lavrič (Fables de Bosnie), Tito (Le Choix d’Ivana) ou encore Gani Jakupi (La dernière image. Une traversée de l’après-guerre), jusqu’aux BD de reportage (dont les célèbres BD du journaliste étatsunien Joe Sacco avec The Fixer, une histoire de SarajevoGoražde, la guerre en Bosnie orientale 1993-1995Noël avec Karadžić et Šoba – les deux ont été réunis dans l’album Derniers jours de guerre. Bosnie 1995-1996) ou aux récits fictionnels d’auteurs « extérieurs » (Sarajevo-Tango de Hermann, Brouillard au pont de Bihacde Gabriel Germain et Jean-Hugues Opppel, Clichés de Bosnie d’Aurélien Ducoudray et François Ravard, etc.), les espaces yougoslaves (Goražde, la guerre en Bosnie orientale 1993-1995Meilleurs vœux de MostarOuya Pavlé. Les années yougo…) et les territoires post-yougoslaves (Clichés de BosnieLa dernière image. Une traversée de l’après-guerreLe Choix d’Ivana, etc.) sont particulièrement présents dans la bande dessinée [4], y compris dans le manga, avec par exemple Fleur de pierre (Hisashi Sakaguchi) qui prend scène dans les territoires pré-titistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de ces bandes dessinées ont trouvé un écho dans l’enseignement de l’histoire [5], mais peu encore dans celui de la géographie. Pourtant, elles dessinent une géographie des conflits qui donnent à voir les paysages de guerre et ceux de la reconstruction, les mobilités et pratiques spatiales d’habitants « ordinaires » confrontés à l’« extraordinaire », le vivre-la-guerre par les espaces domestiques et la rue… Autant de thématiques qui intéressent directement les géographes, et qui dans la bande dessinée prennent la forme d’une géographie subjective et d’une géographie de l’émotion.
Contrairement aux récits fictionnels des comics où les menaces urbaines apparaissent être les méfaits de personnages qui sont les produits de la ville et s’opposent à la ville par ses marges (ces personnages sont des marges sociales qui agissent, voire pour certains vivent, dans des marges spatiales), les récits dessinés autobiographiques ou les BD de reportage nous donnent à voir l’ancrage de la guerre dans les territoires du quotidien, par-delà l’action des personnages, par-delà le jeu des acteurs. On retrouve dans la bande dessinée de non-fiction sur la ville en guerre cette « efficacité géographique de la guerre sur la ville » dont parle la géographe Elisabeth Dorier-Apprill [6]. La représentation d’espaces « réalistes » passe, en tout premier lieu, par une mise en scène de hauts-lieux et d’espaces géosymboliques : ces bandes dessinées montrent des paysages urbains fortement situés dans le temps et dans l’espace. The Fixer, une histoire de Sarajevo de Joe Sacco commence, ainsi, par une première planche qui montre les joueurs d’échec de Sarajevo, tenant une partie d’échecs avec des pions géants sur une place de la partie autrichienne de la ville-centre, puis la balade dans Sarajevo du journaliste entraîne le lecteur à la rencontre de hauts-lieux qui sont autant les symboles de l’identité sarajévienne que les marqueurs spatiaux de la guerre et de la destruction : l’hôtel Holiday Inn comme haut-lieu de la présence des médias dans Sarajevo en guerre, « Momo et Uzeir », le surnom des deux très hautes tours jumelles bleues situées à côté de l’Holiday Inn Hôtel, hauts-lieux de la destruction d’un habiter fondé sur le vivre-ensemble et sur la ville comme espace de partages et de rencontres [7]. Les parcours dans la géographie des conflits de Joe Sacco, depuis les territoires post-yougoslaves (Sarajevo, Goražde…) jusqu’aux territoires palestiniens (dans Palestine : une nation occupéePalestine : dans la bande de GazaGaza 1956, en marge de l’histoire et partiellement dans Reportages), donnent à voir aux lecteurs un regard particulier sur les espaces de la guerre : celui d’un journaliste, et tout particulièrement d’un journaliste qui narre l’histoire de personnages qu’il a fréquenté dans ces espaces, et tout particulièrement dans les villes. Que ce soit Neven (dans The Fixer, une histoire de Sarajevo) ou Šoba (dans la bande dessinée éponyme), le récit dessiné nous donne à voir la ville de Sarajevo telle que se l’approprie et la vive ces personnages, récit ponctué par les impressions de Joe Sacco lui-même. Cette géographie intime et subjective met en scène la ville en guerre comme un espace de vie, ou plus précisément un espace de survie. Les personnages ne sont pas « lisses », ce ne sont pas des « héros ». La ville en guerre est alors représentée comme un dispositif spatial contradictoire, où s’entremêlent haines et solidarités, héroïsme et bassesses humaines, et où le règne de la débrouille devient le quotidien.
Les joueurs d’échecs de Sarajevo Source : Joe Sacco, 2003, The Fixer, Drawn and Quarterly, Londres, planche 1.
Les joueurs d’échecs de Sarajevo
Source : Joe Sacco, 2003, The Fixer,
Drawn and Quarterly, Londres, planche 1.
A la question de la représentation de la ville en guerre dans la bande dessinée, s’ajoute la question de la réception par le lecteur. En fonction de son vécu et de son expérience personnels (ce que le géographe Jean-Pierre Paulet nomme les « filtres de représentations »), le lecteur de ces bandes dessinées ne prêtent pas la même attention et n’entrevoit pas la même symbolique. Par exemple, dans les deux planches qui représentent « Momo et Uzeir » dans The fixer, une histoire de Sarajevo, Joe Sacco ne nomme jamais les tours jumelles. Un lecteur ne connaissant pas intimement la ville de Sarajevo y perçoit la destruction de deux très hautes tours, la hauteur étant marquée dans la bande dessinée par une double apparition où la case fait toute la planche. Par cette utilisation de l’espace de la case et de la planche, Joe Sacco signifie au lecteur que ces lieux sont des hauts-lieux. Cet aspect est renforcé par le dessin de Joe Sacco, qui oppose fortement des visages caricaturés par leurs traits et des paysages particulièrement « réalistes » et détaillés. Mais le lecteur qui ne connaît pas Sarajevo ne voit apparaître la « hauteur » de ces lieux que par cette utilisation de la case et du dessin. Le lecteur connaissant intimement Sarajevo voit, dans ces planches, apparaître les deux tours « Momo et Uzeir » et associe leur symbolique à sa lecture. Les deux tours étaient, en effet, l’un des symboles du multiculturalisme sarajévien avant la guerre. Leurs surnoms sont des prénoms des différentes nationalités qui peuplaient Sarajevo (Uzeir étant un prénom bosniaque et Momo un prénom serbe). D’une hauteur similaire, les deux tours symbolisaient ainsi le komsiluk, le « bon voisinage » qui caractérisait l’habiter sarajévien. Ne sachant quelle tour était Momo et quelle tour était Uzeir, les partisans de la destruction du vivre-ensemble ont détruit les deux tours. La représentation de la ville en guerre dans la bande dessinée est également une affaire de réception.
L’arrivée de Joe Sacco au célèbre Holiday Inn Hotel à côté des tours « Momo et Uzeir », hauts-lieux des paysages de destruction et des espaces médiatiques à Sarajevo Source : Joe Sacco, 2003, The Fixer, Drawn and Quarterly, Londres, planches 12-13.
L’arrivée de Joe Sacco au célèbre Holiday Inn Hotel à côté des tours « Momo et Uzeir », hauts-lieux des paysages de destruction et des espaces médiatiques à Sarajevo
Source : Joe Sacco, 2003, The Fixer, Drawn and Quarterly, Londres, planches 12-13.
Chez Joe Sacco et d’autres auteurs tels que le duo Aurélien Ducoudray/Français Ravard (Clichés de Bosnie) ou encore le journaliste espagnol originaire du Kosovo Gani Jakupi (La dernière image. Une traversée du Kosovo de l’après-guerre), la ville en guerre est représentée par le prisme d’un reportage. La représentation de la ville en guerre dans la bande dessinée témoigne alors à la fois d’un reportage et de la part d’engagement des auteurs de bande dessinée. C’est particulièrement vrai dans des bandes dessinées telles que Beyrouth juillet-août 2006 de Mazen Kerbaj qui complique les dessins que l’auteur a fait jour après jour pendant la guerre du Liban de l’été 2006 menée par Tsahal, l’armée israélienne. L’engagement est aussi très présent dans Sarajevo : Histoires transversales (Agic, Alic, Begic et Rokvic), bande dessinée qui témoigne de la représentation des espaces de la survie pendant la guerre, des espaces de la vie dans l’immédiat après-guerre (y compris dans les territoires de l’exil), mais aussi du dépassement de la guerre par la bande dessinée. Ainsi, comme le dit Will Eisner dans sa préface, les auteurs ont tous « survécu à des temps de terreur », et participant au renouveau de la BD en Bosnie-Herzégovine, ils font de la bande dessinée cet espace de création et de liberté qui permet le dépassement de la guerre. Sarajevo, dans le titre de la bande dessinée, attire peut-être le lecteur parce qu’il évoque une ville en guerre, mais les auteurs l’entraînent dans un « ailleurs » que cet attendu.
La ville en guerre peut être, notamment chez les auteurs ex-yougoslaves, davantage montrée par les espaces de l’intime. La guerre en tant que telle laisse souvent place à l’immédiat avant-guerre dessinant une géographie de la nostalgie (Meilleurs vœux de Mostar de Frano Petruša) ou à l’immédiat après-guerre confrontant les personnages aux conséquences de la guerre entre l’effacement des traces et l’ancrage des conséquences « invisibles » (Le Choix d’Ivana de Tito). Dans le premier cas, c’est la ville de l’immédiat avant-guerre qui est donnée à voir : Frano Petruša narre son adolescence dans la ville de Mostar, et ses amitiés et inimitiés qui dépassent les appartenances communautaires. Les espaces publics sont représentés comme des espaces de multiculturalisme, l’appartenance communautaire appartenant aux espaces privés [8]. La géographie subjective de Frano donne à voir au lecteur la ville telle que la vivent et se l’approprient des adolescents « ordinaires » [9]. A travers les deux regards de Frano Petruša (celui de l’adulte qui retrouve la ville de son enfance 20 ans après son départ, et celui de l’adolescent qu’il était), la ville de Mostar est représentée non par la fausse grille de lecture des « guerres de religion », mais comme un espace où l’habiter repose sur la diversité et la mixité, un habiter qui va tant heurter les nationalistes de tous bords dont les idéologies territoriales reposeront sur un habiter excluant et monoethnique. Dans Le Choix d’Ivana, le lecteur est plongé dans Sarajevo, le jour de l’arrestation de Radovan Karadžić. La bande dessinée s’ouvre avec la représentation de la rue sarajévienne en fête suite à la nouvelle de cette arrestation, opposée à l’ordinarité d’un appartement dont le repos va être durablement perturbé par le réveil des blessures de la guerre. Cette dernière revient s’inscrire dans les territoires du quotidien pour cette jeune femme confrontée aux conséquences « invisibles » de la guerre et à la géographie de la peur. Dans les paysages sarajéviens « ordinaires », loin des hauts-lieux des médias, Ivana fait face à une géographie de la mémoire douloureuse. C’est donc par toutes ses temporalités que la ville en guerre nous est donnée à voir dans les bandes dessinées : qu’il s’agisse de la ville de l’immédiat avant-guerre, de la ville pendant la guerre ou de la ville de l’immédiat après-guerre, ces géographies subjectives ne prétendent pas nous donner la « réalité », mais traduisent des manières précises de voir, de vivre et de pratiquer l’espace, en fonction des personnages, de leur rôle dans la ville, de leur âge…
Sarajevo le 21 juillet 2008 au moment de l’arrestation de Radovan Karadžić Source : Tito, 2012, Le Choix d’Ivana, planche 1, © Casterman.
Sarajevo le 21 juillet 2008 au moment de l’arrestation de Radovan Karadžić
Source : Tito, 2012, Le Choix d’Ivana, planche 1, © Casterman.


[1] Voir notamment :
  • Vincent Marie (dir.), 2009, La Grande guerre dans la bande dessinée : de 1914 à aujourd’hui, Historial de la Grande Guerre, Péronne.
  • Bruno Denéchère et Luc Révillon, , 14-18 dans la bande dessinée. Images de la Grande Guerre, de Forton à Tardi, Cheminements, collection La bulle au carré, 167 p.
  • Vincent Marie, 2013, « La Grande Guerre au miroir de la bande dessinée », site Mission Centenaire 14-18, 10 juillet 2013.
  • Marine Branland, 2010, « La guerre lancinante dans l’œuvre de Jacques Tardi », Sociétés & Représentations, n°29, n°1/2010, pp. 65-78.
  • Dossier pédagogique : « La bande dessinée et la Grande Guerre », Les Cahiers de l’Historial, n°1, 2010.
[2] Vincent Marie, 2013, « La Grande Guerre au miroir de la bande dessinée », site Mission Centenaire 14-18, 10 juillet 2013.
[3] Table-ronde « Pourquoi la BD est-elle « partie en guerre » ? », Rendez-vous de l’histoire, Blois, 2013.
[4] A ce propos, voir : Etienne Augris, 2013, « L’espace yougoslave en BD », blog Samarra, 5 janvier 2013.
[5] A titre d’exemple, Joël Mak (dit Mack) propose une séquence pédagogique autour des BD Šoba (Joe Sacco), Fables de Bosnie (Tomaž Lavrič – TBC) et Fax de Sarajevo (Joe Kubert) pour le lycée professionnel dans : Joël Mak dit Mack, 2006, Histoire et bande dessinée, CRDP de l’académie de Grenoble, Grenoble, 197 p.
[6] Elisabeth Dorier-Apprill, 2007, « Guerre et fragmentation urbaine », dans Elisabeth Dorier-Apprill et Philippe Gervais-Lambony (dir.), 2007, Vies citadines, Belin, collection Mappemonde, p. 19.
[7] A ce propos, voir notamment :
Voir également :
  • Xavier Bougarel, 1996, Bosnie. Anatomie d’un conflit, La Découverte, Paris, 175 p.
  • Aurélie Carbillet, 2008, Sarajevo aujourd’hui. Voyage documenté en Bosnie-Herzégovine, Editions du Cygne, Paris, 180 p.
  • Michel Sivignon, 2009, Les Balkans. Une géopolitique de la violence, Belin, collection Mappemonde, Paris, 208 p.
[8] A ce propos, voir : Bénédicte Tratnjek, 2014, « Série Meilleurs vœux de Mostar (3) : Les espaces publics à Mostar : le multiculturalisme, entre tolérance et rejet », carnet de recherche Sciences Dessinées, 2 avril 2014.
[9] A ce propos, voir : Bénédicte Tratnjek, 2014, « Série Meilleurs vœux de Mostar (4) : La ville des adolescents : loin de la guerre, Mostar au prisme d’une géographie des âges », carnet de recherche Sciences Dessinées, 4 avril 2014.

mardi 8 mars 2016

Retours sur la notion d'urbicide

Depuis les attentats à Paris en janvier et novembre 2015, la notion d'urbicide a connu un nouveau "succès" en étant employée dans plusieurs articles (notamment dans la presse), sans nécessairement en préciser les contours. Cette notion peut être critiquée, dès lors qu'elle est employée sans la définir et qu'elle prend des contours trop englobants. Il ne s'agit pas de signifier tout type de destruction dans la ville : la ville comme espace-cible dans la guerre, la violence et les attentats est une réalité ancienne et multiple. Les villes détruites à des fins militaires (telles que les villes rasées lors de la Seconde Guerre mondiale) n'entrent, par exemple, pas dans la catégorie "urbicide". L'urbicide est une destruction de la ville pour la ville, c'est-à-dire une destruction volontaire d'un espace parce qu'il est l'espace de détestation, parce qu'il est appréhendé comme un espace de l'"impureté". En ce sens, l'urbicide est une idéologie spatiale qui se construit par la haine de la ville comme espace "impur" où émergent des formes d'habiter qui sont détestées. C'est donc un terme qui ne peut être employé pour décrire toutes formes de violences et guerres dans les villes. Ce billet entreprend donc de donner quelques petites références bibliographiques et mises au point épistémologiques (loin d'être exhaustives) pour mieux cerner l'emploi (et les abus) du terme d'urbicide.

Le mot a été utilisé comme une notion, pas nécessairement définie, dès 1987, par Marshall Berman, comme le remarque la géographe Aurélie Delage dans son article sur les violences dans le Bronx (Delage, Aurélie, 2016, "Le Bronx, des flammes aux fleurs : combattre les inégalités socio-spatiales et environnementales au coeur de la ville globale ?", Géoconfluences, dossier "États-Unis : espaces de la puissance, espaces en crises", 15 janvier 2016). Mais, le terme n'a pas alors connu un grand succès, d'autant qu'il relève d'une approche très contestée qui fait de l'urbicide la destruction de la ville. Ce manque de "succès" du néologisme s'explique peut-être par l'absence d'une clarification sur son emploi. Plus généralement, on constate que, pour désigner des violences urbaines, l'emploi de ce néologisme peut paraître sans apport : pourquoi un néologisme pour une réalité ancienne, c'est-à-dire pour dire "les destructions dans les villes détruites lors de guerres, violences urbaines, etc." ? Mais l'emploi ancien du terme est à noter.
=> Berman, Marshall, 1987, "Among The Ruins", News Internationalist, n°178, décembre 1987.

Le mot est, par la suite, devenu un concept sous la plume de Bogdan Bogdanović (architecte et ancien maire de Belgrade) et plus généralement du collectif Warchitecture (rarement cité, mais en fait c'est au sein de ce collectif que Bogdan Bogdanović a réfléchi au concept, même s'il est vrai que ce sont les textes de Bogdanović - en français - qui l'ont "popularisé" : mais si on doit donner une origine plus précise, c'est le collectif Architecture tout autant que Bogdan Bogdanović). C'est dans le contexte des guerres de décomposition de la Yougoslavie que ce concept prend donc de l'ampleur, dans la littérature francophone : Xavier Bougarel (s'il n'emploie pas le terme) rappelle, par exemple, combien s'opposent, en Bosnie-Herzégovine, deux idéologies spatiales : l'une urbaine, l'autre rurale (Bougarel, Xavier, 1996, Bosnie.. Anatomie d'un conflit, La Découverte, Paris). La détestation de la ville par les nationalismes qui ont réémergé dans cet espace post-yougoslave à la mort de Tito s'appuie ainsi sur une détestation de la ville comme espace de rencontres intercommunautaires, magnifiant une vie villageoise fondée sur l'entre-soi communautaire.
=> Bogdanović, Bogdan, 1993, "Murder of a City", The New York Review of Books, vol. 40, n°10/1993.
=>  Warchitecture, 1994, Urbicide – Sarajevo. Sarajevo, une ville blessée, catalogue d’exposition.
=> Bogdanović, Bogdan, 1993, « L’urbicide ritualisé », dans Véronique Nahoum-Grappe (dir.), 1993, Vukovar, Sarajevo… La guerre en ex-Yougoslavie, Paris : Editions Esprit, pp. 33-37.
=> François Chaplin, 1997, Une haine monumentale. Essai sur la destruction des villes en ex-Yougoslavie, Descartes & Cie, Paris.
=> Tratnjek, Bénédicte, 2012, "La destruction du « vivre ensemble » à Sarajevo : penser la guerre par le prisme de l’urbicide", Lettre de l'IRSEM, n°5/2012.

L'urbicide dans Sarajevo : de la haine de "l'Autre" à la haine de l'urbanité
Source : Tratnjek, Bénédicte, 2012, "(Re)construire la ville comme lieu d'interface dans l'immédiat après-guerre : destruction de l'urbanité et symbolique des lieux dans la ville en guerre", Colloque La ville comme lieu d'interface, 9e Colloque de la Relève VRM, Montréal, 17-18 mai 2012.


Sous la plume de Bogdanović, l'urbicide doit être ritualisé, d'où l'importance du paysage  (que l'on entend comme la dimension sensible de l'espace) dans la mise en scène de la destruction (notamment par le prisme de l'espace médiatique). Il s'agit à la fois de rendre visible la destruction, mais aussi d'affecter les pratiques spatiales : en produisant des émotions (la peur, la colère) par la destruction, c'est l'urbanité qui se retrouve affectée, voire détruite dans le cas de succès de cette stratégie.
=> Tratnjek, Bénédicte, 2010, « Les paysages urbains en guerre : géosymboles, territorialités et représentations », dans Nicolás Ortega Cantero, Jacobo García Álvarez y Manuel Mollá Ruiz-Gómez (dir.), 2010, Lenguajes y visiones del paisaje y del territorio (Langages et visions du paysage et du territoire), UAM Ediciones, Madrid, pp. 187-199.
=> Tratnjek, Bénédicte, 2009, "Le paysage-spectacle dans la guerre : L'urbicide, une mise en scène de la haine dans la ville", communication aux Secondes Journées Doctorales en Paysage, Blois, décembre 2009.

Le concept ainsi forgé a été, en France, fortement emprunt de lien avec son étymologie (urbi = ville, -cide = meurtre). Le meurtre de la ville ne fait donc pas de la ville un espace-support où se déroulent les combats, mais un espace-cible, l'espace qui doit être détruit pour ce qu'il est, ce qu'il représente, ce qu'il produit. Si l'on retient comme définition de la ville comme espace de mixité, de proximité et d'échanges maximum, le meurtre de la ville a pour objectif la destruction de l'urbanité, c'est-à-dire l'essence même de la ville, ce qui fait d'elle cet espace de mixité, de proximité et d'échanges. Il s'agit donc d'une détestation d'un espace précis - la ville - qui amène à son destruction volontaire (par différents moyens). D'autres néologismes ont pu être créés, comme celui de mémoricide, reprenant la destruction de la mémoire parce que ce qu'elle représente et transmet est détesté. Le géographe Stéphane Rosière note la prolifération des néologismes en -cide depuis l'utilisation du concept de "génocide" (forgé sur le terme genos = le peuple) sur lequel va être forgé le concept d'urbicide. L'urbicide est, dans cette perspective, l'une des modalités de modifications coercitives du peuplement.
=> Rosière, Stéphane, 2007, "La modification coercitive du peuplement", L'Information géographique, vol. 71, n°1/2007, pp. 7-26.
=> Tratnjek, Bénédicte, 2014, "Mémoricides dans les espaces post-yougoslaves : de la destruction de la mémoire à la ré-écriture d'une mémoire excluante", dans Cattanéo, Grégory (dir.), 2014, Guerre, mémoire, identité, Nuvis, Paris, pp. 215-238.



Cette approche est surtout révélatrice des emplois en langue française. Néanmoins, dans la recherche anglo-saxonne (principalement aux Etats-Unis), le concept a connu, depuis les années 2000, un fort succès, selon 2 axes :

1/ Un emploi a posteriori pour décrire la destruction dans les villes libanaises qui tient de la haine de la ville pour son urbanité.
=> Ramadan, Adam, 2009, « Destroying Nahr el-Bared: Sovereignty and urbicide in the space of exception », Political Geography, vol. 28, n°3, pp. 153-163.
=> Fregonese, Sara, 2009, « The urbicide of Beirut? Geopolitics and the built environment in the Lebanese civil war (1975-1976) », Political Geography, vol. 28, n°5, juin 2009, pp. 309-318.
=> Verdeil, Éric, 2009, "Urbicides au Liban", carnet de recherches Rumor, 19 octobre 2009.

2/ Une extension épistémologique très importante, urbi perdant son unique lien avec la ville, pour devenir plus englobant. Le terme tend à désigner, sous certaines plumes, la destruction de l'espace pour et par la haine de l'espace considéré (qui n'est plus nécessairement la ville). L'auteur principal et chef de file d'un grand dynamisme sur ces questions est le géographe Stephen Graham (dès le début des années 2000).
=> Graham, Stephen, 2003, "Lessons in Urbicide", New Left Review, vol. 19, pp. 63-77, en ligne : http://newleftreview.org/II/19/stephen-graham-lessons-in-urbicide
=> Coward, Martin, 2009, Urbicide. The politics of urban destructions, New York : Rutledge.
=> Bevan, Robert, 2006, The Destruction of Memory. Architecture at War, Londres : Reaktion Books.
=> Graham, Stephen (dir.), Cities, War and Terrorism. Toward an Urban Geopolitics, Blackwell Publishing, Oxford.
=> Graham, Stephen, 2011, Cities Under Siege. The New Military Urbanism, Verso (attention à la traduction française, qui est en fait une traduction de quelques chapitres, sans explication des retraits - qui sont autant d'enchaînements réflexifs qui manquent dans la traduction française)
=> plus globalement : toutes les publications de Stephen Graham http://www.ncl.ac.uk/apl/staff/profile/stevegraham.html#publications

Si les études de cas du géographe Stephen Graham sont très portées sur la ville, les ouvrages qu'ils dirigent accueillent des contributions qui élargissent très nettement le concept d'urbicide à toute destruction de l'espace par/pour la haine de cet espace (même chez Stephen Graham dans le cas des Territoires palestiniens). Cette approche a parfois été très contestée en France, où l'on préfère distinguer :
  • l'urbicide pour la ville,
  • le spatiocide pour d'autres types d'espaces.
On note ainsi un emploi, certes discret, du terme de "spaciocide", dans le contexte des privations d'espaces (qui ne se réduisent pas au mur, mais englobent une multitudes de dispositifs spatiaux) dans les Territoires Palestiniens (tout particulièrement chez le sociologue Sari Hanafi qui utilise le terme sous la forme "spatio-cide", distinguant ainsi bien les deux racines).
=> Hanafi, Sari, 2004, "Spatio-cide, réfugiés, crise de l'État-nation", Multitudes, n°18, pp. 187-196. 
=> Lévy, Jacques, 2008, "Topologie furtive", EspacesTemps.net, rubrique "Objets", 28 février 2008.
=> Hanafi, Sari, 2009, "Territoires palestiniens : le "spatio-cide", une politique coloniale", Grotius, 25 septembre 2009.



Pour conclure, l'urbicide est donc la destruction de la ville non pour le bâti mais pour son identité et son essence (ce qui fait que la ville produit un habiter spécifique, espace de rencontres et de mixité maximales), c'est-à-dire destruction de l'urbanité, dans laquelle la ville n'est pas un espace-scène ou un espace-support, mais l'objet de la destruction, pour laquelle la destruction du paysage est mise en scène.